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27 octobre 2021

Brassens, l'Homme Tranquille

Georges Brassens
(22/10/1921-29/10/1981) n'aimait pas les cérémonies. Il se trouve qu'en octobre on commémore à la fois le centenaire de sa naissance et les quarante ans de sa disparition.
A défaut de grands hommages, c'est le moment de se souvenir quel genre d'homme il fut et d'évoquer l'héritage qu'il nous a laissé.

Après bien des décennies, sa petite musique a gardé toute sa fraîcheur et ses vers tout leur piquant. Je me souviens pour ma part avoir été pénétré définitivement par ses paroles et ses mélodies depuis le plus jeune âge, lorsque mes parents s’en délectaient au cours des mornes dimanches d’hiver. La voix chaude du chanteur, sa façon de rouler les "r" en les caressant, son accent doucement ensoleillé et ses rythmiques subtilement répétitives avaient quelque chose de rassurant.
Depuis, elles ne m’ont plus jamais quitté, comme faisant partie intrinsèquement de ma vie, et plus encore, du monde.
Au fil des années, j’ai appris à mieux connaître le bonhomme dont la rudesse de bois poli m’enchante. Voilà un homme véritablement à part, une sorte de légende à lui tout seul, si simple en apparence et pourtant unique en son genre, absolument inimitable.
D’aucuns ont cherché à récupérer son style et sa manière de suivre “les chemins qui ne mènent pas à Rome”. Jamais ils n’ont réussi à saisir ce tempérament d’acier bien trempé dans leurs griffes idéologiques. Indépendant des modes et des courants de pensées, il fut et il reste à jamais.
 
L’artiste commença sa carrière dans une bohème proche de la misère. Mais durant les quelque 20 ans qu’il passa impasse Florimont à Paris Quatorzième, de 1944 à 1966, au crochet du couple de bons samaritains, Jeanne et Marcel, la pauvreté fut presque joyeuse. Georges n’avait pour ainsi dire besoin que d'amour et d’eau fraîche et rien ne le préoccupait tant que de faire de bonnes chansons.
Il s’était bien essayé à la littérature, poèmes ou romans, mais, de son propre aveu, il dut en rabattre, se contenant de son “chemin de petit bonhomme”, lorsqu’il comprit qu’il n’avait pas suffisamment de génie pour rivaliser avec Baudelaire ou Victor Hugo.

Il fut un chanteur engagé, c’est un fait certain, mais inclassable politiquement, grâce à Dieu. S’il fut un temps un peu anarchiste, il revint vite vers un pragmatisme plus réaliste et serein, après avoir fait le constat qu’il n'existe "pas de solution collective" aux maux de l’Humanité.
Son caractère le portait à l’individualisme, ce qui le fit paraître à certains un tantinet bourru. Mais au fond de lui, il n’y avait pas une once de méchanceté comme il le chantait. Et comme il n’aimait pas obéir à quiconque et qu’il n’aimait pas davantage commander les autres, il fut naturellement anti-militariste et rétif à tout ce qui représente l’ordre et la discipline. Mais comme beaucoup de ses engagements, cela n’avait de portée qu’individuelle. Derrière le poète se cachait l’homme de bon sens. “Je pourrais”, affirmait-il, “me passer de loi, mais la plupart des gens ont besoin de lois et ce n’est pas demain la veille qu’on pourra s’en passer…”
A propos de sa magnifique Non-Demande en Mariage, il se plaisait à dire que s’il n’était “pas tellement partisan du mariage” à titre personnel, il n’était pas contre dans l’absolu et qu’il n’empêchait nullement les autres de se marier.
S’il n’eut pas d’enfant, c’est sans doute un peu parce que, disait-il, “le monde tel qu’il est ne me convient pas”. Ce fut surtout parce qu’il avait fait le choix exclusif de consacrer sa vie aux chansons et que cela lui prenait tout le temps dont il disposait. Ni épouse ni enfant donc, pour ne pas courir le risque d’être un mauvais mari et un mauvais père.
Pareillement, il affirmait n’avoir jamais pris de position anti-cléricale très nette, en dépit de ce que tout le monde croyait. “Je fais de la propagande de contrebande”, révélait-il malicieusement, ajoutant qu’il ne fallait pas prendre toutes ses paroles pour argent comptant, et que sa timidité et sa modestie le portaient à “dissimuler ses sentiments sous des blagues et des pierres tombales.” Une de ses plus belles chansons est sans doute la Supplique pour être enterré à Sète. Pourtant lors d’une interview, il confia qu’il se foutait pas mal d’être inhumé à cet endroit ou bien ailleurs…

Au bout du compte, le seul vrai souci de Georges Brassens était que les gens prissent un peu de plaisir à écouter et à fredonner ses ritournelles: “si je peux donner quelques instants de bonheur, je n’aurais pas démérité…”
Sur des rythmiques très jazzy, inspirées par la musique qu’il avait au cœur, il inscrivit quelques-uns des plus beaux textes poétiques de la langue française, pleins de jovialité et d’une tendre dérision. Aujourd’hui encore il m’arrive de découvrir des perles à côté desquelles j’étais passé jusqu’alors. L’Orage, interprété par Benjamin Biolay lors d’une récente soirée Brassens, figure parmi celles-ci. Il résume tout le talent de l’artiste pour associer une mélodie accrocheuse, un rythme délicieusement entêtant, sublimé par la contrebasse de Pierre Nicolas. La thématique inusable de l’amour y est traitée sur un ton facétieux, et last but not least, on y trouve à son sommet, l’art de mettre le bon mot sur la bonne note !

S’il faut retenir quelque chose de l’engagement de Brassens, c'est sans doute que “tous les dogmes sont néfastes”, et qu’il faut avant toute chose préserver la liberté. Le plus grave répétait-il, “serait qu’on perde nos libertés individuelles. l’homme est en train de disparaître en tant qu'individu. Tout le monde se ressemble…”