24 décembre 2011

Hivernale


Je me souviens enfant, de l'odeur de la neige
J'avais une casquette et un pardessus beige
Et j'allais respirer le parfum des flocons
Tandis que mes doigts gourds devenaient rubiconds.

Ils cherchaient à saisir ces grains de porcelaine
Glissant sans bruit du ciel. Je soufflais mon haleine
Qui les auréolait d'une tiède vapeur
Et le monde alentour se figeait de stupeur.

L'air frais faisait l'effet d'une suave ivresse
Et les cristaux cinglants celui d'une caresse.
J'adorais folâtrer dans ce pulpeux velours
Et j'étais si léger malgré mes pas si lourds !

Ces souvenirs ouatés ont encore une grâce
Étrange et familière où le froid ni la glace
N'ont de réalité. Seule est dans mon esprit
L'empreinte du bien-être et ça n'a pas de prix...

22 décembre 2011

No expectations


A quelques mois de l'élection présidentielle, la valse des sondages, le ballet des candidatures, a de quoi interroger. Face à l'ampleur de la crise qui aspire peu à peu en le fragmentant, le fragile et baroque édifice européen, le spectacle qui est donné s'apparente à une sorte de farce rococo dont l'outrance et la poudre farderaient la vanité.
Malheureusement c'est infiniment plus tragique que comique.

Des enquêtes d'opinion, il n'y a pas grand chose à dire. Il est évident que la situation tangue tellement que tout peut être revu du jour au lendemain.
Mais des projets de tous les prétendants, c'est la vacuité qui frappe, car elle atteint une profondeur vertigineuse.
Passons sur les misérables pantomimes égo-centrées de M. Villepin, Morin, Bayrou et consorts. Le numéro a déjà été fait un peu trop souvent pour embabouiner, ni même émouvoir. D'une manière générale, la multiplication indécente des candidats auto-déclarés est à l'image de l'effritement des perspectives.
Quant au ramassis informe qui avance dans un désordre indescriptible derrière les étendards fripés d'une Gauche plus ringarde et prétentieuse que jamais, il vaut en revanche son pesant de cacahuètes. Je ne sais si le pays se laissera aller une fois encore, par dépit, à choisir cette voie plus qu'hasardeuse, mais il y a des moments où en viendrait presque à se désintéresser de la question tant devient fort le sentiment que l'époque a perdu tout bon sens, et tant le caractère irrémédiable de la déchéance s'impose avec fatalité.

A commencer par les dérives innombrables dans lesquelles semblent patouiller avec délectation les hordes bruyantes de sycophantes bavant la générosité, l'égalité, la solidarité. Il faudrait être bien myope ou inconséquent pour se risquer à leur confier sous peu tous les leviers de commande (ce dont eux-mêmes ne devraient pas vouloir, tant ils se prétendent sourcilleux sur l'équilibre des pouvoirs).
La dérive idéologique est naturellement la plus grave. Ces chantres du socialisme "à visage humain", tous peu ou prou passés sur les fonds baptismaux du marxiste-léninisme, ont quelque peu édulcoré leur propos. Des refrains révolutionnaires du passé, ils n'ont retenu que celui de "la justice sociale" et de la "taxation des riches". Ils se raccrochent de manière pathétique à ces lubies comme des naufragés à des débris dérisoires. Espèrent-ils vraiment "ré-enchanter le monde" avec ces ersatz faisandés de la lutte des Classes, alors que moins de 20% des ouvriers désormais jugent utile de voter pour eux ?
Malgré les dénégations, les vieux idéaux tombent un à un en lambeaux. Déstabilisés par d'autres populismes plus percutants, certains tentent bien de mêler à leur potion rance des ingrédients nouveaux mais ils ne parviennent ainsi qu'à concevoir une sorte de resucée nauséabonde de National Socialisme... Protectionnisme, dé-mondialisation, souverainisme, autant de calamiteux miroirs aux alouettes...

S'il n'y avait que l'absence d'idée ce serait déjà pitoyable, mais hélas, où qu'on tourne son regard ce n'est que marigot.
On a vu les dérives morales, certes pas nouvelles, mais si longtemps tues, qui caractérisent ces infatigables donneurs de leçons de vertu, qui ont paraît-il "le cœur à gauche". Malchanceux nigauds qui espèrent encore en eux ! Leur candidat putatif, si emblématique, si "intelligent", si "gagnant d'avance", s'est abîmé définitivement dans le stupre. Les "amis" ont bien tenté de minimiser la débauche, où même de la dissimuler derrière une histoire grotesque de complot, mais maintenant que l'abcès s'est répandu au grand jour, chacun préfère s'écarter discrètement des remugles asphyxiants.

Les dérives mafieuses sont quant à elles devenues si courantes que même au sein "du Parti", certains les dénoncent désormais ouvertement, préférant sans doute risquer de discréditer tout le clan pour préserver leur propre avenir. Même si les Saint-Just ont un petit air d'opérette, on comprend qu'il y a sans doute du grain à moudre... Et que les pestilences débordent largement le cadre du seul PS ! On fait grand bruit et assommant rabâchage sur les affaires impliquant la Droite, mais chaque jour voit son lot de poursuites judiciaires maculer ce qui reste de la parure emblématique de Gauche "progressiste".
Si nombre de politiciens apparaissent englués dans les scandales, dès qu'on lève un peu le voile sur les syndicats, mangeant tous ou quasi au râtelier du socialisme, on est pris de hauts-le-cœur. Mais que le bon peuple se rassure. A peine le couvercle de la marmite s'entrouvre par le biais d'un rapport, qu'il faut par correction politique, le refermer bien vite. La soi-disant "paix sociale" a un prix. Ainsi nous n'aurons qu'entrevu les ripailles, les bombances, les orgies, et la vie de château des satrapes censés représenter les "travailleurs". Il est vrai qu'avec 4 milliards d'euros redistribués par une législation prodigue et attentionnée, ils ont de quoi combler le manque à gagner dû à une piteuse emprise, atteignant à peine 8% des salariés !
Et comme pour détourner l'attention, ils profitent de manière jubilatoire de la période des vacances, pour paralyser le pays autant que leur pouvoir de nuisance – qu'ils appellent "Service Public" – le permet encore...

Au sein de ces turpitudes en tous genres, les dérives magouilleuses ne sont pas en reste. Passons sur le cumul des mandats contre lequel on ne compte d'adversaires que parmi ceux qui ne parviennent pas à se faire élire plusieurs fois ! Le scandale est dans toutes ces compromissions, tous ces marchandages politiciens, ces parachutages qui s'étalent au grand jour, sans vergogne. Ces alliances de circonstance, ces accords vite torchés, sacrifiant par exemple du jour au lendemain, pour quelques soutiens écolos, tout le programme énergétique du pays ! Ces lâchetés démagogiques, ces rodomontades inconséquentes, à propos des mirobolantes promesses de recrutements dans la fonction publique, du retour à la retraite à 60 ans, de la renégociation des traités européens, et pourquoi pas des 32 heures écologiques...
Il faudrait évoquer les accusations malséantes à propos du déficit causé selon eux par la politique de Nicolas Sarkozy. Malgré tout le mal qu'on peut penser de ce dernier, sans doute faut-il le considérer comme plutôt modeste eu égard à celui qu'auraient occasionné les Socialistes qui préconisaient un plan de relance encore plus gigantesque que celui du gouvernement actuel (et qui même en période de croissance parvenaient à creuser les déficits et faire enfler la dette).
Il faudrait encore évoquer la polémique insane relative au droit de vote des étrangers "qui paient des impôts", totalement hors de propos, remise sur le devant de la scène par des Socialistes en mal d'inspiration et d'opposition. Ou l'initiative encore plus ubuesque et anachronique, consistant à légiférer sur le génocide arménien ! Et pourquoi pas sur la Corée du Nord, tiens donc ?

