22 février 2008

E pluribus nihil

L'indépendance auto-proclamée du Kosovo pose une nouvelle fois la question de la pertinence de l'organisation européenne. Une fois encore, elle semble prise en défaut puisqu'on n'entend pour ponctuer l'évènement, que des sons de cloches disparates, émanant sans cohérence, des « Etats-Nations ». Certains voulant paraître progressistes s'empressent de reconnaître le nouveau pays, sans condition. D'autres s'y refusent pour l'heure, pour d'obscures raisons conjoncturelles. Mais de position claire de l'Institution Européenne elle-même, point. Au surplus, dans cette cacophonie médiocre, on ne relève hélas que de sordides considérations nationalistes ou religieuses qui font craindre que les fondations déjà fragiles du conglomérat ne soient un peu plus minées par ces particularismes chauvins ou sectaires.

L'adoption parlementaire du minitraité n'est pas de nature à réconforter. Il fallait certes relancer le processus, fourvoyé dans une impasse. Le président de la République s'y était engagé, il l'a fait, c'est un bon point. Mais s'il est difficile de contester la légitimité de son action, on peut s'interroger sur son efficacité. L'Europe reste toujours aussi inintelligible pour le peuple. Sauf à être un exégète, on est bien incapable de comprendre concrètement ce qu'apporte ce texte, qui malheureusement ne semble rien avoir perdu de sa complexité ni de sa nature technocratique, par rapport au projet de constitution proposé par voie référendaire.

J'ai une propension naturelle à penser que le système fédéral constitue une remarquable solution aux problèmes d'organisation des sociétés humaines. Prenant en compte à la fois le Bien Commun et celui de ses parties, il préserve l'autonomie des régions tout en garantissant s'il est bien conçu, une grande cohérence inter-étatique. Au surplus, il s'avère être une très forte source d'émulation pour les « initiatives » citoyennes locales, tout en réduisant par la même, la tutelle asphyxiante de l'Etat Central. A l'appui de cette thèse, l'opinion du grand philosophe Emmanuel Kant, qui voyait dans le modèle fédératif la clé de la Paix Perpétuelle, et surtout, l'expérience pratique qu'en ont les Etats-Unis depuis leur fondation. Une terrible guerre de sécession l'a certes ébranlé mais in fine, a conforté les Américains dans l'absolue nécessité de veiller à ne jamais laisser s'effriter le précieux ciment qui les unit. Plus de deux siècles attestent de la solidité de l'édifice et de son efficacité, et la devise scellant l'union paraît plus solide que jamais : e pluribus unum. Les nations européennes auraient intérêt à s'en inspirer. Les mêmes causes ayant tendance à produire les mêmes effets, il y a fort à parier que ce principe, appliqué à la vieille Europe, pourrait contribuer puissamment à intégrer dans un ensemble homogène, les nations d'autrefois pour construire un vrai projet moderne et novateur. Ni l'adhésion des pays de l'Est, ni le morcellement de certains états artificiels comme l'était la Yougoslavie, ne devraient poser problème, si la règle était appliquée avec bon sens. L'Europe préserverait ses particularités régionales tout en constituant progressivement une force indivisible, parlant au monde d'une seule voix.

Certes, ni le Kosovo, ni la Serbie n'appartiennent à l'Europe, mais puisque cette dernière a commencé à manger l'ancienne Yougoslavie en intégrant la Slovénie, comment peut-elle s'extraire de ce sujet ? Comment peut-elle prétendre exercer une influence bienfaisante en étant incapable de s'exprimer et d'agir sur ce qui se passe à ses portes ou en son sein même ? Force est de constater hélas que l'Europe fédérale, seule perspective vraiment rationnelle d'édification d'un ensemble digne de ce nom, reste un voeu pieux. Continuerons-nous longtemps encore à brinquebaler et à tergiverser, en nous regardant chacun le nombril national, tandis que le monde se transforme autour de nous ?

