25 octobre 2010

John Mayall, un Croisé du Blues

Côtoyant avec une superbe indifférence le tumulte imbécile qui submerge en ce moment notre pays, le légendaire John Mayall termine tranquillement sa tournée française, avant de continuer son marathon d'automne en Hollande, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre et enfin aux USA, où il gagnera fin novembre, le petit paradis d'Hawaï, pour un repos bien mérité.
Par un magnifique hasard j'ai eu la chance de me trouver sur une des étapes de son chemin.
Le bonhomme est superbe. Ses presque 77 ans n'ont pas l'air de peser sur sa longue silhouette efflanquée, toute simple, qui bondit avec légèreté sur ses baskets. L'homme qui autrefois vivait quasi dans les arbres, n'a pas perdu une once de son charme aristocratique un peu déjanté. La longue chevelure est encore solide, bien serrée dans son catogan, et la petite barbiche en feuille d'artichaut qui s'est frotté à tant d'harmonicas, est toujours aussi drue. Certes, le poil a blanchi, mais dans les tripes, c'est manifestement la même ardeur juvénile qu'il y a 45 ans, lorsqu'il fit irruption dans le monde de la Pop britannique, comme un Don Quichotte un peu illuminé. La problématique de la retraite doit lui échapper, le malheureux...
Lorsqu'on arrive un peu en avance pour le concert, il faut le voir à l'entrée tranquillement installé à côté d'une pile de CD qu'il dédicace et vend en toute simplicité aux amateurs ! Pour un peu il contrôlerait aussi les billets...

Depuis les sixties, beaucoup de décibels sont sortis des amplis, et John Mayall s'est imposé comme une sorte de commandeur. Un vrai croisé du Blues comme il aime à se qualifier lui même, avec son groupe inoxydable The Bluesbreakers. On sait quelle magnifique école il fut pour quantité d'artistes. Aujourd'hui encore les musiciens qui l'accompagnent mettent toute la gomme pour jouer une musique pleine de jus, d'énergie et d'émotion. Rocky Athas est à la Gibson. Bien que d'origine texane comme son prédécesseur immédiat Buddy Whittington, son style est très différent. Mais si les riffs sont plus rustiques, ils n'en sont pas moins solides et mordants. A la basse, Greg Rzab balance avec nonchalance de belles et térébrantes vibrations. Enfin Jay Davenport à la batterie assure un canevas rythmique solide à ces succulentes digressions.

Quant à John, il chante bien sûr. La voix de gorge, légèrement aigrelette n'a pas bougé. Elle est tantôt presque gutturale tantôt d'une exquise suavité. Et lorsqu'elle monte dans les aigus, elle sait trouver le chemin des âmes les plus insensibles, en feulant par exemple la complainte indicible de la mort de J.B. Lenoir, un des ses bluesmen chéris.
A l'harmonica bien sûr il reste une référence incontournable, même lorsqu'il se met à improviser avec le minuscule joujou qu'il garde accroché comme un fétiche à son cou. Sans oublier naturellement que l'artiste est un homme orchestre à lui tout seul : claviers, synthé, guitare, rien ne l'arrête, avec une manière unique de faire alterner avec bonheur les sonorités "pure blues", avec celles du jazz, du boogie, du rock...
Ce soir on a eu droit à un sympathique échantillon de sa carrière allant du Parchman Farm de ses débuts, aux compositions très blues-rock de son dernier album Tough. Et entre ces extrêmes, la part belle est faite à Sonny Boy Williamson et à Otis Rush qu'il porte dans son cœur.
Il n'y a rien à faire, cette musique a définitivement marqué l'histoire du blues de son empreinte originale. Du Blues transcendantal en quelque sorte...

23 octobre 2010

Quand Ubu fait la noce avec Dada

Dors tu content André Breton, et tes hideux délires dadaïstes ?
Imaginais-tu vraiment Alfred Jarry,  l'avènement d'Ubu et de sa machine à décerveler ?