Tout cela donne la mesure de l'absence de vision politique régnant en notre vieux pays. D'autant que dans les rangs de la majorité ce n'est guère plus brillant.
On a vu le président de la république, au motif de la crise, manger son chapeau sur la quasi totalité des réformes les plus emblématiques de son mandat, tandis que les autres sont restées le plus souvent inabouties voire contradictoires entre elles. Face à la débâcle, le discours se veut ferme dans la forme mais reste erratique sur le fond, sacrifiant trop souvent le pays aux postulats d'une religion aussi bien intentionnée qu'elle est peu pragmatique.
C'est peu de dire qu'on est mal barrés...

18 décembre 2011

Entre Grâce et Nature, un grand vertige...


Il est bien difficile d'aborder d'un œil critique le cinéma de Terrence Malick. Il ouvre parfois des portes magnifiques, mais pour les passer, il faut être initié et si patient, si attentif, qu'on craint toujours de manquer ce qui se cache derrière...
Ses trois premiers longs métrages s'inscrivent dans une superbe ascension. La Balade sauvage affirmait d'emblée mais dans un style assez brut, le conflit farouche dans lequel devait s'inscrire toute la carrière du cinéaste : à savoir, l'affrontement terrible entre la cruauté, parfois la violence de la destinée humaine, et la beauté sublime et mystérieuse de la nature. Les Moissons du Ciel donnait à ce questionnement un lyrisme et une ampleur époustouflants, qui devait culminer avec le chef d’œuvre de la Ligne Rouge. Sur la toile de fond infernale de la guerre, vibraient avec une prégnance lumineuse, aérienne, ces interrogations existentielles, voire métaphysiques.
Malheureusement après ce coup de maître, la suite devenait problématique. Le Nouveau Monde fut une sorte de douche froide. La grâce subtile du propos devenait tout à coup artificieuse. Le discours lumineux s'abîmait dans la niaiserie et les somptueuses images n'étaient plus que l'illustration fade et maniérée d'un récit trop empreint de mièvrerie.
C'est dire l'appréhension qui pouvait étreindre le spectateur avant de voir le dernier opus de cet artiste si singulier.
Autant le dire tout de suite : en dépit de beaucoup d'efforts, Malick ne parvient pas dans ce Tree Of Life, à renouer avec la magie de la Ligne Rouge. On retrouve bien sa patte si particulière : prises de vues très travaillées, angles inhabituels, plans statiques ou d'une lenteur extatique, nature omniprésente, scènes aquatiques, voix off interrogeant l'indicible, personnages un peu étrangers à leur propre destinée, ou porteurs d'une symbolique envahissante...
Ici s'intercalent en plus, et de manière pour le moins incongrue, des séquences censées sublimer le spectacle sauvage et inouï de la nature. Elles sont certes magnifiques, mais la résonance de ces visions lyriques avec le destin simple d'une famille "sans histoire", perdue au fin fond du Texas, paraît quelque peu décalée. C'est peu dire qu'on passe du coq à l'âne. On se croirait soudain plongé dans un documentaire à prétention écologique et les scènes de début du monde, notamment celles intégrant des dinosaures, semblent franchement hors sujet, et diluent singulièrement la force du récit.
D'autant que les personnages auxquels le scénario nous ramène par épisodes, errent dans un continuum spatio-temporel plus que fluctuant. Le présent, le futur, le passé s'entremêlent, parfois dans la même scène, et l'attention se disperse à force de chercher à recoller les morceaux de ce puzzle éthéré, ou d'essayer de comprendre la symbolique des rôles, supposés incarner tantôt "la voie de la grâce", tantôt celle "de la nature..."
Jessica Chastain, la mère de famille, qui personnifie délicieusement la première, déploie un charme indéniable mais un peu lointain et inconsistant. Ses robes très fifties sont toutefois d'une grande élégance (on songe parfois à Maggie Cheung dans In The Mood For Love). Brad Pitt, le père, guindé dans un froid stoïcisme, quant à lui se cantonne à un registre très conventionnel, voire parfois caricatural. De leur côté, les enfants que Malick cherche à montrer au plus près de leurs jeux, de leurs émotions, manquent de naturel et de spontanéité. Incarnant l'un d'eux devenu adulte, Sean Penn est parfaitement absent. C'est le problème majeur de ce film : les êtres humains semblent n'être que des mirages. Ils n'ont pas de substance. On dirait même qu'il n'ont pas de chair...
Au total, ce film reste à côté de ses gigantesques ambitions. Certaines scènes familiales ne manquent pas de poésie, les images sont toujours splendides, mais l'ensemble est trop décousu, trop hermétique, trop boursouflé pour que l'objectif soit atteint. Gardons toutefois espoir : Terrence Malick n'a peut-être pas dit son dernier mot...

12 décembre 2011

L'Europe dans la tempête


Que de circonlocutions, que de manœuvres dilatoires, que de vœux pieux dans les résolutions qui émanent des sommets à répétition au chevet de l'Europe !
Le dernier en date promet un nouveau train de mesures visant à restaurer la confiance et à renforcer la cohérence budgétaire de l'Union. Mais malgré les évidentes bonnes volontés, et la détermination affichée, les contours des résolutions restent toujours des plus flous.
On est encore bien loin d'une vraie logique fédérale sans laquelle il paraît illusoire d'espérer enfin une véritable cohésion. Bon nombre d'états "souverains" doivent présenter les nouvelles dispositions à leur parlement. Et en dehors des incantations à la fameuse règle d'or, il est bien difficile en lisant la presse, de savoir concrètement de quelle nature sont les avancées du nouvel "accord inter-gouvernemental", dont on ne voit pas très bien en définitive, s'il amende, complète, ou invalide le traité de Lisbonne. En tout état de cause, on est encore loin d'un gouvernement européen, et encore plus d'une Nation Européenne avec un vrai dessein commun et une ambition partagée...
Dans ce capharnaüm, on ne peut que rester sceptique sur les missions et prérogatives conférées à la BCE, et on imagine mal par quel biais elle pourrait trouver de nouvelles ressources pour colmater les déficits monstrueux que beaucoup de pays, dont la France, continuent de faire. On ne comprend pas mieux l'intérêt des allers et retours de centaines de milliards d'euros – virtuels – entre l'Europe, le FMI, puis à nouveau l'Europe...
Bref, cette dernière s'effrite de plus en plus, l'euro est de plus en plus fragilisé, et malgré le duo solide que paraît constituer l'Allemagne et la France, les dérapages continuent.
Le nouvel accord instaure des "sanctions automatiques" applicables aux pays qui laisseraient filer leur déficit au delà de 3% du PIB. Mais sans dire quand elles seront susceptibles d'entrer en vigueur ni de quelle manière. D'ailleurs à peine revenu de Bruxelles, le président français a annoncé que chez lui, la règle d'or attendra l'élection présidentielle... Heureusement, puisque le déficit sera au mieux de 5% du PIB en 2011 et probablement encore supérieur à 4% en 2012 ! Ces chiffres ne donnent pas vraiment la mesure de la dérive. Rien que pour cette année, 100 milliards d'euros de déficit, c'est 33% des dépenses publiques qui ne sont pas financées...
Comment accorder dans ce contexte, quelque crédit à la parole donnée ? Il y aurait de toute façon beaucoup à dire sur ce carcan réglementaire, qui faisait déjà partie du traité de Maastricht et qui n'a pas vraiment été respecté. En l'occurrence, si une situation déficitaire prolongée est une calamité, son encadrement rigide peut s'avérer inutilement contraignant en période d'investissements, et nettement insuffisant en période de grand endettement. Pour l'heure, ce n'est pas 3%, mais 0% de déficit qu'il faudrait atteindre au plus vite. Encore resterait-il le fameux service de la dette, à savoir les intérêts des emprunts contractés. Chacun peut comprendre la gravité d'une situation qui contraint à emprunter pour rembourser les intérêts de prêts en cours !
Mais pour s'en extraire, il faudrait proposer de sévères mesures d'économie, ce qui est pour le moins délicat en période préélectorale. D'autant que pas un homme politique ne semble disposé à changer les credo idéologiques sur lesquels repose notre modèle en perdition. Si Nicolas Sarkozy paraît sur le sujet assez timoré, aucun de ses adversaires politiques ne risque de lui faire de l'ombre tant ils se cantonnent tous à des pis-aller démagogiques ou à des balivernes rétrogrades...

