21 septembre 2010

Jésuitisme à la Bayrou

Entendu sur France Culture le 20/09, François Bayrou, le président égocentrique du volatile MODEM, qui n'avait pas de mots assez durs pour fustiger le climat politique actuel, si plein de "choses noires", dont il attribuait la responsabilité exclusive au gouvernement actuel.
Avec un culot tranquille, il dénonçait tous azimuts l'action du Président de la République, condamnant "cette stratégie de la passion et de la tension perpétuelles", l'accusant de propager un "virus de dégradation", et "d'abandonner l'essentiel des visions civiques"...
Sans crainte des contradictions, dans le même temps qu'il reprochait au chef de l'Etat sa tendance à diviser, et à exclure, il raillait l'UMP dont l'union est synonyme pour lui de "soumission", et de "majorité godillot"... 
Pas mal venant de quelqu'un qui malgré moultes manœuvres politiciennes et sordides petits arrangements, a fait le vide autour de lui, qui rejette tout ce qui ne s'inscrit pas dans son nébuleux projet, qui est "contre tout ce qui est pour", tout en étant "pour tout ce qui est contre"...
S'agissant pareillement de politique étrangère, alors qu'il s'émouvait de l'isolement de la France, il vilipendait simultanément la décision de participer au commandement de l'OTAN, accusant Nicolas Sarkozy "de faire allégeance" à l'horrible capitalisme anglo-saxon, ce "modèle de puissance et d'argent qui est un modèle de violence".
Et que proposait-il en la matière : tout simplement de préserver plus que jamais un modèle "dans lequel la puissance publique a d'autres valeurs que celles de l'argent : l'école, la culture... bref, autre chose que la Finance..." Bonne vieille rhétorique démagogique gauchisante, qui ne fait plus illusion... qu'en France !

Autrement dit M. Bayrou qui se pose en réformateur intrépide : 
- Aime le rassemblement et l'union, à la condition expresse qu'ils se fassent autour de sa personne.
- Voudrait rompre le superbe isolement de son pays dans le monde, à condition que ce soit les autres qui se rangent derrière son modèle...

Pas mal pour un homme dont la bonne bouille joufflue rappelle les bourgeois satisfaits des provinces d'antan, et qui illustre si parfaitement la position sociale de nanti, de notable, de bon chrétien, qui fut même ministre, mais qui en dépit de ses onctueux discours, n'est en somme qu'un fieffé jésuite...

18 septembre 2010

Extase et dévastation

Il y a quarante ans s'estompait brutalement le panache aveuglant de Jimi Hendrix (1942-1970). Avec lui, s'évanouissait une bonne partie de la magie des années soixante.
Pour lui rendre une sorte d'hommage, qu'il soit permis d'évoquer une des plus étonnantes prestations scéniques de ce génie turbulent mais si attachant, lors du festival de Monterey en 1967 (immortalisé par la caméra de D. A. Pennebaker).
Avant ce spectacle, Hendrix était quasi inconnu. Après, il était devenu à tout jamais une légende...

Ce soir là, au milieu d'un feu d'artifice dionysiaque, il donna notamment une interprétation inoubliable et définitive du fameux "Like A Rolling Stone" de Bob Dylan.


