30 avril 2016

Le péril radical

Le retour aux sources est à la mode. Cette propension à remonter à ses racines est séduisante de prime abord. On peut y voir l'expression d'un besoin plutôt sympathique d'authenticité. Il y a tant d'artificialité dans le monde moderne, qu'on est même enclin à trouver cette aspiration des plus légitimes…

Tant qu’il ne s’agit que d’une tendance, et quoique son aspect grégaire puisse prêter à sourire, il n’y a en tout cas pas lieu d’y trouver à redire. Elle est même parfois sous-tendue par un bon sens qui invite à réfléchir.
Là où cela devient plus ennuyant, c’est quand le penchant se transforme peu à peu en toquade, voire en lubie pour ne pas dire en obsession, et lorsqu’une opinion individuelle se mue en revendication, donnant lieu à un prosélytisme de plus en plus insistant, puis à des actions coercitives sur les autres pour les amener à penser de même.

On voit alors des opinions ne reposant en réalité que sur des croyances, se transformer en certitudes de plus en plus arrogantes, avec au bout du chemin la porte ouverte sur le fanatisme. Le retour aux origines n’est rien d’autre en ce cas qu’une radicalisation, c’est à dire l’expression d’une pensée extrémiste, intolérante et bornée.


Les religions constituent le terreau classique de ces dérives terribles de l’esprit humain. 

On croyait ce danger à peu près écarté mais force est de constater qu’il ressurgit hélas brutalement sous nos yeux. Les atrocités commises par les nouveaux barbares invoquant le nom d’Allah sont de ce point de vue hallucinantes. Mais ces horreurs ne sont pourtant que la partie émergée d’un mouvement de fond au moins aussi inquiétant, qui propage dans les cervelles et dans les comportements un obscurantisme et un sectarisme dévastateurs.

La politique est également un domaine où sévit trop souvent cette arrogance intellectuelle. Le Socialisme représente sans doute de ce point de vue la pire des calamités “laïques” que le genre humain ait engendrées. Sous toutes ses formes, et sous toutes les latitudes il n’a jamais amené rien d’autre que la misère, l’oppression et la désertification spirituelle.
Dans de telles circonstances, on est frappé par l’aveuglement de gens, pourtant dotés d’une éducation solide et parfaitement informés, donc en position d'avoir une opinion la plus objective possible. 

Ainsi, lorsque sévissait la grande famine provoquée par Mao, au nom de son prétendu "Grand Bond en Avant", qui fit plus de 50 millions de morts dans les années 1958-1962, François Mitterrand de retour de Chine en 1961, confiait benoitement au magazine l’Express, sa certitude que "Mao n’était pas un dictateur mais un humaniste et qu’il n’y avait pas de famine en Chine…"
Pareillement, il est bien difficile d’expliquer la raison qui poussa le Président Giscard d'Estaing à gratifier cette immonde crapule du titre de “phare de l'humanité”, au moment de sa disparition en 1976.
On se souvient des prétendus intellectuels qui encensèrent successivement Lénine, Trotski, Staline, Castro, Mao, and co., et qui applaudirent à la soi-disant libération du Cambodge par les hordes de Khmers Rouges...
Autant de sottise confine à la complicité de crime contre l’humanité !

Ces exemples paraissent caricaturaux mais ils sont révélateurs de la fragilité de la société et du progrès face à la radicalisation des esprits. Or nombre de débats agitant la pensée contemporaine sont en proie à un extrémisme grandissant. Même si ce dernier est souvent le fait de minorités, elles sont de plus plus agissantes et leurs actions témoignent d’une intolérance et d’une violence croissantes. Au surplus, les médias, si friands de scoops, amplifient artificiellement leur importance.
Il en est ainsi du mouvement “Nuit Debout”, animé par des groupuscules hétéroclites, crispés de manière frénétique sur un vague projet de loi, supposé apporter un peu de liberté dans la jungle bureaucratique qui étouffe le travail, au prétexte de le réglementer.
On a vu aux États-Unis des initiatives similaires avec Occupy Wall Street, et en Espagne avec les Indignés.

Le point commun de ces “soulèvements populaires” est le rejet primaire de la société ouverte et libre, sous-tendu par une argumentation de nature “révolutionnaire” où se télescopent tous les poncifs de l’anti-capitalisme, de l’anti-libéralisme, de l’anti-mondialisme... Ils réunissent sous des slogans simplistes et haineux, nombre d’obédiences d’une gauche archaïque et une frange arrogante de la population vociférant de manière confuse contre tout ce qui fait la prospérité de nos sociétés.
Est-ce la faute des politiciens, incapables de proposer de grands desseins, de grandes perspectives, depuis la mort des idéologies ? Est-ce le fait d’une lassitude paradoxale à l’égard d’un bien-être matériel qu’on ne sait plus apprécier ? Est-ce cette fascination morbide que manifestent souvent les êtres humains pour la destruction ?

