28 août 2025
Pour Boualem Sansal 4
23 août 2025
Pour Boualem Sansal 3
21 août 2025
Pour Boualem Sansal 2
18 août 2025
Pour Boualem Sansal 1
Aujourd'hui, il est traité plus bas que terre par le pays qui l'a vu naître, et considéré comme insignifiant par celui qui l'avait adopté, occulté même par ceux qui le couvraient il y a peu, d’honneurs et de louanges. Son triste sort révèle la nature totalitaire de l’Algérie, mais aussi la bassesse affligeante de politiciens au courage de poltrons et au cœur de caillou. Prolixes en discours emphatiques, ils s'enfuient devant l'obstacle, inscrivant par leur lâcheté une honte inextinguible au fronton de notre république déjà décatie. Près d’un an après son incarcération scandaleuse, Boualem Sansal est quasi oublié. Deviendra-t-il une énième victime de l’interminable tragédie franco-algérienne ?
Je ne connaissais l'homme que de réputation et pour ce que j'en avais vu lors d'émissions et d'interviews télévisées.
15 mai 2025
Faut-il suivre Antigone ?
05 août 2024
Le Voyant d'Etampes
Il s'agit de donner à titre posthume la notoriété qu'il mérite à un paria emblématique, resté dans l'ombre, de son vivant.
Derrière cette fiction faisant d'un certain Robert Willow, un écrivain et poète qu’on pourrait situer quelque part entre Richard Wright et Albert Camus, se profile en réalité le vrai sujet, à savoir, l'éternel combat idéologique des anciens contre les modernes, le tout se déroulant au sein du peuple bien pensant, dit "de gauche". Auteur de l'essai dans le roman, Jean Roscoff, l'universitaire en question incarne l'arrière-garde du socialisme des années Mitterrand. Son principal titre de gloire, dont il aime se targuer, est d'avoir pris part au mouvement et au combat de SOS racisme !
Les modernes, ce sont les nouveaux gauchistes à dominante woke, racialistes, écologistes, féministes et autres istes, tous plus haineux et sectaires les uns que les autres, qui après avoir épuisé le filon marxiste, cherchent par tous les moyens à recycler le mythe de la lutte des classes.
Le nœud du problème réside dans le fait que, pour son malheur, le biographe, occupé avant tout à déchiffrer l'itinéraire poétique de son sujet, négligea quelque peu la négritude de Willow et surtout ne jugea pas nécessaire d'en faire la victime de sa condition. Hélas, trois fois hélas !
L'ouvrage, a priori destiné à un public averti, est remarqué dès sa publication, par un enragé de la cancel-gauche, à l'affût de tout ce qui peut déclencher une polémique.
C'est alors une redoutable mécanique inquisitoriale qui se met en marche, qui n'a de cesse de poursuivre, de harceler et d'accuser le malheureux Roscoff, lequel ne comprend rien à ce qui lui arrive et à l'injustice qui le frappe. A l’instar du pilori, une célébrité aussi soudaine et imprévue que destructrice, lui échoit, dont il se serait bien passé.
Portrait au vitriol d'une époque dont les excès idéologiques sont devenus quotidiens, ce roman est un vrai pavé dans la mare. Il est pour tout dire, d'une actualité brûlante.
Mais son style est également celui du temps présent. L'écriture est plate et sale, à la manière de Houellebecq. Les personnages ont peu de densité et l'analyse psychologique reste au ras du sol. L’essentiel est dans la guerre intellectuelle et dans la mise en scène de ses douteux et fallacieux combats.
Il y a beaucoup de vrai dans ce tableau de l'époque contemporaine. C'est audacieux, louable et même édifiant, mais le récit, qui devrait faire du bien à l'esprit, laisse une sensation de malaise, voire de désespérance. On ne sait plus trop à la fin s'il s'agit de la critique d'une illusion perdue ou bien celle d'une intolérance en marche. On ne sait plus s’il reste encore quelque espoir de revenir à la raison. Peut-être en somme, parce que la réalité se confond avec la fiction...