*********************

Jamais on ne vit pareil moment sacrificiel, fusionnant aussi parfaitement l'incandescence musicale avec le feu de l'enfer, pour finir en une bouleversante apothéose barbare...
Jimi entouré, bardé, nimbé de falbalas, agitait fébrilement son corps nerveux, à la manière d'un serpent captif, cherchant par de furieuses reptations, à retrouver la liberté.
Alentour, la pénombre dévorait des pans entiers de sa silhouette irisée, où le rouge des lumières déteignait comme le sang du Christ. De cette cruelle extase, jaillissait un flot de souffrances passées et d'anciens chagrins, sublimés par la crépitation d'espérances insensées. La guitare en tournoyant, zébrait l'obscurité d'éclairs fulgurants, ponctués par le tonnerre de la batterie et les stridences des cordes suppliciées.
Les profondeurs vertes et bleues de la mer, les infinis scintillements de la voûte céleste ne donnent qu'une faible idée de ces pâmoisons indicibles, où l'âme se débat aux portes d'abimes insondables. 
Dans cette transe illuminée, que baignait un torrent mélodique idéal, se jetaient pêle-mêle et sans retenue, à travers la brume violette*, des avalanches de pierres roulantes**, une aïeule de Bob Dylan, l'ombre de Joe***, les coeurs et les oreilles de la foule subjuguée, les hymnes de pays vainqueurs mais déchirés****, et au dessus de tout, le vent chuchotant comme une caresse, le doux nom de Marie*****...
Jamais, oh non jamais, on ne vit plus splendide et plus terrifiante célébration du Blues...
(*Purple Haze, **Like A Rolling Stone, ***Hey Joe, ****Wild Thing, *****The Wind Cries Mary)
Film disponible en DVD, Jimi Hendrix guitare, Noel Redding basse, Mitch Mitchell batterie)

17 septembre 2010

La comédie du Pouvoir

L'archaïsme de la Gauche française s'est encore manifesté au grand jour ce 15 septembre lors du vote par l'Assemblée Nationale de la réforme(tte) du système des retraites.
Il fallait voir les Députés prenant leur mine tragique des grands jours, ceints de leur écharpe tricolore, debout, et vociférant avec Martine Aubry : " On nous empêche de faire notre travail, il n'y a plus de république !".
Il faut dire que le président Accoyer avait pris l'initiative d'écourter un peu les débats qu'ils entendaient pousser jusqu'à l'absurde, en usant notamment d'un alinéa du règlement, qui autorise les élus à s'exprimer à tour de rôle pendant cinq minutes, à l'occasion d'une explication de vote individuelle. Après une vingtaine d'heures de discussions stériles, cela promettait de prolonger d'au moins 12 heures les arguties...
Poursuivant comme une meute en furie M. Accoyer en fin de séance, aux cris de "démission !", "au secours la démocratie !", on aurait dit qu'ils avaient en tête d'aller "le buter jusque dans les chiottes", comme Wladimir Poutine avec les Tchétchènes...
Arc-boutés sur la forme, n'ayant en somme rien à dire sur le fond, ils n'ont ainsi pas hésité à dramatiser à l'extrême une problématique qui demandait des réponses simples et pragmatiques, au lieu de la démagogie idéologique irresponsable dont ils crurent intelligent d'inonder les médias depuis des mois.
Une bonne partie de la Presse pas mieux inspirée, s'est d'ailleurs montrée dans la circonstance méprisable, en faisant un écho disproportionné à ces simagrées, et en se livrant parfois à des allusions grotesques (comparant comme Marianne, le Chef de l'Etat à un voyou, se demandant à l'image du Nouvel Obs, si cet homme était dangereux, ou encore suggérant à la manière du Monde, qu'il espionnait les rédactions...).

Evidemment, on ne saurait affirmer ici que la réforme proposée soit la bonne. Toto lui-même, en tant qu'élève de sixième, serait en mesure de démontrer qu'elle ne résout pas le problème. Au mieux, qu'elle le déplace un peu.
Mais vu qu'il était interdit de réfléchir au delà du dogme de la répartition pyramidale et solidaire, "à la Madoff", on ne voyait pas bien quoi proposer qui fut réellement novateur.
Sûrement pas en tout cas cette "retraite à 60 ans" auquel le PS est hypocritement accroché quitte à la transformer en peau de chagrin. Sûrement pas la mécanique usée du PC, consistant à puiser sans vergogne dans la corne d'abondance du Grand Capital...
Alors c'est sûr, Toto sous peu conclura qu'il faudrait encore augmenter la durée des cotisations... A moins que dans un élan vertigineux d'imagination, il propose d'en augmenter plutôt le montant, ou bien de diminuer celui des pensions !