Illustration : Claude Joseph Vernet. tempête et épaves (détail)

07 décembre 2011

Des crimes et des hommes

L'information n'a guère eu d'écho dans la presse.
Le meurtrier de 77 personnes le 22 juillet dernier en Norvège, ne serait selon l'expertise des psychiatres, "pas pénalement responsable de ses actes" (Figaro 29/11/11). Par conséquent, si le tribunal suit l'avis de ces médecins, il devrait tout bonnement échapper à la prison et n'être condamné qu'à subir des soins en établissement psychiatrique.
Ce cas soulève un problème de fond en matière de justice. Alors que la polémique resurgit à chaque fois qu'un criminel est sur le point d'être exécuté aux Etats-Unis, au motif qu'il serait peut-être innocent, l'étonnante indifférence entourant le cas présent à de quoi interroger.
Cet homme est coupable, cela ne fait aucun doute. Ses forfaits, prémédités, ont été froidement calculés et organisés avec une précision diabolique. Ils sont particulièrement horribles – l'assassin n'a laissé aucune chance à ses victimes exécutées par pur plaisir de tuer – et déstabilisants pour une société entière.
S'il se confirme que la justice s'avère incapable de sanctionner cet effroyable bain de sang autrement que par un expédient médical, il y a vraiment de quoi se poser des questions sur le sens qu'elle accorde au concept de responsabilité, et peut-être même de justice...

Pourquoi la barbarie serait-elle plus acceptable venant de gens considérés comme malades dits "mentaux", que de gens normaux ? Où s'arrête la raison, où commence la folie dans de telles circonstances ?
C'est faire un quasi affront aux aliénés que de trouver la violence excusable lorsqu'elle est de leur fait. J'en veux pour preuve les dénégations de l'intéressé qui avec beaucoup de calme refuse le qualificatif de malade mental, et qui relève dans le rapport des médecins "nombre d'erreurs factuelles et une méconnaissance des idéologies politiques".

Les crimes les plus affreux sont toujours la conséquence d'un "coup de folie", comme l'exprime de manière spontanée le bon sens populaire. La justice devrait donc se résigner systématiquement à se déclarer incompétente et par la même, incapable de sanctionner à leur mesure, tous ces crimes. Tant de palabres pour en arriver là... Tant de questions abandonnées à la friche...
Quel est en la circonstance, l'espoir qu'un tel individu redevienne un citoyen normal, ou tout simplement puisse purger sa peine à l'égard de ses victimes et de la société ?
Quel est objectivement l'intérêt, pour lui et pour la société, d'une condamnation à vivre enfermé dans un asile, à défaut d'une prison, pendant le restant de ses jours ?
Et si par miracle il retrouvait un jour la raison, comment imaginer qu'il puisse vivre avec le poids de son forfait sur la conscience ?

Ce drame ne peut évidemment permettre d'occulter la problématique de la peine de mort.
En l'ayant totalement abolie, on imagine parfois avoir réglé le problème. Pourtant, la société se condamne par voie de conséquence, à des solutions absurdes, et probablement au moins aussi cruelles. Elles témoignent en outre d'une certaine lâcheté et d'une étrange irresponsabilité. En l'occurrence, les psychiatres qui déclarent le forcené irresponsable, se déclareraient eux-mêmes irresponsables du devenir de cette personne, qu'elle soit recluse à vie entre quatre murs ou qu'elle recouvre la liberté.
Il est frappant de constater qu'à chaque fois qu'un déséquilibré, relâché après avis d'experts, commet un nouveau crime, les psychiatres refusent d'assumer la moindre responsabilité, et plaident la bouche en cœur l'aléa imprévisible...

Ce genre d'affaire me fait irrésistiblement penser à la magnifique nouvelle de John Steinbeck, "Des souris et des hommes". C'est un récit simple. Trop simple peut-être pour les amateurs d'intrigues alambiquées ou de métaphysique en forme de jus de cervelle. Pourtant, l'histoire de George et de Lennie est de celles qui s'impriment en profondeur dans la conscience du lecteur et qui ne le quittent plus de sa vie.
Ce que George est amené à faire, parce qu'il considère qu'il s'agit de son devoir, de sa responsabilité, touche au sublime, au sens philosophique. Et sa portée pourrait sans peine inspirer une vraie réflexion sociale, sans tabou, sans faux semblant ni artifice, et pour autant profondément humaine...

01 décembre 2011

Prophètes du trou noir


Autour de la crise qui n'en finit pas de s'aggraver, les charognards s'enhardissent. Espèrent-ils tirer quelque avantage ou quelque gloriole des décombres d'un système auquel ils promettent sans aucune retenue la fin toute proche ? Éprouvent-ils une sorte de morbide jubilation à l'idée que l'objet de leur ressentiment risque enfin de s'abîmer définitivement ? Il est difficile de trancher, mais en l'occurrence, dire qu'ils haïssent ce système - le capitalisme bien sûr - serait un doux euphémisme. C'est une détestation viscérale qui les anime. Ils bavent d'exaltation devant les soubresauts de la bête, selon eux enfin moribonde.

