31 mars 2017

Introduction à la philosophie 2

Une des caractéristiques marquantes de la pensée jamesienne est sa répulsion pour les constructions intellectuelles trop formalisées, pour les systèmes trop fermés. Devant chaque alternative, le philosophe opte pour la voie la plus ouverte, celle qui préserve le plus de potentialités d’avenir. C’est même au nom du pragmatisme et de l’empirisme qu’il préconise une telle attitude.

Ainsi face au problème de l’unité du monde, que sous-tendent nombre de théories ou de religions, il émet plus qu’un doute en recommandant de “tourner le dos aux méthodes ineffables ou inintelligibles d’explication de l’unité du monde”, et de se demander “si, au lieu d’être un principe, l’unité que l’on affirme ne serait pas simplement un nom comme celui de substance…”
L’attitude pragmatique doit selon lui, nous amener à nous interroger : “à supposer qu’il y ait une unité dans les choses, en tant que quoi peut-on la connaître ? Quelles différences cela fera-t-il pour vous et moi ?”

Il va même plus loin lorsqu’il affirme que “le pluralisme, acceptant un univers inachevé, avec des portes et des fenêtres ouvertes sur des possibilités non contrôlables d’avance, nous donne moins de certitude religieuse que le monisme avec son monde absolument clos.”

In fine, “le monde est “un” sous certains aspects et “multiple” à d’autres égards.../…et l’alternative du monisme et du pluralisme constitue de facto, le dilemme le plus lourd de sens de toute la métaphysique.”


De manière un peu similaire, plutôt que d’opposer l’infini au fini comme de contraires, il se demande comment le second peut connaître le premier, “comme le gras connaît le maigre.”

Fort de cet exemple trivial, il reprend le fameux paradoxe de Zenon qui stipule qu’un lièvre ne peut en théorie jamais dépasser une tortue, même s’il court dix fois plus vite qu’elle, s’il est pénalisé au départ, d’une longueur de retard. En effet, pendant le temps que le lièvre met à parcourir cette distance, la tortue en aura de son côté couvert une autre, certes dix fois moins grande mais qui la placera toujours en tête. En répétant ce raisonnement, l’avance de la tortue diminue à chaque étape mais n'est jamais nulle, tendant vers l’infiniment petit.

Il suffit d'imaginer une telle compétition, pour savoir qu’évidemment ce raisonnement quoique vrai est absurde car le lièvre malgré son handicap aura tôt fait de dépasser la tortue, démontrant ainsi que le fini peut contenir l'infini. De même il suffit d’un instant pour compter de 0 à 1 alors que cela pourrait prendre un temps infini, s’il fallait énumérer tous les nombres décimaux imaginables entre les deux chiffres…


Beaucoup de concepts semblent ainsi s’affronter à la réalité. A la vérité, ils ne font que l’enjamber ou l’escamoter et c'est ainsi que des évidences, trop certaines ou trop fermées, se terminent parfois en absurdités.

Il en est ainsi de la causalité qui lie les phénomènes entre eux, et dont il n'est 
peut-être pas inutile en préambule, de rappeler les quatre catégories, telles qu’elles ont été décrites par Aristote : cause matérielle (la matière qui constitue une chose), cause formelle (l'essence de cette chose), cause motrice ou efficiente, cause du changement (ce qui produit, détruit ou modifie la chose), et cause finale (ce « en vue de quoi » la chose est faite). 
Ainsi, la cause matérielle d'une écuelle est le bois ou le métal, son essence le fait de contenir des aliments, sa cause motrice le procédé par lequel on l'a fabriquée et sa cause finale son usage en alimentation.
Le problème est de savoir si la causalité est universelle, univoque et incontournable. 

Si tel était le cas, il faudrait admettre, à force de remonter le cours des évènements dans une logique déterministe, “que le premier matin de la création a écrit ce que sera la dernière aurore du monde.”