19 mai 2024
En lisant en écrivant
07 décembre 2023
Logique Ionescienne 3
23 novembre 2023
Logique Ionescienne 1
11 décembre 2022
Nobel à Nono et capotes à gogo
Le prix Nobel de littérature a donc été attribué à une Française ! Nono comme diminutif un peu leste pour Annie Ernaux et nono comme diraient les canadiens pour qualifier la niaiserie de certaines personnes…
Chez cette “écrivaine”, “autrice” de surcroît (à moins que cela ne soit “auteure”, allez savoir), ce qui choque le plus, ce n’est pas son look de vieille sorcière confite dans un piteux laisser-aller néo-prolétarien, ce n’est pas non plus le vide intersidéral de son oeuvre, composée de navrantes bluettes tournant exclusivement autour de son nombril, ce n’est même pas son style littéraire, qu’elle-même qualifie, “d’écriture plate”.
Non, c’est surtout l’ineffable futilité des propos qu’elle tient publiquement et les efforts désespérants et désespérés qu’elle fait pour démontrer son engagement, dégoulinant de poncifs révolutionnaires à la petite semaine. Bien sûr, elle penche à gauche, très à gauche même puisqu’elle ne cache pas ses accointances avec la clique à claques de Mélenchon.
Cela lui fait dire à chaque fois qu’on l’interroge, tout et n’importe quoi pourvu que cela serve la cause. Mais cela sonne tellement faux que le résultat est plutôt contre productif. N’est pas Sartre qui veut, aussi faux qu’elle mais avec le talent…
Je n’ai lu d’elle qu’un seul ouvrage, Passion Simple. Dans ce texticule informe, l’égérie du féminisme qu’elle voudrait être, avoue qu’elle prit plaisir à s’asservir corps et âme à un mâle de passage, marié, et apparemment indifférent à sa personne, hormis à l’endroit que la décence m’interdit de nommer ici. Le lecteur peut ainsi juger de la nature de sa soumission volontaire à de nombreux détails inutiles ou scabreux. Entre autres : “j’aurais voulu n’avoir rien d’autre à faire que l’attendre”, “naturellement, je ne me lavais pas avant le lendemain pour garder son sperme…”
Lors de son couronnement, Annie Ernaux poussa la cuistrerie jusqu’à s’auto-féliciter tout en raillant son rival malheureux, Michel Houellebecq, dont elle révéla vomir “les idées totalement réactionnaires, antiféministes, et c’est rien de le dire !” Très satisfaite de son petit numéro de haine ordinaire, si bienséante, elle affirma : “Quitte à avoir une audience avec ce prix, étant donné ses idées délétères, franchement, mieux vaut que ce soit moi !” (Huffington Post). Michel Audiard et Georges Brassens qui transcendèrent de manière jubilatoire le concept de c.. ont dû faire plus d’un tour dans leur tombe…
Emmanuel Macron, à l’intention duquel elle claironne un profond mépris, n’est quant à lui pas rancunier, puisqu’il jugea nécessaire de pratiquer le dithyrambe en célébrant avec ce prix prestigieux “la liberté des femmes et des oubliés du siècle.”
Son aptitude à toujours trouver le mot juste lui fit ajouter que la lauréate “rejoint ainsi par ce sacre le grand cercle de Nobel de notre littérature française !”
Dans le même temps ou presque, il annonça, avec le sens de l’à propos et la générosité qu’on lui connaît, la gratuité des préservatifs délivrés en pharmacie, pour les 18-25 ans. Il crut bon même, après réflexion, d’élargir la mesure aux mineurs, en se congratulant d’avoir été l’instigateur “d’une petite révolution en matière de prévention.”
Une très petite révolution alors !
Au diable l’avarice et, comme disait Lavater, “que Dieu préserve ceux qu’ils chérit, des lectures inutiles…”
05 juillet 2022
Dieu, la Science, les Preuves ?
Pour conjurer cet effroi, la croyance en Dieu rassure autant qu’elle inquiète car le dessein de cet être suprême reste sujet à controverses et à interrogations. Les religions dont les dignitaires prétendent connaître le message et la volonté divines ont trop souvent fait régner la terreur. De son côté, la science, à mesure qu’elle progresse, met à jour les rouages qui sous-tendent le monde. Ses découvertes contribuent à rendre plus douce la vie en même temps qu’elles font reculer les croyances, mais n’abuse-t-elle pas de son pouvoir lorsqu’elle prétend pouvoir tout expliquer, renvoyant dans le néant toute entité d’essence suprasensible ?