Un exemple édifiant de cet étrange rituel, qui tient plus du vaudou que de la science économique, fut donné le 30 novembre dernier au matin, par Paul Jorion, invité de France Culture. Ce gentil savant à la barbe blanche, anthropologue paraît-il de son état, a commencé son exposé de manière très pateline, mais il a basculé peu à peu dans la diatribe à sens unique, voire dans un vrai délire monomaniaque, faisant se succéder les affirmations abruptes, les slogans les plus éculés (évoquant de manière compulsive ces "1% de la population qui détiennent 40% des richesses..."), le tout arrosé d'un contentement de soi ineffable, et d'une intolérance ahurissante, n'acceptant aucune contradiction à ses propos.
Puisqu'il décrète une fois pour toutes "qu'il fait partie des gens ayant les yeux un peu plus ouverts que les autres", ces derniers sont par nécessité des aliénés défendant une cause perdue.
En bref, selon ce monsieur très "initié", la crise actuelle s'inscrit comme point d'orgue à "la destruction ultime du capitalisme". Qu'on se le dise, tout est bel et bien fini : "Le système financier américain est terminé, le délitement de l'euro s'achève". Inutile de se battre, car "la machine est cassée.../... le cœur est fondu.../... les marchés, c'est un cadavre."
Il y a d'ailleurs d'autant moins d'espoir que "c'est la panique au sommet" et que "les gens au sommet n'ont pas la moindre idée comment ça fonctionne." Comme les tribus primitives devant une machine en panne, à laquelle ils ne comprennent rien, les experts gesticulent, ou pire, font de vains sacrifices : un chevreau, une vache, puis des  êtres humains..."

Comment peut-on avoir la permission de proférer de pareilles insanités, avec un ton aussi doctoral, sur les ondes de chaînes radiophoniques respectables, c'est un grand mystère. D'autant plus grand que personne ou presque n'osa contredire le mage illuminé. Exception faite de Brice Couturier qui eut l'audace de lui faire remarquer qu'à l'heure actuelle certains pays se portaient plutôt bien du capitalisme, et qui eut l'impudence de lui demander par quoi il songeait à le remplacer. Il fut aussitôt refroidi par la logorrhée intarissable qui s'abattit avec un mépris dévastateur sur ses timides remarques.
M. Jorion n'aime ni les contradictions ni les questions gênantes. Bien qu'il s'exclama à plusieurs reprises qu'il était urgent de "reconstruire un système financier à partir de zéro", il se refusa à fournir ne serait-ce qu'une esquisse d'ébauche de début de piste aux auditeurs dépités, allant dans un rare élan de modestie à concéder "qu'il n'était pas Dieu..."

Il y a pourtant une autre manière de voir les choses, moins immanente, moins déclamatoire, mais sans doute plus réelle.
Non le capitalisme n'est pas mort, malgré les incantations de ceux qui espèrent sa déroute depuis si longtemps. Au contraire même pourrait-on dire, les pays qui s'en sortent le mieux à ce jour sont ceux qui s'y sont convertis de fraîche date et pratiquent donc le capitalisme, dans sa version la plus sauvage (c'est à dire très peu sociale). Paradoxe, ils émergent pour la plupart du socialisme le plus noir...
A l'inverse, dans les pays qu'on croyait acquis depuis longtemps au capitalisme, notamment les démocraties occidentales, il traverse une crise grave. Est-il en train de mourir, on peut toutefois en douter, et il serait tragique de le souhaiter. Les crises sont inhérentes à ce système qui est en perpétuelle régénération, comme l'avait brillamment montré Schumpeter.
Est-ce pour autant une phase de destruction créatrice à laquelle nous assistons ? Rien n'est moins sûr, car le mal actuel ne réside pas dans la substance du système, mais dans ses à-côtés supposés lui servir de pondération, de régulation.
Parmi les causes de son actuelle déconfiture, il faudrait précisément reconnaître certains torts contre lesquels le même Schumpeter avait mis en garde, par exemple d'avoir cédé à la tentation de l'Etat-Providence, d'avoir promu une politique de concentration des moyens de production (fusions, trusts, monopoles) et d'avoir laissé proliférer une bureaucratie envahissante, produisant à tout vent des ribambelles de législations et de réglementations, au détriment de l'application de lois et de règles simples visant à minimiser la spéculation hasardeuse, la corruption et la malhonnêteté.
Résultat, force est de constater que le système, devenu adynamique, s'asphyxie lui-même dans ses boursouflures et dans ses redondances.

Curieusement, si l'Etat Providence est dans la panade, les politiciens qui sont les premiers à l'avoir mené là, ne s'estiment pas responsables, et pas davantage les apôtres de l'alter-pensée qui préconisaient et continuent de réclamer plus de dépenses publiques et une redistribution autoritaire et égalitaire des richesses. Pour eux, les boucs émissaires du jour, ce sont d'obscurs et insaisissables financiers, et les banquiers, qui ont prêté sans compter (certes imprudemment) aux irresponsables qui portaient aux nues avec démagogie le leurre enchanteur de la "justice sociale".

Si une chose apparaît clairement à ce jour, c'est bien l'endettement monstrueux de la plupart des Etats occidentaux. Endettement souvent structurel, car non pas causé par des investissements, mais par le financement de prétendus acquis sociaux qu'il faut indéfiniment abonder. Endettement si massif, qu'on ne voit pas bien comment il pourrait être résorbé. D'autant que le déficit, générateur direct de la dette, ne cesse de croître, en dépit des belles résolutions (prises lors du traité de Maastricht notamment). Il avoisinait récemment 8% du PIB en France et sera proche de 6% cette année. Les prévisions les plus optimistes le voient toujours autour de 4% l'an prochain et à 3% à partir de 2013. Mais dans tous les cas cela signifie que l'Etat continue de s'endetter. Derrière ces pourcentages théoriques, il y a des chiffres faramineux. Cette année, le déficit de la France sera de près de 100 milliards d'euros ! En regard des quelques 50 milliards d'euros que produit l'impôt sur les revenus, c'est assez effrayant. Et en regard des 200 milliards constituant la totalité des recettes de l'Etat, ça donne la mesure de la dérive budgétaire ! Chaque année, un tiers des dépenses de l'Etat ne sont financées que par l'emprunt. Comment songer au désendettement dans ces conditions ? Même en élevant indéfiniment  les taux d'imposition pour les plus riches (qui ne représentent comme chacun sait qu'un pour cent de la population), ça ne serait qu'une goutte d'eau versée dans le gouffre...
Comment s'étonner dans ces circonstances, que les fameuses agences de notations dévaluent les notes des Etats impécunieux ? On se demande d'ailleurs pourquoi elles ne l'ont pas fait plus tôt. Contrairement à ce qu'on pense parfois, elles ne sont pas nées de la dernière pluie, ni de la dernière crise, puisque leur création remonte à plus d'un siècle aux Etats-Unis (Standards and Poor fut fondée en 1860, Moodys en 1909, et Fitch en1913). Elles ont été somme toute plutôt indulgentes, tout comme les banquiers, tant le capital de confiance des "Etats souverains" semblait à tout le monde "intouchable".

Aujourd'hui, il faut déchanter. Hélas, c'est un abîme vertigineux autour duquel nous tournons. Allons nous parvenir à nous en extraire ?
Les mesures de relance keynésienne ont été comme il était prévisible, un fiasco. Elles ont fait flamber les déficits et l'endettement, sans doper ni la croissance ni l'emploi.
Les taxations et impôts supplémentaires sont un pis aller, vu le niveau déjà très élevé des prélèvements obligatoires. Comme le déplorait Jean-Baptiste Say (1767-1832) : "L'impôt est une amende sur la production, sur ce qui fait exister la société."
Reste la réduction drastique des dépenses publiques, qui signifie l'austérité et l'appauvrissement de tout ce qui vit au dépens de l'Etat (en France, ça fait beaucoup...), mais à laquelle on ne voit pas comment échapper malgré les dénégations des dirigeants. Et in fine, "l'effacement de la dette", qui loin d'être magique, conduira à ruiner ceux qui ont fait confiance à l'Etat.