Pour William James, “la tentative de traiter la cause dans un but conceptuel comme un maillon séparable, a historiquement échoué. elle a conduit à nier la causalité efficiente et à lui substituer la notion purement descriptive d’une séquence uniforme entre les évènements.../… Une fois de plus la philosophie intellectualiste a dû massacrer notre vie perceptuelle sous prétexte de la rendre “compréhensible”, alors que le flux perceptuel concret, pris tel qu’il vient, nous offre dans nos propres situations d’activité des exemples parfaitement compréhensibles d’agencement causal…”

On peut supposer que James se serait régalé de la théorie quantique sur laquelle planchaient les physiciens au moment où il écrivait ces lignes. Elle colle si bien avec sa conception du monde, tant elle se joue en effet de la causalité, introduisant dans les sciences exactes l’incertitude et l’indétermination. De même elle se joue des contraires tels le continu (les ondes) et le discontinu (les particules) dont elle montre la complémentarité, voire la superposition !


Concluons cette analyse par un des champs de réflexion les plus passionnants abordés par le père du pragmatisme, celui de la foi, en évoquant tout particulièrement l’importance que revêt dans son esprit la volonté de croire. Celle-ci s’impose d’ailleurs naturellement dans bien des circonstances, car “ne pas agir selon une croyance revient souvent à agir comme si la croyance opposée était vraie…” et refuser de croire tout ce qui n’a pas été démontré par l’évidence, relève tout bonnement d’une attitude intellectualiste.

Empressons-nous de préciser qu’il n'est pas recommandé de croire n’importe quoi et surtout pas de se laisser aller à la superstition. Mais, bien qu’il haïsse les principes non fondés sur l’expérience, James considère qu’il est légitime pour une philosophie ouverte, dans certains cas et sous certaines conditions, de raisonner en intégrant des incertitudes, et faire en quelque sorte un pari sur l’avenir.

Dans la plupart des cas d’urgence, nous devons agir sur de simples probabilités et courir le risque d’erreur.” A l’inverse d’un compagnie d’assurance dont le rôle est de couvrir certains risques de la vie, et qui ne court elle-même aucun risque car elle opère sur un grand nombre de cas et sur une longue durée. Nous n’avons quant à nous "qu’une vie pour prendre position vis à vis des grandes alternatives métaphysiques ou religieuses, en choisissant l’option la plus probable et faire comme si l’autre n’existait pas, en nous exposant à subir le dommage entier si l’évènement trompe notre confiance….”


En définitive, “la foi demeure comme l’un des droits naturels inaliénables de notre esprit.”
Malheureusement, c’est aussi le point de fuite de toute philosophie, puisqu’il s’ouvre sur l’incertitude ontologique fondamentale.
Ainsi, l’ouvrage s’achève sur un double constat quasi kantien : “l’homme excepté, aucun être ne s’émerveille de sa propre existence. Cet étonnement est la mère de la métaphysique…” Et dans le même temps, “la philosophie contemple ce problème mais n’y apporte aucune solution raisonnée, car du néant à l’être, il n’existe aucun pont logique.”

Introduction à la philosophie. William James. Les Empêcheurs de penser en rond.

30 mars 2017

Introduction à la Philosophie 1

Il peut paraître étrange pour un penseur de l’envergure de William James (1842-1910), de terminer son oeuvre par une brève introduction à la philosophie.


Pourtant, c’est bien dans la ligne du personnage qui, armé d’un robuste pragmatisme, s’échina toute sa vie à rendre limpides les problématiques les plus complexes. Quoi de plus naturel et de plus louable en somme, au soir de sa vie, que de rassembler toute son expérience et tout son savoir pour tenter de mettre la métaphysique à la portée du commun des mortels, et notamment d’étudiants ?

Il n’eut hélas pas le temps de parachever son ouvrage et avant de s’éteindre, émit en toute humilité le souhait qu’on le présentât comme une esquisse. Mais bien qu’inabouti, ce livre ouvre de passionnantes pistes de réflexion.

