28 février 2007

L'hôpital dans tous ses états


Début Octobre 2006, la Fédération Hospitalière de France lançait un grand débat sur l'avenir des hôpitaux. Elle ouvrait à cette fin sur l'internet un gigantesque blog censé déboucher sur une « nouvelle plate-forme pour l’avenir de l’hôpital public ».
L'intention était fort louable, mais les résultats deux mois après ce lancement très médiatisé sont plutôt décevants.

On pourrait commencer par reprocher le manque de convivialité du dit blog, prolixe mais un peu brouillon. Les contributions ont fusé tous azimuts, mais plutôt disparates, sans vraie cohésion, sans organisation. On aurait dit un grand défouloir avec l'impression qu'il n'y avait personne derrière. Pire, le projet accouché début décembre ne paraît en rien se référer aux interventions postées.
S'abreuvant aux grands principes, il se résume à un catalogue pompeux mais pas très pragmatique: huit priorités et 65 propositions qui ne s'aventurent guère au delà des conventions établies et de la tiède correction politique.

Ce qui frappe avant tout c'est le retranchement frileux et jaloux derrière la notion emblématique mais nébuleuse de Service Public. Le terme ayant fait florès en matière fiscale, on avance même la notion de « bouclier de service public ». Ce dispositif qui ne cache pas sa nature défensive, s'appuie sur un certain nombre de mesures probablement complexes à mettre en oeuvre, coûteuses et pas très efficaces : par exemple, la nomination de « médiateurs de santé », supposés garantir « l'équité de l'accès aux soins dans ses composantes géographiques, financières et sociales »... Ou bien la suggestion de faire signer à tout professionnel un curieux « contrat de service public de santé ».

Comme pour aggraver cette impression de vouloir faire de l'hôpital une tour d'ivoire inexpugnable, réglementant à son avantage l'ensemble du système de santé, la FHF propose d'accroître les contraintes pesant sur les cliniques, et de limiter les conventionnements de médecins libéraux dans certaines régions jugées surpeuplées. Elle réclame l'arrêt de la convergence tarifaire entre le secteur public et le secteur privé, au motif un peu usé que le premier supporterait davantage de charges et traiterait un type particulier de patients. Mais comment diable, peut-on encore prétendre, à prestations comparables, qu’il soit normal de payer plus cher celles effectuées en secteur public ? N’est-ce pas l’aveu de l’inanité des financements spéciaux des "Missions d'Intérêt Général et l'aide à la Contractualisation" (MIGAC) ou plus grave, de la gabegie hospitalière ?

Enfin, elle demande l'accroissement de l'emprise administrative pyramidale, appelant de ses voeux la création d'une monumentale Agence Nationale de Santé Publique assujettissant à la tutelle étatique, l'ensemble de l'hospitalisation, les soins de ville, les médicaments, et le secteur médico-social. La belle perspective ! Destiné à remplacer ou à se superposer au réseau déjà tissé entre la Direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins (DHOS) et les Agences Régionales de l'Hospitalisation (ARH), cet organisme central étendrait comme autant de bras tentaculaires ses rejetons régionaux, en décuplant le poids de la chape qui pèse déjà sur notre malheureux système de santé...
A côté de ces grandes orientations, figurent des propositions auxquelles il serait inconvenant de s'opposer tant elles sont bien intentionnées, mais qui laissent dubitatif quant aux moyens concrets de leur réalisation : « améliorer la continuité et la permanence des soins », « permettre à chacun de devenir acteur de sa propre santé », « adapter aux besoins la formation et la répartition des professionnels », « donner aux établissements les moyens d'améliorer leur gestion », « organiser la prise en charge des personnes âgées », « relancer la recherche biomédicale ». Vaste programme. J'ose espérer que les dirigeants de la FHF n'imaginent pas être les premiers à y avoir pensé !


Il est vain en revanche de chercher quelque suggestion pratique pour alléger l’incroyable pression bureaucratique qui étouffe la forteresse, pour tenter d’enrayer la machine infernale de la « Nouvelle Gouvernance » et de ses ubuesques Pôles, pour assainir et simplifier la monstrueuse usine à gaz de la T2A, pour redonner un peu d’autonomie et de capacité d’initiative aux établissements, pour les évaluer avec bon sens, pour libérer vraiment la télémédecine qui devrait permettre en souplesse de rapprocher les gens, de partager les compétences, et d’éviter des transports inutiles…
Serait-il possible d’imaginer qu’on laisse enfin respirer les hôpitaux ? Qu’on fasse davantage confiance à leur capacité d’initiative. Qu’on crée les conditions d’une saine émulation et non celles conduisant aux monopoles, ou aux destructions et phagocytoses mutuelles. Qu’on cesse de planifier d’en haut leur fonctionnement au nom de principes idéologiques.
« L'affaiblissement, voire la disparition d'offre de soins sur certains territoires de notre pays », les problèmes de démographie médicale déplorés par le président de la Fédération Hospitalière ne sont-ils pas pour partie le résultat de ce planisme imbu de certitudes ?

Serait-il envisageable de juger les établissements de santé de manière raisonnable, sur la qualité réelle et le coût de leurs prestations, et non sur des seuils d’activité résultant d’à priori stakhanovistes, de normes théoriques issues des SROS, ou sur leur adhésion supposée à des procédures formelles, à des Objectifs Quantifiés déconnectés de la réalité ? Qu’on les laisse se gouverner de la manière la plus simple qui soit, en allégeant l’architecture et les contraintes administratives. Qu’on rémunère leur activité à sa juste valeur en contrôlant l’adéquation des soins prodigués à ceux nécessaires. Qu’on délègue au personnel paramédical de vraies responsabilités permettant d’économiser le temps médical et de réduire certains délais de prise en charge. Enfin, qu’on responsabilise les usagers en cessant de leur laisser croire qu’ils n’ont que des droits et que la santé est gratuite.
Malheureusement, l'initiative de la FHF qui revendiquait selon son président Claude Evin*, une place « au coeur des débats démocratiques à venir », reste bien loin de ces considérations et l'espoir s'estompe décidément d'aller vers un monde un peu plus responsable et libre, et un peu moins soumis aux directives théoriques, si complexes et si éloignées du terrain.
On peut regretter enfin des propos assez vindicatifs à l'encontre du corps médical accusé à demi-mots d'être trop rétif au progrès et aux grandes manoeuvres de la réforme : « il suffit qu'un PH s'oppose à ces réorganisations pour pénaliser fortement l'ensemble de l'institution .../... il faudrait que l'établissement puisse se séparer du praticien en question ». Faut-il en déduire que Mr Evin, préconise désormais le licenciement pour délit d'opinion ? (Publié dans DH Magazine No110, janvier 2007)
* : Le Quotidien du Médecin, 6/12/2006