Foin de Dada, foin d'Ubu, le fait est que le règne de l'inconséquence, de l'insensé, du fou, que vous redoutiez tout en le désirant, semble arrivé :
Surréaliste évidemment est le débat français sur les retraites, pétri jusqu'au ridicule, d'archaïsmes et de tabous.
Surréalistes ces blocages "citoyens" qui mettent une fois de plus le pays sens dessus dessous, à la merci d'une poignée de péquins hargneux, obsédés par les souvenirs fermentés de la lutte des classes.
Surréaliste la nuée de collégiens et de lycéens qui descendent dans la rue en jappant bêtement comme des chiens andalous, brisant frénétiquement les symboles de la société d'abondance dont ils jouissent pourtant de manière compulsive. Non contents d'obérer leur propre avenir, ils ne se rendent pas compte qu'ils sont les idiots utiles d'une révolte partisane de vieux chnoques, réclamant la pérennité de la rente qu'ils se font déjà sur leurs futurs salaires...
Surréaliste l'attitude des médias, paraît-il vendus au Pouvoir, qui font mine de s'interroger sur les raisons profondes du mécontentement populaire, en donnant la parole complaisamment à des chefs de bandes microscopiques, à peine représentatifs d'eux-mêmes, qui passent leur temps à distiller la même rengaine haineuse. Surréalistes ces médias "d'information" qui s'interrogent rituellement sur le comptage des manifestants en faisant semblant d'accorder quelque crédit aux chiffres monstrueusement boursouflés fournis par les syndicats. Qui font en somme du mensonge et de la désinformation, la nouvelle règle veule du conformisme et de la correction politique.
Surréaliste les Socialistes engraissés au lait du capitalisme, qui continuent envers et contre toutes les évidences, à vouer un culte immodéré au temple idéalisé d'un Moloch sanguinolent, renaissant sans cesse de ses cendres malfaisantes, qu'ils s'ingénient opiniâtrement à parfumer des effluves romantiques de la Révolution.
Surréaliste le Gouvernement qui avec une sorte de morbide jubilation se laisse taxer d'ultra-libéralisme tout en cultivant un sentimentalisme mou sur la prétendue sauvegarde du modèle social "à la française". Surréaliste enfin, le Chef de l'Etat qui alterne de manière incohérente des discours inutilement provocateurs avec des retours hallucinants à un anti-capitalisme rétrograde, ce qui le contraint à faire les choses à moitié ou bien à associer à toute action, son exact contraire, pour faire bonne mesure, ce qui ajoute la grogne à l'inefficacité.

Terrible paradoxe, tandis que la France s'enfonce dans le marasme, et se laisse glisser sur la pente qui mène à la faillite, la plupart des pays alentour semblent avoir pris acte de l'agonie de l'Etat-Providence, et remisé les doux rêves d'un pays de Cocagne auquel les sociétés libres avaient pu croire, un peu naïvement.
Le Royaume Uni annonce un plan de rigueur exceptionnel qui enterre de belles illusions mais permettra peut-être à la patrie de Beveridge de redevenir une Nation responsable et prospère.
L'Espagne suit douloureusement le même chemin, le Portugal, l'Irlande et bien d'autres font de même.
L'Allemagne quant à elle, non contente d'avoir enduré le fardeau colossal d'une réunification avec sa moitié moribonde, a entamé ces réformes depuis déjà quelques années. A l'instant présent, elle enregistre une croissance record, quasi "asiatique" (+3,4%) et peut se vanter d'avoir réduit son déficit dès 2010, au delà des espérances (4% Le Figaro).

«Aujourd’hui marque le jour où le Royaume-Uni s’éloigne du bord du précipice» déclarait il y a quelques jours George Osborne, Chancelier de l'Echiquier (Libération).
La France elle, s'en approche de plus en plus dangereusement.