Celles et ceux qui connaissent un peu l’oeuvre et l’esprit de James ne seront pas surpris par sa manière radicale, qui le conduit à s’exclamer bille en tête : qu’un homme sans philosophie est le plus défavorable et le plus stérile de tous les compagnons possibles.”

Ils ne seront pas plus étonnés par son approche non conventionnelle du sujet, considérant la philosophie, non comme une rêverie déconnectée de la réalité ou bien une utopie sans débouché concret, mais comme la mère de toutes les sciences, c’est à dire en somme bien davantage que le seul “reliquat des questions qui n’ont pas encore reçu de réponse...”


Philosopher, c’est donc faire preuve de modestie, et surtout se garder de tout dogmatisme : “Trop de philosophes ont cherché à construire des systèmes clos, établis a priori, se proclamant infaillibles et qu’on devait accepter ou rejeter en bloc...”

S’agissant de la métaphysique, qui se donne pour objet d’explorer “les questions les plus obscures qui soient, abstraites et de portée universelle, que la vie en général et les sciences suggèrent mais ne résolvent pas”, elle est naturellement sujette à caution. James fait sienne l’opinion de Kant, selon laquelle elle devrait se réduire à trois questions : Que puis-je savoir ? Que puis-je faire ? Que puis-je espérer ?


C’est une vraie gageure que de résumer l’exposé qui suit, tant il est fluide, relevant tantôt de l’évidence, comme l’eau qu’on boit, et tantôt de l’air impalpable, côtoyant les confins du monde tangible, parfois tout près de basculer dans l’indicible. Il s’agira donc d’en faire un relevé le plus libre possible et se donnant comme fil conducteur la préoccupation typiquement jamesienne, consistant à confronter chaque problématique à l’épreuve d’alternatives simples, binaires pourrait-on dire le plus souvent.


En tout premier lieu, on voit s’opposer le substrat de nos sensations, qu’il nomme “percept”, aux fruits de notre imagination et de notre raisonnement, les “concepts”. Et dans la foulée, se succèdent une ribambelle de couples antinomiques : Rationalisme/empirisme, Unique/multiple, fini/infini, continu/discontinu, être/néant, déterminisme/indéterminisme, causalité/hasard….


L’objet n’est pas ici de s’étendre sur tout ce qui sous-tend l’empirisme, déjà abordé dans d’autres billets, mais de rappeler que l’imagination humaine n’a de réel intérêt constructif que lorsqu’elle se fonde sur les données tirées de l’expérience.

A l’origine de toute approche philosophique il y a ce choix fondamental opposant attitudes rationaliste et empiriste : “Les rationalistes sont les hommes des principes, les empiristes les hommes des faits”, ou encore, “Les rationalistes préfèrent déduire les faits des principes. Les empiristes préfèrent expliquer les principes comme des inductions à partir des faits.”


En dépit du fameux clivage cartésien, force est de considérer que les sensations et la pensée sont mélangées chez l’homme, et qu’elles peuvent varier de manière indépendante, quoique n’tant pas vraiment de même nature.

La grande différence entre les percepts et les concepts est en effet que les premiers sont continus, tandis que les seconds sont discrets (ou discontinus). Ainsi, lorsque nous conceptualisons le monde, nous sommes contraints de l’enfermer dans des catégories distinctes et disjointes, même s’il s’agit de notions abstraites, aux transitions indéfinies telles que le jour et la nuit, l’été et l’hiver : “Nous harnachons la réalité perceptuelle à l’aide de concepts afin de la faire mieux correspondre à nos fins…”

Mais quelque soit la puissance de l’esprit qui le construit, “le schème conceptuel consistant en termes discontinus, il ne peut recouvrir le flux perceptif que par endroits, et incomplètement.”