On peut s’interroger face à cette montée disparate mais réelle de l’intolérance, de la subjectivité, de la radicalité, et devant ces mouvements qui n’ont de cesse de s’attaquer aux piliers d’un système bâti sur tant de sacrifices, d’efforts, d’opiniâtreté, et qui procure en dépit de ses défauts, un bonheur matériel inégalé dans toute l’histoire de l’humanité.
On accuse parfois Descartes d’avoir promu le principe de la tabula rasa, consistant à faire table rase du passé, mais il s’agissait avant tout pour lui de pratiquer le doute méthodique qui consiste à « abandonner les croyances des choses qui ne sont pas entièrement certaines et indubitables aussi prudemment que celles qui sont entièrement fausses »
Manifestement, nombre de révolutionnaires ignorent cet enseignement, pour leur plus grand malheur et pour celui des gens qu’ils entraînent dans leur folie...

25 avril 2016

Un pensée très compliquée

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Voilà qui pourrait peut-être résumer le cheminement intellectuel suivi par Edgar Morin dans cette Introduction à la pensée complexe, qui bien que succincte, s’avère d’un abord des plus ardus, tant les notions exposées frisent souvent l’inintelligible.

Sont-ce les idées ou bien la manière de les présenter ? On penche assez rapidement pour la seconde hypothèse, tant l’auteur semble fuir la simplicité, par crainte peut-être de tomber dans le simplisme.
Il annonce d’ailleurs la couleur dès les premières pages : « Nous vivons sous l’empire des principes de disjonction, de réduction, et d’abstraction dont l’ensemble constitue ce que j’appelle le paradigme de simplification. »
A le croire, le responsable de cette schématisation excessive de la pensée, ce serait le bon vieux Descartes, qui aurait commis une faute majeure “en disjoignant le sujet pensant (ego cogitans) et la chose étendue (res extensa) et en posant comme principe de vérité les idées claires et distinctes...”

Le cher Edgar n’annonce rien de moins qu’une nouvelle révolution dont il serait en quelque sorte le porte-étendard. Elle consiste à substituer au “paradigme de disjonction/réduction/unidimensionnalisation”, celui de “distinction/conjonction”, qui permettrait d’après lui “de distinguer sans disjoindre, d’associer sans identifier ou réduire.”
Ressentant probablement la nécessité de préciser sa réflexion, il se lance dans une délicieuse digression au sujet de ce nouveau paradigme, “qui comporterait un principe dialogique et translogique, qui intégrerait la logique classique tout en tenant compte de ses limites de facto (problèmes de contradictions) et de jure (limites du formalisme). Il porterait en lui le principe de l’Unitas multiplex, qui échappe à l’Unité abstraite du haut (holisme) et du bas (réductionisme).”

Autant le dire tout de suite, même avec la meilleure volonté du monde, il devient vite très difficile de suivre le philosophe, sauf à vouloir se perdre dans une forêt de concepts tous plus nébuleux les uns que les autres, et dont on voit de moins en moins à mesure qu’on avance, les débouchés pratiques. Cette opacité est d’autant moins tolérable qu’elle se teinte d’un mépris assez épais pour tout ce qui précède la nouvelle ère dont il serait le prophète. Ainsi Edgar Morin n’hésite pas à affirmer que “nous sommes dans la préhistoire de l’esprit humain”, et qu’à ses yeux, “seule la pensée complexe nous permettrait de civiliser notre connaissance.”
Le problème est que cette “pensée complexe” ressemble sous sa plume, à une sorte de grand foutoir où tous les contraires s’affrontent, et dans lequel les circonlocutions et les périphrases masquent mal le fait qu’on tourne en rond. 

Lorsqu’il veut prendre de la hauteur, ce n'est pas mieux car il se met alors à généraliser à tout-va : “si le concept de physique s’élargit, se complexifie, alors tout est physique…/… et la biologie, la sociologie, l’anthropologie sont des branches particulières de la physique…/… Et si le concept de biologie s’élargit, se complexifie, alors tout ce qui est sociologique et anthropologique est biologique…”

Au bout du compte, à travers cette optique globalisante, tout repère s’efface, tout relief s’estompe, et si tout devient possible, rien ne prend vraiment forme. On apprend par exemple que “le monde est à l’intérieur de notre esprit, lequel est à l’intérieur du monde” ce qui nous fait une belle jambe, ou que “la biologie de la connaissance nous montre qu’il n’y a aucun dispositif dans le cerveau humain qui permette de distinguer la perception de l’hallucination , le réel de l’imaginaire…” Édifiant n’est-il pas ?
Mais à quoi bon vouloir progresser sur le chemin de la connaissance, quand rien ne nous permet de savoir si nous sommes sur la bonne voie ? Comment espérer conduire un raisonnement qui vaille si nous ne pouvons même pas tabler sur la cohérence de notre intellect ?

