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26 août 2021

Un été pourri

D'abord, début mai, on annonça un été “chaud et sec”, plus que de nature, favorisé comme il se doit, par le réchauffement climatique. Puis, la réalité s’avérant un peu différente des prévisions, ce fut le constat d'un “été pourri”, considéré même comme un des deux les plus arrosés de pluie depuis 1959 !
Début août, à l’occasion de quelques jours de grosses chaleurs, c’est à nouveau l’alerte canicule qui fit les gros titres. Il n’en fallut pas plus pour relancer le catastrophisme climatique, alimenté entre autres par la prolifération des feux de forêts et le rapport du GIEC annonçant peu ou prou la fin du monde pour 2050, la faute incombant paraît-il exclusivement et sans aucun doute à l’activité humaine, au capitalisme et à la croissance industrielle. Forts de leurs certitudes, ces gens dont le pragmatisme n’est manifestement pas le fort, intiment, le plus sérieusement du monde, aux gouvernements concernés, de tout faire pour inverser le climat, plutôt que de s’adapter aux caprices météorologiques sans cesse évolutifs, par nature. On est ainsi bassiné en permanence par une doctrine à sens unique selon laquelle il faudrait s’arrêter de vivre pour survivre, et qui désigne des boucs émissaires illusoires pour occulter le fait qu’elle repose largement sur l’ignorance. Ce serait donc le réchauffement climatique qui allumerait des incendies, et non des imbéciles, des négligents ou des pyromanes. Avec ce parti pris, il est plus facile de se répandre en sermons universalistes et de prôner une décroissance irresponsable que de sanctionner des agissements criminels ou de préconiser un meilleur aménagement territorial pour limiter l’étendue des sinistres.

Mais le climat n’est hélas pas le seul aléa pourrissant le bel été qui était attendu par chacune et chacun.
La quatrième resucée de COVID a douché les espérances d’immunité collective et commence à faire naître un doute sérieux sur une sortie prochaine de crise. Les courbes de tendances des pays où la vaccination a été précoce et très largement pratiquée, montrent un nouveau pic de contaminations assez déconcertant. Certes l’épidémie cause moins de morts et moins d'hospitalisations, mais elle est toujours là. La crainte de voir émerger à tout moment de nouveaux variants et les dernières études tendant à démontrer que l’immunité contre ce foutu virus se perd assez vite ne sont guère rassurantes...

A l'international, la situation n’est pas beaucoup plus réjouissante. Passons sur les malheurs répétés qui frappent Haïti. Ce pays semble maudit et toute l’aide extérieure s’avère impuissante pour l’aider à affronter, autrement que par le fatalisme, les catastrophes dont il est victime. En est-il de même pour l’Afghanistan ? La réponse est à l’évidence oui. Mais derrière l’incapacité d’un peuple, supposé auto-déterminé, à faire face à son destin et à ses mauvais démons, il y a aussi la faillite de la Communauté Internationale et une grande lâcheté dont les conséquences pourraient peser lourdement sur l’avenir. L'ancien premier ministre britannique Tony Blair s’est exprimé sur le sujet sans détour ni circonlocutions. Selon lui, “le monde ne sait plus ce que défend l’Occident, tant il est évident que la décision de se retirer d’Afghanistan de cette manière était motivée non pas par la stratégie mais par la politique.“
Dans la même déclaration, il fustige “l’abandon de l’Afghanistan au même groupe que celui d’où est parti le carnage du 11 septembre, d’une manière telle qu’on semble mettre en scène notre humiliation…” C’est terrible, mais hélas trop vrai.

Bref, après cette saison vraiment pourrie, il ne reste donc plus qu’à espérer que survienne un bel été indien pour mettre un peu de baume au cœur...

28 juin 2014

Retours de flammes

C’est toujours un grand sujet d’étonnement que de voir l’émergence d’avis radicalement opposés au sujet d’une même réalité. Entendre ou lire tout et son contraire témoigne de la subjectivité des raisonnements, et laisse parfois rêveur tant chacun est persuadé d’avoir raison et tant les divergences sont parfois tranchées.
La situation actuelle inquiétante en Irak et par extension au Proche Orient, est une illustration édifiante de ces contradictions.

L’état de ce pays est en train de se dégrader brutalement sous la pression croissante de hordes furieuses détruisant tout sur leur passage, notamment les libertés, au nom d’Allah. Personne ne nie la réalité de cette évolution dramatique, mais l’interprétation qu’on en fait est pour le moins contrastée !
L’opinion qui semble la plus répandue, notamment en France, reprend comme par réflexe conditionnel, la rhétorique manichéenne de 2003, faisant de l’intervention pilotée par les Etats-Unis pour renverser Saddam Hussein, la cause de cette explosion de violence. Figure de proue emblématique de ce courant de pensée, Dominique de Villepin s’est empressé de livrer un article au Figaro, rappelant que les Etats-Unis ont échoué en Irak, et voyant dans les évènements actuels la preuve qu’on ne peut imposer par les armes la démocratie. Au passage et implicitement, il s’envoie quelques lauriers pour avoir été si visionnaire à l’époque en prônant l’inaction…

Le choix qu’il fit n’était certes pas sans fondement même s’il était permis de ne pas le partager. Qu’importe, plus de dix ans ont passé, le contexte a changé, et aujourd’hui, il convient d’en tenir compte. M. Villepin semble oublier que l’Irak avait acquis, certes fragilement, le statut d’une démocratie, avec des élections libres. Il occulte également le désengagement américain, et par voie de conséquence international, voulu par le président Obama, qui a laissé l’Irak en position vulnérable, eu égard aux tensions alentour. Il ne fait d’ailleurs des révolutions qui agitent les pays voisins depuis quelques années qu’une analyse très sommaire et fait preuve d’une certaine légèreté en laissant entendre que si Saddam Hussein était resté en place, de tels troubles n’auraient pu éclater en Irak… Au surplus, considérer comme il le fait que ce dernier représentait un facteur de stabilité dans la région est plus qu’abusif quand on songe aux exactions, aux violences, aux crimes et aux guerres, dont il fut responsable et qui firent au bas mot 2 millions de mort en quelques 25 ans de pouvoir socialiste autocratique.
Enfin et surtout, M. Villepin s’exonère un peu facilement de sa propre resonsabilité et des efforts qu’il fit en 2003 et après, pour faire obstacle à l’intervention américaine, pour la décrédibiliser aux yeux du monde (on se souvient de son discours à l’ONU), et in fine pour la faire échouer...

Il est évidemment légitime de s’interroger sur la stratégie qui prévalut lors de la réorganisation du pays, qui a abouti à faire table rase de toutes les infrastructures de l’ancien régime baassiste sitôt l’intervention militaire achevée. Il est non moins logique de se poser des questions sur ce que la Communauté Internationale aurait du ou pu faire pour éviter que certains pays voisins ne sombrent dans la guerre civile ouvrant la voie à l’avènement d’un horrible obscurantisme religieux.
Avec Myriam Benraad qui en fit une description terrifiante (C dans l’Air du 17/06/14), on peut s’inquiéter de la progression d’un arc islamiste aux portes de l’Europe, au sein duquel émergent des factions de plus en plus radicales dont le déjà tristement célèbre EIIL.
On peut s’inquiéter de l’absence de toute stratégie occidentale notamment européenne, face à cette nouvelle montée des périls. Car l’incapacité de la Communauté Internationale en Syrie, en Lybie et à nouveau en Irak n’augure rien de bon.
On risque de payer très cher ces atermoiements. Jusqu’au 11 Septembre 2001, on a gravement sous estimé l’emprise des Talibans en Afghanistan dont les camps d’entraînement et les actes barbares étaient pourtant connus du monde entier. Il a fallu des années de négligence pour que se constitue cette machine infernale qui a conduit aux attentats du WTC.

C’est pourquoi le refrain lénifiant répété par ceux qui prétendent que ces troubles ne nous concernent pas, et qu’il n’existe de menace que dans les esprits, ce refrain relève de la politique de l’autruche. Et c’est pourquoi on ne peut balayer du revers de la main les dénégations et les avertissements récents de Tony Blair. L’ancien premier ministre britannique, assure “qu’il n’essaie de persuader personne sur les décisions prises en 2003”, mais rejette fermement l’assimilation qui est faite entre celles-ci et la montée en puissance des islamistes. Il maintient qu’il est impossible de s’abstraire de ces désordres et qu’aujourd’hui comme hier, “ne pas intervenir est aussi une décision qui a des conséquences”.
En dépit de la pondération de ses arguments, certains n’hésitent pourtant pas à le traiter de fou, comme le maire de Londres Boris Johnson : est-ce bien raisonnable ?

