29 juin 2018

Goodbye Blue-Eyed Afro-Pop

Alors que le désolant et tragique spectacle de la crise migratoire déchire nos peuples en perte de repères, Geoffrey Oryema (1953-2018) s’est éteint presque sans bruit au bord de l’Atlantique, dans le port de Lorient, loin, très loin du pays de ses aïeux...

Il était lui-même arrivé en qualité de migrant il y a 40 ans, échappé d’Ouganda où sévissait l’affreux Idi Amin Dada. Son père avait été un dignitaire du régime, mais tout ministre qu’il fut, il périt assassiné.
Après un périple éprouvant commencé dans le coffre d’une voiture, Geoffrey débarqua en France en 1977, et son allure de bon grand géant débonnaire, ses manières affables et sa discrétion lui valurent de pouvoir se fondre dans la foule parisienne. Après quelques années il devint citoyen de la petite ville de Lillebonne comme s’il y avait toujours vécu. Ses talents de poète et de musicien dépassèrent toutefois la cité normande, et grâce à l’initiative conjointe de Brian Eno et de Peter Gabriel, anciens du groupe Genesis, il put faire un premier disque en 1990, sous le sceau “des musiques du Monde”.

Quel choc ce fut ! Une voix d’une douceur irénique, des mélodies poignantes, mêlant au parfum de la savane, l’extase brûlée du soleil africain et un assaisonnement de rythmiques tribales sur fond de guitare occidentale aux tonalités pop. Tout cela au service de textes empreints de rêve, de nostalgie et de tendre désespoir. Au total, quelque chose de planant et de tellurique à la fois...
Ses chants s’élevaient tantôt dans les dialectes de son pays de naissance, swahili ou acholi, tantôt en anglais, et tantôt en français qui devint peu à peu sa langue d’adoption. A côté de la rengaine entêtante Ye Ye Ye, s’accrochaient également aux oreilles de manière indélébile, les merveilleux Land of Anaka évoquant son pays d’origine, Solitude, dédié à sa mère, sans oublier le point d’orgue de ce premier album au titre suggestif : Exile...

Etait-ce la couleur naturelle de ses yeux peu importe, le bleu aérien de son regard illuminant son visage d’ébène avait quelque chose de troublant et incarnait à merveille cette musique à nulle autre pareille, montant de la terre pour s’élever au ciel.
Après six disques, l’oeuvre de Geoffrey Oryema reste confidentielle, intime et humble mais elle est toujours source de ravissement pour ses amateurs, et elle résume l’histoire d’une expatriation réussie, quoique non dénuée d’un spleen incurable…

27 juin 2018

Cordes sensibles et larmes de croco

Après des années d’incubation sourde, la crise migratoire éclate brutalement sur le monde. 
Mais de quoi est-elle la manifestation ? S’agit-il de la reviviscence d’une nécessité inhérente au genre humain ? D’un phénomène temporaire explicable par une conjoncture défavorable mais passagère ? d’une nouvelle menace pesant sur la paix des nations ? Qui peut vraiment répondre ? Et qui peut se réclamer d’une éthique supérieure selon laquelle son opinion doive s’imposer à toutes les autres ?
S’agissant des causes poussant les gens à quitter massivement leur pays, tout s’emmêle. Populations chassées par les guerres, mouvements de fuite face aux persécutions, transhumance économique de malheureux cherchant la prospérité, migrations climatiques, il y a mille raisons à ces grands déplacements.

Ici comme dans quantité de problèmes de société, la subjectivité règne, et les principes qu’on se jette à la figure s’affrontent en pure perte.
Il y a les tenants d’une conception généreuse, ceux qui prétendent avoir le coeur sur la main et qui voudraient accueillir le monde entier dans leurs bras, sans souci du lendemain. Il y a ceux qui au nom de la raison plaident au contraire pour une régulation, une “immigration choisie”. Et derrière tout ça il y a de vieux relents xénophobes et ceux qui se délectent des controverses médiatiques et qui les attisent de manière diabolique.
Paradoxalement, les partisans de la plus large permissivité sont ceux-là mêmes qui décrient à longueur de journées la migration fiscale et la libre circulation des capitaux et de l’argent. A l’inverse, les libéraux craignent de voir s’installer une anarchie migratoire et réclament une régulation.