16 septembre 2010

Si vis pacem para bellum

Il arrive parfois qu'avec le recul du temps, certaines idées reçues, même solidement ancrées dans l'opinion publique, finissent par vaciller, voire par tomber en poussière. A en juger par une émission diffusée hier soir sur Arte, c'est peut-être ce qui est enfin en train d'arriver au sujet d'un personnage très controversé, abondamment vilipendé, voire méprisé en Europe, tout particulièrement en France : Ronald Reagan (1911-2004).
Ce document signé Antoine Vitkine s'attache en effet à montrer sous un jour vraiment nouveau la personnalité et la politique audacieuse et habile du président américain, qui contribua grandement dans les années 80, à provoquer l'effondrement de l'Union Soviétique et permit de gagner sans effusion de sang, la guerre froide, si menaçante depuis si longtemps pour la paix du Monde.
Alors qu'il était communément admis qu'il fallait jouer l'apaisement, la détente, et la coexistence pacifique avec l'ours communiste, Reagan fut le premier à penser et à proclamer sans vergogne, que cette politique n'était qu'un aveu de faiblesse et qu'elle ne pouvait que pérenniser les dangers. Persuadé que les dirigeants du Kremlin ne comprenaient que les démonstrations de force, il plaida pour un réarmement massif des Etats-Unis et pour l'affichage d'une détermination implacable face à ce qu'il fallait bien considérer comme un ennemi.

Le film montre bien le déploiement très patient d'une stratégie parfaitement maitrisée, depuis la fin des années cinquante jusqu'à l'orée des années quatre-vingt dix.
Conscient que le conflit entre le monde communiste et capitaliste n'était pas soluble dans des traités, Reagan martela que la seule solution était de refuser tout compromis et de gagner ce qui n'était rien moins qu'une guerre. Il s'opposa ainsi frontalement à des politiciens de son propre camp tels Richard Nixon et Gerald Ford, aussi bien qu'à des adversaires comme Jimmy Carter.
Alors que le géant communiste était surarmé, mais ruiné, Reagan pensait qu'il y avait un risque énorme que l'Armée Rouge soit tentée un jour de déferler sur les démocraties occidentales qui nageaient dans l'opulence mais étaient incapables d'opposer une résistance militaire significative. Peu écoutée, sa théorie pourtant fondée sur des évidences criantes, était généralement considérée comme inutilement agressive, voire insensée. L'invasion de l'Afghanistan en 1979 fut sans doute une sorte d'électro-choc tirant brutalement le peuple américain de sa naïveté angélique.

L'heure de Reagan était venue. Il fut brillamment élu président en 1980 (puis réélu quatre ans plus tard).
Comme ce film le suggère, l'histoire retiendra qu'avec une volonté tranquille mais inflexible, un grand sang froid, et en alternant subtilement menaces et offres de conciliation, il parvint à mettre à genoux l'une des plus puissantes et terribles armées que le monde ait porté.
Parti d'une condamnation sans appel de l'impérialisme soviétique (à l'ONU devant Gromyko), et du constat volontairement exagéré de la faiblesse de la force de frappe américaine, il redonna l'énergie et l'envie de se battre à son pays. Parallèlement, il convainquit Moscou de sa détermination et contraignit les gérontes du Kremlin à une surenchère épuisante. Le fameux projet de guerre des étoiles et l'installation des missiles Pershing en Europe firent beaucoup pour les persuader (en se gardant habilement de les humilier) qu'ils avaient définitivement perdu la partie.
Jamais il ne faiblit devant les conseils de prudence de ses conseillers, et pas davantage face à la très puissante rébellion prétendument pacifiste en Europe. On se souvient des foules ânonnant le slogan stupide: "Plutôt rouges que morts"...
Résultat, le Mur de Berlin tomba en 1989 (un an après une rencontre historique de Reagan et de Gorbatchev dans la capitale allemande). En 1991, après l'intermède de la Perestroïka, c'est l'URSS qui s'effondra pour de bon.
Pour achever ce propos, je  cite deux phrases révélatrices du contexte de cette époque et qui ne sont pas sans évoquer d'autres évènements plus récents :
D'abord cette réflexion d'un ancien conseiller du président américain, Richard Allen : "Ronald Reagan a été sous-estimé par tout le monde et, au fond, il considérait ça comme un énorme avantage"
Et ce commentaire fait en voix off au début du documentaire : "En 1991 l'URSS explose, L'histoire se souviendra de Gorbatchev, mais qui se souvient de Reagan l'homme clé qui dans l'ombre a tiré les ficelles de toute cette affaire..."