06 mars 2014

Poupées russes

Dans la crise que traverse la Crimée, la froide et implacable organisation dont fait preuve la Russie de Vladimir Poutine contraste avec les gesticulations tonitruantes mais désordonnées des nations occidentales.
La première sait manifestement ce qu'elle veut, tandis que les autres braillent des exigences contradictoires, sans donner l'impression d'avoir les moyens de les imposer.

L'Europe est bien éparpillée en la circonstance. Son absence chronique de cohésion, ses inquiétantes dérives financières confèrent au soutien qu'elle prodigue à l'Ukraine un caractère illusoire (d'où diable tire-t-elle les 11 milliards d'euros qu'elle annonce pouvoir débloquer à son profit ?). Pire, les prétendues valeurs, le modèle de société sur lesquels elle fonde son argumentation sont en voie de délitement. Ils ne convainquent plus les peuples qui la composent, comment pourraient-ils avoir un impact sur d'autres ?
Les Etats-Unis quant à eux sont en passe de perdre leur leadership sur la scène internationale. L'intervention destinée à favoriser l'installation d'une démocratie en Irak en 2003 reste leur dernière démonstration de force, la dernière preuve d'une réelle détermination et d'un vrai dessein géostratégique, fut-il sujet à controverses...
 
L'aspiration au renouveau et au "changement" de la république d'Ukraine est plus qu'hasardeuse. Il est bien difficile de se faire une opinion sur le sens des rebellions qui agitent le pays, et sur les buts poursuivis par les differentes factions qui s'affrontent. Depuis la chute de l'Union Soviétique, les dirigeants qui se sont succédés ont surtout brillé par leur inefficacité, leur propension aux malversations, ou leur autoritarisme maladroit. Aujourd'hui certains voient comme héroïques les foules qui sont parvenues à chasser du pouvoir le président Ianoukovitch, élu à peu près démocratiquement. Que diraient-ils de faire de même avec le chef de l'état français qui ne recueille plus que 16% d'opinions favorables, et dont la politique insensée déchire le pays en même temps qu'elle le ruine ?

A chacun sa vérité...

06 mai 2011

La fin d'un monstre

La fin du sombre épisode Ben Laden est évidemment un soulagement pour tous ceux qui ont souffert dans leur chair des atrocités dont il fut le diabolique instigateur. D'une manière plus générale, elle rassérène tous ceux qui étaient horrifiés par la rage destructrice insensée qui nourrissait jusqu'à la moindre de ses fibres.
En associant à sa folie meurtrière, le nom de Dieu, il a commis la pire infamie qui soit, qu'on soit croyant, agnostique ou même athée. C'est tellement monstrueux que cela confine à l'absurde, ce qui est la négation même de l'humanité. Hélas, force est de se rendre à la sinistre évidence : l'humanité, c'est aussi cela...

La longue et patiente traque qui a enfin permis d'empêcher de nuire cette immonde crapule, prouve que rien n'est jamais définitivement perdu, tant qu'on n'a pas cessé de chercher. Elle prouve également qu'à mille lieues des fantasmes sur les pouvoirs supposés des services secrets et la haute sophistication de leurs moyens techniques, c'est la constance, la discrétion et la rigueur qui finit par payer.
Et le courage de ces hommes dépêchés sur place, qui avec un grand sang froid, une audace extraordinaire, et une organisation quasi parfaite, ont eu raison de cet impitoyable ennemi, après s'être assurés d'avoir vu le blanc de ses yeux.

Évidemment certains auraient souhaité qu'il soit pris vivant afin qu'il soit jugé. Mais comment juger de tels forfaits, non seulement avoués, mais revendiqués haut et fort, avec une répugnante délectation ? Qu'aurait gagné la justice à traîner pendant des mois ce fauve devant les tribunaux ? Pour aboutir à quoi d'autre qu'un enfermement à vie ou bien une exécution ? Ce sort, qui fut réservé à Saddam Hussein s'est révélé particulièrement éprouvant, sans être contributif à la justice ou à quoi que ce soit. Primum non nocere, dit-on en médecine... Faire cesser la nuisance est la priorité des priorités. La mission consistant à anéantir cet odieux péril qui narguait le monde depuis si longtemps, ne devait en aucun cas échouer.

Évidemment, il y a ceux pour qui toute action est toujours en inadéquation avec l'objectif qui la motive. Pour eux, le renforcement des mesures de sécurité lors des flambées de terrorisme est inutile et nuit gravement aux libertés. Pour eux, l'intervention en Afghanistan était inopportune, et celle en Irak fut une grossière erreur... Ils estiment donc aujourd'hui qu'il s'agit d'un coup pour rien. Que Ben Laden était déjà hors d'état de nuire, ou bien que cette opération ne saurait éteindre le terrorisme, voire qu'elle ne peut que le raviver...

Évidemment, les adeptes du complot de leur côté, ressortent les arguments classiques visant à remettre en cause le fait même : pas de corps, pas de photo, tout est truqué, le refrain est connu. Déjà ils accusent l'administration américaine d'avoir fomenté une machination pour redorer le blason terni du président Obama, à l'approche des élections...

Évidemment, on entend aussi les pires inepties. Du genre de celle qui consiste à ergoter sur les moyens utilisés pour faire disparaître la dépouille du vaincu, jugés non conformes au rite islamique ! Mais de quel rite pourrait se prévaloir un tel ogre ? Ne serait-ce pas une vraie ignominie pour toute religion, que de réclamer dans de telles circonstances, une cérémonie en son nom ?

Évidemment les médias, une fois encore, ont le plus souvent utilisé le petit bout de la lorgnette pour observer, puis commenter cet événement. Tout a été produit faute de mieux, pour satisfaire le besoin morbide de scoop : du photomontage grotesque, complaisamment diffusé urbi et orbi sans vérification, aux suppositions oiseuses, en passant par les questions ou sondages idiots ("Faut-il publier l'image du cadavre ? " interroge le Figaro, en précisant qu'elle est "atroce"...).

Il n'empêche. Si le monde a peu de chances de devenir plus paisible, du seul fait de l'élimination de cet individu, il fallait quand même le faire.
Lui n'aura su faire que du mal durant son existence. Mais malgré sa violence sans limite, son combat est un échec. Nulle part le terrorisme islamique n'est parvenu à imposer autre chose qu'une terreur sans lendemain et une image abjecte de l'islam...
De l'autre côté, la lutte s'est organisée et l'hydre a été démantelée, laminée, repoussée. Sa capacité de nuisance n'a pas disparu, mais elle s'est éloignée. Contrairement à ce qu'on entend ânonné si souvent, l'espoir et la liberté, même fragiles, se sont installés en Irak, rien n'est perdu en Afghanistan où les journalistes semblent se plaire à ne montrer que ce qui ne va pas. Dans le monde arabo-musulman, nombre de tyrannies vacillent sous le choc des révolutions, et pour l'heure ce ne sont pas les fanatiques qui en profitent. Un monde nouveau se dessine peu à peu, et il est loin d'être tout noir et sans futur. Dans ce lent bouleversement, la disparition de Ben Laden clôt un chapitre baigné de sang et de larmes. Puisse l'avenir s'éclairer un peu plus encore.

En définitive, c'est Condoleeza Rice, l'ancienne secrétaire d'État de George W. Bush, qui a trouvé les mots les plus justes, sur lesquels il me semble opportun d'achever cette chronique : "cette opération montre clairement que le président et son équipe ont fait un superbe travail pour réunir toutes les pièces du puzzle .../... Le succès du commando des "Navy Seals" est une "belle histoire qui fait le lien entre deux présidences", a-t-elle estimé. "Cela montre que les Etats-Unis sont capables de patience et de persévérance"...

22 mars 2011

Que faire après ?