En tout état de cause, s'il y a des gens qui ont des raisons de "s'indigner" de l'état de fait actuel, c'est bien ceux qui alertaient sur ces dérives du capitalisme et de la démocratie, sur l'instillation démagogique du venin sournois de pseudo "justice sociale" dans le moteur. Mais sûrement pas ceux qui n'ont jamais aimé le capitalisme et qui jouent aujourd'hui aux prophètes, ou pire, aux pompiers pyromanes.

25 novembre 2011

Mutabilité



De deux moitiés faisons une seule entité,
Du temps qui se disperse ignorons les ruptures,
Car les lignes tendues sont toujours les plus pures
Et dans l'espoir tout être aspire à l'unité.

De tout un peu vaut mieux que vaste vacuité
Préservons les idées des vaines conjectures,
Aux grandes théories préférons les épures
Qui dessinent le monde avec humilité.

Sachons voir au travers des portes océanes
L'immensité radieuse emplissant l'horizon
Et l'avenir tout prêt à ouvrir ses arcanes.

Avançons sans vergogne en gardant la raison,
Donnons la vérité à ce qui nous entoure
Et un sens au réel que notre esprit laboure.

Illustration : Nicolas de Staël, Menerbes

20 novembre 2011

Leçons de Pragmatisme (4)


Pragmatisme et Monisme/Pluralisme
Une problématique que James juge essentielle en matière philosophique est celle qui touche à l'unicité du monde : "Croire en l'Un ou croire au Multiple voilà la classification la plus riche de conséquences."
Encore une occasion pour lui de poser la question en terme de finalité : Quel changement pratique induit le fait de penser le monde dans l'unicité ou dans la pluralité ?

L'inclination naturelle de l'esprit humain est de penser, dit-il, que "le monde est Un". "Ce monisme est une musique qui flatte notre oreille : elle élève notre âme et nous rassure."
Mais à bien y réfléchir cette hypothèse est intenable d'un point de vue pratique tant elle dépasse l'entendement humain, et tant elle pose d'impératif dont le monde dans lequel nous vivons ne saurait rendre compte. En effet, "l'unité absolue, par définition ne connaît pas de degré. Le moindre écart corrompt le principe.../.. Autant dire que l'eau contenue dans un verre est pure parce qu'elle ne contient qu'un seul petit germe de choléra !"

Certes le monde est unique au moins "comme objet de discours" et c'est tant mieux, car sinon nous ne pourrions même pas en parler. Il rassemble des choses qui se tiennent par une certaine continuité. "Le temps et l'espace sont des supports de la continuité qui permettent aux diverses parties de l'univers de tenir ensemble." Il y a même quantité d'autres lignes de continuité ou de lignes d'influence entre les choses. Plus généralement, "il y a entre toutes les choses cohésion et adhésion d'une manière ou d'une autre, si bien que pratiquement, l'univers existe sous forme de chaînes ou de toiles d'araignée qui font une chose continue ou intégrée."
On peut également évoquer pour accréditer l'unité du monde, la cause première de son existence, le lien générique qui regroupe de manière hiérarchique les choses et enfin l'unité de but qui les caractérise. On pourrait même ajouter l'harmonie esthétique de l'univers et l'unité transcendantale du sujet connaissant, chère à l'idéalisme, aussi unique que l'univers lui-même.

Dans l'état actuel de nos connaissances, et dans la situation où se trouve l'esprit humain, l'attitude pragmatique consiste toutefois à renoncer au monisme absolu aussi bien qu'au pluralisme : "Le monde est un, dans la mesure où ses parties tiennent ensemble grâce à un type de relation quelconque. Il est multiple dans la mesure où certaines relations ne parviennent pas à s'établir."
Au total, "l'hypothèse d'un monde dont l'unité est encore imparfaite et le sera peut-être toujours" est la plus appropriée à ce qui est. Le pragmatisme s'inscrit ainsi dans une logique qui n'est pas sans rappeler celle du bon vieux Kant. Sans rejeter l'hypothèse d'une finalité relevant d'un absolu unique, inaccessible, elle considère qu'il vaut mieux pour l'heure s'en tenir humblement aux concepts sur lesquels notre entendement et notre raisonnement ont prise : "Nous sommes comme des poissons nageant dans l'océan des sens que borne par au dessus l'élément supérieur que nous sommes incapables de respirer ou de pénétrer."

Pragmatisme et Humanisme/Religion
Les dernières leçons de William James portent sur les rapports que peut entretenir le pragmatisme avec l'humanisme et la religion. Il amène le lecteur à adopter une attitude ouverte sur le sujet, puisque l'idée de Dieu n'apparaît pas contradictoire avec la perspective d'un monde perpétuellement en mouvement vers le progrès et l'amélioration : "la philosophie pragmatique a aucun moment ne congédie les conceptions religieuses positives desquelles au contraire, elle est proche."
Proche également, une fois encore et sans le dire, de Kant s'émerveillant à la fois du ciel étoilé au dessus de sa tête et de la loi morale au fond de lui, James énonce comme quelque chose d’incontournable : "ce besoin d'un ordre moral éternel [qui] est l'un des plus profonds qui soient ancrés en nous". Il affirme que d'un simple point de vue pratique, l'idée de Dieu est préférable au nihilisme athée car, elle "nous garantit l'existence d'un ordre éternel idéal."

Dans le même temps, il insiste sur l'importance fondamentale qu'il y a de ne pas mêler des considérations relevant d'un quelconque absolu immanent, à celles qui cherchent à construire une philosophie pratique : "La notion d'une réalité qui exigerait que nous soyons en accord avec elle, sans raison aucune, mais seulement parce que cette exigence est inconditionnelle ou transcendante, est une idée qui me dépasse complètement."

Selon ce point de vue, la réalité n'est pas quelque chose d'extérieur à nous mais un continuum dans lequel nous sommes et que nous pouvons faire évoluer. En d'autres termes, que la réalité soit ne dépend que d'elle, mais ce qu'elle est dépend de l'angle choisi et ce choix ne dépend que de nous. Et pour qu'elle ait un sens, "la réalité est ce dont les vérités doivent tenir compte en général."
Dans cette perspective la religion finit par se confondre avec l'humanisme, de sorte qu'on ne saurait gommer la contribution apportée par l'homme, au devenir du monde. Nous croyons souvent que la réalité est déjà toute faite et achevée, et que notre intellect n'est apparu que pour la décrire telle qu'elle est déjà. Invoquant le philosophe allemand R. H. Lotze (1817-1881), James se demande "si la réalité existante ne serait pas là précisément pour stimuler notre esprit afin qu'il produise ces ajouts qui vont augmenter la valeur totale de l'univers plutôt que dans le but de réapparaître telle quelle dans notre connaissance..."
Cette hypothèse aux accents prométhéens est fascinante car elle revient à envisager que : "le monde est tout à fait malléable et qu'il attend que nous lui apportions , de nos mains, les dernières touches..."

En définitive, en réduisant l'essence divine à sa plus simple expression, et qu'on en ait une conception moniste ou pluraliste, tout se passe comme si Dieu (au sens très large), n'était qu'un allié dans la lutte des hommes pour devenir meilleurs et rendre le monde meilleur...
Et sur ce long, très long chemin, William James affirme, après avoir combattu leurs excès, que le pragmatisme n'a d'autre dessein que celui de réconcilier les esprits délicats et les esprits endurcis !


