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23 juin 2016

La sagesse de l'argent

Parler de sagesse à propos de l’argent, cela relève dans notre pays d’une vraie provocation !
C’était sans doute un peu l’intention de Pascal Bruckner lorsqu’il donna ce joli titre à son dernier essai. 

On connaît en effet son franc parler et un certaine répugnance à se ranger derrière le conformisme contemporain. On connaissait également ses formules mordantes sur “la tyrannie de la pénitence”, sur “le sanglot de l’homme blanc”, ou encore sur “l’euphorie perpétuelle” par lesquelles il tourna en dérision dans des ouvrages précédents les clichés d’une pensée pasteurisée, en passe de perdre tout esprit critique.

Son dernier essai se situe dans la même veine assurément, visant cette fois à tordre le cou à nombre de préjugés relatifs au pognon, à la finance, au capitalisme, à mettre à plat certaines contradictions, et à désosser certaines théories fondées sur le mensonge..
Bruckner se plaît ainsi à montrer que ceux qui dénigrent le plus l’argent ne sont pas forcément ceux qui le dédaignent le plus, tandis que ceux qui en ont beaucoup se font généralement des plus discrets à son sujet.

Il ne lui est pas difficile de fournir maints exemples démontrant comment les politiciens dits de gauche, si vertueux pour les autres, se révèlent si âpres au gain concernant leurs affaires personnelles. La génération soixante-huitarde ou bien celle qui accompagna Mitterrand, fourmille de ces pharisiens dorés, farcis d’hypocrisie. Le gouvernement actuel en est lui-même infesté en dépit des pompeux engagements de François Hollande. Ce dernier lui-même, qui prétend ne pas aimer les riches, fait partie de ces grands bourgeois cachant leur mauvaise conscience sous des slogans miteux. En déclarant sa fortune juste au dessous du seuil relevant de l’ISF, il objective même une mauvaise foi quasi crapuleuse.
Mais la force de ces gens est d’avoir réussi à berner les gogos qui imaginent “qu’être de gauche devient un brevet de vertu et de probité… Pour Bruckner, la question est de savoir combien de temps encore, grâce à cette supercherie, “la caste des hauts fonctionnaires, jouissant de privilèges quasi monarchiques se croira au-dessus des lois...”

Les Politiciens ne sont pas les seuls à se goberger sur le dos d’un peuple naïf. 

Artistes, sportifs, et nombre de représentants du gratin médiatique sont à mettre dans le même panier. Par exemple, le footballeur Cantonna qui dézinguait à tout va les banques pendant que sa femme faisait de la publicité pour le Crédit Lyonnais. Pour Bruckner, “la haine verbale du système est d’autant plus forte qu’on s’y vautre avec délectation...”
Pareillement, il s’inspire du prétendu chef d’oeuvre de Damien Hirst, intitulé “Golden Calf”, pour montrer comment “en condamnant l’argent on se fait de l’argent…”
Les religions elles-mêmes entretiennent des rapports douteux avec l’argent. Bruckner cite le pape qui se pose en ennemi de l’argent tout en avouant qu’il en a besoin pour aider les pauvres et pour la propagation de la foi. Il évoque également le système de “la pénitence tarifée”, par lequel on achète des messes comme autant de viatiques pour l’au-delà, ou encore les fortunes colossales amassées par des sectes prêchant l’austérité (Mormons, Parsis en Inde, …)


Parmi les passages les plus percutants de l’essai, figurent ceux où Bruckner démonte les mensonges qui courent sur les méfaits supposés de l’argent et sur la nature perverse du capitalisme, bouc émissaire commode pour les idéologues de tout poil, propageant le mythe d’un monde meilleur dans lequel serait aboli ce fléau .
Il montre facilement qu’à l’instant présent “c’est dans les pays non capitalistes et non démocratiques que sévissent les formes les plus dégradantes de domination, y compris chez les enfants.”
Évoquant les expériences communistes et socialistes les plus extrêmes, il observe qu’invariablement, “on commence par détruire l’argent et on finit pas détruire les hôpitaux, les écoles, les temples et on rétablit l’esclavage et on traite les hommes en moyens de paiements.”
Il rappelle enfin que ce qui mène aux guerres, ce sont “souvent des ambitions impériales ou des motifs religieux ou idéologiques mais rarement monétaire isolé comme tel.”
De même, il souligne à juste titre que “le XXè siécle a été ravagé non par les puissances financières mais par les idéologies totalitaires, nazisme, fascisme et communisme.” Pendant ce temps, la pauvreté a reculé partout dans le monde grâce à l’extension du marché…