On peut certes s’interroger sur les paradoxes apparents et les incertitudes que la science moderne fait surgir, mais que peut-on réellement attendre de concret d’une démarche qui “loin de tenter une unification rigide”, se fait fort “d’assurer une connexion souple, mais indispensable, entre ouverture systémique et brèche gödelienne, incertitude empirique et indécidabilité théorique, ouverture physique/thermodynamique et ouverture épistémique/théorique ?”
Et comment peut-on entrevoir une issue pragmatique aux problématiques qui assaillent le monde si l’on admet comme ce discours nous y invite, “que la relation anthropo-sociale est complexe parce que le tout est dans la partie qui est le tout…”
La boucle semble bouclée, mais au bout de ce périple qui promettait de joindre l’alpha et l'oméga, le voyageur fait le constat qu’il n’a pas décollé du point de départ !


Cet opuscule, précisons-le, n’est qu’un concentré des solutions ébauchées dans les six épais volumes de ce qu’il a intitulé “La Méthode”, peut-être par analogie avec le discours du même nom, d’essence cartésienne.

Il faut admirer la patience des lecteurs qui ont pu parvenir au bout d’un tel pensum, sans doute écrit avec ce style plombé et redondant dont cet ouvrage donne un aperçu. On peine à réprimer un sourire lorsque, sans doute pour excuser les incessantes références à sa propre oeuvre, Edgar Morin déclare avec gravité : “Je suis un auteur qui s’auto-désigne”, tout en précisant non sans fausse modestie: “Je veux dire que cette exhibition comporte aussi de l’humilité…”
Il est enfin permis de s’interroger sur un homme qui dit “étouffer dans la pensée close, la science close, les vérités bornées, amputées, arrogantes” (Le Paradigme Perdu), ou qui affirme que “la maladie de la théorie est dans le doctrinarisme et le dogmatisme, qui referment la théorie sur elle-même et la pétrifient.”
Comment occulter que dans le même temps, il ne s’est jamais vraiment échappé de la pensée marxiste, si simplificatrice, si arrogante, si sectaire, affirmant notamment en 2012: “je vois clairement que j'étais marxien avant d'être marxiste, puisque je suis redevenu marxien avant de devenir méta-marxiste.” Et un peu plus loin: “j'ai toute ma vie, dans toute mon oeuvre, été fidèle à la perspective marxienne de mon adolescence.” (Introduction à l’ouvrage pour et contre Marx).
Comprenne qui pourra...

Je pense à mon ami Jeff qui m’a fait découvrir cette pensée complexe, dont je n’ai pour ma part pas saisi grand chose. J’espère ne pas l’avoir déçu avec ce commentaire un peu acide et j’espère qu’il pourra m’en dire un peu plus un jour...

17 avril 2016

Philippe de Villiers, l'imprécateur

Le récent livre de Philippe de Villiers a ceci de particulier, qu’il échappe à la retape pré-électorale dans laquelle s’inscrivent nombre d’insipides opuscules politiciens. Il relève bien davantage à l’évidence du pamphlet qui fut un genre prisé lorsque les opinions n’étaient pas encore devenues de vains mots.

Quoique un peu désabusé, car témoignant d’une destinée quasi révolue, le propos fait souvent mouche car il a du style et du panache. Philippe de Villiers écrit bien et cette qualité mérite à elle seule des éloges.
On retrouve la classe, la fougue et la sincérité du chouan, vibrant plus que jamais de toutes ses racines aristocratiques et de son tempérament rebelle. Mais on trouve également beaucoup d’excès, de convictions à l’emporte-pièce, et toutes les œillères idéologiques qui bridèrent son parcours en dents de scie, dont on retient avant tout le beau succès du Puy-du-Fou, et pas mal de ratages plus ou moins magnifiques.

Il est difficile de situer Philippe de Villiers sur l’échiquier politique. Ni vraiment à droite, sa famille naturelle, mais de laquelle il a souvent fait sécession, ni à gauche, qu’il exècre, mais avec laquelle il est prêt à certains compromis dès qu’elle exalte le concept de la nation souveraine. Pour la même raison, il côtoya souvent de très près le Front National sans jamais s’y associer… Enfin, comme cet ouvrage le démontre, il n’a pas grand chose d’un libéral.
En réalité Philippe de Villiers peine à se départir de ses gènes, qui le conduisent tantôt à se montrer sous un jour chevaleresque et quelque peu “vieille France”, et tantôt à se comporter de manière méprisante, si entière, si rentre-dedans, qu’il décourage toute sympathie durable.