Pour conclure
Ce petit ouvrage s'avère beaucoup plus profond que son titre ne porte à l'imaginer. C'est sans doute un peu le drame de la philosophie américaine, qui fait qu'elle est si mal interprétée, si incomprise. Elle manie des concepts en apparence simples et elle privilégie à tout moment la poursuite d'intérêts pratiques (au même titre que celle du bonheur). On ne saurait être plus trivial pour des esprits qui se piquent d'intellectualisme !

Preuve est faite s'il le fallait que ce n'est pourtant en rien contradictoire avec l'élévation de la pensée. William James marie les plus hautes aspirations avec une sorte de bon sens rustique.
Il en tire plus qu'une philosophie : une méthode pour s'attaquer aux problématiques les plus complexes, avec la même analyse qu'un plombier face à une fuite d'eau.
Il montre l'importance qu'il y a de bien poser les questions, de les décomposer si nécessaire, en alternatives abordables par le raisonnement, et il souligne la nécessité de chercher à définir à chaque fois la finalité à laquelle elles sont susceptibles de pouvoir répondre.
Au surplus, l'originalité de son approche est de s'inscrire dans une dynamique mélioriste, suggérant qu'un monde apte au progrès a beaucoup plus de sens qu'un autre qui serait trop statique, trop prédéfini, trop matériel...

La réédition récente de la préface que fit naguère Henri Bergson (1859-1941) pour cet ouvrage, fournit l'occasion de confirmer le caractère novateur de cette démarche et de préciser son apport spirituel. Puisque dans l'homme il y a de l'esprit, pourquoi dénier à ce dernier une réalité palpable : "Les sentiments puissants qui agitent l'âme à certains moments privilégiés sont des forces aussi réelles que celles dont s'occupe le physicien."
Enfin et surtout, il précise comment James a bouleversé la manière dont on peut penser le réel et le vrai, comment la vérité peut être considérée comme le cœur battant de la relation qu'a l'homme au monde, c'est à dire la réalité, laquelle est susceptible d'évoluer. La vérité n'est pas déposée dans les choses et dans les faits, elle ne préexiste pas à nos affirmations : "nous définissons d'ordinaire le vrai par sa conformité à ce qui existe déjà. James la définit par sa relation avec ce qui n'existe pas encore.../... La philosophie a une tendance à vouloir que la vérité regarde en arrière, pour James, elle regarde en avant."
En définitive, selon Bergson, à travers les propos de James, la vérité relève plus de l'invention que de la découverte. Pas étonnant dès lors qu'il devienne possible d'affirmer avec lui que "comme toute invention, elle ne vaut que par son utilité pratique."

Et pour finir, un hommage on ne peut plus vibrant, d'un philosophe à un autre, par dessus l'Atlantique : "La postérité mettra William James à sa vraie place. Elle dira sans doute que ce penseur fut un des plus grands, et que nul ne fit un plus vigoureux effort pour étreindre la réalité..."

Henri Bergson Sur le pragmatisme de William James, PUF Collection Quadrige Grands textes. 2011

15 novembre 2011

Leçons de Pragmatisme (3)

Pragmatisme et Sens Commun
William James suggère une théorie de la connaissance, faisant du "sens commun" un terreau constitué par les découvertes passées qui ont "réussi à traverser toute l'expérience subséquente en se conservant", sur lequel viennent se greffer de nouvelles expériences sans jamais complètement déloger l'acquis. Einstein ne remplace pas Newton en quelque sorte, et Kant ne supprime pas Platon.
Le sens commun, qui semblait un concept des plus figés, acquiert une signification dynamique inédite. Dans ce processus en constante évolution, le "possible" est une idée maîtresse, se définissant comme "quelque chose de moins par rapport au réel et quelque chose de plus par rapport à l'irréel". C'est ce qui permet à l'être humain de relier les choses et les êtres entre eux et de raisonner sur eux, même en leur absence. Tout le contraire de l'animal qui n'imagine pas ce que son maître va faire, ni où il va, lorsqu'il sort sans lui. Ou bien du bébé qui "lorsque son hochet tombe, ne le cherche pas. Pour lui, il est "parti".

Cette conception amène à réfléchir sur la fiabilité des bases fondant le sens commun. A ce propos James rappelle la réticence de l'être humain à remettre en cause ce qu'il croit acquis : "lorsqu'il s'agit d'appréhender des faits tellement nouveaux qu'ils entraîneraient une remise en cause radicale de nos idées préconçues, généralement on les ignore complètement ou on maudit les gens qui nous les font remonter."
C'est une force car il serait épuisant de remettre systématiquement tout en cause, mais c'est aussi une fragilité d'où il découle que : "bien que le sens commun ait l'apparence de la connaissance éprouvée, il faut toutefois s'en méfier."
Il faut également accepter l'incapacité du sens commun à répondre à certaines questions pratiques. Un seul exemple : à l'instar du fameux bateau de Thésée, "un couteau dont on a changé le manche et la lame reste-t-il le même ?"
Enfin à l'inverse de ce qu'imaginaient les philosophes de l'école péripatéticienne, les catégories du sens commun n'ont rien d'éternel ou d'immuable. Car, depuis qu'il est capable de modifier le monde qui l'entoure, "l'homme crée des choses nouvelles qui bouleversent le sens commun." 
Il en crée même tant, "qu'il risque de se noyer dans ses propres richesses comme un enfant dans son bain, qui ne sait pas refermer le robinet qu'il a ouvert..."
A ce stade, James compare les retombées pratiques respectives de la science et de la philosophie, et émet là une sévère critique de cette dernière "qui va beaucoup plus loin dans ses négations que le stade scientifique, [mais] n'a pas augmenté jusqu'à présent la portée de notre puissance pratique"
Il recommande en conséquence de considérer les théories comme "des instruments, des moyens que trouve l'esprit pour s'adapter à la réalité" plutôt que "des révélations, ou des réponses gnostiques à ce monde énigmatique créé par Dieu".
Ce qui l'amène à poser le problème qui en découle naturellement "N'y aurait-il pas après tout une certaine ambiguïté dans la vérité ?"

Pragmatisme et Vérité
De fait, la vérité est un concept des plus discutables, et sur ce sujet plus que sur tout autre, s'affrontent clairement les conceptions rationalistes et pragmatiques.
Il faut certes accorder à la vérité des choses, une certaine universalité, "pourvu qu'on ait bien identifié les concepts (les genres) sur lesquels elle s'exerce : un et un font deux, le blanc est plus proche du gris que du noir, lorsqu'une cause commence à agir, l'effet débute... Ces propositions sont vraies pour tous les uns, tous les blancs, toutes les causes."