26 février 2007

La lumière et la grâce


Coïncidence, quelques jours après avoir évoqué la peinture de Winslow Homer, je découvre sur les kiosques parisiens l'affiche d'une exposition sise actuellement au Petit Palais, consacrée à John Singer Sargent (1856-1925).
La comparaison s'impose naturellement car cet artiste, contemporain et compatriote de Homer, s'est beaucoup attaché comme ce dernier, à faire très librement chanter la lumière.
Son parcours toutefois le rattache autant à l'Europe qu'aux Etats-Unis, et comme Whistler et Mary Cassat, il est la preuve que l'art d'Amérique prend ses racines sur le vieux continent.
Né à Florence, il fut naturellement inspiré par la méditerranée. L'Italie, mais aussi la Grèce, notamment l'île de Corfou ou encore Majorque aux Baléares.

De son vivant, Sargent fut considéré comme un très grand portraitiste. Il immortalisa brillamment sur la toile deux grands présidents américains: Théodore Roosevelt et Woodrow Wilson. Surtout, il excella dans la représentation de scènes domestiques de la haute société de l'époque. On pourrait dire qu'il rendit en peinture ce que Henry James exprima en littérature : un mélange d'élégance et de distinction d'une précision parfaite mais un peu froide. Le portrait de Lady Agnew of Lochnaw en témoigne. Tout y est soyeux et distingué: le tissu de la robe, celui du fauteuil, la tenture servant de toile de fond, et même la carnation du personnage. Tout est beau et noble, mais un peu distant.


C'est pourquoi je préfère à titre personnel, bien qu'elles ne soient guère nombreuses dans l'exposition actuelle, les aquarelles qu'il peignit dans la dernière partie de sa vie et qui sont illuminées par l'intense lumière du midi.

Il jaillit des jardins et des paysages marins sur lesquels le regard du peintre s'est posé, des brassées de couleurs qui éclatent en formant de superbes feux d'artifice. Dans ces rayons bariolés, vibrent avec sensualité les fruits mûrs dans les arbres, les ombres mobiles sur les murs blancs des maisons, les « grands jets d'eau sveltes parmi les marbres », les reflets fugaces des bateaux mollement enchâssés sur l'eau transparente...
Cet univers gracile est un enchantement pour les yeux tant ses chatoiements signifient de plénitude et de liberté.

Référence : Sargent: Watercolors (Watson-Guptill Famous Artists)

PS : l'expo présente également les oeuvres d'un artiste espagnol Joaquin Sorolla (1863-1923). Le voisinage avec Sargent est naturel : inspiration naturaliste mais colorée, grâce et sensualité post-impressionniste.


19 février 2007

The deep blue sea

Rarement peintre aura représenté le bleu de l'océan avec autant de volupté et d'intensité que Winslow Homer (1836-1910) dans ses aquarelles.


Cet artiste américain commença pourtant sa carrière dans le style naturaliste un peu guindé, propre à l'art balbutiant du Nouveau Monde. Mais à cinquante ans passés, il trouva une occasion rêvée de renouveler son inspiration lors d'un voyage en Floride et aux Bahamas.


Les tons éclatants d'une nature ivre de soleil, les chauds contrastes de paysage maritimes multicolores bouleversèrent sa palette jusqu'alors bien sage. Sur le rivage de Nassau, le vert chatoyant des palmiers, le blanc immaculé des voiles des bateaux, le rouge flamboyant des poinsettias, tout cela se mit à vibrer à l'unisson du deep blue de la mer.

Il jaillit de ces éblouissements quelques unes des plus audacieuses compositions marines qui soient, dans lesquelles l'oeil plonge avec délectation avant de se laisser emporter en songe par l'appel irrésistible du large.



Il y a une grande liberté dans les peintures de Homer. Celle d'un monde sans complexe, avide de s'affirmer sans souci des canons artistiques. Ces oeuvres sont hélas assez méconnues en France. Il n'y a guère d'ouvrage en français à leur sujet à ma connaissance. Elles sont rassemblées pour leur quasi totalité par deux musées américains : le Brooklyn Museum et le Metropolitan Museum of Art.

Winslow Homer watercolors: Helen A. Cooper (Paperback - Sep 10, 1987)

Winslow Homer (Watson-Guptill FAmous Artists) by Donelson F. Hoopes (Paperback - Sep 1984)

