30 juin 2019

La Philosophie Devenue Folle (3)

Le dernier volet du pamphlet que Jean-François Braunstein a consacré à la philosophie contemporaine, porte sur la condition animale, et commence par cette sentence émise par la princesse Stéphanie de Monaco, en apparence grotesque et pourtant révélatrice de l’état d’esprit qui règne en ce moment dans notre société: “les animaux sont des humains comme les autres...”
On y retrouve en effet cette propension étonnante à gommer les différences et à casser les repères établis par la morale traditionnelle, celle-là même qui nivelle les sexes et qui banalise la mort.

Au prétexte rabâché que nous partageons 99% de notre patrimoine génétique avec certains grands singes, les nouveaux pontes de la philosophie nous invitent sans rire à se rallier à l’opinion, en forme de lapsus, de Stéphanie. Et ça commence par la reconnaissance de droits pour les animaux. Bien que ces derniers n'aient pour leur part rien demandé, cette lubie bien intentionnée a fait son chemin dans l’opinion publique et a été prise très au sérieux par les politiciens, lesquels se sont fait un devoir de requalifier le statut des animaux dans le code civil, devenus grâce à l’amendement Glavany de 2015 “des êtres sensibles”, alors qu’ils étaient jusqu’alors considérés comme simples “biens meubles”, c'est à dire déplaçables...

On retrouve dans ce débat l’ineffable philosophe utilitariste Peter Singer, dont le coup de génie en la circonstance fut d’inventer et de populariser la notion de spécisme par laquelle il définit le fait de voir des différences là où il n’y aurait qu’un continuum de l’animal à l’homme. L’analogie avec le racisme est implicite, et l’anti-spéciste peut ainsi s'auréoler du titre de vertueux défenseur la cause animale comme l'ineffable Aymeric Caron.

Une nouvelle morale voit le jour, plus intolérante que jamais, tant elle comporte d’obligations et d’interdits.
Les animaux étant nos égaux ou presque, il faut les traiter avec d’infinis égards et commencer par cesser de les manger. Pour les nouvelles ligues de vertu, le végétarisme est appelé à devenir la règle de base en matière alimentaire. Aimable coutume au départ, elle a pris ces derniers temps un tour dramatique, voire terroriste, se manifestant par des actions punitives violentes dirigées contre des boucheries.
Elle déborde d’ailleurs le simple fait de ne pas manger de viande. Comme il est difficile de trouver des limites lorsque les bornes sont franchies, certains renoncent par respect pour celles et ceux qu’on appelait “bêtes”, à consommer tout produit d’origine animale, comme le beurre, le lait, les œufs. Au nom du véganisme cette attitude en vient à sortir du cadre de l’alimentation et s’étend à l’usage du cuir de la fourrure, mais également des cosmétiques comportant des protéines animales… Dans cette optique, il va de soi que les expérimentations scientifiques faites sur l'animal relèvent de l'horreur.

Plus rien ne semble devoir arrêter le zèle des moralisateurs des temps modernes. Pour Ingrid Newkirk, fondatrice et longtemps présidente de la puissante association PETA (People for the Ethical Treatment of Animals), tout se vaut dans le règne animal: “un rat est un chien est un cochon est un enfant”...
Au diable les discriminations ! Lorsqu’ils parlent des grands singes Peter Singer et ses disciples n’hésitent pas à affirmer “Ils sont nous !”
Les mêmes entendent “revendiquer des droits pour ces êtres qui ne peuvent évidemment pas ester en justice, faute de posséder la parole et quelques autres compétences annexes”. 

Au même titre qu’ils considèrent avec bienveillance chez les humains toutes les pratiques sexuelles librement consenties, la zoophilie n’est pas à leurs yeux répréhensible pourvu qu’elle ne fasse pas souffrir l’un des partenaires (puisque le consentement explicite est difficile à obtenir…). Cette dérive pourrait prêter à rire si elle ne se prenait pas tellement au sérieux, allant largement au delà des provocations “artistiques” les plus débridées comme celle d’Oleg Kulik, inventeur d’un nouveau kamasutra mettant en scène des êtres humains et des chiens...