La complémentarité entre percepts et concepts est toutefois source évidente de progrès : “Si nous n’avions pas les concepts, il nous faudrait vivre en recevant simplement chaque moment successif de l’expérience, comme l’anémone de mer, immobile sur son rocher, reçoit pour se nourrir ce que la lame ou les vagues lui apportent. Avec les concepts, nous partons en quête de l’absent, nous rencontrons le lointain, nous prenons rapidement telle ou telle direction, nous courbons notre expérience et nous la portons à ses limites.”

Grâce aux concepts, nous donnons donc un sens au monde qui nous entoure. Ce sont donc des outils indispensables mais la tentation est forte pour les êtres pensants que nous sommes, d’en abuser, de s’en gargariser et de “considérer la conception comme l’élément le plus essentiel de la connaissance.../… de mépriser les organes des sens, responsables d’une illusion vacillante qui barre la route de la connaissance.”
Il faut donc sans doute garder les pieds sur terre, même si l’on a la tête dans étoiles, et surtout “fuir l’attitude intellectualiste qui tente d’extraire la continuité de la nature comme on extrait le fil d’un collier de perles…”


A suivre...

12 mars 2017

L'Etat voit tout

Au chapitre de l’étatisation toujours croissante du système de santé français, on pourra prochainement ajouter une nouvelle avancée décisive. Elle concernera le domaine de la gestion des données médicales personnelles.

Conséquence directe de la loi dite de modernisation du système de santé promulguée le 26 janvier 2016, et du décret n°2016-1871, publié en décembre dernier, un monumental serveur informatique dédié à la santé va en effet très prochainement voir le jour.
Derrière l’appellation anodine de SNDS (Système National de Données de Santé), il s’agit en réalité ni plus ni moins d’un nouvel avatar du Big Brother décrit autrefois par George Orwell.


Selon le ministère de la santé, ce système « aura vocation à regrouper les données de santé de l’assurance maladie obligatoire, des établissements de santé, les causes médicales de décès, les données issues des maisons départementales des personnes handicapées, ainsi qu’un échantillon de données de remboursement d’assurance maladie complémentaire ».
Ainsi, dès le 3 avril 2017, toutes les feuilles de soins, les visites chez les médecins, les prescriptions de médicaments et les séjours à l’hôpital seront systématiquement envoyés dans cette base, qui de facto, colligera plus d'un milliard d'actes médicaux par an.

Cette nouvelle usine à gaz, “unique en Europe, voire au monde”, comme le revendiquent fièrement les experts de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), va réunir dans une même base 67 millions d'habitants !


La santé en France va donc entrer dans l'ère du "big data", sans que soit précisé clairement à quoi pourra servir ce gigantesque entrepôt, ni quelles seront les personnes autorisées à l’exploiter, et dans quelles conditions. On reste à ce jour à l'annonce de quelques objectifs très vagues et bien intentionnés : “une meilleure gestion des politiques de santé”, “le moyen d’assurer le suivi des politiques de santé en cours et d’en faire le bilan”, de “permettre une mise sur le marché de médicaments plus adaptée”, et in fine de tendre vers “la diminution du déficit de la sécurité sociale…”


Placée sous le contrôle de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS), les données constituant le SNDS seront paraît-il "pseudonymisées" afin de préserver la vie privée des personnes : aucun nom, prénom, adresse ni numéro de sécurité sociale n’y figureront, si l’on en croit les concepteurs de ce système.

La Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL), paraît quant à elle, plutôt réservée. Selon l’avis émis par ce pseudopode de l’Etat, prétendu indépendant: « le SNDS est susceptible de permettre l’accès à des données de santé à caractère personnel concernant l’ensemble des bénéficiaires de l’assurance maladie. Elle relève également que “le nombre d’utilisateurs potentiels du SNDS est susceptible d’être élevé et que le législateur a prévu que certains de ces utilisateurs y auront un accès permanent.”