L'embaumement du pharaon


Pierre Péan court les plateaux télévisés pour promouvoir au pas de charge ce qui apparaît comme un ultime et quelque peu opportuniste coup de projecteur sur un président parvenu au terme de son marathon politique.
Il ne faut pas espérer y trouver de pensées très profondes, ni quelque nouveauté fracassante. Que peut-on apprendre d'un homme qui à deux mois des échéances, laisse toujours planer le doute quand à une cinquième candidature à l'élection présidentielle (« c'est mon dernier sommet africain... pour cette année ! »)
Il faut y voir plutôt une sorte de panégyrique obséquieux dont la matière provient directement de la bouche de l'intéressé par le biais d'entretiens à bâtons rompus. Le dernier, daté du 14 janvier, donne la mesure du recul en matière de réflexion, pour un livre sorti un mois plus tard...
L'ensemble s'articule autour de deux notions cardinales qui semblent avoir séduit l'auteur, journaliste résolument de gauche : les similitudes étonnantes entre Mitterrand et Chirac d'une part, et l'attitude spectaculaire adoptée par ce dernier lors du second conflit irakien de l'autre. Mais s'il faut reconnaître que Péan fait des constatations justes, ce n'est pas forcément l'acception qu'il en donne qu'on se doit de retenir.
Certes, il est un point commun qui honore les deux hommes, c'est leur jardin secret culturel. Mitterrand était amateur d'art et de littérature, Chirac est paraît-il un des cinq meilleurs experts mondiaux de la Chine ancienne, et aurait traduit en français les oeuvres de Pouchkine !
Pour le reste hélas, la comparaison est moins attrayante. Chirac incarne en effet comme son prédécesseur, tous les travers d'un régime sclérosé par l'étatisme et boursouflé de grandiloquence gaullienne : carrière interminable, secret de polichinelle, contradictions en tous genres, culte de la grandeur, assimilation grotesque du moi à la France....
Il est vrai également que Chirac partage avec Mitterrand l'art de tromper son monde. Ce qui domine d'ailleurs dans leurs itinéraires respectifs, c'est bien l'absence de conviction, qui les a fait épouser en fonction des circonstances, à peu près toutes les tendances de l'échiquier politique. Chirac a officiellement combattu toute sa vie le socialisme, et on apprend qu'en définitive il ne serait rien d'autre qu'un « rad-soc », alter-mondialiste, considérant le libéralisme comme une calamité aussi terrible que le communisme ! Bonjour les dégâts...
Mais au delà de ces ressemblances, que Péan détaille de manière éblouie alors qu'elles ne sont guère flatteuses, ce qui fait l'essence même de ce portrait encomiastique, c'est l'admiration dont il témoigne, pour la hauteur de vues du chef de l'Etat, en matière de politique internationale. Il l'assimile même à de la prescience lorsqu'il évoque l'attitude de notre pays à l'occasion de la seconde guerre d'Irak.
Bien que l'écrasante majorité des Français soient pour l'heure d'accord avec cette opinion, il est encore permis de penser que l'Histoire jugera peut-être différemment. L'inaction est rarement considérée comme très glorieuse avec le recul.
A défaut d'être l'expression d'une intuition visionnaire, la pusillanimité du président en la circonstance, aurait pu passer pour être celle d'une sage prudence. Mais il s'en est enorgueilli avec tant de vanité, alors qu'il avait noué par le passé tant de liens douteux avec le tyran de Bagdad, qu'il est permis d'avoir des doutes. D'autant plus qu'il n'a proposé aucune solution alternative crédible à l'option des Américains, et que pis que tout, il a cru malin de dresser une partie du monde contre eux en accusant leur initiative libératrice d'être une agression illégitime. Le coup de pied de l'âne en quelque sorte...
Mitterrand en 1991 avait incontestablement mieux agi...
En bref, le livre de Pierre Péan s'inscrit dans un style révélateur d'un état d'esprit bien suranné. Peu importe que les dirigeants soient inefficaces et sans foi, pourvu qu'ils incarnent un destin haut en couleur, riche en contrastes et en secrets et qu'ils soient pompeux comme les ors des palais auxquels ils semblent viscéralement attachés.
Il faut espérer qu'un jour cela change enfin...