Alors que ces gens entendent abolir les frontières de la bienséance, ils éprouvent toutefois le besoin d’établir des hiérarchies morales. Ainsi, ils prétendent que certaines vies d’humains profondément handicapés sont moins dignes d’être vécues que celles d’animaux adultes et sensibles, voire dotés de certains projets de vie”. Ils considèrent “qu’il est bien pire de maltraiter et de manger les animaux que d’avoir des relations sexuelles avec eux”.
A d’autres moments, ils nagent dans les paradoxes. Pour justifier le végétarisme, alors que les animaux se mangent entre eux, ils redonnent à l’Homme son statut à part, c’est à dire capable de choisir son régime alimentaire et de modifier son comportement instinctif par pure “raison raisonnante”.
De même, Braunstein fait remarquer que “l’engouement pour l’animal est très exactement contemporain de la perte du contact direct avec le monde animal dans un Occident qui devient de plus en plus urbain.” Les plus ardents défenseurs de la cause animale font souvent preuve d’une ignorance crasse du monde animal qu’ils ne connaissent que de manière très théorique ou bien par l’intermédiaire réducteur de leurs toutous et matous de compagnie. Cela ne les empêche nullement de savoir ce à quoi les animaux aspirent...

Ce qui est effrayant dans toute cette histoire, c’est le sectarisme croissant dont font preuve tous les donneurs de leçons. Ils ne se contentent pas hélas de s’appliquer à eux-mêmes les préceptes dont ils sont convaincus du bien fondé. Ils veulent les imposer à tout le monde. Comme on le voit déjà hélas, le lobbying s’accompagne de plus en plus souvent d’actions violentes. A l’instar des Écologistes, ils agitent les peurs et tentent de culpabiliser les déviants qui restent réfractaires ou simplement dubitatifs face à leurs théories.
Tout cela bien sûr est fait au nom du souverain bien commun et de la correction politique. Essayer de remettre en cause l’idéologie montante est de plus en plus difficile et risque de vous faire passer pour un "ennemi de la cause", voire pour un "salaud". Ce n’est pas sans rappeler l’arrogance socialiste et communiste, instituée de force elle aussi, au nom du bien du peuple et de la justice sociale...
A une époque où le christianisme semble s’effondrer dans l’indifférence générale, y compris celle du Pape, Jean-François Braunstein évoque fort opportunément G.K.Chesterton qui voyait “le monde moderne rempli de vertus chrétiennes devenues folles.”

Certes le propos de l'ouvrage est parfois excessif ou fondé sur des arguments discutables, notamment lorsque l’auteur semble douter de la mort d’une personne en état de coma dépassé, ou bien quand il voit entre l’homme et l’animal une barrière immunologique infranchissable. Mais son objectif principal paraît des plus solides. A savoir combattre cette erreur commise par les "gendéristes", "animalitaires" et autres "bioéthiciens", qui consiste à effacer les frontières de toutes sortes pour aboutir à une sorte de compost informe, où l’étymologie du mot humanité ne fait plus référence à l’homo mais à l’humus. In fine, le projet "compostiste" revendiqué par Donna Haraway, grande prêtresse de l’animalisme (après avoir prôné le règne des cyborgs) est de passer de l’humanité à l’indistinct...
Or selon Braunstein, “l’Humanité ne se constitue que par la mise en place de de limites et de frontières.../... et l’homme est un être qui affronte le monde pour en repousser sans cesse les limites.” Oui, parfois la philosophie devient folle, quand elle oublie l’Homme !

13 juin 2019

La Philosophie Devenue Folle (2)

Dans son ouvrage donnant son titre à cette série de billets, Jean-François Braunstein s’attache à montrer comment les concepts paraissant les plus évidents, et les repères les mieux établis, sont en passe d’éclater. Il en est ainsi de l’identité sexuelle, sous la pression de la désormais célèbre théorie du genre.

Cela commence par l’horrible histoire de David Reimer.
Première malchance pour ce garçon, la nature l'avait affligé d’un phimosis, sténose congénitale mais anodine du prépuce.