En Libye, deux jours à peine après le début de l'intervention militaire, tous les médias titrent déjà sur les divisions et atermoiements qui commencent à miner la fragile coalition chargée d'appliquer la résolution 1973 de l'ONU.
Nul doute que l'activisme du président Sarkozy fut déterminant pour emporter cette décision, autorisant "le recours à la force" contre le tyran de Tripoli. Rendons lui cette justice d'avoir été cohérent avec ses engagements pris auprès des rebelles. Il faut dire qu'après avoir reconnu les membres du Conseil National de Transition comme représentants légitimes du peuple libyen, il s'était condamné à leur venir en aide au moment où ils étaient en passe d'être défaits.

Mais s'il tient ses promesses (qu'il est le seul à avoir faites), a-t-il vraiment mesuré les conséquences de cette décision ?
Il est à craindre que non. Et pas davantage d'ailleurs les autres partenaires de cette entreprise, tant elle prend rapidement une tournure hasardeuse.
Il est évident que si l'objectif se limite, comme le dit le texte de la résolution, à «protéger les populations et les zones civiles menacées d'attaques», le problème a peu de chances d'être résolu. Le Colonel Kadhafi est un dur à cuire. Il a désormais tout à perdre s'il recule, et même blessé, même affaibli il y a tout lieu de penser qu'il restera dangereux jusqu'au bout.
Le laisser en place conduira tôt ou tard à voir ressurgir la terreur, avec en prime, une soif de revanche sur ceux qu'il appelle déjà "les Croisés". Mais pour le chasser pour de bon, il faudrait une ambition autrement plus plus grande, et une détermination sans faille. Autrement dit ne pas craindre de s'engager dans une opération d'envergure, rappelant quoiqu'on en pense celle réalisée en Irak en 2003... "Bienvenue dans un guêpier", ironisait il y a quelques jours Pierre Beylau dans une chronique pour le magazine Le Point.

Or on voit mal dans le contexte actuel, la coalition aller bien loin dans ce sens. Nul ne semble savoir qui commande vraiment, ni quel est le résultat escompté.
Le gouvernement français "assure que l'intervention vise uniquement à protéger les civils, en vertu de la résolution onusienne."
Les USA ont quant à eux annoncé que d'ici quelques jours tout au plus, ils abandonneraient aux Européens le leadership... Il faut dire que le président Obama fait depuis le début, preuve d'une prudence extrême et manie un langage plutôt ambigu. S'il réclame le départ du dictateur libyen et s'il affirme régulièrement que ce départ "demeure le but ultime", il rechigne manifestement à s'en donner les moyens. En visite au Chili, il a notamment souligné que l'objectif de la coalition était de défendre la population libyenne contre les attaques des forces fidèles à Mouammar Kadhafi, non de chasser celui-ci du pouvoir (France 2).
Avec une aussi molle détermination, il paraît illusoire d'inverser le destin. D'autant qu'un certain nombre de pays grincent déjà des dents (Russie, Allemagne, Ligue Arabe). Dans le même temps on ergote sur le rôle de l'OTAN dont fait d'ailleurs partie la Turquie, très réticente à s'engager.

Hier, dans le Wall Street Journal, Tony Blair signait un éditorial édifiant ("Contrer Kadhafi n'est pas suffisant"). 
Il insistait sur l'impérieuse nécessité de mener une politique claire et explicable.
Il rappelait aux gens qui prétendent qu'il ne s'agit pas de nos affaires, qu'à moins d'être irresponsable et inconséquent, il est impossible de s'en désintéresser. Qu'ils le veuillent ou non les pays occidentaux sont impliqués en tant qu'acteurs dans les évènements qui secouent le Proche Orient. De leur attitude dépend leur crédibilité et elle conditionne le futur proche de ces peuples.
Car sans aucun doute selon lui, l'avenir le meilleur, en tout cas le plus sûr, le plus stable, pour cette région, repose sur le développement de la démocratie. Et il ne s'agit pas de défendre des valeurs occidentales, mais de valeurs universelles vers lesquelles tend l'esprit humain. L'occasion de donner une chance à la Liberté n'a jamais été aussi proche. Va-t-on la saisir ? Peut-on la saisir ?
Permettre à Kadhafi de se maintenir en place équivaudrait selon l'ancien premier ministre anglais à renoncer à l'espoir d'une Libye nouvelle, tout en laissant à la tête du pays un paria vis à vis de la Communauté Internationale...

A côté de ces évènements, les affaires intérieures françaises paraissent bien dérisoires. Le résultat du scrutin des élections cantonales notamment, qui montre une fois encore le marasme épouvantable dans lequel végète la politique dans notre pays. Premier constat: une participation de misère et un émiettement inquiétant des scores.
Et nous voilà ramenés dans le fantasme du "Front Républicain" censé s'opposer au Front National. Tandis que les partis de gauche sont en plein grenouillage pour monter une alliance à la Dubout, racolant sans scrupule les partis les plus outranciers, l'UMP se trouve dans une lamentable panade.
Après avoir usé et abusé d'un langage très cru et très proche de celui du FN, voici ses dirigeants qui se croient obligés de se démarquer avec la dernière énergie du parti honni. Certains (Pécresse, Fillon) poussent même le zèle jusqu'à préconiser plus ou moins ouvertement de se reporter sur des candidats de la nauséabonde coalition de gauche pour contrer la montée irrésistible de la nauséabonde extrême droite.
Avec autant de jésuitisme, de versatilité, et aussi peu de convictions, comment s'étonner que le peuple divague ?

18 mars 2011

Honte et désolation

Des drames qui peuplent l'existence, certains sont vraiment horribles et accablants, tant ils révèlent l'impuissance de l'être humain vis à vis de la dure réalité et tant ils cassent brutalement sa vanité et ses prétentions. Ainsi en est-il du séisme qui vient de ravager les côtes du Japon.
On a beau être fataliste sur les caprices de la nature, se préparer au mieux à affronter ses colères, anticiper par tous les moyens les dégâts causés par les calamités qu'elle inflige. On a beau tenter de tout prévoir, que faire contre la vague monstrueuse de plusieurs dizaines de kilomètres de long et de dix mètres de haut, une vraie muraille, irrépressible qui s'ensuit ?
Vu d'avion, le long ruban blanc semble se former en douceur sur une mer bleue et plate. Il avance paisiblement comme ces gais rouleaux dans lesquels surfeurs et baigneurs adorent batifoler en été.
Mais lorsqu'il s'écrase contre le rivage, le paysage change en un instant. Ce flot monstrueux et impitoyable dévore tout sur son passage. Ses courbes si pures, si brillantes, s'aplatissent, noircissent rapidement au contact de la terre, et l'ensemble se transforme en boue infâme. L'onde liquide devient une énorme langue visqueuse, gluante, écœurante. Tout s'abîme en elle dans un désordre bientôt indescriptible.

Le champ de ruines qui prend la place en quelques minutes, de la civilisation conquérante est d'un désespoir mortel.
Comme les rescapés d'attentats, on ne peut s'empêcher de ressentir, en plus d'une immense désolation, un vague sentiment de honte. Honte d'être épargné par ce sort cruel. Honte d'être si loin de ce malheur. Honte de ne pouvoir rien faire. Honte des petites querelles, vaines polémiques et songes creux qui continuent de faire notre quotidien. "Lisbonne est abîmée, et l'on danse à Paris", se lamentait Voltaire...

L'ironie est que s'il est des catastrophes inévitables relevant de la fatalité, il en est d'autres qui sont bien humaines, voulues voire planifiées...
Même si les premières sont affreuses, l'Histoire témoigne que les secondes sont insoutenables et qu'elles causent sans nul doute encore plus de malheur.
Pendant que le Japon blessé panse de manière stoïque ses plaies et tente avec l'énergie du désespoir, de limiter le désastre, le monde continue de tourner.
En Côte d'Ivoire, la sinistre pantomime se poursuit. Chaque jour se solde par de nouveaux morts, dans une assez vaste indifférence.
En Libye, un despote dément martyrise impunément son peuple. Sans doute profite-t-il de la situation pour avancer plus facilement ses pions, mais force est de constater l'incapacité de la Communauté internationale, depuis plusieurs semaines. Elle est comme pétrifiée. L'ONU tergiverse, l'Europe patine, et l'Amérique est aux abonnés absents. La France, rompant avec sa tradition de repli frileux, semble s'être cette fois aventurée un peu inconsidérément sur le terrain de l'indignation. Après avoir reconnu la légitimité des rebelles qui tiennent tête à Kadhafi, quelle posture peut-elle prendre alors que ces derniers appellent désespérément à l'aide tandis qu'ils sont en train de se faire massacrer ?
En ce moment même se joue le dernier acte de cette tragédie. A Benghazi, l'ultime bastion de la révolte est en passe d'être anéanti. Dans le même temps, on apprend que l'ONU vient d'autoriser « l'usage de la force » contre le chef de la « Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste ». Peut-on espérer autre chose qu'une extrême onction ?