En vérité, d’après ce que l’on sait, il sera “possible de ré-identifier un patient, à partir des données, pour le contacter dans des cas exceptionnels et très précis, notamment pour l’avertir d’un risque sanitaire grave auquel il serait exposé, ou bien pour proposer à certains patients atteints de maladies rares de contribuer à une recherche, dès lors qu’il n’existe pas de solution alternative…”


Force est de conclure qu’il n’y aura donc sous peu, quasi plus de limite à l’emprise de l’Etat sur nos vies, sur nos misères, nos maladies et notre intimité. Les droits qu’il s’arroge semblent ne jamais devoir s’arrêter, sans que cela semble choquer grand monde, dans un pays qui se targue pourtant de porter très haut la défense des libertés individuelles. Faut-il croire notre cher Etat-Providence, lorsqu’il affirme qu’il n’y a aucun danger à ce qu’il sache tout de nous…. sauf notre nom ?


Il faut ajouter que ce pur joyau de la centralisation bureaucratique sera amené à compléter le fameux Dossier Médical Personnel dit DMP, que les Pouvoirs Publics s’échinent à mettre en place depuis 2004, lui aussi aux frais des contribuables.

Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que l’Etat avait créé en 2009 une agence spéciale pour s’en occuper, l’ASIP (Agence des Systèmes d'Information Partagés de Santé).

La première expérimentation s’est soldée par un fiasco, qui fut épinglé par la Cour des Comptes, laquelle évaluait en 2011 les coûts engloutis en pure perte dans cette machinerie, à plus d’un demi-milliard d’euros ! Pour mémoire, le ministre de l’époque avait annoncé que le DMP devait permettre d’en économiser trois sur les dépenses de santé, dès 2007 !

Résultat, l’ASIP fut déchargée de cette mission, mais ne fut ni sanctionnée, ni dissoute pour autant, et le dossier fut transmis tout simplement à la CNAMTS...


Pendant ce temps, l’Etat entreprend dans chaque région, de réunir bon gré, mal gré, les établissements de santé publics en formant des Groupes Hospitaliers de territoires (GHT).
Cette vaste opération de centralisation ne date certes pas d’hier, et tous les gouvernements, quelque soit leur couleur politique, y ont peu ou prou apporté leur contribution. Elle fut amorcée dès 1996 avec le fameux plan Juppé qui vit la création des Agences Régionales de l’Hospitalisation. Jugé insuffisamment efficient, encore et toujours par la Cour des Comptes, le dispositif fut pourtant renforcé en 2009, avec la création des Agences Régionales de Santé issues de la loi HPST (Hôpital Patients Santé territoires).

Aujourd’hui, si l'on n’ose franchement parler de fusions hospitalières, le mot est sur toutes les lèvres et l’évolution semble inéluctable quoique très laborieuse, tant elle véhicule de non-dits, de faiblesses, de contraintes, et d’interactions parfois ubuesques entre les champs politiques et administratifs.

Ce plan, qui devait lui aussi générer de substantielles économies, aboutit surtout pour l’heure, par sa rigidité et les normes planificatrices qu’il impose, à plonger les petits établissements dans des marasmes financiers inextricables et ne contribue pas peu à la désertification médicale qu’on voit s’étendre dans les petites villes et les campagnes.


Par un paradoxe étonnant, dont seul la machinerie étatique a le secret, ces établissements en cours de restructuration se voient privés d’outils d’analyse stratégiques, au moment où ils en auraient le plus besoin !
Une des premières mesures entourant la création des GHT est en effet de mettre en place des “Départements d’Information Médicale de Territoire”, placés sous la responsabilité de médecins de santé publique. Ces structures sont supposées rassembler celles qui existaient déjà dans chaque établissement depuis la mise en oeuvre du Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information (PMSI). 