15 février 2008

Back to black


Ange vivant du Jazz, fine fleur du Blues, âme damnée de la Soul, Amy Winehouse est un peu tout cela en même temps.
Faisons le point : elle débarque d'un monde étrange, hallucinée, incertaine comme une comète inattendue, et des vapeurs black and blue flottent autour d'elle comme une aura scintillante.
Quel est ce mystère ? Elle est lumière et pourtant la lumière s'engloutit en elle.
De méchants papillons noirs se collent à sa peau imprimant sur ses bras décharnés, des tatouages bizarres.
Elle promène un peu hâbleuse, une dégaine improbable, à la fois très étudiée et très « laisser faire » : une silhouette efflanquée, presque titubante, enveloppée dans une robe en chiffon d'où sortent deux cannes fuselées, longues comme l'attente des jours heureux.
Ses cheveux sont un torrent dégringolant d'un obscur tumulus, et ses yeux tirés vers ce chignon catastrophique, forment en se prolongeant indéfiniment, des sortes d'hyperboles narquoises, outrancières.
Elle se déhanche sur scène avec une allure étrange, mariant le mauvais goût sublime à une grâce délicieusement obscène.

Mais quand elle se met à chanter, le regard perdu dans le vide, sa voix qui s'élève aiguë et déchirante, chaude comme une braise, agit sur la foule à la manière d'un baume souverain. Back to black. Le charme opère immédiatement, et la mélodie en retombant sur les têtes est comme une pluie brillante dont chacun cherche à s'imprégner goulûment.
Derrière elle, l'orchestre est un velours idéal. Sa rythmique limpide et cuivrée, noyée dans un écrin de couleurs chatoyantes, aplanit toute angoisse et se fond avec le chant pour transformer la souffrance en beauté pure. La réalité s'efface et cette indicible présence devient une évidence obsédante. On ne s'en détache qu'à grand peine.

Pauvre ange, tiendras-tu longtemps en équilibre, ainsi juchée si haut, dans de si périlleuses sphères ? Sauras-tu prolonger ces extases en dominant ton être qui paraît si fragile et instable ?
C'est l'espoir un peu fou qui s'insinue en soi dès que les feux de la rampe s'éteignent et qu'on se retrouve seul et stupide, face à la trivialité du monde...

DVD : Live in London. 2007

12 février 2008

La Presse Bang-Bang


Qu'arrive-t-il donc à la presse française ? Alors que le pays entre de toute évidence dans une période de grand remue-ménage sociétal, où les idées ne demandent qu'à entrer elles-mêmes en effervescence, elle manifeste une uniformité, un conformisme et un manque d'inspiration affligeants.
Accrochée semble-t-il davantage à la désespérante versatilité de l'opinion qu'aux transformations en profondeur du pays, elle se plaît à monter en épingle le moindre sondage, et à décortiquer le plus futile fait divers, comme si elle n'avait d'autre but que d'empêcher tout élan, et d'enrayer toute espérance.
Ce n'est plus de la sinistrose, de la crispation ou du parti pris, c'est une involution.
Mais à quoi la doit-on ?
On connaît les difficultés financières de la plupart des quotidiens, même des plus grands. Le Figaro et Le Monde sont pris dans la tourmente des plans sociaux. Libération est en survie artificielle. On sait aussi la lente agonie de la presse hebdomadaire, qui voit s'effriter inexorablement son lectorat, en dépit de la surenchère de cadeaux censés attirer de nouveaux abonnés.
Est-ce donc une tentative désespérée pour capter l'attention par le sensationnel fut-il artificiel et sans lendemain ? Sont-ce les derniers soubresauts en forme de mouvements paradoxaux, d'une république asphyxiée dans les protocoles empesés et les vieux principes idéologiques ? Est-ce une curée affolée et sans raison contre celui qui à la tête de l'Etat se fait un devoir de balayer les usages établis et de faire tomber les dogmes ?
Mais comment des publications revendiquant (à défaut d'objectivité) le sérieux de leurs analyses peuvent-elles se laisser aller aux excès incroyables de ces dernières semaines ?
Le comble a naturellement été atteint par le Nouvel Observateur, avec l'affaire sordide du SMS prétendument envoyé par le président de la république à son ex-femme. Mais avant cela, quelle débauche d'inepties et de ragots imbéciles fusant de toutes parts ! A force de vouloir dézinguer à tout-va, de faire bang-bang comme chez Tarantino, à force de couvrir toute réalité d'un cynisme grimaçant et stérile, il ne restera bientôt plus qu'un champ de ruines. Désormais, même le mariage du président de la république en est réduit au huis-clos, privé de la moindre photo !