Cet ouvrage tente, à partir des plus récentes données scientifiques, d’établir rationnellement la preuve de l’existence de Dieu et précise même un peu plus sa nature en revisitant l’histoire des religions, notamment la Bible, et celle de la philosophie, tout particulièrement sa branche métaphysique. Le défi est tellement énorme qu’il induit d’emblée le scepticisme, en dépit de l’enthousiasme des auteurs dans leurs efforts pour rallier le lecteur à leur stupéfiante hypothèse.
La notion de Big Bang est évidemment la clé de voûte de la démonstration. Bien connue du grand public, cette fabuleuse explosion initiale de la matière offre un fondement solide au créationnisme.
Alors que le grand Albert Einstein était convaincu de l’immuabilité de l’univers, c’est à partir des théories de la relativité que le physicien russe Friedmann émit en 1922 l’idée que le cosmos était animé d’un mouvement d’expansion. L’hypothèse fut reprise et affinée par l’abbé Lemaître, avant de trouver un début de confirmation grâce aux observations de Hubble en 1929. Le décalage vers le rouge du spectre lumineux des étoiles apparait comme le signe irréfutable qu’elles s’éloignent les unes des autres. L’enregistrement sous forme d’onde électromagnétique du rayonnement fossile du Big Bang par Wilson et Penzias en 1964 apporta une preuve supplémentaire, mais il fallut encore attendre 2015 pour obtenir la cartographie précise de ce rayonnement, telle qu’elle fut enregistrée par le satellite Planck.
A partir de ces constats, il fut possible d'établir la chronologie de l’univers et de déduire qu’il eut un début, en remontant le temps jusqu’à 13,6 milliards d’années en arrière. L’expansion allant en s’accélérant, il semble plus que probable que notre monde aura une fin, qualifiée de mort thermique.
Parallèlement à ces découvertes majeures, il est désormais objectivé que l’harmonie de l’univers, la cohérence du monde matériel et les conditions nécessaires à l’apparition de la vie reposent sur une série de réglages d’une précision hallucinante, rendant quasi impossible d’imaginer que tout cela ne soit dû qu’au hasard.
Une des forces de l’ouvrage est de montrer comment il fut difficile d’imposer les notions tendant à rejeter le jeu du hasard et de la nécessité, imposé par nombre de savants éminents, et plus encore celles sous-tendant l’existence d’un principe créateur et d’un dessein intelligent. Aujourd’hui encore, le créationnisme a mauvaise réputation, mais est-il pour autant possible de prouver l’existence de Dieu comme en sont convaincus les deux auteurs émerveillés ?
Cette certitude est sans doute la faiblesse du livre car les preuves fournies ont beau s’accumuler, le doute persiste. On peut même remettre en cause l’affirmation figurant p 539 selon laquelle “en logique une seule preuve valable suffit à valider une thèse, et qu’à l’inverse, pour démontrer qu’une thèse est fausse (celle de l’existence de Dieu), il est nécessaire de prouver que toutes les preuves sont fausses.” En réalité, Karl Popper a bien montré qu’en matière de science tout n’est que conjectures et réfutations. Même en grand nombre, les preuves ne peuvent démontrer d'une manière définitive la vérité d’une théorie, tandis qu’une seule réfutation suffit à l’invalider.
S'il s’avère impossible de manière générale de prouver que quelque chose n’existe pas, l’essence divine relevant de la métaphysique, elle échappe par nature aux capacités démonstratives du raisonnement humain, comme l’a bien expliqué Kant en son temps. On peut à ce sujet critiquer la relégation expéditive par les auteurs du père de la critique de la raison pure, alors qu'ils se servent un peu abusivement du théorème de Gödel à leur avantage. Selon ce dernier, il existe toujours au moins une proposition non démontrable ou indécidable dans tout système de logique formelle. Dans un tel cas, il faut nécessairement sortir de ce système pour trouver la solution. Il est donc paradoxal que les auteurs en fassent un argument à l’appui de leur thèse, alors qu’ils reconnaissent explicitement p530 que “les facultés de Dieu tel qu’on doit l’imaginer, dépassent l’entendement humain”. Comment prouver l’existence d’une entité dépassant l'entendement humain ?