La sanglante répression peut-elle encore être enrayée ? Ou bien« va-t-elle sonner le glas du printemps arabe et la mort de belles espérances ?

20 février 2011

Incorrigible arrogance française

Que cela soit à propos de système social, d'éducation, de laïcité, de culture, ou bien encore de justice, il est un trait qui réunit beaucoup de Français : la certitude d'avoir tout inventé et de pouvoir servir de modèle au monde !
Le Président de la République, au moins sur ce point, semble à l'unisson de la grande majorité de son peuple.
On se souvient qu'il était allé il y a quelques mois, à la manière d'un Tartarin, vanter les mérites de notre sécurité sociale à New York, et donner au sujet de la réforme promue par le président Obama, quelques leçons grotesques à un auditoire poli mais non moins averti.

Aujourd'hui, il a cru bon de remettre les pieds dans le plat sur le sujet de la justice. Au risque de créer un incident diplomatique avec le Mexique, il s'est donc fait un devoir de voler au secours de Florence Cassez, "cette jeune femme française", selon ses propres termes, "condamnée dans les conditions que l’on sait à 60 ans de prison..."

Semblant la considérer, au seul motif qu'elle est française, comme une victime, alors qu'elle a été reconnue coupable à plusieurs reprises de forfaits plutôt odieux, il piétinait ainsi ses beaux discours de la veille qui stigmatisaient l'attitude complaisante des juges vis à vis des malfaiteurs dans notre pays.
Plus fort, il annonça son intention de dédier l'année du Mexique à Florence Cassez, ce qui ne manqua pas de déchainer l'ire des autorités mexicaines, regrettant qu'on lie une décision de justice à un événement culturel.
De son côté, la ministre des Affaires Etrangères, madame Alliot-Marie, qui ne rate pas une occasion de dire ou de faire des bêtises, avait mis la barre arrogante très haut, en parlant carrément de "déni de justice".
Dans le même temps, l'ensemble de la classe politique s'insurgeait d'ailleurs avec une belle unanimité, contre la décision de la justice mexicaine. Martine Aubry, annulait "pour montrer l'exemple", une exposition d’estampes mexicaines qui devait se tenir à Lille...

Sans être initié aux choses diplomatiques, on peut affirmer qu'il eut été difficile d'être plus maladroit pour défendre une cause. C'est même à se demander quel but ces chers politiciens poursuivaient. Souhaitaient-ils vraiment le transfèrement de la prisonnière ? Imaginaient-ils sérieusement qu'en prenant  ainsi à rebrousse-poil les institutions mexicaines, ils obtiendraient une mesure de clémence ?
Avaient-ils une raison inavouable et grave de se fâcher avec le Mexique pour dramatiser de manière insensée cet imbroglio juridique? Ou à l'inverse souhaitaient-ils donner à ce dernier une opportunité de médiatiser la fermeté de son système judiciaire ?
En la circonstance, on pourrait en tout cas insinuer qu'ils ont soutenu l'accusée comme la corde soutient le pendu...

Toujours est-il que ce raptus s'inscrit dans le festival des occasions manquées, au moment où notre système judiciaire donne au monde une image si pitoyable. Où il n'est pas de jour qu'on n'apprenne un nouveau fait divers témoignant de l'incapacité d'empêcher de nuire et pire de récidiver, les plus affreux assassins. Où même les juges n'hésitent plus à se mettre désormais en grève pour de médiocres raisons politiciennes, mal cachées derrière un prétendu honneur bafoué !

17 janvier 2011

Vae Victis

L'affaire du Mediator n'en finit pas de défrayer la chronique.
Après plusieurs semaines de surenchère médiatique, elle a pris la tournure d'une catastrophe sanitaire de grande ampleur (plus de 2000 morts selon les projections théoriques les plus outrancières).
Dans la foulée, et selon la bonne vieille habitude, les Pouvoirs Publics aux abois ont cru bon, pour circonscrire l'incendie, de se délester par IGAS* interposée, d'un "rapport".
Ce rapport est "accablant" pour le Laboratoire, coupable de négligence voire de "manœuvres" ou de "tromperie". Pour lui, c'en est donc probablement fini, maintenant qu'il est ainsi cloué au pilori. La curée peut commencer. Au moment où la crise transforme tous les entrepreneurs qui réussissent en salauds, que dire de ceux qui sont présentés comme n'hésitant pas à vendre des produits mortifères pour satisfaire leur cupidité ? Alors qu'aucune vraie enquête judiciaire n'est commencée, M. Servier, est déjà cité à comparaître devant le Tribunal Correctionnel. Et tout le monde veut déjà se servir sur la bête. Les patients d'abord, poussés par le "sens de l'histoire", et de zélés avocats, constituent leurs dossiers de doléance. La demande de création d'un fonds d'indemnisation est sollicitée d'urgence. L'Assurance Maladie n'est pas en reste. L'avocat de la CNAM souhaite que cette dernière soit indemnisée par Servier à hauteur de 220 millions d'euros pour la période 2000-2009...

Ce rapport est accablant également pour les organismes publics, non moins sévèrement pointés du doigt pour leur "lenteur", leur "lourdeur", leur "manque de réactivité", et leur "inefficacité". Pourtant , dans ce contexte, cela va de soi, personne en particulier ne sera selon toute probabilité, inquiété (sans doute, l'adage "responsable mais pas coupable" fera jurisprudence). Au contraire, on peut déjà prévoir que la machinerie étatique pourtant gravement mise en défaut, renforcera encore son emprise. On procédera à une nouvelle réforme interne, on changera sans doute une fois de plus le nom des institutions chargées de "réguler" et "d'encadrer" la commercialisation des médicaments. On peut s'attendre également à un alourdissement de la bureaucratie déjà très complexe supposée autoriser, réglementer, contrôler. M. Bertrand commence déjà à invoquer pour protéger les organismes d'état, le principe très commode du "renversement de la preuve"...
Etrange histoire pour un médicament dont le rapport bénéfice/risque était d'emblée médiocre et connu de tous, et qui fut pourtant trente ans durant, avalisé par toutes les autorités dites compétentes, remboursé par une Sécurité Sociale complaisante, prescrit par des médecins pas trop regardants, et consommé par des patients très demandeurs, surtout dans ses indications non reconnues, à savoir celle de coupe-faim...
Mais le fait est que lorsque le scandale est là, malheur aux vaincus...

La Tunisie s'embrase.
La Tunisie était le pays du Maghreb le plus souvent cité en modèle. Celui qui quoique sans ressources naturelles avait les meilleurs indicateurs socio-économiques, qui s'était le plus modernisé, qui pouvait afficher les meilleurs chiffres en matière d'alphabétisation et d'éducation. Un des pays musulmans enfin, où la religion semblait manifester le moins d'agressivité (au fil des siècles, toutes les autres avaient tout de même été à peu près complètement éradiquées de son sol...)
Aujourd'hui, ce pays sombre brutalement dans la révolution. Hélas, même avec le doux nom du jasmin, et même si elle est présentée comme une entreprise de libération, elle compte déjà des dizaines de morts, et à l'instant présent, montre au monde le visage hideux des lynchages, des saccages, des pillages, des accusations à l'emporte-pièce...
Certes le régime établi depuis 23 ans par le président Ben Ali désormais déchu, n'était pas un parangon de démocratie. Elu et réélu depuis 1987 avec des scores généralement supérieurs à 90%, il témoignait d'une absence quasi totale d'opposition et d'un quadrillage policier permanent.
Tout n'était certes pas au beau fixe dans ce pays, mais cela n'empêchait pas des millions de touristes joyeux et insouciants d'affluer chaque année sur ses plages idylliques. Certains commençaient même à s'y faire soigner, preuve des progrès accomplis en la matière ! Cela n'empêchait pas non plus les entreprises d'y délocaliser leurs chaines de production, et une nombreuse clientèle d'acheter les produits qui y étaient fabriqués, en raison de leur prix très attractif. Cela n'empêchait pas enfin, l'Internationale Socialiste de compter avec beaucoup de mansuétude dans ses rangs, le parti au pouvoir à Tunis, à savoir le RCD (au même titre que celui de Laurent Gbagbo d'ailleurs...)
Personne n'a donc de leçon de vertu à donner et il n'y a guère de raison d'ironiser sur l'attitude quelque peu gênée aux entournures, du gouvernement français, observant dans un premier temps sans mot dire (si ce n'est des maladresses) le soulèvement populaire.
Ce fut de toute manière le lot de la plupart des pays. Et d'ailleurs que pouvait-on dire ou faire de plus que pour la Côte d'Ivoire où se déroule depuis plusieurs semaines, une pitoyable mascarade. Où l'on voit un président clairement rejeté par la volonté populaire, narguer la communauté internationale, et se maintenir en place par la force, après avoir, lui aussi, fait tirer sur ses compatriotes...
S'agissant de la Tunisie, plus rien n'empêche maintenant que le dictateur est en fuite, les langues de se délier subitement. Désormais, la France exprime "un soutien déterminé" au peuple tunisien, elle réclame "au plus vite des élections libres", et dixit la Presse en chœur : "La quasi-totalité de la classe politique française a salué la chute du régime tunisien".
Encore une fois malheur aux vaincus...