Lassé de la politique et ayant abandonné toute ambition, il met à jour dans son dernier ouvrage, au titre un peu ronflant, quelques turpitudes du monde politique, mais qui les ignorait vraiment ?
Il dézingue à tout-va, insistant sur le caractère fluctuant, contradictoire et veule des convictions affichées par ses congénères, mais dans le tourbillon qu’il provoque c’est le bébé qui part avec l’eau du bain. Tout y passe. La classe politique dans son ensemble est qualifiée de “crapaudaille”, qui “a déclassé la France et l’a précipitée dans une impasse alors qu’elle avait mandat de la rétablir en sa grandeur…”
Même les gens avec lesquels il fit cause commune, furent de faux-amis. Ainsi son alliance avec Philippe Séguin et Charles Pasqua, fut de son propre aveu bien plus circonstancielle que sincère. La foi du premier s’évapora en respectueuses lâchetés devant Mitterrand lors du référendum sur le traité de Maastricht. Pire encore, après avoir fustigé l’Europe de Bruxelles, Séguin s’en accommoda fort bien lorsque son intérêt personnel l’exigea. Quant au second, il apparaît sous la plume du Vendéen sous les traits d’un homme sans foi ni loi, à part la sienne…
Cela dit, Philippe de Villiers a tendance à occulter le fait que lui aussi participa au jeu. Et s’il pourrait presque convaincre qu’il fut le seul à être honnête, doté de convictions et fidèle à ses principes, il ne fera pas oublier que ce fut au prix d’une intransigeance cassante, de ruptures navrantes, et d’un enfermement idéologique confinant parfois à l’absurde.

Tout au long de ce livre, la charge la plus violente, lancinante, qui revient sans cesse au fil des pages, c’est celle qui vise la Mondialisation, le Capitalisme, le Progrès, et in fine l’Amérique.
Outre son caractère désuet, imprégné d’un parfum d’ancien régime, et d’une nostalgie vaine de la France de jadis, cette vindicte participe hélas du tsunami morbide dans lequel se perd un pays refusant de voir la réalité, et incapable de s’adapter au nouveau monde. Par exemple, lorsque le chevau-léger s’attaque au libre-échange et à la mondialisation, il sombre dans la caricature. Ainsi, critiquant le traité ALENA et la perspective d’un éventuel accord trans-atlantique entre l’Europe et les Etats-Unis, il n’hésite pas à affirmer “qu’il nous faudra supprimer ce qu’il reste de nos protections et nous mettre à parité avec le moins disant social, écologique, sanitaire et culturel américain. Entreront chez nous librement la viande aux hormones, les farines animales, les volailles lavées à l’acide et à la chlorine, gorgés de pesticides interdits…”

Son aversion du progrès le fait condamner sans nuance toutes les techniques utilisées par l’agriculture moderne, responsables selon lui d’un “empoisonnement général”. “Depuis l’eau qu’on boit, l’air qu’on respire, où flottent de fines particules, la nourriture qu’on ingère et qui est chargée de molécules neurotoxiques…” Il éructe sa haine autant que son incompréhension de manière plutôt confuse face aux projets des nouveaux “technoprophètes” de la Silicon Valley. Sans doute hanté par le péché originel dont son éducation l’a empreint, il va jusqu’à voir dans le logo de la firme Apple “la pomme du Livre, croquée, rongée jusqu’au trognon même…”

Au total, Philippe de Villiers maîtrise mal sa fougue. Certaines de ses imprécations sonnent juste, notamment lorsqu’il vilipende le mercantilisme, le matérialisme, la cupidité du monde et la lâcheté, la versatilité des politiciens.
Mais ces vices ne sont pas d’aujourd’hui.
Surtout, cela ne le met pas à l’abri de certaines contradictions. Lorsqu’il rappelle qu’il fut soutenu financièrement par Jimmy Goldsmith, devenu milliardaire grâce au capitalisme, à l’industrie et à la mondialisation. Ou bien lorsqu’il ramena fièrement de Los Angeles en 2012 le Thea Classic Award, qu’un jury international décerna au “plus beau parc du monde”, en l’occurrence la cinéscénie du Puy du Fou, sans doute son plus beau titre de gloire...

13 avril 2016

Springtime

Le soleil darde des rayons
Remplis d’une joie printanière
Au mur s'égaient dans la lumière
Les couleurs de mille crayons
 

Cette journée est la première
D’une saison de sabayons
Poussant l’hiver et ses haillons
Au fin fond de l’année dernière
 

Mais si les temps semblent meilleurs
Si l’air a le parfum des fleurs
Qu’en est-il du bonheur de vivre ?
 

Qu’en est-il de la Liberté
Dans cette vaine égalité
Qui nous fatigue et nous enivre ?