Dans sa seconde partie, l’ouvrage a tendance à s’égarer quelque peu lorsqu’il s’appuie sur l’histoire des religions dites “du Livre” pour placer au rang de preuves des concepts qui relèvent de la croyance ou de la foi et amener au seul Dieu possible, à savoir celui des Chrétiens...
Comme c'est le cas avec les textes qualifiés de sacrés, il y a en effet beaucoup de subjectivité dans l’interprétation de la bible, beaucoup de mystères entourant la vie de Jésus et plus encore concernant les miracles. Entre autres exemples édifiants, l’apparition de la Vierge à Fatima en 1917, abondamment décrite ici, bien qu’elle soit impressionnante, ne saurait entrer dans une démonstration prétendument objective de l’existence de Dieu.
D’autres allégations paraissent franchement fantaisistes, comme celle voulant que Dieu nous ait créés “car il est débordant d’amour …/… et voulait que “d’autres êtres puissent partager son bonheur…” (p530)
Pareillement, on s’étonne de voir abandonnée par les auteurs l’existence de l’enfer au motif que le scepticisme quant à son existence “a gagné toutes les couches de la société” (p532). De manière un peu contradictoire, on apprend d’ailleurs quelques lignes plus loin que “finalement l’existence d’un enfer éternel n’est pas la preuve de l’inexistence de Dieu, mais de la liberté et de l’immortalité de l’homme dont la destinée éternelle devra bien être scellée à un moment donné (p533)…” Autre antinomie relevée dans le cours de la démonstration: si comme l’affirment les auteurs, “Dieu voulant des êtres libres, il fallait que le monde ne soit pas déterminé d’avance”, comment comprendre les nombreuses prophéties et prédictions dont la Bible est émaillée, tendant à laisser penser que les évènements sont écrits par avance…
En définitive, il y a dans ce pavé beaucoup de révélations passionnantes mais également beaucoup de répétitions, de périphrases qui débouchent à la fin des fins sur un genre de boucle ontologique ressemblant à la bonne vieille preuve du même nom de l’existence de Dieu: puisqu’Il a toutes les qualités par essence, il a donc nécessairement celle d’exister…
Cela dit, il reste possible d’imaginer qu’à côté de la Foi, du Doute, et de l’Athéisme, une autre voie existe, celle de l’Espérance. Même sans preuve définitive, il apparaît en effet plus intéressant de faire sienne l’hypothèse fondée sur l’existence de Dieu car elle est plus stimulante, plus optimiste et plus ouverte que l’inverse. Il s’agit en quelque sorte de s’inscrire dans le fameux pari de Pascal, ou bien encore d’adhérer au pragmatisme éclairé de William James. Les progrès de la science sont les bienvenus sur ce difficile chemin. Ils sont susceptibles d’élever l’esprit, d’améliorer les conditions de notre existence, de procurer une meilleure compréhension du monde et peut-être de lui donner un sens…
27 mai 2022
Mais aimons-nous ceux que nous aimons ?
J’avais vu autrefois le bouquin dans les rayonnages de la bibliothèque de mon père. Pourtant, si l’interrogation sur laquelle il se fonde avait pénétré mon esprit, je n’avais jamais tenté de le lire, ni d’ailleurs quoi que ce soit d’autre de l’écrivain. Était-ce l’allure sévère, empreinte d’un stoïcisme hautain de l’homme qui m’effrayait, ou bien était-ce sa réputation sulfureuse et sa moralité ambigüe qui m’avaient rebuté, je ne saurais trop dire…
Toujours est-il que, taraudé par la question, je décidai, longtemps après avoir laissé filé le livre dans les limbes du temps, de revenir à lui, de me mettre en quête d’un nouvel exemplaire, puis de me plonger enfin dedans avec délectation.