Ces deux histoires n'ont strictement rien en commun, cela va de soi. Mais dans les deux cas,  il faut bien évidemment souhaiter que le droit sorte renforcé de ces désordres, et qu'on y gagne plus de responsabilité et de liberté. Mais on peut hélas avoir quelques doutes...

*IGAS : Inspection Générale des Affaires Sociales

13 janvier 2011

Chine morte, Chine transfigurée

Lorsque Pierre Loti (1850-1923), à la fin du mois de septembre 1900, aborde le golfe de Petchili, par où l'on accède  par voie maritime à Pékin, un été terrible s'achève. Quelques mois auparavant, la révolte furieuse des Boxers avait en effet mis cette région à feu et à sang.
Né au sein d'une confrérie influente d'adeptes du Kung Fu, et dirigé initialement contre les derniers héritiers de la dynastie des empereurs mandchous, accusés d'avoir laisser déchoir le pays, ce brusque soulèvement se tourna avec une particulière violence vers les étrangers et par extension vers les Chrétiens, jugés coupables de piller les ressources du pays depuis près d'un siècle.

En ce début d'automne, au terme du fameux siège de Pékin, long de 55 jours, la rébellion vient d'être matée et sévèrement réprimée par l'alliance conjoncturelle de huit nations, dont la France.
Le monde que va découvrir Loti porte encore la marque nauséabonde de ces horreurs. Le spectacle est consternant. Dans les jardins de l'évêché de la ville impériale par exemple, "les puits dévastés remplissent aujourd'hui le voisinage d'une odeur de mort. C'étaient trois grands puits ouverts, larges comme des citernes, fournissant une eau si pure qu'on l'envoyait de loin chercher pour le service des légations. Les Boxers les ont comblés jusqu'à la margelle avec les corps mutilés des petits garçons de l'école des frères et des familles chrétiennes d'alentour. Les chiens tout de suite sont venus manger à même l'horrible tas qui montait au niveau du sol; mais il y en avait trop; aussi beaucoup de cette chair est-elle restée, se conservant dans la sécheresse et dans le froid, et montrant encore des stigmates de supplice. Telle pauvre cuisse a été zébrée de coupures, comme des entailles faites sur les miches de pain par les boulangers. Telle pauvre main n'a plus d'ongle. Et voici une femme à qui l'on a tranché avec quelque coutelas une partie intime de son corps pour la lui mettre dans la bouche, où les chiens l'ont laissée entre les mâchoires béantes..."

Derrière ces décombres fumants, les vestiges d'une civilisation vieille de trente siècles vont pourtant s'imposer au nouvel arrivant à la manière d'une révélation sublime et tragique.
La Chine à l'orée du XXè siècle est un paysage étrange, où la mort et la désolation côtoient sans cesse les merveilles du passé.
La mort est en effet partout. Celles des récents massacres avant tout. Mais aussi les tombeaux qui peuplent cet univers laqué : "Des tombeaux, toujours beaucoup de tombeaux; la Chine, d'un bout à l'autre, en est encombrée".
Et d'une manière plus générale, la poussière "soufflée par les déserts de Mongolie", qui envahit l'atmosphère et semble couvrir le pays d'une sorte de linceul : "la poussière, l'éternelle et souveraine poussière, confond les objets, les gens, la foule d'où s'échappe un bruit d'imprécations, de gongs et de clochettes, dans un même effacement d'image estompée."

Mais dans ce monde qui semble désespéré, au sein de la confusion et du désastre, se dessinent pourtant peu à peu des formes d'une surprenante beauté. Et pour le bonheur du lecteur, l'écrivain excelle dans l'art de dépeindre les sensations qui croissent en lui à mesure qu'il fait la connaissance de cet environnement stupéfiant auquel tant de "barbares d'Occident" sont restés hermétiques : "Au-dessus de l'invraisemblable poussière, rayonne une clarté blanche et dure, et resplendit cette froide et pénétrante lumière de Chine, qui détaille les choses avec une rigueur incisive. Tout ce qui s'éloigne du sol et de la foule se précise par degrés, prend peu à peu en l'air une netteté absolue. On perçoit les moindres petits monstres, au faîte de ces arcs de triomphe, si haut perchés sur leurs jambes minces, sur leurs béquilles, sur leurs échasses qui semblent se perdre en dessous, se diffuser, s'évaporer dans le grouillement et dans le nuage. On distingue les moindres ciselures au sommet des stèles, au sommet des hampes noir et or qui montent piquer le ciel de leurs pointes; et même on compterait toutes les dents, les langues fourchues, les yeux louches de ces centaines de chimères d'or qui jaillissent du couronnement des toits."

En découvrant les temples et les palais de la ville impériale, Loti est ébahi. Il a "la révélation d'un art chinois, que l'on ne soupçonne guère en Occident, d'un art au moins égal au nôtre, bien que profondément dissemblable. Portraits d'empereurs en chasse ou en rêverie solitaire dans des forêts, dans des sites sauvages qui donnent l'effroi et le nostalgique désir de la nature d'autrefois, du monde inviolé des rochers et des arbres. Portraits d'impératrices mortes, peints à l'aquarelle sur des soies bises, et rappelant un peu la grâce candide des Primitifs italiens; portraits pâles, pâles, presque incolores, comme si c'étaient plutôt des reflets de personnes, vaguement fixés et prêts à fuir; la perfection du modelé, obtenue avec rien, mais toute l'intensité concentrée dans les yeux que l'on sent ressemblants et qui vous font vivre, pour une étrange minute, face à face avec des princesses passées, endormies depuis des siècles sous les mausolées prodigieux... Et toutes ces peintures étaient des choses sacro-saintes, que jamais les Européens n'avaient vues, dont ils ne se doutaient même pas. "

Il s'émerveille du talent, de l'imagination et de la précision diabolique dont ont fait preuve les artistes chinois pour faire parler les matières : "même dans les mille détails des broderies, des ciselures, dont la profusion ici nous entoure, combien cet art est habile et juste, qui, pour rendre la grâce des fleurs, en exagère ainsi les poses languissantes ou superbes, le coloris violent ou délicieusement pâle, et qui, pour attester la férocité des êtres quels qu'ils soient, voire des moindres papillons ou libellules, leur fait à tous des griffes, des cornes, des rictus affreux et de gros yeux louches... Elles ont raison, les broderies de nos coussins : c'est cela, les roses, les lotus, les chrysanthèmes! Et, quant aux insectes, scarabées, mouches ou phalènes, ils sont bien tels que ces horribles petites bêtes peintes en reliefs d'or sur nos éventails de cour... "

"Le grand luxe inimitable de ces salles de palais, c'est toujours cette suite d'arceaux d'ébène, fouillés à jour, qui semblent d'épaisses charmilles de feuillages noirs. Dans quelles forêts lointaines ont poussé de tels ébéniers, permettant de créer d'un seul bloc chacune de ces charmilles mortuaires? Et au moyen de quels ciseaux et avec quelle patience a-t-on pu ainsi, en plein bois, jusqu'au cœur même de l'arbre, aller sculpter chaque tige et chaque feuille de ces bambous légers, ou chaque aiguille fine de ces cèdres, — et encore détailler là dedans des papillons et des oiseaux"

Au printemps 1901, au moment de quitter cette Chine dans laquelle le sentiment dramatique se mariait si étroitement à l'extase, Loti fait un constat déchirant : "Cette « Ville impériale », c'était un des derniers refuges de l'inconnu et du merveilleux sur terre, un des derniers boulevards des très vieilles humanités, incompréhensibles pour nous et presque un peu fabuleuses."