En pratique il faut donc insister sur le fait que "les noms qu'on donne aux choses sont arbitraires, mais une fois qu'ils ont pris un sens il faut s'y tenir."
Pour autant, la vérité utile ne relève pas davantage d'un absolu immanent que d'une réalité matérielle trop bornée. Le pragmatisme propose une approche qui se situe à la croisée des chemins. Pour le rationaliste, "la vérité demeure une pure abstraction dont le seul nom doit nous inspirer le respect. Tandis que le pragmatiste entreprend de montrer en détail pourquoi il faut s'incliner, le rationaliste se révèle incapable d'identifier les faits concrets dont il a tiré son abstraction."
Au surplus, "malgré son attachement aux faits, il ne souffre pas du même penchant matérialiste que l'empirisme ordinaire" et il ne voit "pas d'inconvénient à concevoir des abstractions tant qu'elles vous permettent de vous mouvoir parmi les faits particuliers et qu'elles vous mènent quelque part." On pourrait même poursuivre le raisonnement encore plus loin en acceptant "qu'une idée est vraie dès lors qu'y croire nous aide à vivre..."

L'attitude pragmatique face à la vérité, se ramène donc comme souvent, face à un questionnement, à soupeser les alternatives en fonction de la finalité recherchée. Elle vise à interpréter chaque notion en fonction de ses conséquences pratiques : "Quelle différence y aurait-il en pratique si telle notion plutôt que telle autre était vraie ? Si aucune différence pratique n'apparaît, c'est que les deux notions sont pratiquement équivalentes et que la discussion est vaine."
Le vrai est donc une idée toute relative, évolutive, et en pratique, on peut l'assimiler à "ce qui paie". En d'autres termes, la vérité de nos idées "réside dans le fait qu'elles fonctionnent". On touche ici le cœur de l'esprit anglo-saxon notamment américain, et dont on se méfie si fort en Europe et particulièrement en France. C'est sans doute à cause de cet a priori que le pragmatisme y est si méprisé et incompris autant que méconnu. Einstein avait plaisanté sur ces notions en s'exclamant que : "La théorie, c'est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. - La pratique, c'est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi..."

En bref, la vérité n'a d'intérêt que in rebus et non pas ante rem. C'est une approximation "qui se réduit à ce qui est opportun en matière de pensée, tout comme le Bien se réduit à ce qui est opportun en terme de conduite..."

A suivre....

13 novembre 2011

Leçons de Philosophie Pragmatique (2)


Avec un sens aigu de la pédagogie, et avec l'ambition de tordre le cou au dualisme manichéen qui oppose rationalisme et empirisme, William James décompose son propos sur le pragmatisme, de manière à le confronter sans détour, aux grands thèmes de la réflexion philosophique : métaphysique, monisme et pluralisme, sens commun, vérité, humanisme, et enfin religion. Une réflexion qui s'avère en tous points captivante.

Pragmatisme et Métaphysique
S'agissant de la métaphysique dont on connaît la propension aux nébulosités, James montre qu'elle peut être abordée d'un point de vue pratique.
Il s'interroge en premier lieu sur la notion aride de substance, qui sous-tend l'opposition entre matérialisme et spiritualisme et qui constitue une des plus vieilles pierres d'achoppement de la philosophie. Au quotidien on a tendance à confondre, de manière quasi indissociable, la substance avec les attributs qui la définissent à nos sens. La substance craie est ainsi réduite dans notre esprit à ses caractéristiques : blancheur, friabilité, insolubilité dans l'eau, etc... Chaque substance n'est qu'une des modalités d'une substance plus élémentaire qu'on nomme matière, définie par deux attributs : l'étendue et l'impénétrabilité.
Par analogie, ajoute James, "nos pensées et nos sentiments sont des affections ou des propriétés de nos âmes respectives, qui sont des substances, dépendantes à leur tour d'une substance plus profonde, "l'esprit" dont elles sont les modes."
Mais en pratique, la notion de substance est une abstraction  pure, qui permet de donner un mot aux choses et une cohésion aux attributs par lesquels nous percevons ces mêmes choses, mais elle n'a pas de réalité à proprement parler. Qu'il y ait substance ou non ne change rien à la manière dont nous percevons ses attributs.
Étrangement, la seule application pratique de la notion de substance, selon James, réside dans l'eucharistie chrétienne, durant laquelle, quoique ses propriétés physiques ne changent pas, l'hostie devient (à condition d'y croire naturellement), le corps du Christ. De substance pain elle devient donc substance divine !
 
Une question dès lors se pose : de savoir si derrière la substance tangible réside ce qu'on pourrait assimiler à la substance en soi, chère à Kant (noumène). Une autre de définir la nature de la substance princeps : est-elle matérielle ou spirituelle ?
 
Les matérialistes tels que Berkeley considèrent qu'il est vain d'imaginer une substance inaccessible, "à l'arrière-plan du monde externe". A sa suite Locke et surtout Hume dénient même l'existence d'une âme derrière la conscience.
Pourtant James, au lieu de trancher sur des notions relevant de spéculations, préfère plutôt tenter de déterminer "quelle différence pratique peut découler du fait que le monde soit gouverné par la matière ou par l'esprit."

Il amène ensuite à débattre du matérialisme sous un angle original en affirmant que "pour ce qui concerne le passé du monde, peu importe qu'on croie qu'il ait été créé par la matière ou par un esprit divin."
Quelque soit le point de vue, ça ne change en effet rien à l'idée qu'on peut en avoir : "une fois le rideau tombé, la pièce qui vient d'être jouée n'est pas meilleure parce qu'on prétend que l'auteur est un génie, et pas moins bonne parce qu'on dit au contraire qu'il s'agit d'un écrivaillon." Selon cette appréciation rétrospective, le débat entre le matérialisme et le théisme est vain et dénué de sens. "Matière et Dieu signifient exactement la même chose, c'est à dire ni plus ni moins la puissance qui a créé ce monde fini et lui seul..."

Tout change en revanche si l'on analyse le monde en devenir. Force est alors de convenir que le matérialisme "n'est pas garant permanent de nos intérêts les plus élevés, qu'il ne peut combler nos espoirs ultimes". Sans avoir besoin de préjuger de l'existence de Dieu, et d'un simple point de vue scientifique, il est impossible de nier la finitude de la matière : "la croyance spiritualiste sous toutes ses formes a affaire à un monde plein de promesses, tandis que le soleil matérialiste sombre dans un océan de désenchantement."
L'optique qui consiste à voir en avant et qui postule un futur ouvert et meilleur, éclaire également d'un nouveau jour les questions relatives au dessein de la nature et au libre arbitre.
Au sujet du premier, James récuse la conception théiste classique, dont le simplisme est battu en brèche par les constatations du darwinisme (qui introduit dans le processus évolutionniste les notions de hasard et de nécessité). S'il n'est pas exclu qu'un dessein existe, il n'est certainement pas univoque et plein de bonté mais "si vaste qu'il dépasse l'entendement humain". Pour l'heure, "la vague confiance en l'avenir est la seule signification pragmatique que l'on puisse attribuer aux termes dessein et créateur."
Partant du même principe, James renvoie dos à dos les partisans du libre arbitre et ceux du déterminisme, considérant que dans l'absolu, aucune des deux options n'a de sens. Il recommande une fois encore de se placer dans une perspective où le monde et notre condition sont susceptibles de s'améliorer (méliorisme). Il est clair que le déterminisme, en niant la possibilité de la moindre initiative, de la moindre nouveauté par rapport à l'impulsion originelle des événements, fait obstacle à cette "théorie cosmologique de la promesse". D'un autre côté, si comme le pensent certains théologiens, tout ce qui arrive ici bas est attribuable à la volonté de Dieu, alors le libre arbitre est une absurdité, car le monde étant par essence parfait, "liberté voudrait dire dire liberté d'être pire, et qui serait assez fou pour désirer cela" ?
Autrement dit, si le monde a pour vocation de tendre vers l'amélioration et si l'homme a quelque rôle à jouer dans ce progrès, le libre arbitre constitue le meilleur outil dont il puisse disposer...