Après avoir ingurgité le dernier Houellebecq, je dis dire que le contraste est des plus frappants. Même s’il ne s’agit sans doute pas d’un fleuron dans une œuvre très dense, il s’agit ici sans aucun doute de littérature. Le style, la fantaisie, l’originalité, les ellipses, les images, l’esthétique, l’assise culturelle, tout y est, même la tragédie qui affleure de manière poignante sous la légèreté du propos. Et tant pis si l’accès à un tel texte est sans doute moins aisé que celui qui mène à l'anéantissement houellebecquien…
Ce récit fut achevé en juillet 1972, quelques semaines à peine avant la fin tragique du romancier survenue le 21 septembre. A l’instar de l’illustre torero Belmonte qui se suicida parce qu’il ne voulait pas atteindre le seuil fatidique de la vieillesse fixé par lui à 70 ans, Montherlant, que l’âge avait rendu presque aveugle, choisit l’équinoxe d’automne, moment où le jour est égal à la nuit, pour faire le grand saut.
Juste avant la fin programmée de son existence, comme un astre revenu à son point de départ, il avait focalisé ses ultimes réflexions sur trois personnages, héros de ses tout premiers romans : Jacques Peyrony, modèle du jeune homme tonique et sain au profil musclé digne des athlètes de l’antiquité, Dominique S., l'incarnation féminine de la pureté du sport féminin, qui à la fois “imposait” et “attendrissait” l’écrivain, et Douce, dont on ne connaîtra que le surnom, qualifiant “une jeune fille aussi charmante qu’inconstante, l’archétype même de la femme.”
Pour ses trois personnages, Montherlant avait une vraie affection et sans doute davantage. Du moins le croyait-il…
Cherchant à percer le mystère de l'attachement qui le liait à eux, à comprendre pourquoi ils avaient disparu de sa vie, et afin de corriger les maladresses de style qui entachaient selon lui la description qu’il fit de leurs relations passées, il se fait un devoir de reprendre le fil de deux écrits de jeunesse, Le Songe et Les Olympiques. Au long d’un chemin littéraire déconcertant fait de digressions dispersées façon puzzle, il est ainsi amené tantôt à magnifier les qualités, ou bien au contraire à revoir à la baisse les mérites de ces êtres chers. En toile de fond de ces chassés croisés sentimentaux, se profilent tour à tour l’admiration de l’écrivain pour le sport, sa passion pour la corrida et enfin l’empreinte obsédante de la guerre, celle de 14 avant tout.
Mais c’est dans les derniers chapitres que l’histoire dévoile tout son potentiel dramatique. Car hélas dans ce récit où l’amour le dispute à l’amitié, chacun des trois personnages fera défaut : “Successivement Dominique, Peyrony, Douce tombaient de moi comme à un souffle plus fort tombent de l’arbre ses feuilles un peu mortes.”
A la tristesse que lui inspire cette finitude sentimentale, Montherlant tente bien d’opposer un échappatoire réconfortant, fait de pensées positives: “De Dominique je dirai qu’elle m’a fourni une héroïne intéressante, dont je n’ai pas su tirer parti. De Peyrony qu’il remplit Les Olympiques, qui ne seraient pas ce qu’elles sont sans lui…/…. De Douce que, pendant neuf ans, elle avait été avec moi une fille parfaite : volupté, simplicité, honnêteté.”
Mais au bout du compte, le constat de la vanité de ce qu’on appelle amour s’impose. Aimons-nous vraiment ceux que nous aimons ? Telle est la question.
A celle-ci, l’auteur répond sans détour : “Nous n’aimons que des moments”. Pire, ces instants eux-mêmes sont illusoires marqués par une exigence absurde: “nous demandons aux autres de nous donner un amour que nous ne leur donnons pas.” Tout est donc vain car “les objets eux aussi sont des moments…” ils finissent un jour ou l’autre par s’user et disparaître. En somme, il n’y a “rien à dire si on sait bien d’avance que tout est perdu, soi compris.”
En bon stoïcien, Montherlant fait toutefois un effort pour se reprendre. En ayant conscience de cette insignifiance, dit-il, c’est malgré tout, “une conscience que nous devons surmonter, car il faut aimer. Il faut vivre dans cette illusion et dans cette clairvoyance : elles sont l’une et l’autre à l’honneur de l’homme, et les juxtaposer est encore à son honneur…/…”
Mais alors qu’on croit la cause entendue, un post scriptum inopiné de l’auteur révèle qu’il fait régulièrement un rêve qualifié de “révélateur”. Dans celui-ci, l’évidence s’impose qu’une personne a indéfectiblement compté dans sa vie. L’amour existe donc mais “on n’aime qu’une fois”.