Le titre de l'ouvrage le dit sans détour, pour l'auteur la Chine millénaire avait vécu ses dernières heures et il faut bien dire que sa vision de l'avenir avait de quoi inquiéter : "Mon Dieu, le jour où la Chine, au lieu de ses petits régiments de mercenaires et de bandits, lèverait en masse, pour une suprême révolte, ses millions de jeunes paysans tels que ceux que je viens de voir, sobres, cruels, maigres et musclés, rompus à tous les exercices physiques et dédaigneux de la mort, quelle terrifiante armée elle aurait là, en mettant aux mains de ces hommes nos moyens modernes de destruction!... Et vraiment il semble, quand on y réfléchit, que certains de nos alliés aient été imprudents de semer ici tant de germes de haine et tant de besoins de vengeance. "

De fait, après la terrible révolte des Boxers, vint l'écroulement définitif de l'Empire, les débuts très tourmentés de la République, la défaite humiliante face au Japon, puis l'avènement monstrueux du communisme, et de nouveaux morts, cette fois par dizaines de millions.
Même si les sombres prévisions se sont donc révélées assez justes, il est difficile de déterminer dans quelle mesure l'analyse de l'écrivain, qui contenait en germe la culpabilité du monde occidental, le fameux "sanglot de l'homme blanc", était juste. Même si elle eut à souffrir de certaines menées impérialistes européennes, la Chine ne dut la plupart de ses malheurs qu'à elle-même.
Que dirait Loti, aujourd'hui que se dresse fier et arrogant, sur les ruines de l'ancien, et après tant de misères, un nouvel Empire ? Le verrait-il avancer en paix vers plus de liberté et de maturité, et en capacité de contribuer à nouveau au progrès du Monde ? Le croirait-il en mesure de tirer parti des merveilles de civilisation dont témoignent les vestiges de son passé, si lumineusement et si amoureusement évoqués ici ?

20 décembre 2010

Larmes d'Ivoire

J'avais pensé intituler cette chronique Guignol's Band tant la situation actuelle en Côte d'Ivoire, avec ses deux présidents élus, pourrait parfois prêter à rire.
Malheureusement, c'est un drame qui semble se nouer derrière cette pantomime électorale. Le peuple de ce pays risque d'en faire les frais, mais la Communauté Internationale joue gros également.
L'ONU qui a cru bon (et qui pourrait le lui reprocher ?) de se porter garante du bon déroulement du dernier scrutin destiné à élire le président de la république, se trouve aujourd'hui dans une situation inconfortable.
Il est clair que le despote qui revendique une souveraineté devenue illégitime aux yeux du monde entier, ne manifeste aucune intention de faire machine arrière.
Que peut dorénavant faire la Communauté Internationale ?
S'en tenir à des avertissements musclés mais verbaux, et brandir la menace d'hypothétiques sanctions comme l'a déjà fait le président Sarkozy ? Il y a peu de chance que Laurent Gbagbo n'obtempère avant longtemps à ces pressions. Au point où il est rendu, il perdrait tout, et serait sans doute passible de poursuites judiciaires. Son acharnement a déjà causé la mort de plusieurs dizaines de ses concitoyens.
Faire tenir aux Casques Bleus la position de plus en plus intenable et absurde d'observateurs dans ce pays en proie à l'instabilité et à un début de guerre civile ? Ce serait proprement ridicule et indigne.
Ou bien menacer de déloger manu militari le gouvernement indésirable ? Ce serait évidemment l'engrenage infernal, et le risque de se trouver confronté à une situation rappelant fâcheusement l'intervention en Irak. Pire sans doute, car Gbagbo n'est pas accusé de détenir des armes de destruction massive, ne menace pas les pays voisins, et ne s'est pas rendu coupable d'une oppression sur son peuple, comparable à celle de Saddam Hussein.
On lui reproche surtout d'avoir truqué le résultat d'élections et bien qu'il ne fasse guère de doute qu'il soit mis en minorité, il conserve des appuis nombreux et puissants dans son pays. Une intervention extérieure ne serait donc vécue comme libératrice que par une partie de la nation. Contexte explosif s'il en est.
Pour l'heure, toutes les parties semblent jouer le pourrissement de la situation, espérant un improbable et heureux dénouement "à l'amiable", mais certains signes font craindre un abandon progressif du terrain par la Communauté Internationale.
On apprenait le dimanche 19/12 par Le Monde que le Royaume Uni avait recommandé à ses ressortissants de quitter le pays et que le Département d'Etat américain "avait ordonné aujourd'hui aux employés non-essentiels de leur ambassade en Côte d'Ivoire et à leurs familles de quitter le pays" en raison d'une "détérioration de la situation politique et sécuritaire" à Abidjan et d'un "sentiment anti-occidental croissant" dans le pays...
Un sombre pressentiment commence à étreindre tous ceux qui espèrent encore une résolution pacifique à cette affaire. L'ONU y joue sa crédibilité. Une fois encore la question se pose : jusqu'où peut aller le fameux droit d'ingérence ?

Jusqu'à présent en tout cas, les Droits-de-l'hommistes sont plutôt discrets. C'est pourtant dans ces moments qu'on aimerait qu'ils proposent de belles et bonnes solutions...

22 novembre 2010

A l'Est, Du Nouveau !

La Chine constitue un passionnant modèle expérimental en terme d'organisation sociale. Elle fut plongée durant plusieurs décennies dans le paradigme socialiste, dans sa version la plus pure, la plus aboutie, à savoir le communisme. De nos jours, elle opère une nouvelle révolution, qui la conduit à s'approprier le modèle capitaliste, de façon sauvage, quasi caricaturale.

A l'origine de ce bouleversement, il est facile d'identifier deux causes toutes simples : le retour de la propriété privée et de la liberté d'entreprendre.
Sous leur effet conjugué, la mue s'avère extraordinaire à plusieurs titres. En même temps qu'elle transfigure le pays à la vitesse de la lumière, elle met à nu, à mesure que la carapace se déchire, les rouages intacts de l'implacable mécanique collectiviste. Et notamment l'absence complète de tout système de protection sociale.
Dans le régime maoïste qui faisait pourtant de "la cause du peuple" sa raison d'être, l'individu était totalement assujetti au Parti, pour ainsi dire nié en tant que dimension. Les travailleurs transformés en une gigantesque masse uniformisée, au service d'un objectif collectif intangible, n'avaient en définitive qu'un seul droit : celui de travailler ! Ni élection, ni syndicat, ni juridiction d'aucune sorte ne pouvait permettre à la moindre revendication d'éclore. En toute circonstance et à tout moment, le Parti était réputé savoir ce qui était bon pour le peuple, lequel se voyait privé de tout moyen de s'exprimer.

Libérée du carcan rigide qui maintenait cette effroyable usine à l'abri des regards et empêchait toute contestation interne, elle explose littéralement sous la pression de la liberté. Celle-ci se rue dans le système entrouvert, à la manière d'un fleuve en crue. Elle fait sauter une à une les digues et promet d'ébranler sous peu les fondements du Parti Unique, tout en submergeant le mythe de la Dictature du Prolétariat.
Aujourd'hui, faisant craquer le glacis archaïque, on voit surgir un peu partout les gratte-ciels d'un nouveau monde. La Chine se redresse et le spectacle est grandiose. Il n'a sans doute pas fini de nous étonner.