Puisse l'opinion Publique, et les Médias qui la font si versatile, si crédule, et parfois si niaise dans le consensus, changer un peu après une aussi édifiante aventure...

11 septembre 2010

Max Planck, des quanta à la quête du Graal

En dépit de leurs brillantes capacités intellectuelles, les Savants sont des êtres humains comme les autres. Ils sont doués de conscience, et pour paraphraser Rabelais, ils ont le devoir de ne pas l'oublier dans la mission qu'ils se donnent, de faire progresser la science.
Cette préoccupation est devenue obsédante avec les fabuleuses avancées des dernières décennies, qui bouleversent l'environnement dans lequel l'homme évolue, jusqu'à le menacer d'auto-destruction.
Max Planck (1858-1947) fait partie de ces esprits éclairés, aptes à appréhender avec la même sagacité les abstractions les plus complexes et les problèmes les plus triviaux du quotidien.
Il est l'un des pères de la théorie des quanta, et le découvreur de la fameuse constante h.
Cette dernière symbolise de manière vertigineuse deux problématiques essentielles : celle de l'harmonie du monde réglé avec une précision hallucinante, et celle des limites de son intelligibilité. On sait notamment depuis Planck qu'il est strictement et définitivement impossible d'appréhender précisément et simultanément deux grandeurs telles que la vitesse et la position de particules physiques.
Ces notions eurent probablement un impact sur les espoirs que nourrissaient certains de parvenir à la connaissance complète du monde sensible dans lequel nous vivons. Jointes au fameux théorème d'indécidabilité de Gödel, et au principe d'incertitude d'Heisenberg, elles inspirent une profonde humilité et rejoignent la résignation kantienne : l'Homme ne parviendra jamais à expliquer totalement ni maitriser l'univers qui l'entoure.
A quelque chose malheur est bon, c'est aussi une bonne nouvelle, car si certaines portes semblent se fermer à tout jamais, celle majestueuse de l'espérance reste elle, grande ouverte.

Au delà de la science pure, Max Planck fut également un philosophe inspiré. A travers son autobiographie scientifique et les écrits de la fin de sa vie, on mesure combien il était préoccupé au plan spirituel par toutes les problématiques impliquant la démarche scientifique, notamment : déterminisme et indéterminisme, libre arbitre, Dieu et religion.

Déterminisme et indéterminisme
C'est un paradoxe au moins apparent, que celui qui oppose en permanence le prévisible et l'indéterminé. 
Et qui débouche obligatoirement sur la notion fondamentale du libre arbitre humain. On voit de nos jours un nombre croissant de savants ayant une vision matérialiste qui leur fait nier tout ou partie de cette liberté intrinsèque. Voire parfois renoncer à l'idée même de conscience...
Pour Planck, la réponse doit être plus nuancée et relative, car elle dépend de l'angle sous lequel la problématique est abordée.
Par exemple, les comportements humains ont évidemment une bonne part de prévisibilité, et c'est heureux car sinon, comment imaginer des relations constructives ? "Dans nos rapports quotidiens avec autrui, nous présupposons toujours certains motifs. En d'autres termes, un déterminisme selon lequel les autres parlent et agissent, car autrement leur comportement serait inexplicable..."
Pourtant, si la plupart de nos choix sont contraints par des contingences externes, il n'en reste pas moins évident que chaque décision est prise en conscience. En résumé, "Nous pouvons par conséquent déclarer : observée du dehors, la volonté est causalement déterminée. Observée du dedans, elle est libre."
On trouve des analogies étonnantes entre les réalités physiques et celles de l'esprit :
Le déterminisme et l'indéterminisme ne sont pas des notions exclusives l'une de l'autre. À la manière de la nature étrangement double de la lumière, à la fois ondulatoire et corpusculaire … En somme, "La loi de causalité n'est ni vraie ni fausse. Elle est bien plutôt un principe heuristique, un guide..."