16 octobre 2010

Quelqu'un de bien

S'agissant de Tony Blair, une chose est sûre : il a l'art de prendre les gens par les sentiments. Qu'on en juge par la manière dont il introduit ses mémoires pour le public français : "J'adore la France. Et plus surprenant peut-être pour un Britannique, j'aime les Français..."
Évidemment, ces exquises politesses ne suffiraient pas à donner une vraie crédibilité à un homme politique, même s'il les traduit en action en parlant français à chaque fois qu'on l'invite sur les plateaux télés. Mais, voilà, il a bien d'autres choses à proposer, et c'est bien là ce qui constitue sa vraie originalité.
Oublions donc un instant ce charisme quasi irrésistible, ce regard intense avec lequel il avale goulument ses interlocuteurs, ce sourire dévastateur qui désarme par avance les questions pernicieuses, cette silhouette agile et élégante qui lui donne l'air de voler au dessus des miasmes, et ce parler direct, clair et simple que chacun comprend aisément.

Car il écrit aussi. Et plutôt bien si l'on en juge par les près de 800 pages dans lesquelles il raconte la fabuleuse épopée que fut son parcours politique, de la conquête du Labour à la tête de la Grande Bretagne.
Ce livre interpelle, tant on est habitué dans le genre, à tomber sur des récits amidonnés par la langue de bois et assaisonnés de mélasse démagogique, dont la seule fin est de glorifier leur auteur.
Rien de cela dans ces confessions, quoiqu'au bout du compte, l'image de l'ancien premier ministre anglais n'en sorte assurément pas moins magnifiée. Le style est libre, l'expression concise, et le ton familier. On croirait presque lire les aventures d'un ami, tant il est économe d'artifices pour livrer à chaque instant le fond de sa pensée et ses sentiments d'être humain. Il sait dire aussi avec des mots simples et vrais, comment l'affection qui le lie à son épouse et à sa famille le soutient dans les épreuves.
Tony Blair parle sans détour des gens qu'il a côtoyé, de ses compagnons, de ses adversaires. Jamais il n'emploie l'invective, ou le mépris. Il aborde sans tabou les choix qu'il fit ou préconisa, en expliquant de manière posée et très convaincante, les arguments qui ont pesé pour lui dans la balance. Il n'élude aucune question, pas même celles qui sont les plus sujettes à polémique. On n'est pas obligé d'approuver mais on comprend ses motivations et le mécanisme qui aboutit aux décisions.

Premier tour de force : celui d'avoir réussi à transformer en profondeur le Parti Travailliste, totalement sclérosé et abonné aux échecs électoraux durant 18 années ! Il faut dire qu'à l'époque, au début des années 90, alors que tombait en poussière l'Union Soviétique, les statuts du parti travailliste continuaient par exemple, d'intégrer l'incroyable clause IV, faisant de la collectivisation complète de l'économie, un impératif incontournable ! A peu près le niveau d'arriération où se situe à l'instant présent notre vieille Gauche hétéroclite...

La remontée de ce courant passéiste, qui charriait des tonnes de rancœur et de nostalgie du Grand Soir lui prit quelques années, mais à leur terme, le parti avait fait peau neuve sous l'appellation de New Labour. Durant ce temps, il avait appris à utiliser en toutes circonstances son charisme naturel. Mais s'il avait aussi engrangé une foule de connaissances sur les jeux de pouvoir, il ne savait pas grand chose sur l'art de gouverner.
Aussi quand ses efforts furent couronnés par le magnifique succès électoral de 1997, qui lui permit d'accéder à la fonction de Premier Ministre, il était comme qui dirait, dans ses petits souliers. Son apparente décontraction cachait en fait une vraie appréhension des terribles responsabilités qui venaient d'échoir sur ses épaules.
La suite de l'histoire on la connaît certes, car elle s'est déroulée sous les yeux du monde jusqu'en 2007. Bien des gens, gênés par les œillères idéologiques qu'ils s'imposent en permanence, ne virent pourtant de sa politique que le petit côté, ou bien l'ombre d'invraisemblables complots, mais jamais le dessein qui s'étalait en pleine lumière sous leurs yeux.
Sans renier les acquis des Tories, lorsqu'il les jugeait avec pragmatisme, bons pour son pays, il réforma un certain nombre d'institutions du secteur public. Le NHS (National Health System), entre autres, que même madame Thatcher n'avait pu faire évoluer, a considérablement amélioré son efficience. Cela ne l'empêcha pas de veiller à moderniser le secteur privé, persuadé qu'"il ne faut pas donner trop de pouvoir à l'Etat".
Une des actions de politique intérieure dont il se dit le plus fier reste la paix en Irlande du Nord.
On entend parfois dire que Tony Blair serait un homme belliqueux adorant les guerres. C'est en l'occurrence faire peu de cas des très périlleuses négociations qu'il mena dans un contexte extraordinairement complexe et douloureux, pour aboutir à cette paix civile.
En politique étrangère, il a toujours été partisan d'une attitude très active. Échaudé par les calamiteuses expériences du passé, lors de la montée du Nazisme et du Communisme, et par la coupable inaction des Nations Unies devant de nombreux drames humains, il préconisa l'intervention armée au Kosovo. Devant l'apathie de ses alliés européens, dont hélas la France, il usa beaucoup d'énergie pour convaincre les Etats-Unis et Bill Clinton, d'entrer dans la bataille. Qu'on le veuille ou non l'intervention musclée de l'OTAN a permis de solutionner le problème et de mettre hors d'état de nuire le tyran Milosevic.