Créés au début des années 90, lorsque la loi obligea les hôpitaux et cliniques à évaluer leur activité plus précisément que par le nombre d'entrées et les durées de séjours,  les DIM ont pour mission cardinale de recueillir et de coder toute l’information médicale liée aux hospitalisations.
Depuis 2004 ces informations permettent une tarification forfaitaire au séjour, dite tarification à l’activité ou T2A. Ainsi, chaque mois, les DIM adressent à leur ARS de référence les résumés standardisés réputés “anonymes” de leur établissement, ce qui permet à cette dernière de délivrer en contrepartie, un arrêté de versement de la dotation financière, calculée sur la base de tarifs nationaux affectés aux Groupes Homogènes de Malades.

En plus de son rôle économique majeur, le PMSI, qui décrit assez finement l’activité médicale, constitue également un outil d’analyse utile
en matière de stratégie, quoiqu'il soit biaisé par ses réformes incessantes.
Les DIM peuvent ainsi travailler de manière fructueuse avec les Directions des établissements, afin d’élaborer sur des critères objectifs, les actions de réorganisation ou de restructuration hospitalières et inter-hospitalières.

Depuis une vingtaine d’années, les ARH puis les ARS avaient pris l’initiative de faciliter la tâche des DIM en leur adressant chaque année l’ensemble des Résumés Standardisés Anonymes de leur région. Il s’agissait d’une base de données très intéressante pour comparer l’activité des établissements, évaluer leurs points forts et leurs faiblesses en termes d’activité, et mesurer leurs zones d’attractivité respectives.

Or l’incroyable écheveau légal qui vaut aujourd’hui aux donnés de santé d’être hyper-centralisées à l’échelon national, interdit désormais aux établissements et donc aux GHT tout neufs, de pouvoir traiter directement celles qui leur seraient utiles. Au motif que ces résumés de séjours anonymes n’empêchent pas la possibilité de “ré-identification des patients”, les médecins responsables de DIM s’en sont vus brutalement privés !


Ainsi le Pouvoir s’arroge le droit de constituer un serveur colossal en garantissant qu’il n’y a aucun risque d’atteinte à la confidentialité, et dans le même temps dénie aux acteurs de terrain, dont c’est la mission, le droit de traiter à leur échelle ces mêmes données ! Cela ne manque assurément pas de sel. Ubu n’aurait sans doute pas désavoué...

Lorsqu’on les interroge sur les raisons de ces contradictions, les Pouvoirs Publics restent évasifs en renvoyant sur le magmatique SNDS, ou plus généralement opposent une fin de non recevoir.
A ce jour en effet, ni la Direction Générale de l'Offre de Soins (DGOS), ni le ministère, ni même le Médiateur de la République, n’ont pris en considération la pétition adressée de toute la France par 218 médecins et techniciens de l'information médicale suppliant de desserrer ce carcan…



LOI n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires

LOI n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (1), JORF du 27/01/2016.

Décret n° 2016-1871 du 26 décembre 2016 relatif au traitement de données à caractère personnel dénommé « système national des données de santé »
 
Système National des Données de Santé (SNDS). Jean-Christophe André pour le Cabinet Deprez Guignot Associés 23/03/16

06 mars 2017

Bach et le Tao


Il est peu d’émotions artistiques qui côtoient les sommets que permet d’atteindre la musique de Johann Sebastian Bach. A la vérité, c’est une telle merveille qu’elle n’a pas d’égal...

Parmi la profusion de ses œuvres, toutes plus enchanteresses les unes que les autres, celles pour clavier seul offrent une évidence et une pureté absolument bouleversantes.

Depuis qu’à la suite de Glenn Gould revisitant les Variations Goldberg, certains artistes se sont risqués à interpréter au piano ces oeuvres, originellement destinées au clavecin. Elles s’en sont trouvées magnifiées.