Qui était donc l’être dont le souvenir habitait ses rêves ? Appartenait-il seulement au monde réel ? S’agissait-il de Serge, tel qu’il est dépeint dans l’intrigante pièce de théâtre “la ville dont le prince est un enfant” ? Quelqu'un dont le nom ne peut être dit ou bien qui s'est effacé avec le temps ?
Loin de porter un quelconque espoir, cette pensée s’ouvre hélas “sur la désolation” car avec le temps, l’amour s’est de toute manière enfui. Terrible constat qui amène la déchirante conclusion : “Depuis ce matin, ce n’est pas le « Ouvrez-vous, portes éternelles » que j’écrivais dans un de mes Carnets. C’est « Fermez-vous, portes éternelles…. »
30 mars 2022
Anéantir, mais quoi ?
Disons tout de suite que sa lecture n’impose paradoxalement pas un effort considérable. Non pas qu’il soit palpitant pour l’esprit, mais pas plus désagréable non plus qu’un flux d’eau tiède sur la peau… Ça s’écoule sans joie ni déplaisir.
Si l’on s’en tient à la forme, elle s’inscrit dans le style auquel nous a habitué l’auteur, fait d’une écriture plate et atone remplie de lourdeurs, de trivialités et de banalités stylistiques. La ponctuation est parfois erratique, la narration n’évite pas la vulgarité, mais tout ça est inodore, sans saveur, sans truculence (n'est pas Céline qui veut). Le récit, linéaire mais sans but, se perd en digressions interminables de peu d’intérêt : les rêves insensés du personnage principal, la description caricaturale de l’organisation des maisons de retraites qu’on appelle de nos jours Établissements D'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD), les moyens insensés auxquels il faudrait paraît-il recourir pour s'en échapper, les méandres cabalistiques dans lesquels se perdent des menées terroristes un peu ridicules, le microcosme doré de la haute fonction publique incarné par un ministre de l’Économie sans chair ni épaisseur, quoiqu’il soit qualifié de génie à l’égal de Colbert (ce qui est pour celui qui en est l’objet, un compliment à double tranchant). Et pour finir, une pesante réflexion sur la mort et sur vanité de l'existence empreinte de réminiscences freudiennes (la tumeur pharyngée qui dévore l'être...), mais ici encore, on reste étranger au drame narré de manière insipide...
Tout cela est donc très “techno” et jamais on n’éprouve le moindre frisson, ni la moindre émotion pour les êtres de papier dont l’auteur nous narre avec application et force platitudes la vie monotone, bourrée de stéréotypes et de clichés. Est-ce l’expression du spleen romantique si bien mis en vers par Baudelaire, ou Musset (dont un des personnages se plaît à scander les vers de Rolla) ? J’en doute tant l’art est ici absent.
J’ai plusieurs fois tenté d’entrer dans l’univers houellebecquien, mais à chaque fois mon impression fut dominée par la déception et je m’interroge sur les raisons qui font de cet écrivain somme toute médiocre, un champion des best-sellers en librairie. Peut-être par sa faculté étonnante à épouser avec une molle servilité les remous de l’actualité de son époque et à en décrire de manière insipide tous les poncifs sociétaux. Il ne les approuve ni ne les critique, ni même ne les commente, tout au plus, se contente-t-il de surfer dans la mousse des vanités contemporaines. Spectacle insignifiant mais qui plaît à l’évidence, dans un monde abandonnant un à un ses repères et qui donne à l'écrivain la stature de visionnaire aux yeux de certains …
Je reprends à cette occasion, le commentaire que m’avait inspiré en 2011, la lecture d’un précédent bouquin, lui aussi, “acclamé par la critique” : La Carte et le Territoire.
Le plus navrant concernant cet ouvrage, est qu'il soit parvenu à rafler le prix Goncourt.
On subodorait que ce dernier récompensait davantage l'aura médiatique et le potentiel marchand que les qualités littéraires intrinsèques. On en a ici, la confirmation éclatante.