D'une manière générale, Tony Blair, que certains traitent avec une ignorance méprisante de "caniche de l'Amérique", explique pourquoi il fut toujours un fervent défenseur de l'alliance transatlantique, qu'il estime  plus que jamais indispensable, face aux défis du monde actuel. Faut-il être ennemi de l'idéal démocratique, et du modèle de société ouverte, ou bien porté aux tendances suicidaires, pour lui reprocher cette position, frappée au coin du bon sens.
C'est en vertu de cette conviction qu'il se déclara totalement solidaire des USA lors des monstrueux attentats du 11 septembre 2001. Et qu'il le démontra avec détermination et courage, même dans les moments les plus difficiles.
C'est pourquoi il fit cause commune avec George W. Bush pour intervenir militairement en Afghanistan puis en Irak.
Avec humilité il accepte d'être remis en question. Avec une patience angélique il accepte toutes les questions sur le sujet, même les plus virulentes, et même si elles lui ont déjà été posées mille fois... Avec modestie, il assure respecter les avis contraires au sien et affirme qu'aujourd'hui encore, il n'est pas certain d'avoir eu raison.
Attitude à mille lieues de celle du camp d'en face, qui semble vouloir le poursuivre de sa vindicte jusqu'à la fin de temps, sans jamais esquisser la moindre nuance, ni le moindre questionnement, et bien sûr sans se donner la peine d'évoquer de solution alternative aux problèmes terribles qui se posaient alors au Monde Libre.

Rarement un homme politique aura cherché à expliquer avec autant de clarté et de patience, et aussi peu de faux semblants, les ressorts de son action. Cela n'empêche pas certains obtus, qui probablement n'écoutent pas ce qu'il dit et ne lisent pas ce qu'il écrit, de répéter inlassablement les mêmes apostrophes haineuses à propos de ses mensonges, de ses arrières pensées, voire de sa collusion supposée avec la CIA...
Tony Blair est au dessus de ces attaques incessantes. Avec une sérénité déconcertante, il continue d'expliquer à ces dénigreurs grégaires et sans beaucoup de cervelle, comment il affronta les responsabilités qu'il avait choisi d'endosser, et ce, sans jamais montrer d'énervement, ni d'abattement, ni d'aigreur.
Peut-être in petto, se répète-t-il le bon vieil adage : "les chiens aboient, mais la caravane passe..."