Les Pouvoirs Publics quant à eux sont complètement dépassés. l’Europe sans dessein, sans destin, sans citoyenneté, sans frontières est particulièrement désemparée, et fait étalage de divisions de plus en plus profondes. Longtemps nombre dirigeants se sont désintéressés du sujet, quant ils n’ont pas encouragé l’arrivée d’étrangers par une politique sociale chimérique, dissimulant de sordides considérations électoralistes et en arrière plan, le projet très trivial de pourvoir les emplois non qualifiés dont les citoyens ne voulaient plus, en partie du fait de ces mêmes largesses sociales…
Résultat, à force de sous-estimer le problème, voire parfois de le nier, les gouvernants ont instillé les ferments de radicalisation. Celle-ci monte régulièrement, touchant à la fois les migrants, chez qui rien n’a été fait pour susciter le désir d’intégration, mais aussi dans les populations autochtones vivant de plus en mal la promiscuité née de communautarismes débridés.

Il est bien tard pour agir désormais. L’idéologie dominante verrouille désespérément le débat et il est impossible de sortir des idées reçues sous peine de passer pour un dangereux fasciste. La reductio ad hitlerum n’est jamais loin…
Il en est ainsi des bêtes noires qui osent proposer une politique empreinte de fermeté. Ils passent pour des gens horribles, qualifiés de dictateurs en puissance ou d’imbéciles sans conscience ni morale et l’on n’hésite pas à faire couler sur leurs prétendus forfaits des larmes de crocodiles, quitte à travestir la réalité et à fabriquer des drames imaginaires. Dans ce contexte la manipulation racoleuse dont s’est rendu coupable le magazine TIME fut particulièrement odieuse.
Les autorités religieuses quant à elles se montrent soit sectaires soit angéliques, mais jamais réalistes. Leur intolérance bornée ou au contraire leurs bonnes intentions, semblent devoir se rejoindre dans un même enfer...
Comment sortir par le haut de cette tragique impasse au sein de laquelle les mentalités s’exacerbent et les outrances fusent ? C’est l’unique question, qu’il faudra bien trancher sous peine de dériver vers la paupérisation générale et des désordres civils grandissants...

20 juin 2018

Et après ?

La spectaculaire rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-Un est-elle davantage qu’un acte de communication bien orchestré mais sans lendemain ?
Le Président américain est l’objet de tant de critiques et d’insultes que les commentateurs se sont trouvés un peu interloqués par cette initiative à laquelle personne ne croyait vraiment. Doit-on la porter à son crédit, ou bien n'est-ce qu’un acte d’esbroufe ? S’agit-il d’une réelle avancée vers la paix menant à un possible désarmement de ce petit potentat oriental, un des rares vestiges encore vivant du communisme le plus pur dans sa forme autochtone dite "Juche" ?

Ce régime est atroce, une vraie honte pour la Communauté internationale qui l’a laissé impunément pérenniser sa dictature depuis les années cinquante. Le jeune tyranneau ne porte pas à lui seul toutes les turpitudes de la dynastie dont il est l’héritier, mais ses faits et gestes, tels qu'ils sont relatés, ne le rendent pas des plus sympathiques. 