Car il s'agit d'une bien médiocre prose, mais si conforme aux mornes standards du moment... Le genre de produit qu'on met dans son caddie au super-marché sans même y penser...
Il n'y a pas de style dans ce collage insignifiant de fragments desséchés, d'un puzzle sociétal situé dans les sphères branchées du snobisme bobo. On y trouve quelques pesants truismes sur le monde surfait des "people", un aperçu peu reluisant du "marché" de l'art contemporain, une louche assez écœurante d'autobiographie prétentieuse et grinçante, et un grotesque ersatz de polar dans le genre gore. Le tout est assaisonné de quelques annotations inutiles sur les cartes routières, les chauffe-eaux, les radiateurs, les automobiles de marque Audi ou les appareils photo numériques, et surtout de laborieuses et vaines digressions néo-déconstructivistes sur le devenir de la société post-industrielle.
L'ensemble est débité comme une sorte de jambon pâle, inodore et sans saveur. A l'image de la découpe au sens propre de la chair humaine, dépeinte dans une mise en scène atrocement banale. Il y a de la viande froide, mais où sont les tripes ? Les personnages sont absolument inconsistants et en général très antipathiques. Il s'agit de stéréotypes inexpressifs errant dans l'existence, sans but, sans passion, sans aspiration. Bref, ce bouquin sinistre est à la littérature ce que les fleurs de cimetières sont à celles de Giverny...
24 décembre 2021
Deux contes pour Noël
De ces deux courts récits que rien a priori ne rapproche, on serait tenté de dire qu’ils sont faits pour être lus ensemble tant ils font vibrer les mêmes cordes sensibles au fond de l’âme
On y trouve à la fois du merveilleux, du moral et du romanesque, ingrédients indispensables à toute bonne fiction, et leurs titres à eux seuls suffisent à enchanter l’imagination.
Les immenses plaines russes, offrent à l‘auteur de Guerre et Paix l’occasion de faire l’éloge de la propriété privée et de son acquisition par l’effort et la détermination. Mais en même temps, il met en garde contre la tentation de préjuger de ses forces, et de vouloir posséder plus qu’on ne peut maîtriser. Qui trop embrasse mal étreint en quelque sorte comme le découvrira le fougueux Pakhomm en payant finalement le prix fort pour un domaine qu’il voulait le plus grand possible, présumant de ses forces dans l’ivresse de la conquête, au-delà du raisonnable… James Joyce voyait dans cette nouvelle “ la plus grande histoire de la littérature au monde”. Excusez du peu…
Pour Roth, lorsque la magie des hasards de la vie se manifeste par un événement heureux, il faut savoir profiter de la chance qui s’offre à soi par ce qu’on pourrait tout aussi bien attribuer à l’intervention d’une mystérieuse providence. Mais il ne faut jamais oublier la précarité de l’existence et ne pas perdre de vue les engagements qu’on peut prendre à la perspective euphorique d’une vie nouvelle. En un mot, il faut veiller à ne pas gaspiller les fruits tombés du ciel et savoir rendre grâce à qui de droit de son bonheur, avant qu’il ne soit trop tard. Andreas, vagabond alcoolique, devenu presque riche après avoir croisé un généreux donateur anonyme, l’apprendra à ses dépens. Preuve de sa puissance narrative, ce récit inspira au cinéaste Ermanno Olmi un film récompensé par le lion d’or à la Mostra de Venise en 1988…
Écrites dans un style limpide, ces deux histoires se lisent d’un trait, comme on boit avec délice lorsqu’il fait chaud, une boisson bien fraîche. Ce qu’elles racontent est intemporel et la force de la morale qui s’en dégage s’impose à la manière d’une lumineuse évidence. Tout le reste est littérature…
20 décembre 2021
La Habana Para Un Infante Difunto 3
Il fallait donc quelque chose en plus, qui révèle une subtile alliance de l’esprit et de la chair. Il trouva cet idéal auprès de “la plus belle fille du monde” : Julia, qu’il appellera tendrement Juliette et de laquelle il recevra l’initiation la plus accomplie à “la Bona Dea du sexe”. Petite mais admirablement proportionnée, elle était “belle à lécher tout entière, en commençant par le pied du lit” ! Il fondait littéralement sous le charme de cette adorable Tanagra. La fête des sens avec elle semblait sans limite. Commencée dans la béatitude d’une audacieuse caresse buccale, elle fut suivie d’une étreinte aussi brève qu’intense, la nuit au bord de la mer, mais en public, ce qui valut aux amants d’être traités de "repugnantes cerdos" par des passants effarés.