Les dirigeants chinois qui ont voulu cette inflexion, montrent pour le moment une grande habileté dans la manœuvre du colossal vaisseau dont ils ont rompu deux des principales amarres. S'ils poursuivent le mouvement entamé, et rien ne permet de penser le contraire, il est probable que la Chine retrouve bientôt le rang qu'elle mérite dans le monde, eu égard à sa population et à son histoire.
Probablement rencontrera-t-elle des écueils, peut-être même de graves tempêtes, au cours de cette aventure. La problématique du Tibet fait partie de ces drames. Et au cœur même du système, les premières manifestations du mécontentement ouvrier préfigurent la soif de vrai progrès social, qui pourrait se transformer en révolte de grande ampleur.
Face à ces formidables défis, s'il paraît clair que la volonté des dirigeants est de n'accorder les libertés que très progressivement, on voit non moins clairement que le libéralisme, même limité au seul domaine économique, en même temps qu'il apporte la prospérité, va offrir la possibilité d'améliorer la condition du prolétariat. Superbe leçon que peu de gens, et sûrement pas les affidés au marxisme, peuvent apprécier à sa juste valeur.

Le capitalisme avance à pas de géant dans ce pays paradoxalement vierge de tout acquis social. Il est naturel de s'en inquiéter car dans un monde de libre échange, c'est source de déséquilibre. Mais il y a fort à parier que cette progression ralentisse peu à peu, d'elle-même. Car si le communisme en mourant offre un fabuleux terreau pour l'éclosion du système capitaliste, ce dernier comme le prédisait en son temps Schumpeter, voit sa course progressivement freinée par l'aspiration grandissante au bien être social. Car la négation des droits élémentaires au bonheur individuel, qui était permise sous la férule monolithique et implacable de l'Etat Communiste, ne l'est plus dans un système ouvert et concurrentiel.
La Chine est évidemment encore très loin de l'Etat Providence qui commence à plomber mortellement le dynamisme des sociétés occidentales, mais un jour peut-être, ça sera aussi son problème, comme ça l'est devenu pour le Japon, la Corée du Sud, Les USA, et bien sûr l'Europe occidentale...

Serait-ce opportun pour la Communauté Internationale de fustiger trop violemment le gouvernement de Pékin, au moment précis où il change aussi radicalement de cap ? On a vu par le passé tant de complaisance, tant d'indulgence, tant de candeur irresponsable envers le régime maoïste qui imposait la terreur et l'enfermement à tout un peuple, qu'il paraîtrait incroyable de jouer les censeurs intransigeants au moment où ses successeurs entreprennent d'en déconstruire enfin les effroyables murailles. Hélas, le Monde Libre n'est pas à une inconséquence près. Entre mille excès, on se souvient de Valery Giscard d'Estaing comparant la mort du tyran à "un Phare de l'Humanité qui s'éteint..."

Le plus sage n'est-il pas plutôt de s'efforcer d'accompagner ce grand chambardement, comme le président Reagan sut admirablement le faire face à la Perestroïka mise en oeuvre par Gorbatchev en URSS; avec sympathie mais détermination, qui sont les bases du respect mutuel. Les Chinois sont plus que jamais des partenaires à part entière de l'organisation du monde à venir. Il serait vain de les mépriser ou de trop leur faire la leçon.
Pour accomplir pleinement leur challenge, ils ont besoin d'un monde occidental compréhensif, mais également fort et uni, comme l'affirme Tony Blair auquel il me paraît opportun de donner le mot de la fin :
"Nous devons offrir à la Chine le partenariat qui répondra aux intérêts de chaque partie. Mais il vaut toujours mieux des partenaires puissants plutôt que faibles. Un Occident divisé, rivalisant pour s'attirer les faveurs des nouvelles puissances, ne présente nul avantage pour personne..." (A Journey, postface, 2010)

16 septembre 2010

Si vis pacem para bellum

Il arrive parfois qu'avec le recul du temps, certaines idées reçues, même solidement ancrées dans l'opinion publique, finissent par vaciller, voire par tomber en poussière. A en juger par une émission diffusée hier soir sur Arte, c'est peut-être ce qui est enfin en train d'arriver au sujet d'un personnage très controversé, abondamment vilipendé, voire méprisé en Europe, tout particulièrement en France : Ronald Reagan (1911-2004).
Ce document signé Antoine Vitkine s'attache en effet à montrer sous un jour vraiment nouveau la personnalité et la politique audacieuse et habile du président américain, qui contribua grandement dans les années 80, à provoquer l'effondrement de l'Union Soviétique et permit de gagner sans effusion de sang, la guerre froide, si menaçante depuis si longtemps pour la paix du Monde.
Alors qu'il était communément admis qu'il fallait jouer l'apaisement, la détente, et la coexistence pacifique avec l'ours communiste, Reagan fut le premier à penser et à proclamer sans vergogne, que cette politique n'était qu'un aveu de faiblesse et qu'elle ne pouvait que pérenniser les dangers. Persuadé que les dirigeants du Kremlin ne comprenaient que les démonstrations de force, il plaida pour un réarmement massif des Etats-Unis et pour l'affichage d'une détermination implacable face à ce qu'il fallait bien considérer comme un ennemi.

Le film montre bien le déploiement très patient d'une stratégie parfaitement maitrisée, depuis la fin des années cinquante jusqu'à l'orée des années quatre-vingt dix.
Conscient que le conflit entre le monde communiste et capitaliste n'était pas soluble dans des traités, Reagan martela que la seule solution était de refuser tout compromis et de gagner ce qui n'était rien moins qu'une guerre. Il s'opposa ainsi frontalement à des politiciens de son propre camp tels Richard Nixon et Gerald Ford, aussi bien qu'à des adversaires comme Jimmy Carter.
Alors que le géant communiste était surarmé, mais ruiné, Reagan pensait qu'il y avait un risque énorme que l'Armée Rouge soit tentée un jour de déferler sur les démocraties occidentales qui nageaient dans l'opulence mais étaient incapables d'opposer une résistance militaire significative. Peu écoutée, sa théorie pourtant fondée sur des évidences criantes, était généralement considérée comme inutilement agressive, voire insensée. L'invasion de l'Afghanistan en 1979 fut sans doute une sorte d'électro-choc tirant brutalement le peuple américain de sa naïveté angélique.

L'heure de Reagan était venue. Il fut brillamment élu président en 1980 (puis réélu quatre ans plus tard).
Comme ce film le suggère, l'histoire retiendra qu'avec une volonté tranquille mais inflexible, un grand sang froid, et en alternant subtilement menaces et offres de conciliation, il parvint à mettre à genoux l'une des plus puissantes et terribles armées que le monde ait porté.
Parti d'une condamnation sans appel de l'impérialisme soviétique (à l'ONU devant Gromyko), et du constat volontairement exagéré de la faiblesse de la force de frappe américaine, il redonna l'énergie et l'envie de se battre à son pays. Parallèlement, il convainquit Moscou de sa détermination et contraignit les gérontes du Kremlin à une surenchère épuisante. Le fameux projet de guerre des étoiles et l'installation des missiles Pershing en Europe firent beaucoup pour les persuader (en se gardant habilement de les humilier) qu'ils avaient définitivement perdu la partie.
Jamais il ne faiblit devant les conseils de prudence de ses conseillers, et pas davantage face à la très puissante rébellion prétendument pacifiste en Europe. On se souvient des foules ânonnant le slogan stupide: "Plutôt rouges que morts"...
Résultat, le Mur de Berlin tomba en 1989 (un an après une rencontre historique de Reagan et de Gorbatchev dans la capitale allemande). En 1991, après l'intermède de la Perestroïka, c'est l'URSS qui s'effondra pour de bon.
Pour achever ce propos, je  cite deux phrases révélatrices du contexte de cette époque et qui ne sont pas sans évoquer d'autres évènements plus récents :
D'abord cette réflexion d'un ancien conseiller du président américain, Richard Allen : "Ronald Reagan a été sous-estimé par tout le monde et, au fond, il considérait ça comme un énorme avantage"
Et ce commentaire fait en voix off au début du documentaire : "En 1991 l'URSS explose, L'histoire se souviendra de Gorbatchev, mais qui se souvient de Reagan l'homme clé qui dans l'ombre a tiré les ficelles de toute cette affaire..."

Puisse l'opinion Publique, et les Médias qui la font si versatile, si crédule, et parfois si niaise dans le consensus, changer un peu après une aussi édifiante aventure...