14 février 2007

Voyage au centre de la conscience

Deux expériences scientifiques étonnantes récemment relatées dans la Presse, invitent à se pencher encore et toujours, sur le mystère quasi insondable de la conscience.
On apprend par le Figaro, qu'aux Etats-Unis, une jeune femme vient de bénéficier, suite à l'amputation de son bras, de l'implantation d'une prothèse d'une efficacité stupéfiante. Elle répond à sa volonté grâce à une puce électronique interprétant les stimuli envoyés par son cerveau aux terminaisons nerveuses ! Ces dernières, hélas interrompues au niveau du moignon, ont été déroutées chirurgicalement vers plusieurs muscles pectoraux. Ces muscles ainsi activés transmettent un signal à un dispositif capable d'analyser une centaine de signaux neuronaux et de commander jusqu'à 22 fonctions distinctes de la prothèse.
Les chercheurs et chirurgiens du Rehabilitation Institute of Chicago (Illinois) ont ainsi la satisfaction d'avoir redonné à la patiente non seulement la fonction essentielle de pince manuelle mais la possibilité de mouvoir avec souplesse et tact son nouveau bras. Ils envisagent même à terme la possibilité d'élargir la technique aux stimuli sensitifs, via des capteurs dont les informations seraient par le chemin inverse, transmises au cerveau !
Dans un récent numéro du magazine TIME, on peut lire le résultat d'observations troublantes quant à l'activité cérébrale d'une patiente se trouvant dans un coma prolongé à la suite d'un traumatisme crânien. Grâce aux techniques d'imagerie par résonance nucléaire magnétique (IRM), des neurologues anglais et belges ont objectivé l'activation vasculaire de zones précises de son cerveau, lorsqu'ils parlaient à haute voix à côté d'elle : celle du langage quand ils récitaient des phrases abstraites, celles de l'orientation spatiale et de la reconnaissance visuelle lorsqu'ils lui demandaient d'imaginer l'intérieur de sa maison, celle commandant certains mouvements lorsqu'ils lui suggéraient de jouer au tennis...
Autrement dit cette patiente plongée en état végétatif, sans aucun contact apparent avec son entourage, semble avoir en son for intérieur, des éclairs de conscience !
Le même numéro détaille les réflexions les plus récentes de quelques hommes de science et de philosophes, sur ce sujet fascinant. Celles par exemple de Daniel C. Dennet, reprenant en quelque sorte l'antique problématique du bateau de Thésée.
Imaginant un sujet atteint d'une affection détruisant progressivement les différentes structures cérébrales, le savant tente d'anticiper ce qui pourrait se passer si la science pouvait à l'aide de prothèses très sophistiquées, remplacer les unes après les autres, les aires ainsi détruites par la maladie. Au bout du compte selon lui, cette personne donnerait probablement l'impression d'être satisfaite de retrouver progressivement ses facultés, mais personne ne pourrait savoir si ce soulagement exprimé correspondrait in petto à une sensation pleinement consciente.
Si l'on en croit Daniel C. Dennet, il serait donc objectivement impossible de distinguer un robot suprêmement habile (clever robot) d'une personne réellement consciente.
Ce dilemme débouche sur une alternative angoissante : ou bien l'être humain n'est qu'une masse de chair animée par un super-ordinateur cérébral, ou bien nous ne saurons jamais ce qu'est la conscience et si elle est capable de survivre à la mort du corps !
Il semblerait qu'en dépit des progrès de la science nous n'en sachions donc guère plus que les contemporains de Platon et de Socrate.
De nombreux penseurs contemporains paraissent pourtant avoir fait leur choix.
Depuis Jacques Monod et son fameux « Hasard et Nécessité », nombreux sont ceux qui ont adopté à sa suite une conception purement matérialiste des choses. En toute logique ils estiment qu'elle devrait tôt ou tard les conduire à percer le secret de notre plus profonde intimité.
En France, on compte Jean-Pierre Changeux parmi les tenants de cette thèse. Aux Etats-Unis, c'est Antonio R. Damasio qui l'exprime haut et fort depuis quelques années, stigmatisant notamment dans un ouvrage retentissant « l'erreur de Descartes ».
Pour le neurologue californien, la vision dualiste du corps et de l'esprit serait en effet un non sens. Il n'existe pas d'homoncule au sommet du cerveau, dont l'entité corporelle serait en quelque sorte le véhicule, et le cerveau l'ordinateur, capable d'intégrer et de gérer la multitude d'informations en provenance du monde, transmises par les organes sensoriels.
Tout serait lié et indissociable dans l'organisme humain, et ce qu'on appelle l'âme, ce qu'on imagine habituellement comme étant la partie la plus indicible de la conscience, « nonobstant le respect que l'on doit accorder à cette notion », l'âme « ne serait que le reflet d'un état particulier et complexe de l'organisme. »
S'il on admet ce schéma conceptuel, les progrès de l'intelligence humaine s'inscriraient dans le grand fatum évolutionniste darwinien, et il n'y aurait aucune finalité première à cette aventure étrange, née du chaos et abandonnée aux seules lois du hasard.
Il existe toutefois une autre façon de voir le problème. Elle est incarnée par le neurologue d'origine australienne John Eccles (1903-1997).
Ce n'est pas n'importe qui.
On lui doit la découverte des processus chimiques responsables de la propagation de l'influx nerveux, laquelle fut récompensée en 1964 par le prix Nobel de médecine.
John Eccles, en dépit de sa contribution très physique et matérielle au sujet, se refusait à une interprétation fermée de la conscience : « je maintiens que le mystère de l'homme est incroyablement diminué à tort, par le réductionnisme scientifique et sa prétention matérialiste à rendre compte du monde de l'esprit en termes de simple activité neuronale. »
Certes le cerveau est le siège d'une foule de processus sans doute accessibles, au moins en théorie, à l'explication rationnelle : « Si l'on admet que le cerveau est le siège de la personnalité consciente, il est clair que bien des parties du cerveau n'y sont pour rien ».
Mais il y aurait aussi quelque chose de « transcendant », quelque chose qui ne serait pas de nature matérielle et ne pourrait donc être réduit en équations. S'appuyant sur la physique quantique, Eccles soutient même qu'il n'y aurait pas de contradiction de principe à envisager l'existence d'une conscience indépendante du cerveau !
Il ne parvient à accepter l'idée que nous ne soyons que des machines très perfectionnées toutes construites sur le même moule, même s'il est évolutif. Les hommes sont tous les mêmes, ont les mêmes organes et le même cerveau, pourtant ils sont différents et chacun est unique. Chaque être humain a une destinée, modulée à l'évidence par les caractéristiques innées et les acquis des expériences vécues, mais elle ne peut être totalement expliquée par ces seuls avatars de l'existence. Pareillement, il est pour lui difficile d'imaginer la diversité humaine, tout comme celle de la nature en général, comme étant l'oeuvre du seul hasard.
Curieusement l'interprétation que donne Eccles de la conscience humaine, il la présente comme étant enchâssée dans un monde clos, parvenu dès à présent au bout d'un grand nombre de ses potentialités évolutives de départ.
Bien que reconnaissant l'apport de Darwin, Eccles pense que l'apparition de la conscience marque la fin ou plutôt le sommet de l'évolution sur terre. La sélection naturelle n'aura plus de prise sur l'être humain et aucune autre espèce animale n'a plus la moindre chance d'évoluer vers la conscience de soi. La voie royale est définitivement tracée pour l'homo sapiens sapiens
Au surplus, l'immensité de l'univers comparée aux dimensions microscopiques du monde spatio-temporel dans lequel il évolue, le condamne vraisemblablement à rester irrémédiablement liée à sa planète d'origine. Raison très forte s'il en est de la préserver !
Alors, expliquera-t-on un jour la conscience ? Cela semble improbable si l'on en croit Eccles qui semble ainsi inscrire son point de vue dans la logique implacable du fameux théorème d'incomplétude de Gödel (1906-1978). Celui-ci stipule qu'à l'intérieur d'un système formel donné, il restera toujours au moins une proposition indécidable, si l'on s'en tient aux seuls outils de démonstration logique contenus dans ce système. La conscience ne pourrait donc se connaître elle-même en totalité.
Cette analyse peut donc sembler paradoxalement aussi fermée que celle s'appuyant sur un froid et hasardeux matérialisme.
Mais il est une manière d'en sortir, c'est de postuler l'existence d'une entité extérieure à notre monde, autrement dit de Dieu.
C'est ce que fait Eccles qui le conçoit comme étant « le créateur de tous les êtres vivants qui sont apparus au cours de l'évolution, mais aussi de chaque personne humaine avec sa conscience de soi et son âme immortelle. »
Du coup, le monde est donc à nouveau plein d'espoirs, Eccles rejoint in fine son ami le philosophe Karl Popper, qui exprimait un optimisme éclatant en s'exclamant : « L'avenir est ouvert !»
Et il s'en sort par le haut si l'on peut dire. Nous sommes certes liés à notre chère vieille Terre mais seulement « tant que nous existerons sous forme corporelle ». Et c'est cette forme humaine qui définit pour l'heure la conscience : « l'évolution biologique s'est transcendée elle-même en fournissant la base matérielle – le cerveau humain – à des êtres conscients d'eux-mêmes dont la vraie nature est de chercher espoir et sens dans leur quête d'amour, de vérité et de beauté. »
Comment dès lors ne pas penser à cette magnifique citation de Schelling (1775-1854), qui définit à mon sens mieux que toute autre l'existentialisme : « A travers l'Homme, la Nature ouvre les yeux... et prend conscience qu'elle existe ! »
Quelques références :
Jacques Monod : le hasard et la nécessité
Jean-Pierre Changeux : l'homme neuronal
Jean-Pierre Changeux et Alain Connes : Matière à penser
Karl Popper et Konrad Lorenz : L'avenir est ouvert
Antonio Damasio : L'erreur de Descartes
Daniel C. Dennet : La conscience expliquée
John C. Eccles : Evolution du cerveau et création de la conscience