Malheureusement contrairement au dicton qui stipule “qu’abondance de biens ne nuit pas”, Pascal Bruckner noie un peu son propos sous le flot de ses arguments. A vrai dire, ça part un peu dans tous les sens et le message général de l’ouvrage reste nébuleux voire contradictoire.
Entre autres exemples, il est rappelé qu’en France, “les ¾ de l’impôt sont payés par les 20% des contribuables les mieux rémunérés”, mais a contrario, on peut lire également que "civiliser l’argent, c’est le démocratiser, le redistribuer partout comme un trésor qui appartient potentiellement à tous.”
Pratiquant l’art de l’oxymore, Bruckner énonce que “l’argent est à la fois la voie d’accès aux plaisirs et le mur qui les annule…”. A un autre moment, il se fait un tantinet artificieux en évoquant l’amour et la prostitution : “Ce n’est pas l’argent qui tue l’amour mais le manque qui le précipite dans les transactions.” Cette juxtaposition des contraires aboutit parfois même à des lieux communs : “ la corne d’abondance peut devenir menace de gavage, péril de suffocation. Il y a donc dans l’argent quelque chose qui détruit l’argent”, ou bien : “l’argent n’est jamais aussi présent que lorsqu’il est absent...”


Il est enfin difficile de suivre totalement l’auteur dans certaines de ses affirmations .
Notamment lorsqu’il énonce “qu’avec leur lucidité ravageuse, Pascal, La Rochefoucauld et les jansénistes ont anticipé sans le savoir, l’avènement de l’individu comptable, aux horizons bornés, propice à l’éclosion du capitalisme.” Le raccourci est par trop abrupt et réducteur, autant pour le capitalisme lui-même, que pour les penseurs cités !
Autre vision discutable, celle qu’il attribue à Keynes et qu’il partage, d’un avenir radieux “où les problèmes économiques passeront à l’arrière plan, c’est-à-dire à leur véritable place, et où la sphère de l’esprit et du cœur sera occupée ou réoccupée par nos problèmes réels ; ceux de la vie, et des relations humaines, de la création, du comportement et de la religion..”
Certes, on ne peut qu’être frappé par le paradoxe dans lequel “le bonheur n’a jamais été aussi dur à atteindre en dépit d’une abondance matérielle en expansion.” Mais, pour paraphraser une des propres remarques de l’auteur, le problème ne porte pas tant sur l’économie à laquelle porterait un intérêt excessif, que sur les aspirations spirituelles dont nous sommes de plus en plus pauvres…
Autre illustration d’une schématisation abusive du raisonnement, lorsque Bruckner observe navré, que “tout devient référence à la monnaie” et qu’à l’appui de cette thèse, il cite quelques expressions populaires : “se faire valoir.../... parce que je le vaux bien .../... se mettre en frais .../... être payé de retour.../... quelqu’un qui n’en vaut pas la peine…”
N’y a-t-il pas là matière à confusions ? La valeur des choses, des idées, des sentiments s’exprime parfois par des mots qui font référence à l’argent. Mais on ne saurait oublier que cette dernière, n’est elle-même qu’une représentation symbolique de la valeur des choses.
On savait avant ce livre que si l’argent ne fait pas le bonheur, il peut tout de même y contribuer, et qu’à l’instar de tous les excès, “trop d’argent tue l’argent...”

En définitive
A côté de constats intéressants s’attaquant à un vrai tabou, le livre distille quantité de réflexions parfois un peu faciles ou convenues, tendant à pondérer la provocation annoncée par le titre. En fait de décapage on doit souvent se contenter d’une sorte de moonwalk en forme de rétro-pédalage qui donne l’illusion d’avancer tout en reculant.
Au surplus, Pascal Bruckner exprime une conception très littéraire de l’argent, dans laquelle toute référence aux théories monétaires est absente. La confusion qu’il fait à plusieurs reprises entre la valeur des biens et l’argent, témoigne d’une méconnaissance du système monétaire. C’est un peu dommage car l’entreprise était prometteuse et le challenge très excitant...