(à suivre...)

06 novembre 2011

Leçons de Philosophie Pragmatique (1)


Rarement ouvrage de philosophie m'a paru plus évident, plus humble et pertinent que cette introduction au pragmatisme, proposée en huit leçons par le philosophe américain William James (1842-1910).
Non content d'avoir été un des fondateurs de la science psychologique moderne, ce dernier décrivit une méthode de pensée des plus originales et des plus abordables, en dépit de la complexité des problèmes auxquels elle s'attaque.

Pourtant, de l'aveu de James lui-même, on pourrait remonter à la Grèce antique, pour trouver la source des concepts qu'il entreprend d'exposer dans cet ouvrage : "rien de nouveau dans la méthode pragmatique : Socrate l'utilisait en expert, et Aristote en avait fait sa méthode".
Disons également qu'elle emprunte également beaucoup aux philosophies empiristes ou utilitaristes telles que proposées par Locke, Hume, Mill, mais qu'en enlevant les quelques bornes matérialistes ou positivistes qui en limitaient parfois la portée, elle s'avère susceptible d'emmener le lecteur dans un voyage intellectuel passionnant, qui part des considérations les plus terre à terre et s'élève en toute quiétude vers l'infini.

Selon James, il est essentiel avant toute chose de délimiter d'emblée le champ des possibles. Dans cette optique, il distingue au plan historique, deux grandes catégories de penseurs, qu'il oppose radicalement, à savoir les empiristes et les rationalistes.
Il en donne même une définition schématique en relevant les principales caractéristiques qui fondent à ses yeux les deux lignages, assimilant de manière un peu narquoise les rationalistes à des esprits "délicats" (tender-minded) et les empiristes à des esprits "endurcis" (tough-minded).
Ainsi, on peut distinguer les uns des autres en opposant respectivement les modalités sur lesquelles se fonde leur pensée.
Le Rationaliste est : intellectualiste, idéaliste, optimiste, religieux, partisan du libre arbitre, moniste, dogmatique.
L'Empiriste est au contraire : sensationnaliste (se fondant sur la réalité des sensations), matérialiste, pessimiste, irréligieux, fataliste, pluraliste, sceptique.

En bref, la ligne de partage se définit à partir de la source même du point de vue adopté : "le rationaliste voue un culte aux principes abstraits et éternels" tandis que "l'empiriste s'attache aux faits dans leur variété brute".
De ce fait, suivie trop exclusivement, la première voie a tendance à noyer l'adepte dans un flot de conjectures et  offre en règle peu de débouchés pratiques, tandis que la seconde risque de l'enfermer dans un positivisme borné par le matérialisme et un froid déterminisme. Or, "Ce qu'il nous faut" s'exclame James, "c'est une philosophie qui non seulement sollicite nos facultés intellectuelles d'abstraction, mais encore soit en prise directe avec le monde réel de nos vies humaines finies."
D'une manière générale il conseille donc d'écarter les théories qui réduisent le monde à des systèmes, aussi séduisants soient-ils. Bien souvent selon lui, "le monde auquel vous donne accès le philosophe est clair, limpide et noble. Il ne comporte aucune des contradictions de la vie réelle.../... c'est un temple de marbre qui scintille au sommet d'une colline." Mais cette manière de concevoir les choses, trop bien définie, est vaine, "car l'univers réel est une chose ouverte. Or le rationalisme fabrique des systèmes, et les systèmes sont forcément clos."

C'est dit, le premier intérêt du pragmatisme est de proposer une approche totalement ouverte, qui n'écarte rien a priori, et qui retient avant tout ce qui permet de progresser ou de devenir meilleur. Ainsi, "comme les doctrines rationalistes, il peut rester proche de la religion [et d'une manière générale des concepts tenant à la spiritualité], mais en même temps, comme les philosophies empiristes, il peut se tenir au plus près des faits."
Le pragmatisme procède pas à pas, sans dogme pré-établi. Il n'a aucun dessein immanent, pas d’à-priori. Il n'a pas l'ambition d'élucider les causes finales, mais développe une conception téléologique qui argumente largement en s'appuyant sur la finalité des spéculations intellectuelles. Il se fonde sur le simple bon sens, et tire toute sa substance de l'analyse du réel, dont nous sommes faits et qui jusqu'à preuve du contraire, nous entoure, sans occulter lorsque cela peut avoir un intérêt pratique, le domaine supra-sensible. C'est avant tout une méthode de "résolution des débats métaphysiques qui sans cela seraient interminables". A cette fin, le pragmatique tente notamment de débusquer les problématiques mal ou trop imprécisément posées, et celles qui n'aboutissent qu'à des réponses vaines, ou bien inappropriées aux questions qu'elles sous-tendent.

Avant de pénétrer un peu plus loin dans le raisonnement, et en guise d'introduction à la méthode, trois exemples concrets recueillis au cours de ces huit leçons, illustrent cette démarche.
Le premier décrit le cas de figure d'une personne tournant autour d'un arbre sur le tronc duquel est accroché un écureuil, tournant également, de manière à ce qu'en permanence le tronc s'interpose entre l'animal et l'observateur.
La question est de savoir si dans une telle configuration, ce dernier tourne autour de l'écureuil ou non. "La personne tourne autour de l'arbre bien sûr, et l'écureuil se trouve sur l'arbre, mais tourne-t-elle autour de l'écureuil ?"
Bien que la plupart des gens soient enclins à répondre par l'affirmative ou par la négative, James montre qu'il est impossible de se prononcer, sans avoir défini préalablement ce qu'on appelle "tourner autour". En effet, si l'on considère qu'il s'agit de se trouver successivement à l'est, au sud, à l'ouest puis au nord de l'écureuil, le réponse est oui. Mais si l'on considère qu'il s'agit de se trouver sur le côté droit puis en face, puis sur le côté gauche et enfin derrière l'animal la réponse est non.
A côté de ce cas de figure où l'impossibilité à répondre tient au manque de précision de la question, on peut trouver d'autres situations non moins ambiguës. Par exemple, lorsqu'en des temps reculés on s'interrogeait pour savoir si le principe actif du levain relevait d'un elfe ou bien d'un farfadet, bien présomptueux était celui qui se prononçait de manière définitive. En la circonstance, à quoi bon choisir une option, puisque aucune n'avait de réelle pertinence et qu'aucune ne faisait avancer d'un iota la connaissance du phénomène ?
Le troisième exemple tente de montrer la relativité de la vérité et d'inciter à se méfier du vrai en soi, lorsqu'il s'apparente à une pure abstraction, sans intérêt pratique. "Si vous me demandez l'heure et que je vous réponds que j'habite au 95 rue Irving, ma réponse a beau être vraie elle n'est en la circonstance d'aucune utilité. Une adresse erronée ferait aussi bien l'affaire."
Dans l'absolu, le vrai n'a en définitive pas plus de sens que le faux et la véracité d'une chose n'a de sens que rapportée à un besoin, à un objectif.

A suivre....

Référence : William James. le Pragmatisme. Flammarion, collection "Champs, classique"