09 février 2007

Pas d'alternative à la confiscation fiscale


Décidément, quel pays étrange que la France, où l'on en arrive à prôner la pression fiscale par pur principe !
Car c'est bien ainsi qu'on est tenté de comprendre l'appel militant lancé par le magazine Alternatives Economiques aux gens qui "consentent à l'impôt" (et qui refusent les "mesures démagogiques", proposées par "des candidats à la magistrature suprême").
Au pied de la lettre, cette pétition est une sorte de tautologie puisque personne n'a jamais envisagé sérieusement une société sans contribution des citoyens au Bien Commun.
Mais en grattant, on retrouve la bonne vieille quincaillerie égalitariste qui voit de manière obsessionnelle tout allègement fiscal comme une porte ouverte vers la "sécession sociale des plus riches".
Pourtant, tout être humain normalement constitué, s'il consent à cette contrainte nécessaire, ne peut que souhaiter qu'elle soit la plus légère possible. Quelle pourrait être la motivation d'une autre proposition si ce n'est le masochisme ou bien l'espoir que le fardeau pèse avant tout sur les autres ?
Car enfin, s'il suffisait de créer des impôts pour améliorer le niveau de vie général et accroître le bonheur collectif, ça se saurait, et notre pays, champion des poids lourds en la matière serait un Eden...
Je suis personnellement abasourdi : comment une revue économique prétendue sérieuse peut-elle encore croire, comme les disciples d'Attac ou les nostalgiques du vieux Marx, qu'il suffise d'appauvrir les riches pour enrichir les pauvres ?
Il faut avoir vraiment peu de foi en l'être humain pour l'imaginer dépourvu à ce point de solidarité, d'altruisme, et d'initiative personnelle, qu'il faille le soumettre corps et biens au "conglomérat" si souvent irresponsable et peu clairvoyant qu'est l'Etat. Tocqueville disait que dans une société démocratique, la première tâche du gouvernement devrait être d'habituer le peuple à se passer de lui. Il serait selon toute probabilité bien déçu par ces initiatives déresponsabilisantes et rétrogrades !
Pour Frédéric Bastiat, brillant économiste français du début du XIXè siècle, mais hélas pas prophète en son pays, l'impôt loin d'être une merveilleuse « rosée fécondante » cachait une réalité perverse. Car avant d’arroser le pays de ses bienfaits, il a une fâcheuse tendance à l’assécher de ses ressources.
Il est d'ailleurs aisé de constater qu’il « pompe » beaucoup plus de richesses qu’il n’en redistribue en raison des lourdeurs de fonctionnement de la machine bureaucratique. Enfin, il reste à prouver que les largesses de l’Etat soient mieux réparties et utilisées que celles provenant d'initiatives privées.
Au surplus, les exemples foisonnent de pays ayant diminué les prélèvements obligatoires, qui ont vu les rentrées fiscales augmenter grâce à la croissance économique qui en est habituellement la conséquence. Je sais bien qu'évoquer en termes flatteurs l'administration Bush passe dans notre pays pour de l'hérésie, mais les faits sont là : sur le plan fiscal, malgré les baisses spectaculaires d'impôts ordonnées par le président américain, le Trésor Public américain a engrangé des recettes record ces dernières années.
Quelle sera la prochaine étape pour ces économistes moralisateurs : l'inscription dans la Constitution de l'abolition définitive de tout allègement fiscal ?

08 février 2007

Ils voient le diable partout



Un mot concernant le procès retentissant fait à Charlie Hebdo pour ses caricatures. On pourrait en rire tant ce battage juridique autour de quelques dessins paraît ridicule. D'autant que le jour de l'ouverture du procès les plaignants sont absents !
Mais le seul fait d'ouvrir une procédure judiciaire pour si peu paraît incroyable en démocratie.
Et surtout, le triste constat qui s'impose est que la chasse au sorcières est hélas bien courante en France.
J'ai évoqué l'exclusion récente de Georges Frèche du Parti Socialiste, et sa condamnation à 15000€ d'amende, pour sanction de quelques mots déplacés.
Il y a quelques jours le journal Entrevue jugeait bon de se passer des services de Gérald Dahan dont le crime était d'avoir fait une blague de potache à l'encontre de Ségolène Royal.
Pas plus tard que ce matin sur France Inter, monsieur Demorand, dans le rôle de l'évêque Cauchon, a cherché une heure durant, avec virulence et sectarisme à faire "avouer" à son invité Alain Finkielkraut qu'il était "réac" et raciste.
Dans Libération ce jour, on peut lire que Ségolène Royal sort « ses griffes de gauche ».
Dans le texte ça se traduit par un torrent vertigineux d'imprécations et d'anathèmes qui rappelle les pires moments de l'agitprop. Complètement désinhibée, la candidate dans ses discours, n'hésite pas en effet à qualifier ses adversaires de « droite dure, agressive, sans principes, sans vertu républicaine ». Elle accuse même cette Droite de connivence avec le diable en personne : « elle se bushise » !
Madame Royal, qui éprouve la nécessité de gérer une partie de son modeste patrimoine en Société Civile Immobilière, qui avoue faire partie des quelques pour-cents de contribuables les plus riches de France, vocifère contre les «profits rapaces», «fainéants», «arrogants», «avides», et dénonce les «masses financières aberrantes et indociles».
Et plutôt que d'éclairer sur le fond de ses idées, elle
déroule un discours revanchard incohérent, rempli de haine et lourd de menaces : « pour ces conglomérats de la finance et des médias, il y en a tellement [d'argent] à perdre si la gauche gagne cette élection présidentielle. »
Ce soir on peut lire un peu partout que François Bayrou, s'interroge sur sa participation à l'émission de TF1 « j'ai une question à poser », au motif qu'une des sociétés du programme, serait dirigée par Dominique Ambiel, partisan du ministre de l'intérieur (lequel n'a pourtant pas été ménagé par les contradicteurs lors de son propre passage à l'antenne). « C'est en réalité l'UMP qui est aux commandes de ce type d'émissions » a-t-il lancé ex-cathedra !
Quant à José Bové, qui en veut lui au monde entier, et qui se croit autorisé à casser tout ce qui lui évoque le démon de la Liberté, il annonce crânement qu'il fera campagne à partir de la prison dans laquelle il vient d'être condamné à séjourner quelque temps !
Mais où va-t-on ?
Si les choses continuent d'évoluer dans ce sens, il ne faudra pas s'étonner outre mesure si le résultat du scrutin réserve "une grosse surprise" le 22 avril prochain...