Et tout ça au motif que Nicolas Sarkozy le premier, aurait ouvert la voie. Qu'il n'aurait somme toute que ce qu'il mérite d'avoir entrebâillé la porte de sa vie privée. Il faudrait donc comprendre que sa volonté d'agir sans faux-semblant et sans hypocrisie, autorise les chercheurs de scoops à fouiller sans vergogne dans ses poubelles et à établir leurs QG rédactionnels dans ses latrines.
Et que penser de cette ignoble ligne de défense de ceux qui, pris la main dans le sac puant, en appellent à grands cris, au respect de la liberté d'expression ? Venant de gens qui hier encore vociféraient contre les méfaits de la presse people et qui couvrirent avec tant de complaisance et de zèle les secrets de polichinelle des dignitaires de l'ancien régime, ça ne manque pas de sel...

Une fois encore la France risque à ce jeu vain de confondre vessies et lanternes et lorsque seront éteints les lampions de ce carnaval puéril de se retrouver seule sur un quai sans train...

09 février 2008

Rites et arcanes


Dans un numéro récent (No 1845), l'hebdomadaire Le Point consacrait un dossier spécial aux Francs-Maçons et à leurs prétendus « nouveaux réseaux ». Ça devient un rite. Périodiquement ce genre de revue remet sur le tapis ce sujet auréolé de mystères et de fantasmes. Mais naturellement sans rien révéler d'autre que des banalités. Cette fois ce sont deux ou trois rumeurs sur l'allégeance hypothétique de ministres ou de politiciens. Et un scoop au sujet de Nicolas Sarkozy. Il n'en fait pas partie mais « les Francs-Maçons ont rarement été aussi bien traités par un chef de l'Etat ». La preuve : il vient d'accepter une invitation du Grand Orient de France à se rendre à une tenue blanche fermée !
Curieux tout de même cette tendance à lier le monde politique à cette institution plus ou moins occulte et à la puissance indéfinie, qui s'engage de toute manière à «
ne s’immiscer dans aucune controverse touchant à des questions politiques »...
Bref, on n'est guère avancés. D'autant que sur le plan des chapelles, le morcellement continue. On retient notamment la création par un ami de Jean-Paul Gaultier, d'une « fraternelle » réservée aux homosexuels, et par quelques « hauts gradés » de la GLNF, d'une Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité (GLCS), prêchant « un retour aux origines de la Maçonnerie », loin de « l'affairisme, la bureaucratie et le conservatisme » des obédiences existantes : éternel recommencement...
Au total, il serait bien difficile à l'instant présent, rien qu'en France, de comptabiliser les obédiences (au moins une dizaine) et leurs rites : Français, d'York, Emulation, Ecossais Ancien et Accepté, Ecossais Rectifié, Standard d'Ecosse...
C'est précisément ce qui gêne le plus dans cette institution séculaire dont on dit qu'elle remonte aux constructeurs des cathédrales du Moyen-Age : une rigueur formelle extrême associée à un éparpillement des confessions et des courants de pensée.
J'avoue à titre personnel avoir à plusieurs occasions été très proche de m'engager sur cet obscur itinéraire vers la lumière, dont la vie de Mozart fut une des incarnations les plus brillantes. Etant agnostique, mais refusant de croire que notre existence relève du seul hasard, je me satisfais bien de l'idée d'un Grand Architecte De l'Univers (GADLU). Quant à l'idéal qui sous-tend la démarche, il me fascine par son élévation. Seuls en somme le décorum et les aspects cultuels me rebutent, car je crains qu'ils n'asphyxient l'esprit.
