29 mai 2016

Petit traité libéral

Rafraîchissante lecture, pour les gens épris de liberté, que celle du fameux discours tenu il y quelques 200 ans par Benjamin Constant (1767-1830) à l’Athénée royal de Paris, et que la Maison Berg International a réédité sous forme d’un petit livre à la portée de toutes les bourses !

Comparant à cette occasion, “la liberté des Anciens à celle des Modernes”, il livra un véritable petit traité de libéralisme, démontrant une fois encore le rôle éminent des penseurs français dans l’édification de cette philosophie, que l’on voit de nos jours malheureusement foulée aux pieds, autant par imbécillité que par ignorance.

Constant remonte à la source vivifiante de la Grèce antique. Mais s’il objective tout ce que nous devons à cette première expérience démocratique, il s’attache également à montrer les lacunes du modèle originel, en pointant les différences qui le séparent d'une conception plus moderne dont il se fait l'avocat.

En premier lieu, il rappelle que “La liberté des Anciens consistait à exercer directement, mais de manière collective, plusieurs parties de la souveraineté toute entière, à délibérer sur la place publique, de la guerre et de la paix, à conclure avec les étrangers des traités d’alliance, à voter les lois, à prononcer des jugements…”
Cette participation active et constante aux grandes décisions, séduisante au premier abord, comportait un revers plutôt contraignant, puisqu’elle impliquait un asservissement de l’existence individuelle au corps collectif. En effet, “les Anciens n’avaient aucune notion des droits individuels et les hommes n’étaient pour ainsi dire que des machines dont la loi réglait les ressorts et dirigeait les rouages.”
Entre autres exemples, “la faculté de choisir son culte que nous regardons comme l’un de nos droits les plus précieux, aurait paru aux anciens un crime et un sacrilège...”


Sparte était l’archétype de cette organisation extrêmement encadrée, dont la conséquence principale était une discipline aride à l’intérieur de la nation, et la menée de guerres incessantes à l’extérieur, car : “ceux qui ne voulaient pas être conquérants ne pouvaient déposer les armes sous peine d’être conquis.”

Benjamin Constant nuance quelque peu cette description en évoquant la démocratie athénienne, qui introduisit un peu plus de souplesse, grâce au développement du commerce.

A cet égard, il souligne que dans l’histoire de l’humanité, si la guerre est antérieure au commerce, il ne s'agit en définitive que deux moyens différents d’atteindre le même but, celui de posséder ce que l’on désire. La guerre le permet par la force, tandis que le commerce le fait par l’échange.
De ce point de vue, comme l'avait déjà fait remarquer Montesquieu, le commerce apaise les moeurs, et affranchit également les individus, car "en créant le crédit, il rend l’autorité dépendante". Au bout du compte, si l’argent peut sembler l’arme la plus dangereuse du despotisme, c’est en même temps son frein le plus puissant...


Pour Constant, il est ainsi clair que le rayonnement d’Athènes, sa prospérité, mais aussi son essor culturel et spirituel, furent grandement favorisés par les échanges commerciaux qui se développèrent intensément à l’époque. Ce fut aussi l’occasion de voir s’ouvrir la notion de liberté à l’individu, la liberté devenant peu à peu “pour chacun, le droit de dire son opinion, de choisir son industrie, et de l’exercer, de disposer de sa propriété, d’en abuser même…”

En peu de mots, voilà fondé le libéralisme moderne, dont Benjamin Constant fut l’ardent défenseur, contre certains partisans du retour au collectivisme incarné par Sparte. Il évoque à cet égard avec un ton acerbe  les idéologues qui firent le lit de la Révolution Française, notamment Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), “ce génie sublime qu’animait l’amour le plus pur de la liberté”, mais qui “en transportant dans nos temps modernes une étendue de pouvoir social, de souveraineté collective qui appartenait à d’autres siècles, a fourni néanmoins de funestes prétextes à plus d’un genre de tyrannie.”
Il invoque de même l’abbé Mably (1709-1785), qui à l’instar de nos socialistes contemporains, Mélenchon en tête, et conformément aux maximes spartiates, voulait “que les citoyens soient complètement assujettis pour que la nation soit souveraine, et que l’individu soit esclave pour que le peuple soit libre.” Admirateur de la rigueur spartiate, il n’avait que mépris pour Athènes où sévissait selon lui “un épouvantable despotisme”, au motif que “tout le monde y fait ce qu’il veut...” Comment ne pas penser aux nostalgiques du Communisme lorsqu’ils vitupèrent contre l’enfer représenté selon eux par l’Amérique...