07 février 2007

Le bazar bizarre des Beaux-Arts

Le centre Pompidou vient de fêter ses 30 ans.
Ce musée s'inscrit-il comme la manifestation d'une sincère volonté novatrice ou plus prosaïquement celle d'une certaine « branchitude » politique ?
Le président Pompidou n'était pas vraiment ce qu'on peut appeler un m'as-tu-vu avide de gloriole, il faut donc lui rendre cette justice : il crut probablement bien faire en tentant hardiment de réaffirmer la prééminence malmenée de Paris en tant que capitale artistique.
Il y réussit au premier abord si l'on s'en tient à la fréquentation de cette nouvelle Mecque des arts. Deux cents millions de visiteurs en trois décennies, on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un caprice réservé à quelques snobs.
Est-ce encore de l'art pour autant ?
Cette notion est si galvaudée de nos jours qu'il s'avère difficile de se prononcer. A l'évidence, le pouvoir d'attraction des manifestations dites artistiques relève davantage de la curiosité que de la quête spirituelle.
Le musée accueille en ce moment une exposition consacrée à Tintin. Même s'il on s'avoue sensible au charme dégagé par les bandes dessinées d'Hergé, il semble tout de même difficile d'y voir l'expression de l'indicible.
J'entendais il y a quelques jours Dominique de Villepin s'extasier devant les monumentales tâches noires de monsieur Soulages. Il voyait derrières ces griffures obscures, la lumière « éclater » et vantait dans le style pompier qu'on lui connaît, la sublime beauté de ces contrastes assez répétitifs.
D'autres se confondent en extase au sujet du bleu monochrome dont Yves Klein barbouillait avec jubilation tout ce qui lui tombait sous la main. Ou bien devant les géniales roues de bicyclettes de Duchamp, ses urinoirs rebaptisés « fontaines », ou encore les « installations » bancales, de feutre de métal et de graisse conçues par Joseph Beuys.
Les exemples foisonnent de ces machins sans âme, où le procédé l'emporte sur l'inspiration. Remarquez comme chaque artiste paraît de nos jours avant tout animé du désir de s'originaliser, de trouver sa marque de fabrique qui sera ensuite déclinée de manière pléonastique.
L'empreinte de la civilisation industrielle et du matérialisme de la société occidentale a bon dos.
Il n'y a dans tout cela guère d'émotion, et rien ne porte vraiment à l'élévation comme le chantait Baudelaire.
Du bâtiment, qui fit tant couler d'encre, que penser ?
Avec le recul, l'oeuvre des architectes Piano et Rogers n'est ni belle ni laide, ou bien les deux à la fois, selon l'angle sous lequel on la regarde. Assez ordinaire pour tout dire.
Elle emprunte ses matériaux, sa conception aux techniques industrielles. On l'appela d'ailleurs par dérision la "raffinerie", "l'usine à gaz", "Notre Dame des tuyaux"...
Après 30 ans, l'impression reste la même, mitigée.

L'audace paraît bien tiède quand on la compare au musée Guggenheim de Bilbao. Quant au rayonnement, il n'éclipse pas celui du MOMA.
Donc Pompidou et l'Etat tentaculaire, omniscient n'ont ni bien ni mal fait. La révolution promise a fait long feu et Beaubourg apparaît avant tout comme une sorte de bazar culturel bigarré, bien achalandé mais sonnant le creux, comme sa tuyauterie.


05 février 2007

Les miradors de la pensée


L'exclusion récente de Georges Frèche du Parti Socialiste pour deux phrases provocatrices montre à quel point s'exerce désormais le zèle des gardiens de la correction politique.
Je n'ai aucune sympathie pour le pontife « septimaniaque » qui vient de subir les foudres des caciques de son clan. Je m'interroge même sur l'indulgence de ces derniers vis à vis d'un homme, qui depuis si longtemps piétine avec délectation les soi-disant idéaux socialistes. Qui se comporte comme un pacha méprisant, faisant comme l'a révélé l'émission Capital, transporter son auguste personne par un luxueux véhicule de fonction 4x4 acquis aux frais du contribuable, et qui va jusqu'à orner ses chiottes présidentielles de balais signés Philippe Starck !
Ses propos sont à la mesure de son comportement, grossiers et vulgaires.
Mais lorsqu'on les met en balance avec ceux que tient parfois Ségolène Royal, candidate à la présidence de la République, on peut s'interroger sur la gravité relative des choses.
Au plan sémantique, quand Frèche affirme qu'il y a trop de Noirs dans l'équipe de France de football, c'est idiot sans nul doute, mais est-ce vraiment plus choquant au pays de la parité, que d'entendre madame Royal affirmer qu'elle partage l'opinion du Hezbollah sur les Etats-Unis, ou vanter les mérites du système économique et de la justice chinoises ?
Il y a manifestement deux poids deux mesures, dans l'appréciation de l'excès, et force est de constater qu'une curieuse censure du langage s'exerce dans notre pays.
Les exemples de cette myopie de l'esprit critique sont légions.
Il m'est arrivé déjà de flétrir les lâches complaisances de nos dirigeants face aux déclarations d'intentions monstrueuses du président iranien, alors qu'ils ne cessent de rappeler les méfaits passés de l'antisémitisme, qu'ils multiplient les théâtrales mais assez vaines commémorations, tout en promulguant des lois sur le négationisme, qui pourraient évoquer le royaume d'Ubu si le sujet n'était si grave.
A force de chercher à prévenir après coup les dangers, on finit par ne pas voir les criantes évidences qui menacent l'avenir. A force de crier au loup à tout bout de champ, on endort la vigilance.
Comment ne pas comparer la virulence extrême avec laquelle est condamnée a posteriori la désormais bien sage église catholique, et la mansuétude dont on fait usage pour parler de l'islam et de son intolérance très actuelle. Les reculades récentes au sujet d'expositions, de spectacles, ou d'écrits susceptibles d'offusquer les musulmans sont de ce point de vue très inquiétantes. D'autant plus que les faux jetons de la bien-pensance, qui s'aplatissent devant les diatribes anti-occidentales, ont tendance à rejetter avec mépris les rares ouvertures faites par le monde islamique au motif que la culture et l'enseignement ne seraient pas des marchandises qu'on peut délocaliser : le projet d'un Louvre et d'une Sorbonne dans l'émirat d'Abu Dhabi par exemple...
Dans les salons évolués on rigole grassement de pesantes et répétitives caricatures d'hommes politiques ou de vedettes du showbiz, basées quasi exclusivement sur leur apparence physique, leur maladie, leur âge ou leur supposé quotient intellectuel, mais les coqs moqueurs, qu'on aurait pu croire très larges d'esprit, se dressent sur les ergots de leur petite vertu lorsqu'ils entendent Sarkozy parler de racailles pour qualifier des voyous de la pire espèce. Ils poussent des cris d'orfraie à la seule évocation du nom de Pascal Sevran. Ces apôtres de la nouvelle morale sulpicienne, ne paraissent aucunement gênés par le mépris ordurier dans lequel ils tournent en rond car les oeillères qui bornent leur esprit malingre réduit dramatiquement le champ de leur pensée.
Le plus grave toutefois est quand ces censeurs intransigeants érigent en certitudes des croyances médiévales. Quand séduits par des théories aussi clinquantes que superficielles, ils se mettent à suivre tels les enfants derrière le joueur de flûte de Hamelin de douteux mentors maniant habilement le mensonge et les fallacieuses assimilations.
Ils finissent par perdre alors tout sens critique et en viennent à justifier des actes violents au nom de la « désobéissance civique », ou même à trouver des vertus aux dictateurs ou aux terroristes pourvu qu'il soient anti-américains.
N'est pas Thoreau, Gandhi, ou Martin Luther King qui veut et quand on se prend un peu trop pour un ange, il se trouve bien souvent qu'on fasse sans même en avoir conscience, la bête.
L'esprit de système est une plaie parce qu'il a l'apparence de la logique, mais d'une logique dans laquelle abonde les syllogismes pernicieux. Eugéne Ionesco l'avait fort bien montré dans une des ses pièces particulièrement percutante : la rhinocérite est une maladie qui se propage dans un enfer... pavé de bonnes intentions !

