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09 novembre 2016

Turner en pleine lumière

La grâce artistique prend parfois des détours inattendus ou improbables pour s’exprimer. De la plus épaisse vulgarité naît parfois le talent, et de la trivialité la plus ordinaire s’élève parfois l’inspiration dans ce qu’elle a de plus ineffable.


Ainsi, au travers d’un film du cinéaste Mike Leigh retraçant la vie de Joseph Mallord William Turner (1775-1851), on peut découvrir derrière le fameux peintre britannique un personnage étonnant, fait de rudesse et d’âpre rusticité, peu gâté physiquement par la nature, sans allure, petit, bedonnant, le cou gras, la bouche lippue.
Et bien, c’est cet homme sans panache, d’humeur souvent chafouine, qui fut l’auteur de toiles, aux perspectives vastes et vaporeuses, inondées d’une lumière extatique noyant comme une pluie dorée les horizons évanescents.


Ce bonhomme à la face de gargouille comme il le disait lui-même, cette silhouette de péquenot parcourant infatigablement et par tous les temps, tel un géomètre, les paysages d’Europe, avec sa besace remplie de carnets de dessins, c’est ce bonhomme bien banal qui produisit une oeuvre comptant plus de 20.000 pièces dont on dit qu’elles ont ouvert la porte à toutes les folies impressionnistes, expressionnistes, symbolistes et autres abstractions lyriques qui constituent la peinture moderne !

Le personnage, tel qu’il apparaît au cinéma, n’est pas sans rappeler celui de Mozart vu par Milos Forman dans son film Amadeus, où il invitait le spectateur à se pencher sur le mystère de la création, en montrant un artiste déconcertant de paradoxes, grossier dans ses manières et si inspiré, si élevé dans sa musique.

On ne peut s’empêcher d’éprouver une étrange sympathie pour ces êtres dont le génie paraît par moments si vulgaire et par d’autres si coruscant. Ils vous touchent par leur simplicité, si proche de celle du commun des mortels, et vous fascinent par leur art tellement inaccessible.



Pour illustrer cette mystérieuse aporie, rien ne vaut dans le film sur Mr. Turner, ces scènes montrant les amateurs et éventuels acheteurs, venus rendre visite au peintre, lorsqu’ils passent émerveillés, de l’intérieur plutôt modeste et sombre de sa maison, à la clarté éblouissante de la salle dans laquelle il exposait ses oeuvres, sous une verrière laissant entrer à pleins flots la lumière à travers un dais de tissu tendu. On passe littéralement de la pénombre à la clarté. Tout à coup la misère du quotidien s’illumine, et tout devient subitement incandescent.


Pour comprendre la fulgurance du génie, on ne peut oublier non plus l’épisode de l’exposition à la Royal Academy, lorsque Turner humilia gentiment Constable, dont les hasards de l’exposition avaient placé un tableau à côté du sien. Voyant ce dernier peaufiner un magnifique paysage en rehaussant de touches carminées quelques détails du premier plan, voici Turner qui se met à barbouiller le sien, un marine élégant, en écrasant au beau milieu de la mer une grosse tache de peinture rouge vif.

  Étonnement si ce n’est stupéfaction des visiteurs devant un tel gâchis apparent, puis exclamations d’admiration lorsque après s’être absenté un instant, le peintre revient et transforme habilement avec ses ongles et son mouchoir, la tache en une bouée rouge, donnant un contraste inattendu et saisissant à la scène…



C’est cela Turner, une maîtrise extraordinaire pour donner consistance aux formes, pour suggérer sans avoir besoin de préciser, et pour faire vibrer la lumière comme jamais on ne le fit avant lui.
On dit que ses derniers mots furent pour évoquer le lien par lequel le soleil confine au divin : "The Sun is God." Tout est dit...