Benjamin Constant définit donc, en s’appuyant sur les acquis du modèle athénien, et en rejetant les excès de Sparte, les bases d’un nouveau paradigme démocratique, dans lequel selon lui, “nul n’a le droit d’arracher le citoyen à sa patrie, le propriétaire à ses biens, le négociant à son commerce, l’époux à son épouse, le père à ses enfants, l’écrivain à ses méditations studieuses, le vieillard à ses habitudes…”
Il souligne l’importance de l’initiative individuelle car, “toutes les fois que les gouvernements prétendent faire nos affaires, ils les font plus mal et plus dispendieusement que nous.”
Sur l’éducation, il souhaite pareillement minimiser le rôle de l’Etat, s’opposant avec force à la prétendue nécessité “de permettre que le gouvernement s’empare des générations naissantes pour les façonner à son gré...” A ses yeux, “l’autorité de l’Etat n’a de légitimité que pour garantir la mise en oeuvre des moyens généraux d’instruction, comme les voyageurs acceptent d’elle les grands chemins sans être dirigés par elle dans la route qu’ils veulent suivre.”

Au total, il le dit et le répète, la liberté individuelle, la jouissance paisible de l’indépendance privée, voilà l’essence de la véritable liberté moderne !
Il attire cependant l’attention sur un danger, consubstantiel à la liberté moderne : “c’est qu’absorbés dans la jouissance de notre indépendance privée, et dans la poursuite de nos intérêts particuliers, nous ne renoncions trop facilement à notre droit de partage dans le pouvoir politique..”
Pour palier le fait que “perdu dans la multitude, l’individu n’aperçoit presque jamais l’influence qu’il exerce”, un système représentatif s’avère donc nécessaire, par lequel “une nation se décharge sur quelques individus de ce qu’elle ne peut ou ne veut pas faire elle-même.”

La démocratie participative “à l’ancienne” tombe de facto en désuétude au profit du système parlementaire dans lequel les citoyens exercent une surveillance active et constante de leurs élus et se réservent, "à des époques qui ne soient pas séparées par de trop grands intervalles, le droit de les écarter s’ils ont trompé leur voeux et de révoquer les pouvoirs dont ils auraient abusé..."
Ainsi, après John Locke, Benjamin Constant plaide pour un nouveau Contrat Social démocratique. Et avant Tocqueville, il voit le danger de l’Etat Providence par lequel les dépositaires de l’autorité ne manquent pas de nous exhorter à leur abandonner notre pouvoir : “Ils sont si disposés à nous épargner toute espèce de peine, excepté celle d’obéir et de payer !”


De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (1819). Berg International 2014

28 mai 2016

Pouvoir de nuisance

L’épreuve de force à laquelle on assiste entre les syndicats et le gouvernement constitue une sorte d’apothéose dans la lente décomposition de notre pays. A chaque fois, on espère que ce genre de manifestation soit le signe désespéré de la défaite proche de la pensée gauchie, qui a fait tant de mal depuis tant de décennies…
Hélas, le blocage organisé de tout ce qui fait la vie quotidienne de la nation par une poignée de jusqu’au-boutistes revanchards est d’une navrante banalité.
Et en France, point n’est besoin d’être représentatif d’une majorité de la population, ni même d’avoir une quelconque légitimité pour mettre en oeuvre ce pouvoir de nuisance. Il suffit de quelques excités bien placés, pour prendre en otage, tout un pays en toute impunité !

L’arrogance et les excès qui caractérisent le discours et les actions de ces soi-disant rebelles confine au fanatisme. La violence inouïe que l’on constate dans le sillage de ces mouvements de contestation fait froid dans le dos. Jusqu’où montera-t-elle, encouragée par l’inertie apparente des forces de l’ordre et la complaisance de la justice et des médias ? C’est la question qui taraude désormais tous ceux qui sont attachés au principe de démocratie libérale et qui voient avec effarement s'abîmer peu à peu ce modèle si mal défendu par des gouvernants incapables, et auquel un peuple anesthésié par ce pouvoir démagogique semble en définitive si peu attaché.

Les sondages indiquent qu’une majorité de Français seraient opposés à la loi El Khomri. Mais derrière ces chiffres, comment faire la part de ceux qui le sont par pure idéologie d’extrême-gauche, de ceux qui expriment leur opposition à la politique incohérente du Président de la République, de ceux qui sont las des troubles incessants dans lesquels est plongé le pays, et de ceux enfin qui refusent ce texte parce qu’il ne va pas assez loin en matière de libéralisation ?