Je croyais difficile de trouver encore des interprètes apportant une touche d’originalité à l’interprétation des chefs d’œuvres que j’affectionne tant : Goldberg naturellement, mais également Clavier Bien Tempéré, Partitas, Suites Françaises, Suites Anglaises, Inventions à deux voix et Sinfonias…

Pourtant, par le plus grand des hasards, je tombai il y a quelques jours sur une version du Clavier Bien Tempéré par une pianiste chinoise à laquelle je n’avais pas prêté attention jusqu’alors : Zhu Xiao-Mei. Touché par la grâce de son jeu, j’essayai d’en savoir plus et découvris bientôt l’étonnant destin de cette pianiste, native de Shangai en 1949.


Des fées, ou bien des Muses, s’étaient manifestement penchées sur son berceau. Née dans une famille musicienne, elle manifesta très tôt des dispositions exceptionnelles, qui lui permirent de se produire en concert dès l’âge de 8 ans.
Hélas pour elle, dans le même temps son pays bascula dans le communisme et sous la férule de Mao, tous les intellectuels, tous les artistes devinrent suspects par nature, de porter la contre-révolution. Le seul fait de jouer de la musique occidentale et d’avoir des parents cultivés, lui valut d’être déportée en Mongolie et enfermée dans un camp de rééducation par le travail durant cinq ans. Dans cette geôle, elle dut subir quantité de privations et dut à longueur de journées entendre et répéter les absurdités du socialisme fanatique, allant jusqu’à devoir renier ses propres parents.

Cette cruelle et débilitante séquestration non seulement n’aliéna pas sa raison, mais ne fit que renforcer sa passion. Durant ces années terribles, elle put continuer grâce à quelques complicités, à jouer clandestinement du piano et conçut une vraie dévotion pour la musique de Bach qui l’aida à sublimer cette épreuve.


Ayant survécu à l'enfer, elle parvint à s’exiler aux Etats-Unis en 1980, quatre ans après la mort du tyran, alors que le pays commençait tout juste à s’ouvrir un peu au monde et à la liberté.

Après quelques années passées outre atlantique, elle finit par choisir la France comme nouvelle patrie, où elle réside depuis plus de 30 ans, tout en menant une carrière internationale modeste mais magnifique. Elle retourna en Chine où elle souleva l’enthousiasme d’un public étonnamment jeune, contrairement à ce qu’elle voit en Occident dans les salles de concerts, pluôt peuplées de seniors.


Zhu Xiao-Mei raconte cette épopée peu banale dans un livre (La Rivière et son Secret) et une émission qui lui a été consacrée sur Arte. Elle a gardé de ses origines l’essentiel de ce qui fait l’esprit d’Extrême Orient : élégance distanciée, discrétion, humilité et grande élévation d’âme. C’est sans doute ce qui la rapproche de Bach. Le fait est qu’elle a parfaitement assimilé toutes les subtilités de sa musique. Elle en a pénétré la profondeur sublime, comme en témoigne les lumineuses versions de toutes les partitions qu’elle grava sur CD, jusqu’à l’Art de la Fugue, dont la polyphonie est si complexe à exprimer, et si étrangère a priori à la musique chinoise.
Un des temps forts de son existence fut le concert qu’elle donna en 2014 à Leipzig dans l’église Saint-Thomas, là même où le grand homme repose. Elle y interpréta ses chères Variations Goldberg, qu’elle conçoit comme l’expression d’un message proche de celui du Tao Te King.


On sait combien Bach était empreint d'une foi intense, et comme sa musique s’en ressent, mais on peut parfois s’interroger sur l’idée qu’il avait de Dieu. Selon Zhu Xiao-Mei, comme elle le confie avec humour, il n’y a pas de doute, s’il était chrétien, il n’en était pas moins bouddhiste…

Il est vrai que le livre de la Voie et de la Vertu de Lao Tseu pourrait si bien se marier, sur les cimes de l’entendement humain, avec le flux indicible et indéfini de la musique de Bach… 

Quel bonheur de voir à cette altitude les cultures se rejoindre, et tendre vers un langage universel !