Hélas, ce qui aurait pu être résolu simplement, fut le début du drame de son existence. Il fut atrocement mutilé par le chirurgien incompétent chargé de corriger cette infirmité.
Après les complications causées par sa maladresse, il ne resta au jeune patient quasi plus rien de son pénis originel.
Pour second malheur, il fut présenté au psychologue et sexologue néo-zélandais John Money, considéré comme “pionnier dans le domaine du développement sexuel et de l'identité de genre”. Celui-ci avait une théorie bien arrêtée selon laquelle on ne naît pas garçon ou fille mais on le devient, bien plus par le biais de l’éducation que par les attributs sexuels de naissance. Pour David que son infirmité empêchait de devenir un homme dans toute sa plénitude, il suffisait donc selon lui, d’en faire une fille en commençant par l’éduquer comme telle, non sans lui avoir auparavant retiré ce qui restait de ses attributs sexuels masculins !

Les premiers résultats de cette thérapeutique radicale semblèrent favorables et passionnèrent d’autant plus Money que son patient avait un frère jumeau, né avec la même infirmité, mais élevé lui comme un garçon puisque dans son cas, l’opération s’était bien déroulée.
Fort de ce qu’il prit pour un succès, John Money parada dans les revues scientifiques affirmant peu ou prou qu’il était en passe de faire la preuve de la supériorité de la culture sur la nature. Il était tellement sûr de son raisonnement qu’il préconisa pour stabiliser dans son nouveau genre David devenu Brenda, de parfaire l’apparence d’une fille, par des traitements hormonaux et une plastie chirurgicale des organes génitaux.
Mais l’affaire tourna court car en prenant de l’âge, le malheureux se sentait au fond de lui de plus en plus garçon. A 13 ans, il refusa hormones et chirurgie et fit tout pour redevenir l’être de sexe masculin qu’il était et réussit même à se marier. Il ne parvint toutefois pas à trouver la sérénité et finit par se suicider à l’âge de 38 ans, tandis que son frère jumeau, lui aussi gravement déstabilisé, sombra dans l’alcoolisme et mourut également prématurément.
Cette tragédie édifiante ne servit nullement de leçon aux apprentis sorciers du genre. John Money nia son échec et continua d’exercer son sinistre magistère dans les établissements les plus prestigieux notamment le Johns Hopkins Hospital de Baltimore, accusant ses détracteurs d’être d’extrême-droite ou bien anti-féministes !

Il eut une flopée d’épigones qui bien que critiquant parfois le maître, continuèrent sur la même voie, destructrice. Notamment Anne Fausto-Sterling, pour laquelle le sexe n’existe pas indépendamment du genre, ou bien Judith Butler qui remit en cause le dogme selon lequel il n’existerait que 2 sexes. En vertu du principe qui veut qu’une fois les bornes franchies il n’y a plus de limites, tout cela évolua vers une espèce d’indistinction générale. Selon les Diafoirus du genre, on peut en somme exprimer une infinité de nuances, voire changer au gré de ses humeurs, être fille le matin, garçon l’après-midi ou l’inverse, peu importe… Parallèlement, le corps et son apparence peuvent être modifiés, selon ses envies ou bien ses lubies, des plus douces, comme le tatouage redevenu très tendance, ou le piercing, jusqu’aux plasties en tous genres plus ou moins esthétiques, voire aux perversions les plus folles telle l’apotemnophilie, qui conduit à vouloir se faire amputer d’un ou plusieurs organes.

Parvenu au terme de cette plongée d’un nouveau genre, Jean-François Braunstein s’interroge: “comment savoir quelle identité est la nôtre dès lors qu’il n’y a plus aucun indice matériel qui nous indique ce vers quoi nous tendons ?”
Si l’on pouvait être certain qu’un jour le bon sens finisse par s’imposer à nouveau et si les conséquences n’étaient parfois pas si graves, on pourrait peut-être en rire. Au vu notamment des proportions prises par ces controverses nées aux USA, lorsqu’il s’est agi de redéfinir l’accès aux toilettes publiques et la signalétique autorisant les personnes à utiliser les toilettes qu’elles désirent selon le genre auquel elles s’identifient, au-delà de leur sexe biologique.
Au moment où la civilisation occidentale semble en phase de déclin, tout cela n’est pas sans rappeler les querelles byzantines concernant le sexe des anges, au moment même de la chute de Constantinople…