13 octobre 2010

De l'indépendance de l'information

Le thème de l'indépendance des médias et des journalistes fait régulièrement l'objet de grands débats. Par un curieux hasard, ce sont souvent les gens les plus engagés politiquement qui réclament le plus fort cette indépendance et crient au scandale lorsqu'à leurs yeux elle est en péril Paradoxe d'autant plus étonnant qu'ils ne font pas mystère de leur engagement : ils l'affichent même fièrement, à la manière des généraux soviétiques qui arboraient d'ébouriffants plastrons de médailles...
Prenons M. Mélenchon, tellement inquiet qu'on puisse ignorer de quel bord il est, qu'il a baptisé "Parti de Gauche", le groupuscule politique auquel il a donné naissance. On a pu le voir récemment, qualifier M. Pujadas, responsable du JT de France 2, de "salaud" et de "laquais du capitalisme", avec des grimaces et une intonation rappelant les rictus sinistres des camarades communistes d'antan. Le motif de cette vindicte : le journaliste avait osé demander à des syndicalistes si les saccages de bureaux et de machines auxquels ils s'étaient livrés devant les caméras, constituaient la meilleure réponse aux licenciements dont ils risquaient d'être victimes.
Prenons maintenant le cas de M. Montebourg, membre éminent du PS, et qui c'est notoire, partage la vie d'une journaliste soi disant d'information. Quelle mouche l'a piqué pour partir en guerre contre TF1, qu'il accuse "d'être de droite", comme s'il s'agissait d'un péché inexpiable ? Soit dit en passant, il est fin limier le bougre, car pour voir un engagement de cette nature dans des programmes que lui-même et ses amis qualifient d'insignifiants, il faut avoir l'oeil exercé. Encore faudrait-il d'ailleurs les regarder, ce que ces gens se vantent de ne jamais faire...

Ces prises de positions outrancières ont au moins un mérite : celui de révéler toute l'inanité de la problématique (en même temps qu'elles démontrent le sectarisme de leurs auteurs). Quelle personne un peu sensée peut vraiment croire à l'indépendance et à l'objectivité parfaites des médias quels qu'ils soient (à part peut-être l'almanach des marées) ? Et qui peut imaginer en la matière, que la source étatique de l'information offre une quelconque garantie ?
Et d'ailleurs qu'y a-t-il de si choquant ?
Y a-t-il quelque chose de plus insidieusement pervers que de prétendre qu'on soit sans opinion lorsqu'on ressent le besoin d'exprimer publiquement ce qu'on pense ? Contrairement sans doute aux anges ou aux purs esprits, les êtres humains sont caractérisés par leurs opinions autant que par leur sexe...
Pour autant, aucune n'est méprisable pourvu qu'elle ne méprise pas les autres. Les lobbies partisans n'ont rien de répréhensible du moment qu'ils sont en nombre suffisant. Une chose est sûre, les groupes de pression "de gauche" ne souffrent pas d'une sous représentation dans les médias...
Personnellement, je préfère de loin celui qui cherche à me convaincre du bien fondé d'une conviction, avec force arguments, à l'autre qui fort de sa prétendue impartialité, se croit permis d'asséner des affirmations abruptes.
Pour cette raison, il paraît fondamental de veiller à prendre ses informations à de multiples sources et de les confronter entre elles, afin de mesurer à l'aune de son propre jugement, le pour et le contre. Une chose paraît des plus terribles à notre époque : en dépit de la facilité pour tout un chacun d'accéder à une information variée, rares sont les gens qui font l'effort de prêter un peu d'attention à des points de vue qui les dérangent, ou tout simplement contraires à ce que Flaubert appelait des idées reçues...

08 octobre 2010

Question d'identité

Très émoustillante réflexion que celle proposée par le blog ami de Michel Santo, au sujet de l'épineux problème de l'identité nationale. Le sujet a certes été rebattu ces derniers temps, et il a donné lieu à toutes sortes d'excès et de galvaudages. Pourtant lorsqu'il est sous tendu par un texte d'Alain Finkielkraut, il ne laisse pas d'interpeller.

Pour faire simple, l'idée est que le sentiment national reposerait principalement sur les caractéristiques historiques du pays et plus particulièrement sur sa littérature : "Être français, c’est d’abord consentir à un héritage, être le légataire d’une histoire. "
A dire vrai, au terme d'une introspection, et malgré tout l'amour que je porte à l'Histoire et aux beaux textes, je suis conduit à émettre quelques réserves quant à cette vision qui me paraît un peu restrictive voire un brin passéiste.
Même si la langue est un élément fédérateur indiscutable, je ne saurais personnellement faire de la littérature, ni même de l'histoire, le fondement exclusif de l'identité nationale.
Sinon, pourquoi donc devrait-on voir survenir une telle crise identitaire en France, qui possède une histoire si riche et une littérature si puissante ? Certes la société moderne et ses illusoires et vaines sollicitations a tendance à nous détourner de nos racines culturelles, mais est-ce une explication suffisante ?