Faux problèmes, limites et relativité de la science
Partant du constat que la science à elle seule ne saurait tout expliquer, la position de Max Planck consiste à recommander d'éviter de mélanger les genres et d'exercer une vigilance permanente pour ne pas dépasser les limites du domaine d'application de la méthode scientifique.
Par exemple, on ne sait pas ce que c'est que le subconscient. Par conséquent tous les problèmes, posés en termes scientifiques, concernant le subconscient sont de faux problèmes.
D'une manière plus générale, nous ne pouvons pas plus apprécier directement nos processus mentaux du point de vue physiologique que nous ne pouvons examiner un processus physique du point de vue psychologique.

Le rapport du corps à l'esprit est un autre faux problème. Le physique et le mental ne sont en aucune manière différents l'un de l'autre. Ils sont exactement le même processus, mais vu de deux directions diamétralement opposées, comme les deux faces d'une même pièce de monnaie.
De toute façon, en matière de psychologie, comme en physique des particules, la simple interposition d'un dispositif de mesure et d'analyse est susceptible de perturber et de fausser le déroulement naturel des évènements. C'est un des plus élémentaires principes de la psychologie expérimentale, qu'une observation peut donner un résultat complètement différent si le sujet connaît ou seulement soupçonne qu'on est en train de l'observer.

Les seuls faits sur lesquels la science a prise, sont ceux qui peuvent être l'objet d'expérience : "Parmi tous les faits que nous connaissons et que nous pouvons relier entre eux, quel est celui qui ne pourrait prêter au plus léger doute ? Cette question n'admet qu'une seule réponse : Celui dont nous avons l'expérience par le moyen de notre propre corps."
Malheureusement nos capacités sont très insuffisantes pour percevoir toute la complexité du monde. Le développement de l'appareillage scientifique permet certes, d'appréhender des concepts que nos seuls sens innés ne sauraient palper. Mais la complexité croissante de ces outils se heurte tôt ou tard elle-même à des limites : "Un coup d'oeil à l'intérieur d'un laboratoire scientifique montre que les fonctions des ces sens ont été remplacées par une collection d'appareils extrêmement complexes, subtils et spécialisés, inventés pour manier les problèmes dont la formulation requiert l'aide de concepts abstraits, de symboles.../... au delà des possibilités de compréhension d'un profane." Bientôt au delà des limites humaines pourraient-on ajouter...
Il n'est que de voir la disproportion croissante entre la taille des particules et celle des accélérateurs supposés les mettre en évidence pour comprendre cette problématique.

Science et Religion
Si le périmètre de la connaissance humaine est par essence restreint, est-il permis d'imaginer des choses au delà ? Max Planck répond par l'affirmative : "La science physique exige qu'on admette l'existence d'un monde réel indépendant de nous, un monde que nous ne pouvons cependant jamais directement reconnaître, mais que nous pouvons saisir seulement au moyen de nos expériences sensorielles et des mesures que nous faisons par leur intermédiaire."
S'agit-il de Dieu, il n'est pas permis de l'affirmer, puisqu'on ne peut le définir . Toujours est-il que "Nous nous voyons nous-mêmes gouvernés à travers toute notre vie par une puissance plus haute, dont nous ne serons jamais en mesure de définir la nature à partir du point de vue de la science."

A défaut de Dieu, Max Planck pose les bases d'une conception raisonnée de la religion et des rapports de l'homme à ce qui le dépasse. Il commence par réduire certaines prétentions religieuses en particulier la propension à tabler sur les miracles : La foi dans le miracle doit notamment céder le terrain, pas à pas, devant la constante avance des forces de la science, et sa défaite totale n'est indubitablement qu'une affaire de temps.
Dans le même temps, l'athéisme lui semble porteur de nombreux dangers : "la victoire de l'athéisme détruira non seulement les plus précieux trésors de notre civilisation, mais ce qui est pire encore, annihilerait l'espoir même d'un avenir meilleur."
Aussi néfaste que l'athéisme, est à ses yeux le fanatisme de certains religieux, qui prétendent faire parler Dieu et réclament en son nom l'application de lois mortifères ou débilitantes : "rites et symboles ecclésiastiques sont indispensables aux églises : mais nous ne devons jamais oublier que le symbole le plus sacré est encore d'origine humaine.../... Si l'humanité avait eu à coeur de garder cette vérité dans tous les temps, elle se fut épargné une infinité de souffrances et de maux." En d'autres termes, comme pour Kant, c'est l'Homme lui-même qui est le principal responsable de ses malheurs.
Ce jusqu'au boutisme destructeur désole plus que tout le Philosophe : "Il n'existe certainement rien de plus affligeant que cet amer combat de deux adversaires dont chacun est pleinement convaincu de l'excellence de sa cause, autant que rempli d'un sincère enthousiasme pour elle.../... jusqu'au sacrifice de sa vie."