04 février 2007

Le nouvel inconscient


Lorsqu'on tente d'analyser le fonctionnement du cerveau humain, on ne peut éviter d'évoquer la dualité opposant le champ de la conscience à celui de l'inconscient. On ne peut échapper non plus à la problématique complexe des relations entre l'esprit et le corps. Enfin, naturellement surgit tôt ou tard la question fondamentale de l'existence de l'âme.
Autrefois c'étaient les philosophes, les romanciers, les dramaturges, qui se penchaient sur ces questions ardues. Aujourd'hui ce sont plutôt les savants, neurologues ou neurobiologistes.
La première étape de leur réflexion part habituellement de constats cliniques ou paracliniques faits sur des sujets atteints de diverses altérations du fonctionnement cérébral. Les dissections et l'anatomie post-mortem furent une des premières méthodes pour corréler les symptômes aux lésions. Les progrès techniques importants en imagerie fonctionnelle, notamment par résonance magnétique nucléaire (IRM) permettent désormais, à la manière d'une moderne phrénologie, de faire des relevés topographiques précis in vivo et d'en déduire par voie de conséquence le rôle supposé de telle ou telle aire de l'encéphale dans certains processus psychiques.
Pour autant, si tant est qu'elle soit un jour accessible à la préhension, les scientifiques paraissent encore loin de percevoir l'âme au bout de leur scalpel électronique...
Cela ne les empêche pas de faire des hypothèses, tel Lionel Naccache qui vient de publier un ouvrage dans lequel il met l'inconscient sur le gril des techniques modernes tout en tentant un parallèle avec les supputations de la psychanalyse freudienne.
La première partie de l'ouvrage est consacrée aux observations relatives à diverses dysfonctions du cerveau (pour un ordinateur on parlerait de bugs...).
On y découvre par exemple le phénomène de vision invisible (blindsight) ressenti par des personnes victimes de lésions portant sur les aire visuelles occipitales chargées de décrypter les images en provenance de la rétine. Bien que cette dernière ne présente aucun défaut, ces malades se comportent à première vue si l'on peut dire, comme des aveugles pour la partie du champ visuel représentée par l'aire endommagée. Pourtant, bien qu'affirmant ne rien voir, ils sont capables d'indiquer précisément l'endroit où se situe la source inscrivant un point lumineux dans cette partie de leur champ visuel. Le neurologue attribue cette précision « inconsciente » au fait qu'il existe, outre les deux nerfs optiques, des voies nerveuses accessoires reliant l'oeil à une petite structure cérébrale appelée colliculus supérieur. Sans donner la sensation de voir, ces nerfs seraient la preuve qu'existe une sorte de perception inconsciente.
Autre pathologie étonnante, la lésion du corps calleux, qui assure la liaison entre les deux hémisphères (split-brain). Elle conduit à percevoir des choses sans faire un lien entre elles et la réalité objective. Ainsi un malade voit sa main gauche mais se révèle incapable de préciser qu'il s'agit de la sienne. Pus fort, il nie même. Seul dans une pièce, il voit bien deux mains mais n'en revendique qu'une ! Il peut même inventer une foule d'explications plus ou moins farfelues, mais qui excluent constamment que cette main soit la sienne, comme si son schéma corporel était réduit à une seule moitié.
On peut rapprocher de ce curieux symptôme, les affabulations caractérisant l'encéphalopathie de Korsakov. Le sujet oublie à mesure les événements qui peuplent sa vie mais les remplace, inconsciemment par des faits inventés, comme s'il cherchait à donner un semblant de cohérence à ses propos.
Un cas non moins étrange est celui de l'agnosie visuelle aperceptive causée par une altération temporo-occipitale : le sujet atteint voit un objet, mais est dans l'impossibilité de le nommer ou d'en définir l'usage, bien qu'il puisse le reconnaître et s'en servir dès qu'il l'a en main, ce qui prouve que son intellect est toujours en mesure de savoir de quoi il s'agit (une cafetière par exemple).
Ces exemples tirés de contextes pathologiques montrent à l'évidence l'importance des processus inconscients dans l'activité psychique.
Ils démontrent également que même avec des organes sensoriels intacts, et une capacité de raisonnement logique conservée, un individu peut en toute conscience émettre des affirmations totalement fausses. Hors du contexte pathologique, un certain nombre d'illusions visuelles sont susceptibles de conduire à un résultat équivalent.
Personne ne doute de l'existence de l'inconscient. Il gouverne un certain nombre de processus sous commande nerveuse : le coeur qui bat, les intestins qui digèrent, les poumons qui respirent. Avec une particularité intéressante pour ces derniers. La plupart du temps, on ne se soucie guère de savoir si l'on respire ou non. Pourtant, il n'est rien de plus facile que d'agir consciemment sur sa respiration (sans pouvoir l'arrêter totalement toutefois).
On peut déduire des observations sus-décrites que dans l'univers psychique, l'inconscient joue à l'évidence un rôle majeur dans la gestion des souvenirs, autrement dit de ce tout qui fait l'expérience. Il sert non seulement à se repérer dans l'espace-temps mais également à alimenter l'imagination.
Manifestement, certaines lésions cérébrales dégradent ce subtil mécanisme :
-Soit en inhibant certains processus inconscients (lésion du corps calleux)
-Soit en les faisant remonter au contraire au niveau de la conscience où ils viennent prendre la place des souvenirs (Korsakoff)
Tout se passe en quelque sorte, comme si l'inconscient agissait à la manière d'un programme s'exécutant en tâche de fond, en étroite coopération avec la conscience.
L'originalité de la thèse de Lionel Naccache est de confronter l'inconscient cognitif, tel qu'il est dévoilé (en toute petite partie) par l'approche neuroscientifique, à celui de « refoulement », imaginé par Sigmund Freud.
Son propos paraît toutefois ambigu car s'il avoue une admiration sans mesure pour le psychanalyste viennois, il réfute pourtant totalement ses thèses.
Pour Naccache, Freud est un découvreur : « La thèse que je défends dans cet essai peut être illustrée par la métaphore suivante : Freud peut être envisagé comme le Christophe Colomb de notre univers mental. » et plus loin : « Nous reconnaissons dans « l'inconscient » de Freud une immense découverte psychologique qui a révolutionné la connaissance que nous avons de nous-mêmes ».
Mais à l'instar de Colomb, Freud s'est semble-t-il tout simplement trompé de cible : « Dans sa description de l'inconscient, Freud n'hésite pas à attribuer à l'inconscient un jeu d'attributs qui nous semblent être le propre de la conscience : mode de pensée stratégique, durée de vie des représentations mentales inconscientes libérée des contingences de l'évanescence temporelle, caractère intentionnel et spontané. »
Autrement dit ce que Freud a exploré ce ne serait ni plus ni moins que la conscience...
Surprenant, car dans le même temps, Lionel Naccache s'avoue séduit par l'approche psychanalytique de l'esprit humain, quasi darwinienne ou copernicienne. Comme la Terre n'est qu'une petite planète tournant autour d'une petite étoile perdue dans l'univers, comme l'homme n'est qu'une étape d'un processus évolutif riche de plusieurs milliards d'années, notre vie consciente loin résumer notre vie mentale, ne constituerait « que la pointe visible de l'iceberg ou dont la partie cachée correspond aux nombreuses cogitations inconscientes. »
Cette appréciation fondée sur des analogies hasardeuses est pour le moins inattendue sous la plume de quelqu'un qui résume l'apport de Freud à une « posture consciente interprétative » et qui enfonce le clou en suggérant que le contenu de ces interprétations « paraît erroné »...
Où donc est l'iceberg puisque selon Naccache, l'inconscient de Freud ce n'est rien d'autre que la conscience ? Où donc se situe la découverte puisque les interprétations sont des illusions : « les contenus de ces interprétations et leurs fondements théoriques ne renvoient pour moi à aucune réalité objective tangible», « la vie psychique envisagée depuis ce lieu intime qu'est notre fonctionnement conscient est une construction fictive » ?
Où donc enfin se situe l'apport scientifique, si l'on admet qu'«une croyance n'est pas un fait de science échangeable et modifiable au gré de notre raison » ?
En définitive, en dépit de certaines précautions oratoires, cette réflexion ressemble fort à un réquisitoire alambiqué mais terrible contre l'approche psychanalytique des phénomènes psychiques. Réquisitoire dépassant d'ailleurs largement la personne de Freud pour englober l'ensemble du dispositif : « la cacophonie théorique, le fonctionnement éclaté de sociétés psychanalytiques, notamment en France, dessine très souvent le tableau désolant ou amusant de guerres de chapelles. »
Le sous-titre du livre semble donc plutôt mal choisi. Puisque Freud est en somme un « maître de fictions », une sorte de bonimenteur inspiré de l'âme humaine, Lionel Naccache qui juge opportun de terminer son propos scientifique par un « éloge de la fiction », aurait peut-être du reprendre en exergue, sa conclusion : « Freud, un romancier de génie égaré dans l'univers de la neurologie et des neurosciences »...