Pourquoi tant de cérémonial et d'hermétisme si le but, noble entre tous, est de progresser sur le chemin de la connaissance et de l'amélioration de soi ? Pourquoi ce besoin de reproduire en des temples richement décorés le rite empesé de l'Eglise ? Je sais bien que Blaise Pascal le jugeait nécessaire à l'épanouissement de la foi, mais j'ai beau faire, je penche davantage vers le dépouillement et le refus de tout artifice, prôné par mes chers transcendantalistes américains, Emerson, Whitman ou Thoreau...
On peut certes concevoir qu'on cherche par le silence à s'extraire des turbulences vaines du monde pour espérer trouver la sérénité propice à la réflexion, mais pourquoi donc leur ajouter une gestuelle exigeante peuplée de symboles plus ou moins ésotériques ?
Et pour quel résultat ? Que sort-il donc de concret des loges qui planchent doctement sur l'élévation de l'âme ? Au demeurant, quelle oeuvre humaine pourrait être sans ambiguïté revendiquée par les membres d'une société secrète ? Les Francs-Maçons estiment parfois avoir une influence sur l'élaboration de lois, mais qu'en est-il vraiment ? Comment d'ailleurs envisager dans ce domaine un rôle actif puisque justement les controverses politiques ou religieuses sont paraît-il exclues des tenues ? On évoque souvent l'impact de la Franc-Maçonnerie au sujet de la loi abolissant la peine de mort, ou encore de celle légalisant l'interruption volontaire de grossesse. Il est permis d'en douter. Heureusement d'ailleurs car le principe de la Démocratie en serait sinon quelque peu écorné...
Auteur de sagas historiques ayant pour toile de fond l'Egypte ancienne, Christian Jacq est paraît-il l'écrivain français qui fait les meilleurs tirages à travers le monde. Pour un auteur quasi inconnu des médias c'est une performance qui à elle seule mérite d'être saluée.
Avec « Le moine et le Vénérable », il signait en 1985 un petit roman relatant un affrontement étrange : celui de l'église catholique et de la franc-maçonnerie, à travers les mésaventures de deux de leurs dignitaires respectifs emprisonnés par les Nazis dans un château néo-gothique en 1944 !
N'était le théâtre de l'action un peu « tintinesque », cette approche romancée du problème avait de quoi séduire. La Franc-Maçonnerie qui pratique ses rites dans des temples, qui s'organise autour d'une hiérarchie stricte et qui se dévoue au culte du « Grand Architecte de l'Univers » se pose peu ou prou en concurrente des religions traditionnelles.
Mais au delà de cette confrontation romanesque, on pouvait espérer mieux connaître cette société qui cultive le mystère, bien qu'elle se veuille davantage discrète que secrète. Comme on pouvait s'y attendre le conflit entre le moine et le vénérable, que tout oppose au début, laisse bien vite place à une complicité tendant à démontrer in fine la proximité de l'idéal chrétien de celui des Maçons. Mais curieusement dans cette histoire un peu trop abracadabrante et invraisemblable, le prêtre paraît le plus pragmatique et le moins attaché au rite des deux. L'un sublime sa foi au mépris de sa personne, l'autre s'attache surtout à maintenir dans les pires circonstances le cérémonial des tenues qui paraît totalement vain et déplacé en la circonstance. Hélas, comme il fallait le craindre la problématique reste ouverte, voire béante. A chacun sa vérité et sa manière de concrétiser ses plus hautes aspirations dans ce monde sublunaire. Mais surtout ne pas chercher à débusquer le surnaturel ou à éventer les secrets, ils n'existent pas ici-bas...