Pour autant, "Religion et science ne s'excluent pas l'une l'autre, comme beaucoup de nos contemporains le croient ou le craignent. Elles se suppléent et se conditionnent mutuellement l'une l'autre."

En définitive, alors qu'il est sur le point de franchir cette fameuse frontière entre la vie et la mort, Max Planck a comme une illumination, : "Religion et science mènent ensemble une bataille commune dans une incessante croisade, une croisade qui ne s'arrête jamais, contre le scepticisme et contre le dogmatisme, contre l'incroyance et contre la superstition, et le cri de ralliement pour cette croisade a toujours été et sera toujours : Jusqu'à Dieu... "

Et pour clore cette réflexion tout en résumant d'un mot la teneur, je ne peux m'empêcher de citer Goethe, tel que l'appelle Max Planck lui-même à la rescousse : "la félicité suprême du penseur, c'est de sonder le sondable et de vénérer en paix l'insondable".

01 septembre 2010

Kerouac, au bout du rouleau


Ça y est ! Le fameux rouleau est enfin publié. Plus de cinquante ans après la sortie d'une version édulcorée, celle-là même qui rendit célèbre Jack Kerouac (1922-1969), le tapuscrit original de 40 mètres de long, du mythique Sur La Route, est traduit tel quel en français, dans toute sa crudité, sa densité, et avec les noms réels des personnages.

Centre de gravité aveuglant de ces picaresques pérégrinations, véritable quasar de la Beat Generation, Dean Moriarty redevient pour de bon Neal Cassady. Il est assurément le gémeau infernal du poète, celui qui l'exalte, le fascine, souvent l'inspire, mais qui l'entraine hélas aussi sur la voie de la perdition. Par lui tout se noue et se dénoue, les amitiés, les disputes, et toujours plus fort, l'esprit d'aventure, la quête de l'insaisissable. Autour de lui papillonnent les femmes, jolies, aguichantes, qu'il aime avec une énergie peu commune, qu'il partage aussi en grand seigneur, mais qu'il abandonne souvent aussi vite qu'il les conquiert... Un rythme infernal. C'est peu dire que Cassady avait le sexe à fleur de peau. Comme le constatait Kerouac, "le fils de l'Arc en Ciel portait son tourment dans sa bite-martyre"...
Jack quant à lui ne vit, ne respire, ne pense quasi qu'en référence à cette âme damnée. S'il parvient parfois à échapper à cette attraction diabolique, c'est pour mieux y retomber dès que leurs deux itinéraires sont amenés à se croiser à nouveau.

Pour autant, cette odyssée en roue libre, si elle reste emblématique d'une époque, n'est pas à mon sens le chef d'oeuvre de Kerouac. Trop erratique, trop répétitive, à force de parcourir des miles en tous sens, sans but, sans vraie aspiration, d'Est en Ouest, du Nord au Sud, et retour. De ratages pathétiques en rendez-vous manqués, la "nuit américaine" ressemble à cet "orage miraculeux" dans le Missouri où "le firmament, n'était plus qu'un pandémonium électrique". Tout cela est magnifique et magnétique, mais vain...

Pour tout dire je préfère les récits plus intimistes, plus réfléchis, plus apaisés (à la recherche des origines dans Satori à Paris, élégie pour le frère trop tôt disparu dans Visions de Gérard, amours tragiques dans Tristessa, hymne au Pacifique dans Big Sur, exploration spirituelle dans The Dharma Bums...)