Je prends à l'inverse, l'exemple du peuple américain qui vibre si fort du sentiment national, et cela bien avant d'avoir une histoire, et a fortiori une littérature. Qu'est-ce donc qui le soude de manière si solide en dépit de la mosaïque incroyable de populations et de cultures qui le compose ?
Sans doute avant toute chose, une aspiration, un grand dessein commun, la fierté de représenter quelque chose d'unique, le sentiment de constituer en définitive une grande communauté, dotée d'une vraie personnalité. E pluribus unum...

De ce point de vue, si je me sens personnellement français de culture et de fibres, je ne ressens pas du tout cette aspiration, cette communauté spirituelle, qui me donnerait envie d'être fier de mon pays.
Est-ce parce que la France a subi trop de déchirements et qu'elle semble se plaire à en rouvrir sans cesse les plaies avec une délectation morbide ? Est-ce parce qu'elle n'a pas ou plus de vraie ambition, pas de grand dessein, autre qu'un égocentrisme trop souvent méprisant ?

S'agissant de sa littérature, elle ne constitue pas davantage un ancrage culturel exclusif ou radical.
De ce point de vue j'ai du mal à comprendre Alain Finkielkraut lorsqu'il s'avoue déprimé en évoquant l'aveu d'une personne d'origine polonaise, qui se sent française bien qu'elle ne connaisse ni Proust, ni madame de La Fayette... Qu'y a-t-il de si choquant ?
J'aime pour ma part la littérature de mon pays, mais hormis la langue qui me permet de l'apprécier immédiatement, je ne la distingue pas vraiment de celle des autres nations, au moins de celles qui ont des racines culturelles proches. J'adore Chénier, Musset ou Verlaine mais j'ai la même fascination pour Keats, Shelley, Dante ou Novalis. Je voue un culte à Montaigne, à Montesquieu ou à Voltaire mais j'éprouve la même chose pour Kant, pour Hume ou pour Locke. J'admire Hugo et Molière mais ils font partie de la même famille que Shakespeare, Goethe ou Cervantès. Il en est de même pour d'autres formes d'expression artistique, la Peinture ou la Musique...

En définitive, le poids de l'histoire, ou la force de la littérature contribuent sans doute assez peu au sentiment d'être français. C'est ce qui fait la civilisation bien davantage que la nation. D'ailleurs réduite à celle d'un seul pays, la culture expose au chauvinisme.
Le coq gaulois est une forme d'expression peu ragoûtante de cette arrogance étriquée, assez éloignée à mon sens de l'idée de culture et d'intelligence.
En France je veux être Français, mais en Amérique j'aimerais être Américain, en Allemagne Allemand, en Espagne Espagnol...

A la fin de son propos Finkielkraut ne peut s'empêcher de revenir à sa douce attirance pour le passé. Il assure que "la culture a la vertu de nous vieillir", mais est-il vraiment opportun de pouvoir "s'émanciper du présent" comme il le recommande, ou "de pouvoir habiter d'autres siècles" comme il en rêve ?
Ce n'est pas nécessairement en étant obsédé par le passé qu'on peut imaginer l'avenir. Encore une fois l'Histoire américaine est édifiante. Sans renier  leurs racines, mais en regardant droit devant eux, les Emigrants du Nouveau Monde ont relevé un formidable défi.
Les Européens de leur côté, ont manifesté beaucoup de mépris pour cette expérience et pour cette nouvelle nation "sans culture ni histoire". Ils auraient pu à l'inverse, en tirer des leçons pour transcender les leurs et régénérer leur vieux continent.
Car à l'évidence, c'est ce qui s'impose aux nations qui constituent ce conglomérat fatigué, si elles veulent survivre et renaitre des cendres dans lesquelles l'auteur de la Défaite de la Pensée les voit avec raison se consumer. Mais pour cela, il faudrait ressentir ce qui fait en somme l'identité européenne, et au delà, être fier de ce qui fait l'essence de la civilisation occidentale...