On ne sait pas grand chose de ce qui se passe réellement là bas et rien ou presque des intentions réelles de M. Kim. Maintenant qu’il est parvenu à doter son pays de l’arme nucléaire, il est peu probable qu’il accepte de s’en séparer avant longtemps. Il s’agit d'une sorte de viatique... Après avoir montré sa force, il a en revanche tout intérêt à se montrer plus conciliant, ne serait-ce que pour obtenir quelques aides financières, voire conclure quelques contrats avec le monde qui l’entoure.
La Corée du Nord recèle nombre de matières premières dont elle ne peut à ce jour faire commerce qu’avec son géant de voisin la Chine.

Quel rôle ont joué les dirigeants de cette dernière ? Y a-t-il eu des tractations entre Washington et Pékin, quant à l’avenir de la Corée du Nord ?
Il y a beaucoup de mystère autour des négociations qui ont sous-tendu la désormais historique poignée de main de Singapour.
M. Trump a hérité d’une situation quasi inextricable et après avoir lui aussi joué les gros bras, a choisi la voie d’une conciliation qui peut sembler hasardeuse.
Un fait est sûr, il n’y a pas grand chose à perdre à opter pour cette solution. S’il est inimaginable d’envisager ex abrupto une action militaire contre la Corée du Nord, il paraît également peu probable que celle-ci se lance dans une guerre contre son frère ennemi du sud. Le dialogue est peut-être le prélude à l'ouverture, qui sait ?

Il est bien difficile de prévoir jusqu’où peut aller ce réchauffement climatique plutôt bienvenu. Kim Jong-Un pourrait-il faire figure de Gorbatchev “du matin calme” ? C’est bien peu probable et la réunification à laquelle tout le monde pense, ne pourrait passer que par une transition démocratique, ce qui supposerait que soit ouverte une porte de sortie acceptable pour toute la Nomenklatura au pouvoir à Pyongyang. Pourraient-ils s'y résoudre ? Rien n'est moins sûr...
En attendant ce futur désirable mais plus qu’incertain, fasse le ciel que la situation des Nord-Coréens devienne un peu plus confortable. Totalement privés de liberté, ces pauvres gens assujettis à un socialisme intransigeant, ont une différence de niveau de vie avec leurs compatriotes capitalistes du Sud de 1 pour 15 si l’on est très optimiste et de 1 sur 40 si on l’est moins (LCI)...

09 juin 2018

Histoire d'entendement

Etienne Klein n’a pas son pareil pour raconter des histoires de science. De sa voix grave et suave, il égrène et décortique avec talent et avec des mots simples les concepts les plus ardus, les paradoxes les plus troublants dans lesquels les savants se perdent habituellement en équations et conjectures.
Parmi ses domaines de prédilection figurent le temps, la relativité, la mécanique quantique. Il aime à nous amener au-delà des apparences et il nous invite à ne pas nous fier à ce qui paraît évident, à la simple observation du monde qui nous entoure. De ce point de vue il se pose en héritier des Lumières.
Pourtant, il lui arrive de succomber parfois aux travers contre lesquels il nous met en garde...

Lors d'une de ses très nombreuses interventions, qu’on peut trouver facilement sur internet, il a repris l’aphorisme de Kant nous invitant à réfléchir par nous-mêmes : « Aie le courage d’utiliser ton propre entendement »
Le problème est qu’il appuie son propos sur un exemple éminement discutable.
Prenant la thématique on ne peut plus éculée du changement climatique, il relate un sondage auquel auraient été soumis les membres du Congrès américain, en analysant la réponse des élus à deux questions des plus triviales.
La première : « selon vous y a-t-il un changement climatique », à laquelle la majorité des personnes a répondu « oui »
La seconde : « L’homme joue-t-il un rôle dans ce changement ?» à laquelle à l’inverse, la même majorité a répondu « non ».