Mais tout va bien pour les satrapes de l’Etat. Pendant que le pays se déchire, madame El Khomri, ministre de son état, et auteur du projet de loi si décrié, ne trouve rien de mieux que de participer très détendue, à un aimable talk show télévisé, ou entre autres niaiseries, elle est amenée par les journalistes à commenter les dernières déclarations ineptes d’un footballeur aussi poilu qu’idiot, sur la sélection de l’équipe de France pour l’Euro 2016. La bouffonnerie n’a pas duré longtemps. Une horde de manifestants agressifs encerclant tout à coup bruyamment le studio, la séance est interrompue illico et la ministre doit être exfiltrée précipitamment...
Rappelons qu’elle était elle-même dans la rue il y a dix ans à peine pour manifester contre une loi similaire à la sienne, défendue par le gouvernement Villepin, dont elle a reconnu qu’elle ignorait à l’époque la teneur !
C'est dire qu'aujourd'hui sa loi, faite de bouts de ficelle, sans queue ni tête, sans conviction, sans perspective, n'a pas grand sens... Il n'est pas étonnant qu'elle ne plaise à personne.
M. Hollande quant à lui, fait le pitre au Japon, se répandant en petites blagues sur l’amélioration de la situation générale...

21 mai 2016

Ça va beaucoup mieux

Pour les amateurs de festivals pyrotechniques, le spectacle depuis quelque temps est dans la rue !
Les voitures brûlent, y compris celles de la police; un peu partout les vitrines des banques et des magasins volent en éclats; les places publiques sont occupées jour et nuit par des hordes barbares où des idéologues à deux balles, ivres d’une hypothétique revanche néo-bolchévique, côtoient les casseurs nihilistes dopés à la bière.
Grèves, dégradations et sabotages sévissent de manière endémique, pendant que dans l’ombre, les terroristes du Jihad ourdissent les plans de leurs prochains massacres.

La France expose au regard du monde ses guérillas urbaines, ses blocages, ses conflits et sa mortelle inertie, tandis que s'étalent les déchirements sordides et les turpitudes discréditant la bande de pieds nickelés qui font office de gouvernants ...

Pourtant, cette flambée insensée de violences qui traverse le pays au gré de sinistres feux d’artifices, ne semble pas vraiment émouvoir les foules. Il faut croire que le peuple s’habitue peu à peu à ces folies répétitives.

Les Pouvoirs Publics ne sont guère plus bouleversés et le Président de la République regarde ces désordres avec indifférence. Il continue comme si de rien n’était, à promener sa bouille satisfaite, en clamant que les choses vont de mieux en mieux, trafiquant sans vergogne à son avantage, les chiffres calamiteux de l'économie et du chômage ! Il est vrai que pas grand monde non plus ne prête attention à cette comédie pré-électorale grotesque. Opéra bouffe surréaliste.

Qu’adviendra-t-il dans un an tout juste, lors de l’élection présidentielle, nul ne saurait le dire, dans cette atmosphère insurrectionnelle. La France est à feu et à sang au motif d’une loi creuse, dont il ne reste à peu près rien, après les multiples amendements et révisions qui l’ont vidée de sa substance, déjà maigre originellement.

Malgré cela, il a fallu en passer par la fameuse procédure du 49.3 pour la promulguer, car en fait de majorité à l’Assemblée Nationale, le gouvernement ne trouve qu’un champ de ruines. Il en est le premier fautif à cause de ses tergiversations, ses contradictions et ses reculades. A cause également de son incompétence qui devient de plus en plus criante. Bien que la Gauche n’ait rien perdu de son arrogance, elle est la proie de convulsions qui la fracassent chaque jour davantage. Le drapeau rouge du socialisme n’est plus qu’un torchon usé s’effilochant au gré des incohérences et des archaïsmes avec lesquels il fut tissé envers et contre tout bon sens.

L’anti-capitalisme n’est qu’un spectre en voie de décomposition. L’antifascisme quant à lui sombre dans l'indécence, avec l’affaire dite Black M où l’on voit une obscure ministre de la culture se plaindre du “retour d’un ordre moral nauséabond” à cause de l’annulation d’un concert de rap, qu'un de ses amis avait programmé, dans un moment d'égarement, pour commémorer la bataille de Verdun !