07 février 2008

Des jugements peu cartésiens


Une fois encore la France semble avoir décidé de tourner le dos aux principes de raisonnement logique qui forment pourtant le meilleur de la philosophie cartésienne.
Deux affaires en Santé publique, faisant ces derniers jours les gros titres de la Presse illustrent la faillite de l'esprit critique et sans doute de tout un système de pensée, régnant dans notre pays.
La première rappelle à la mémoire publique l'affreux épisode de l'hormone de croissance, qui il y a près de 25 ans, vit la contamination de 115 enfants par le prion de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ).
Cent-quinze malheureux dont le drame était de ne pas être assez grands, et à qui on avait administré, pour tenter de conjurer cette disgrâce le substrat, extrait de l'hypophyse de cadavres humains, faute de pouvoir à l'époque en faire la synthèse artificielle.
Avec la même désinvolture qui conduisit au scandale quasi contemporain du sang contaminé, on négligea le risque de transmettre l'agent responsable de la
MCJ. Or ce risque était impossible à ignorer, car cette forme de dégénérescence cérébrale et sa nature transmissible étaient connues depuis 1920 !
Non seulement on oublia que le germe, un prion, avait une sorte d'affinité pour le système nerveux central, mais on multiplia le risque en allant prélever les dites hypophyses au mépris du plus élémentaire des principes de précaution. Pour satisfaire les demandes qu'on avait encouragées, et sans doute aussi pour asseoir le plus vite possible une réputation scientifique, on alla en effet jusqu'à extraire l'hormone de la cervelle de patients décédés dans des asiles d'aliénés ! Or la bestiole provoque précisément chez ses victimes une terrible démence, aboutissant en quelques mois à la mort.
Le résultat de cette stratégie hallucinante est un vrai drame : à ce jour 115 morts sur les quelques 1700 patients « traités ». Et la preuve que notre pays a dans le domaine une responsabilité toute particulière : il totalise à lui seul les trois-quarts des victimes enregistrées dans l'ensemble du monde !
Il a fallu pourtant attendre près d'un quart de siècle pour que cette sinistre histoire soit enfin jugée. Mais au fait, qui est responsable de ce désastre ? Les médecins qui clament leur innocence, où bien l'administration anonyme pudiquement dénommée « France-Hypophyse » à laquelle l'Etat avait accordé le monopole de la collecte et de la prescription ? Il y a fort à parier qu'à l'instar de l'affaire du sang contaminé, sauf à trouver un bouc émissaire, les condamnations soient symboliques (« responsables mais pas coupables »)...
Tranchant avec cette terrible catastrophe en santé publique, on apprenait simultanément, 14 ans après la campagne nationale de vaccination contre l'hépatite B, que les responsables de deux laboratoires pharmaceutiques, GSK et MSD, ayant mis au point et commercialisé le vaccin, avaient été mis en examen jeudi 31 janvier pour « tromperie sur les contrôles, les risques et les qualités substantielles d'un produit ayant eu pour conséquence de le rendre dangereux pour la santé de l'homme ».
Derrière cette accusation, on retrouve la croyance tenace que ce vaccin puisse occasionner au chapitre des effets indésirables, la survenue d'une sclérose en plaque.
Il faut en l'occurrence bien dire « croyance » car aucun fait objectif n'est venu la confirmer, bien au contraire. Si des soupçons pouvaient à la rigueur être portés à un certain moment, ils ont été levés par plusieurs études scientifiques internationales, qui dès 2001* disculpaient totalement le médicament.
Il n'est pas inutile non plus de préciser que l'hépatite virale B, contre laquelle le vaccin est censé lutter, constitue un fléau autrement plus grave que la petite taille. Elle occasionne des hépatites transmissibles souvent sévères, évoluant soit vers la défaillance hépatique aiguë, soit vers la chronicité, soit vers la cirrhose, soit encore vers le cancer et donc la mort (350 millions de porteurs chroniques dans le monde et seconde cause reconnue de cancer).
Face à cette affection fréquente et grave, le vaccin est d'une remarquable efficacité préventive. Pourtant il fut discrédité par la force de la rumeur publique (teintée d'un fort part-pris idéologique).
En juin 1998, le laboratoire Beecham fut accusé une première fois sans aucune preuve scientifique, au nom du seul principe de précaution ! Le laboratoire mis en cause fut condamné par le tribunal de Nanterre à payer des provisions de 50 000 F et 80 000 F à deux plaignants. Dans la foulée, le ministre de la santé Bernard Kouchner suspendit dès le 1er octobre de la même année les campagnes de vaccination dans les écoles.
En 4 ans, de 1994 à 1998, plus de 25 millions de Français furent néanmoins vaccinés et on compte à ce jour, 27 plaintes pour apparition de sclérose en plaques, un chiffre infinitésimal et non supérieur à celui qui existe dans une population non vaccinée...
Quel est donc ce mystère qui fait qu'on condamne sur des a priori grotesques et qu'on soit si peu enclin à reconnaître des responsabilités évidentes ?
Les êtres humains n'étant ni pires ni meilleurs qu'ailleurs, il faut bien subodorer que le système dans lequel ils évoluent soit propice à la survenue de telles aberrations.
Le fait par exemple que la puissance supposée de l'Etat soit telle, qu'il se croit autorisé à tout réglementer et que tant de gens soient abusés par cette totipotence douce et bien intentionnée. Le fait que les citoyens soient tellement habitués à cette présence qu'ils s'en remettent à lui en toute circonstance. Et que lorsqu'ils se plaignent c'est habituellement pour réclamer plus d'Etat, rarement moins. Du nuage de Tchernobyl en passant par le Pouvoir d'Achat, du réchauffement climatique à la grippe aviaire, de la Santé à l'Education, de l'enfance à la vieillesse, il est supposé pouvoir résoudre tous les problèmes.
Corollaire logique, tout ce qui n'est pas d'essence étatique est suspect, soit d'enrichissement abusif, soit de malversation, soit de perversion intellectuelle soit de tromperie.

En somme l'Etat en France répond aujourd'hui presque parfaitement à la définition que donnait Tocqueville, du gentil monstre dont il redoutait l'avènement, l'Etat Providence déresponsabilisant :
« Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, prévoyant, régulier et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance; il aime que les citoyens se réjouissent pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »
* :Nature Medicine - Septembre 99 - "No increase in demyelinating diseases after hepatitis B vaccination" - John G.Weil & al.
The New England Journal of Medicine - February 1, 2001 - Vol. 344, No. 5