Mue par un étrange caprice, elle voulut absolument faire l’amour en écoutant La Mer. Non pas celle qui berce les rêveurs de son doux va-et-vient, mais l'œuvre symphonique de Debussy ! Grâce à une amie compréhensive qui lui prêta un tourne-disques, il trouva le moyen d’assouvir le désir de sa déesse, et ce fut elle alors qui fit la mer, allant et venant, feulant et gémissant dans l'ivresse du plaisir. Suivirent maints ébats, moult frénétiques copulations, avant que l’enchantement finisse, lorsque l’amant comprit qu’il ne représentait pour celle qu’il considérait comme “la clé de ses songes” à peine plus qu’un pénis capable de s’ériger à plusieurs reprises...
Il y eut enfin Violeta du Val alias Margarita, sorte de tragique amazone, mutilée du sein droit par une brûlure survenue dans l’enfance. En dépit de cette infirmité, si bien cachée qu’il ne la découvrit pas de prime abord, la passion fut intense : “elle n’était pas seulement le sexe, elle était l’amour”.
Encline à la théâtralisation, elle aimait le griffer, le pincer pour laisser, disait-elle, "sa marque". Elle lui fit même croire un jour qu’elle l’avait empoisonné, avant de lui révéler qu’elle avait concocté quelque chose de plus terrible encore, à savoir une “amarre havanaise”, autrement dit un philtre magique pour qu’il l’aime toujours, éternellement. “Un jour je m’en irai”, lui dit-elle, et “je veux que tu continues à m’aimer après mon départ”… De fait, elle quitta Cuba pour le Venezuela, et il ne la suivit pas, marié qu’il était, et devenu père par la même occasion…
A la fin tout se brouille. Alors qu’il la croyait perdue, un jour, il se retrouve à nouveau auprès de cette femme dans un cinéma. Elle est plus aguicheuse, plus adorable que jamais. Elle se confond avec le souvenir qu’il a de “sa splendeur sexuelle, de ses yeux verts ardents, sa bouche écarlate, et aussi ce défaut de beauté, sa macule mammaire, le sein manquant qui faisait de l'autre une perfection rare, unique: la précieuse corne de l’unicorne”. Mais est-ce vraiment elle, ou bien sa sœur Tania ? Est-il dans le temps présent ou bien a-t-il remonté le cours de ses souvenirs ? Sont-ce les effets du fameux philtre d’amour ? Pourquoi tout à coup son alliance disparaît ? Il cherche dans le noir, elle fait mine de le guider, et c’est entre ses jambes qu’il se retrouve. Non seulement il ne met pas la main sur son alliance, mais c’est sa montre qui s'évapore à son tour. Est-ce une réminiscence trouble des heures durant lesquelles elle l'avait fait attendre autrefois ? Margarita semble pour sa part indifférente, happée par le film de Disney. Lui s’égare de plus en plus. C’est un grand vertige qui s’empare de lui, alors qu’il s’engage dans une plongée vaginale insensée. Il est tout entier entré en elle. Le monde s’efface, devient irréel, peuplé d’illusions et de mirages. Il se met à “tourner dans un tourbillon privé de centre”. “Stop !” s'écrie-t-il, avant de ressentir “comme un choc dans une faille, un râle dans la ravine”. Et il tombe, libre, dans "un abîme horizontal".
“C’est là que nous sommes arrivés”, écrit-il avant de lâcher de manière abrupte, son récit, les femmes, La Havane et toute une partie de sa vie sans doute...
C’est peu dire qu’on ne sort pas indemne de ce périple illuminé mais fou, qui risque de laisser chez le lecteur des stigmates, telle cette cicatrice témoignant d’une griffure passionnelle profonde que Margarita fit un jour au poignet de Guillermo...