19 janvier 2010

Détresse et fatalité


A chaque fois que se produit un tremblement de terre quelque part sur la planète, me reviennent en mémoire les vers de Voltaire, composés après la survenue de celui de Lisbonne, en 1755.
A l'époque, ce qui insupportait l'écrivain, c'était qu'on puisse voir dans ces catastrophes, la main de Dieu. Soit pour signer une mortelle vengeance, du genre de celle qui ravagea Sodome et Gomorrhe. Soit qu'elle œuvra pour le bien et l'harmonie du monde, tout ici bas devant être périodiquement détruit et reconstruit.
On sait de nos jours qu'en fait de main, elle n'obéit à aucune volonté divine, et ne connaît ni le bien ni le mal. C'est une simple fatalité physique absolument inévitable, celle erratique des plaques tectoniques situées dans les profondeurs de la croûte terrestre. La seule chose qu'on puisse espérer est d'en mieux connaître la mécanique afin de prévoir les séismes.
Pourtant, après les ouragans, après la pauvreté, après les vicissitudes de régimes corrompus, les terribles secousses qui viennent de ravager la région de Port au Prince ne peuvent qu'interpeller, sur la raison des nombreuses infortunes endurées par le peuple haïtien. Établi dans la région idyllique des Antilles, sur la grande île d'Hispaniola, qu'il partage avec le paradis touristique de Saint-Domingue, on dirait vraiment qu'il est poursuivi par une étrange malédiction. Comment un si petit pays peut-il en effet réunir par le seul fait du hasard, autant de calamités ?
Pour l'heure, le monde est saisi de stupeur, et l'émotion est très vive. Mais au delà du nouveau drame qui vient de se jouer, comment embrasser dans une même compassion, la somme de malheurs qui s'abattent régulièrement sur cette terre ? Comment apporter une aide plus durable que celle qui consiste à panser les plaies à vif ? Comment, après avoir aidé à réparer le plus gros des dégâts, réussir enfin à en anticiper la survenue pour les minimiser autant que possible ?
Aujourd'hui on assiste à une surenchère dans la générosité. Les stars du showbiz se pressent pour donner dans un grand tintamarre doré, qui un million de dollars, qui un clip musical pour faire sortir de chacun "un euro symbolique", qui un nouveau téléthon pour amplifier la vague des dons. Pour un peu, on se sentirait tous Haïtiens...
Mais demain ? Tout sera oublié. Haïti retombera dans l'indifférence polie et sera de nouveau livrée à ses vieux démons.
L'impuissance de la communauté internationale est hélas flagrante. L'histoire de l'ex président Aristide est de ce point de vue édifiante. Cette crapule qui se réclamait de Dieu et de la «Théorie de la Libération» (mais fut exclu par le Vatican de la congrégation salésienne en 1988) affirmait en arrivant au pouvoir en 1991, vouloir tirer un trait sur le sombre passé dictatorial des Duvalier, et apporter le bonheur à « la plus ancienne république noire » du monde.
Résultat, il contribua au moins aussi largement que ses prédécesseurs au maintien de son peuple dans le dénuement, la corruption, la violence et la désorganisation.
La France et les Etats-Unis croyant bien faire, s'étaient pourtant impliqués sans ménagement et de concert, pour le soutenir, et notamment le remettre au Pouvoir en 1994 après un premier coup d'Etat, qui l'avait contraint à l'exil quelques mois à peine après sa prise de fonctions.
Après un second mandat aussi calamiteux que le premier, ils durent organiser sa fuite vers l'Afrique du Sud en 2004, alors que le pays était au bord d'un bain de sang.
Non seulement Aristide ne sut pas exploiter les soutiens qui lui furent apportés à plusieurs reprises, mais il accusa les pays Occidentaux d'avoir fomenté les coups d'état et provoqué la misère économique de son pays. Il accusa carrément les Etats-Unis de l'avoir enlevé en 2004 ! Aujourd'hui, il verse des larmes de crocodile sur son pays et annonce son intention de rentrer au pays "pour venir en aide aux victimes". Sinistre comédie...
Depuis 2004, une mission permanente de l'ONU, la MINUSTAH, et nombre d'ONG œuvrent sur place. Pourtant aucun pays, aucun organisme international n'est parvenu à sortir les Haïtiens de leur détresse et à les aider à mettre en place un gouvernement digne de ce nom.
Les palais écroulés témoignent affreusement de la vaine boursouflure du Pouvoir dans un pays où rien ne fonctionne véritablement, et où les calamités naturelles prennent chaque fois des allures de désastres. En 2006, la Banque Mondiale déplorait «l'extrême vulnérabilité face à ces événements, résultant de niveaux de pauvreté élevés, d’une infrastructure inadaptée, d’un environnement dégradé et d’une série de gouvernements inefficaces confrontés à de graves problèmes fiscaux»..
Le constat fait par Bernard Kouchner en mars 2003, rapporté par le site Haïti-Info, était encore plus édifiant : «Haïti, ce fut la première des missions que nous avons menées avec Médecins sans frontières. Déjà, à l’époque, sous Duvalier, c’était dur, très dur. On nous a accusés de n’importe quoi. Des collègues ont été emprisonnés. C’était la belle époque des «tontons macoutes». Je dis belle époque presque sans ironie, par rapport à ce qui se passe maintenant avec le président Aristide. Ce noble ecclésiastique, ancien «curé des pauvres», que, comme tout le monde, j’ai soutenu fortement et que j e connais bien, nous a obligés à avaler tellement d’horreurs en quelques années! Haïti, à ma grande honte, c’est le contre-exemple vivant du droit d’ingérence. Nous y sommes intervenus militairement, en 1994, avec le soutien de l’armée américaine et au nom de l’Onu. Pour la première fois dans l’Histoire, nous avons rétabli un président civil légalement élu dans ses droits, alors qu’il avait été chassé du pouvoir par une junte militaire. Le rêve a tourné au cauchemar, puisque, aujourd’hui, c’est encore pire qu’avant. Si l’on ne se souvient pas de cela, on ne peut pas aider Haïti - et encore moins résoudre le problème de ses enfants esclaves , parce que les Haïtiens sont aujourd’hui dégoûtés de tout. Les tontons macoutes, ces bandes de tueurs à la solde du pouvoir des Duvalier, c’était finalement un peu comme la mafia: on peut composer avec, on sait qui l’on a en face de soi. Mais, désormais, on ne peut plus circuler de l’aéroport de Port-au-Prince à son hôtel sans une garde blindée. Les immigrés n’osent plus revenir et investir parce qu’ils savent qu’ils vont être dévalisés. Par qui? Par tout le monde, y compris par le gouvernement d’Aristide. Haïti détient, avec le Burkina Faso, le record du monde du nombre d’ONG travaillant sur son sol. On y a dépensé beaucoup d’argent. Pour rien. C’est pire qu’avant. Économiquement et, surtout, moralement.»
A cause, en grande partie, de cette incurie chronique, la moindre tempête tropicale fait des centaines de morts et des dizaines de milliers de sans-abri. Le tremblement de terre du 12 janvier, qui dans une ville préparée, devrait ne faire qu'un nombre limité de victimes, risque d'en causer plusieurs centaine de milliers...
Si au moins cette catastrophe pouvait conduire la communauté internationale à offrir une vraie tutelle à ce pays dévasté, si au moins les nations développées pouvaient prendre conscience de l'importance qu'il y a de l'accompagner durablement, et avec détermination pour l'amener sur la voie du vrai progrès. Et pour faire mentir le terrible constat fait récemment par l'économiste d'origine zambienne Dambisa Moyo, pointant sévèrement les lacunes de l'aide internationale et l'accusant in fine de faire plus de mal que de bien.
Mesurant l'ampleur de la tâche, les Etats-Unis semblent décidés à s'installer pour coordonner d'une main ferme cette reconstruction, mais déjà on entend les voix s'élever contre l'impérialisme, contre une nouvelle « occupation »... La misère est-elle donc une fatalité ? Ou bien l'enfer serait-il donc comme on le dit, pavé de bonnes intentions ?
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O malheureux mortels! ô terre déplorable!
O de tous les mortels assemblage effroyable!
D'inutiles douleurs éternel entretien!
Philosophes trompés qui criez: "Tout est bien"
Accourez, contemplez ces ruines affreuses
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants l'un sur l'autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours!
Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous: "C'est l'effet des éternelles lois
Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix"?
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes:
"Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes"?
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants?
Lisbonne, qui n'est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices?
Lisbonne est abîmée, et l'on danse à Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
De vos frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages:
Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.