Etienne Klein suggère qu’il y a une incohérence manifeste entre les deux réponses.
Il se moque même de l’argumentation du sénateur interrogé sur CNN, qui explique qu’il y a un changement parce que « le climat a toujours été changeant » et qu’attribuer ces variations à l’homme serait « faire preuve de beaucoup d’arrogance ».
Il termine sa digression en prenant la défense du président Obama alors en exercice, dont certains déploraient alors l’impuissance sur le sujet de l’écologie. M. Klein lui accorde au moins des circonstances atténuantes en lâchant dépité : « il faut voir ce qu’il a en face... »

Il y a me semble-t-il dans cette démonstration, « matière à contredire » pour paraphraser le titre d’un de ses ouvrages.
Première imprécision, Etienne Klein qualifie les élus interrogés de « sénateurs » alors qu’il n’en sait rien puisqu’il nous a parlé au départ du Congrès, qui regroupe certes des sénateurs mais également des élus à la Chambre des Représentants (ceux-ci étant d’ailleurs plus nombreux que ceux-là). Il cite l’opinion du « sénateur Jim Hall », mais sauf erreur, je ne suis parvenu à le trouver ni au Sénat ni à la Chambre des Représentants…
Une personne de ce nom est certes liée aux problèmes climatiques, mais il s’agit d’un professeur à l’Université d’Oxford et ses analyses sont beaucoup plus étayées et nuancées que ce que M. Klein nous en dit...

Seconde faille, il ne fait aucune analyse critique du questionnaire, qui s’avère des plus lapidaires et très manichéen : deux questions seulement auxquelles il fallait répondre par oui ou par non !
Il ne se demande d'ailleurs pas au passage s'il est raisonnable d'espérer faire surgir  des vérités scientifiques de sondages d'opinions...

Il ne s'interroge pas enfin sur la neutralité de l’enchaînement des deux propositions, et sur la conclusion qu’on est en droit d’en attendre. Le moins qu’on puisse dire est que l’ensemble paraît quelque peu téléguidé…

Il est en effet impossible de répondre non à la première question. On connaît le caractère aléatoire des prévisions météorologiques à quelques jours, comment pourrait-on affirmer la stabilité du climat sur le long terme ?
La seconde question est dès lors cousue de fil blanc. Dans le contexte du battage médiatique qui fait rage autour du réchauffement climatique, comment répondre « non » sans risquer de passer pour un dangereux provocateur ou bien pour  quelqu’un d’inconséquent ? C’est quasi impossible d’autant que le choix est étroitement fermé. Il est interdit de facto de répondre « qu’on n’en sait rien », ou de dire « un peu » ou « peut-être » … De toute manière, qu’on réponde oui ou non, la conclusion logique serait de poser une troisième question du style « Et alors ? », ce qui n’amènerait pas à autre chose, si l’on suit le raisonnement de M. Klein, que de trier les personnes comme le bon grain de l’ivraie..
On pourrait aussi se poser d'autres questions. S'il est vrai qu'il y a un changement climatique et que l'homme en est responsable au moins en partie, peut-on vraiment inverser la tendance ? Si oui, comment, et avec quelles conséquences prévisibles ? Est-il prouvé que le bilan du "global warming" est globalement négatif pour la planète, pour parler comme feu George Marchais...

Enfin, s’agissant du président Obama, le sémillant philosophe-physicien néglige le fait qu’à côté de ses belles paroles et de vertueux décrets protégeant quelques sites touristiques, il a autorisé et encouragé l’exploitation à grande échelle du gaz de schiste, faisant en la matière des Etats-Unis le plus gros producteur mondial et lui donnant l’auto-suffisance en matière de produits pétroliers.

En fin de compte l’exemple donné par Etienne Klein pour montrer l’importance de penser par soi-même peut-être complètement retourné. On peut légitimement poser que le physicien a fait passer beaucoup de subjectivité avant l’objectivité, et constater qu’il s’est laissé emporter avec armes et bagages rhétoriques dans le mainstream du conformisme et des idées reçues.
Dommage car la confiance en son jugement est nécessairement entamée…
Cela n’empêche naturellement pas de penser qu’il a raison lorsqu’il affirme que « la Terre est ronde » et que « l’atome existe »...