Le fait est que Sur la Route, souvent Kerouac avoue à demi mot, son spleen et sa frustration. A certains moments il a comme la prescience de l'inévitable échec de cette entreprise, et se sent alors "si seul, si triste, si fatigué, si tremblant, si brisé, si beat..."
Il y a toutefois des lendemains qui chantent et d'heureux hasards qui l'amènent parfois à côtoyer d'éphémères bonheurs.
Comme durant ces quelques semaines en Californie, auprès de Béatrice, jeune et adorable Mexicaine rencontrée au cours d'un voyage en car. Il crut un instant à l'amour fidèle, et presque à une vie rangée.
Dans ces moments, il observe le monde cosmopolite autour de lui et le beat devient euphorique : "Les trottoirs grouillaient d'individus les plus beat de tout le pays, avec, là haut, les étoiles indécises du sud de la Californie noyées par le halo brun de cet immense bivouac du désert qu'est L.A. Une odeur de shit, d'herbe, de marijuana se mêlait à celle des haricots rouges, du chili et de la bière. Le son puissant et indompté du bop s'échappait des bars à bière, métissant ses medleys à toute la country, tous les boogie-woogie de la nuit américaine.../... Des nègres délirants portant bouc et casquette de boppers, passaient en riant, et derrière eux, des hipsters chevelus et cassés, tout juste débarqués de la route 66 en provenance de New York, sans oublier les vieux rats du désert, sac au dos, à destination d'un banc public devant la Plazza, des pasteurs méthodistes aux manches fripées, avec le saint ermite de service, portant barbe et sandales. J'avais envie de faire leur connaissance à tous de parler à tout le monde..."

La force de cette littérature sans repère, est d'être fondée sur une sincérité absolue, et de révéler une spontanéité digne des meilleures envolées saxophoniques de Lester Young, de John Coltrane ou de Charlie Parker. Outre les trouvailles stylistiques, outre la puissance descriptive, ce long chant halluciné, jeté pêle-mêle, sans queue ni tête, et sans reprendre haleine, est imprégné d'une candeur touchante. Kerouac est un pur égaré. Il cherche quelque chose mais il ne sait pas quoi. Comment le trouver ?
Il a jeté tout son génie poétique dans ce capharnaüm de bouteilles, de mégots, de joints, de flacons de benzédrine, consommés, fumés, vidés avec frénésie pour se procurer l'ivresse et tenir la distance; il a mis toutes ses espérances dans cette cavalcade perpétuelle, dans ces bagnoles ivres, roulant vers nulle part à toutes blindes, traversant les villes à la vitesse de la lumière, courant après des amours folles, allumées comme l'amadou, mais bâclées, gâchées par trop de délire et de négligences. Et il a vécu avec dans les tripes, le beat déjanté, prodigieux, si réconfortant, mais si triste du jazz. Son beau regard embué a fini par se noyer dans un lent désespoir, un blues incurable.
L'épopée se termine au Mexique, où l'espace d'un instant, après avoir franchi le Rio Grande, c'est l'illusion de la paix trouvée, enfin : "Derrière nous le continent américain et tout ce que Neal et moi on avait appris de la vie, et de la vie sur la route. On l'avait enfin trouvé, le pays magique au bout de la route, et sa magie dépassait de loin toutes nos espérances..."
Mais, partis à la rencontre de William Burroughs, les Anges de la Désolation ne trouveront que l'alternance de jungles étouffantes, de déserts torrides, ponctués d'hostiles cactus candélabres, et d'insectes agressifs par milliers. L'amour rêvé, les célestes béatitudes, se termineront en piteuses orgies dans de misérables bordels à 3 pesos, assaisonnées de beuveries insensées, et Neal une fois de plus fera faux bond, en repartant sans raison du jour au lendemain vers le Nord...
En somme, si d'une phrase il fallait résumer ce périple sans fin, quoi de mieux que l'espoir lancinant de délivrance, si bien chanté par Bob Dylan, légataire inspiré de cette génération perdue :

I see my light come shining
From the West unto the East
Any day now, any day now
I shall be released...