04 octobre 2010

Autruche Blues

En cet automne : rien.
A la réflexion, deux ou trois bricoles sans beaucoup d'importance. Juste quelques remugles de "pourriture noble" dont la France raffole.
L'automne est la saison de la chasse, et pour le gibier gouvernemental, c'est l'heure de la curée. Revigorés par des sondages durablement baissiers, les Opposants de tous poils jettent toutes leurs forces de Lilliputiens en colère, dans une dérisoire bataille de mots. 
Tout est bon pour faire du feu à ce foyer là. Une maladresse commise par un grouillot ministériel zélé dans la rédaction d'une circulaire, un lapsus croustillant, une phrase malheureuse ou inconsidérée forment le combustible de cette orgie infinitésimale. 
La haine recuite de tous ces roquets aboyeurs se nourrit du vertigineux néant de leur pseudo "Résistance". Avec une jouissance obscène, ils emplissent frénétiquement cette poche immonde, de superlatifs ronflants et d'amalgames nullissimes. Les Fâcheux anti-facho voudraient faire croire que les heures terribles, qui peuplent leurs fantasmes glorioleux sont de retour. Que la Patrie, dont ils n'ont soit dit en passant que faire, est en danger. Que c'est un devoir pour tout citoyen, que d'affronter ce Pouvoir si "brutal", si "injuste", si "menteur", en un mot si odieux.

C'est vrai l'action des Satrapes qui nous gouvernent n'a vraiment rien d'enthousiasmant. Malheureusement, par un troublant paradoxe, c'est l'inverse de ce qu'on était en droit d'attendre, qui se produit. Alors qu'il est enseveli sous les critiques et les invectives, le gouvernement ne montre en réalité pas plus d'audace ni d'imagination que ses pusillanimes et démagogues prédécesseurs, de tous bords. 
Les beaux et robustes projets de réformes s'évanouissent comme les feuilles flétries que le vent d'automne disperse. On ne saurait dire si une seule des réformes entreprises ou annoncées est arrivée à terme. Un seul exemple: le chantier saugrenu consistant à supprimer la publicité sur les chaînes de télévision publique, stoppé à mi chemin, sans plus de raisons qu'il n'avait commencé...
En guise de "Lois nécessaires", il ne reste que de piteux succédanés, et la fameuse "rupture" n'est au fond qu'un ersatz au goût d'évaporé. Le glaive victorieux du changement a fait place au rabot à niches fiscales...

Une question se pose, hélas sans réponse : Pourquoi, en dépit des convictions qu'il affichait si haut, et de la légitimité acquise par les urnes, le Chef de l'Etat se montre-t-il aussi timoré ? Pourquoi aussi peu de prise de risques, alors qu'il savait trop bien que de toute manière il serait confronté au verdict outrancier et stupide de la rue ? Quitte à endurer l'impopularité pourquoi ne faire que la moitié de ce qu'on annonçait ?
Dans la préface à l'édition française de ses mémoires récemment publiés, Tony Blair, dont on ne saurait contester le savoir faire politique, faisait cette remarque : "Certains jugent qu'il [Sarkozy] affronte des réformes impopulaires et que pour être réélu, il devra les édulcorer. Je pense précisément le contraire. S'il s'éloigne de ses réformes il perdra..."

D'autant plus regrettable que de toute manière il n'y a dans notre malheureux pays, ni opposition digne de ce nom, ni débat intéressant (on en est réduit à nier les problèmes ou à les couvrir d'un voile d'hypocrite désinvolture, des retraites au terrorisme en passant par le délabrement social et la faillite de l'Etat...). Il y a bien les gesticulations du Tartarin égocentrique du Béarn, les rodomontades de l'Histrion revanchard des salons parisiens, les gueulantes un peu enrouées de quelques extrêmes, et les braillements habituels de la meute disparate des socio-alter-coco-quelque-chose. Mais tout cela est si vain, si creux, si répétitif.

Rien en somme, comme dans ces vers délicieusement hermétiques et un brin surréalistes de Stéphane Mallarmé (1842-1898):
Rien, cette écume, vierge vers
A ne désigner que la coupe;
Telle loin se noie une troupe
De Sirènes mainte à l'envers...