Est-ce enfin la vraie agonie des mythes de la gauche ? Hollande sera-t-il le dernier roitelet décadent incarnant cette doctrine mortifère ? Emènera-t-il avec lui dans sa déchéance toute la clique disparate de courtisans et d’aigris qui gravitent autour de lui ? On n’ose l’espérer. En attendant, on a l’impression que tout peut arriver à tout moment. Il suffirait d’une étincelle pour embraser le paquebot France, qui pour l’heure continue de se paupériser, et qui n’en finit pas de s'abîmer dans les eaux glauques et froides du déclin.

04 mai 2016

Ça va mieux !

Avec son optimisme inoxydable le Président de la République affirmait il y a quelques jours que ça allait mieux en France.

De mieux en mieux en effet ! Dans un pays complètement bloqué (c’est le ministre de l'économie qui l’affirme), en proie à des flambées de violences de plus en plus fréquentes et intolérables (c’est le ministre de l’intérieur qui le déplore), dont bon nombre d’institutions publiques sont en ruine (c’est le ministre de la justice qui en fait le constat), où les inégalités se sont accrues en termes d’éducation (c’est la ministre concernée qui s’en fait l’écho), et dans lequel sévissent des communautarismes sectaires, créant de facto un véritable “apartheid territorial, social, ethnique” (c’est le premier ministre qui s’en émeut).
Ajoutons à ce tableau un chômage endémique, une dette abyssale, probablement insurmontable, une croissance anémique, des impôts confiscatoires, bref, le tableau d’un pays en plein marasme.
Face à ce désastre chronique, un chiffre mensuel relatif aux demandeurs d’emplois, trop beau pour être vrai, et deux ou trois contrats à l’export d’armements lourds, suffisent au chef de l’Etat pour s’auto-féliciter.
Le mois prochain, prenant la France pour une marquise un peu bêtasse, il annoncera sans doute que "Tout va très bien…"

Dans les rues de France, au quotidien c’est la chienlit comme disait de Gaulle. Entre manifestations corporatistes dont l’impact s’avère proportionnel à la capacité de nuisance, et désordres causés par des groupuscules insurrectionnels, c’est un navrant spectacle devant lequel les Pouvoirs Publics démontrent chaque jour un peu plus leur impuissance pour rétablir le calme et la sécurité.
La haine et l’intolérance se répandent un peu partout. Il y a quelques jours à Nantes, entre autres dégradations, des manifestants contre le projet de loi El Khomri incendiaient une Porsche qui avait le malheur de se trouver sur leur chemin. Ils épanchaient ainsi dans un feu d’artifice de bêtise et de méchanceté, leur haine des riches, leur aversion pour les “patrons” ! Tant pis pour le malheureux propriétaire du véhicule, qui n’était semble-t-il, qu’un jeune gars passionné de grosses cylindrées et qui avait mis toutes ses économies pour réaliser son rêve…
Les auteurs de cette infamie étaient-ils plus heureux après cette action ? Imaginent-ils que c’est en multipliant de telles exactions qu’ils vont améliorer leur sort ? Espèrent-ils légitimer leur cause de cette manière ?

Une fois encore les grandes aspirations idéologiques, sous la pression grégaire du groupe, rejoignent la plus abjecte crapulerie. Ces gens n’ont rien appris du passé et Nicolas Sarkozy n’a pas vraiment tort de dire qu’ils se comportent comme s’ils n’avaient rien dans la cervelle. 
Leur ignorance est à la mesure de leur rancoeur. De plus, ils nagent dans les contradictions. Tout en jetant aux orties les symboles de la société capitaliste, ils pillent les magasins pour s’emparer sans vergogne des biens de consommation qui en sont les produits les plus bassement matériels.

On peut se rassurer en se disant qu’il ne s’agit que d’une contestation très minoritaire, que les casseurs ne représentent qu'une petite frange des manifestants. Mais ces dérives n’en sont pas moins inquiétantes et déprimantes. L’Histoire a montré à maintes reprises que ces appels frénétiques au grand Soir et à la Révolution sont susceptibles à tout moment de déboucher sur une spirale insensée que rien ne peut arrêter lorsqu'elle est enclenchée. Comme le souligne Pascal Bruckner* dans son dernier ouvrage : On commence par détruire l’argent et on finit par détruire les hôpitaux, les écoles, les temples, et on rétablit l’esclavage et on traite les hommes en moyens de paiement…”


* Pascal Bruckner. La sagesse de l'argent. 2016 Grasset