02 février 2007

Le président fait boum...


Interrogé lundi dernier par des journalistes du New York Times, Jacques Chirac a manifesté une inquiétante propension aux errements intellectuels.
L'entretien qui devait porter sur les changements climatiques et le développement durable a dérapé lorsque le président a souligné la nécessité pour les programmes basés sur l'énergie nucléaire, d'être transparents et maitrisés.
Evoquant spontanément les vélléités iraniennes en la matière, il a considéré tout d'abord comme très dangereux le fait que l'Iran refuse de cesser la production d'uranium enrichi. Mais l'instant d'après il déclara qu'il n'y aurait pas grand chose à craindre s'il se dotait d'une, voire de deux bombes atomiques : "Où pourraient tomber de telles bombes ?" a-t-il demandé. "Sur Israël ? Elles n'auraient pas parcouru deux cent mètres que Téhéran serait rasée !" (sous-entendait-il une prompte et drastique intervention de la France, où suggèrait-il une piètre qualité des explosifs perses comme MAM au sujet de la Corée...)
Les bombes n'étant donc pas en soi dangereuses, il affirma que le véritable risque était l'émulation que leur possession pouvait entrainer notamment auprès de pays comme l'Egypte et l'Arabie Saoudite.
Propos plutôt étonnants d'autant qu'aucune de ces deux nations n'a émis le moindre désir d'engager à ce jour un programme nucléaire alors qu'il venait de confirmer implicitement que le programme soi-disant civil iranien cachait à l'évidence un objectif militaire.
Quelle mouche a donc piqué le président français ? Il a certainement eu conscience d'avoir gaffé puisque dès le lendemain, il jugea nécessaire de se rétracter. Les journalistes furent en effet rappelés afin qu'ils enregistrent des déclarations plus politiquement correctes.
Ces derniers relatent que Jacques Chirac donnait l'impression d'être mal à l'aise lors du premier entretien. Il tremblait, se faisait fréquemment souffler par son entourage des réponses, et en lisait d'autres sur un papier, dactylographiées en gros caractères surlignés en jaune ou en rose...
Les journalistes américains évoquent l'antécédent d'accident vasculaire cérébral dont fut victime l'hôte de l'Elysée il y a quelque temps, et rapportent que plusieurs personnalités font état de propos beaucoup moins précis depuis cette date...
On comprend mieux dès lors, qu'il puisse confondre libéralisme et communisme dans la même abjection !
Pourvu qu'il n'appuie pas sur le bouton en croyant éteindre le réchauffement climatique !