29 juillet 2021

Bêtes à Bon Dieu...

En regardant quelques bestioles minuscules s’affairant au sein des plantes et des fleurs, une foule de pensées m’assaillent.
Comment éviter de se poser des questions existentielles en contemplant l’incroyable richesse inventive déployée par la Nature, qui s’exprime dans cet étonnant spectacle microscopique ?
La première, la plus immédiate, la seule pourrait-on dire est de savoir si tout cela a un sens ?
 

Comme il s’avère impossible de répondre objectivement à cette interrogation relevant de la métaphysique, la seule alternative est de choisir une option. A la manière du fameux pari de Pascal, il faut s’engager sur une voie, en misant sur les perspectives qu’elle est susceptible d’offrir.

Si l’on décide que le monde n’a pas de sens, le chemin tourne vite court. Pour tout dire, c’est une impasse. Dans ce cul de sac, on peut certes profiter du temps qui passe, mais ce carpe diem est vain puisqu’il est sans vrai lendemain, sans espérance. Au jeu du hasard et de la nécessité tout est permis mais tout se vaut et tout se rejoint dans une finitude désespérément fermée. A quoi bon aimer, à quoi bon chercher à s’améliorer, à quoi bon penser même, puisque rien n’a de signification. La beauté elle-même est une illusion, et la conscience est un leurre. Ces insectes ne sont rien d’autre qu’un mirage en somme...

Sans avoir besoin d’évoquer l’existence de Dieu ou bien d’une hypothétique vie après la mort, on peut toutefois imaginer un monde répondant à une explication ultime, transcendant la réalité triviale des choses. Le seul fait de penser que l’univers dans lequel nous vivons exprime un dessein, une direction, un sens, ouvre tout à coup l’horizon. Et dans ce contexte tout rentre en harmonie. L’être et la Nature participent de la même entité. Pour paraphraser Schelling, “la Nature doit être l’Esprit visible, et l’Esprit la Nature invisible…”
Du coup, tout questionnement est légitime et passionnant, même s'il ne trouve pas de réponse immédiate. Mieux, tout devient possible, au-delà même de l’imagination humaine, et les petites bêtes qui gravitent à nos pieds sont un peu plus que de vulgaires insectes sans importance. Ils recèlent une partie de l’indicible beauté du monde...


21 juillet 2021

La Liberté et ses fantômes

Consternant spectacle que celui où l’on voit dans notre pays des excités hurler à la dictature au motif que le gouvernement envisage de mettre en œuvre le fameux pass sanitaire, pour lutter contre la progression du COVID-19 et encourager les réfractaires à se faire vacciner. L’excès des mots atteint en la circonstance des sommets hallucinants.
Même si l’on peut contester la manière très technocratique et hasardeuse de mettre en œuvre ce dispositif, la seule certitude qui s’impose est que ces gens ne savent vraiment pas ce qu’est la Liberté pour en galvauder à ce point la signification. Ils ne mesurent pas les efforts de ceux qui ont tant donné pour qu’elle devienne réalité et ils manifestent une ignorance coupable vis-à-vis de celles et ceux qui n’ont pas la chance comme eux, de vivre dans un monde ouvert.

Au moment même où les médias braquent leurs projecteurs sur ces imbéciles - heureux sans le savoir -, des événements autrement plus graves se déroulent dans le monde, sans qu’on entende beaucoup de voix s’élever contre ces vrais totalitarismes.
Dimanche 11 juillet, des milliers de Cubains ont déferlé aux cris de « Liberté ! », « Nous avons faim » et « A bas la dictature » (Le Monde). On peut les comprendre et éprouver quelque compassion. Cela fait plus de soixante ans qu’ils subissent les effets désastreux de la tyrannie castriste. Pourtant, dès le mardi suivant, quelque 130 personnes étaient emprisonnées ou signalées comme disparues, et l’attention se détourna rapidement du sort de ces malheureux, abandonnés depuis si longtemps à leur triste sort.
A la Havane, force est de constater que le socialisme règne toujours en maître et sa rhétorique odieusement mensongère est plus que jamais à l’œuvre, qualifiant par la bouche de l’actuel président Miguel Diaz-Canel, ces manifestations de “provocations orchestrées par des éléments contre-révolutionnaires, organisés et financés depuis les USA avec des objectifs de déstabilisation..” Au boniment s'ajoute l'ingratitude pour le tandem Biden-Obama qui avait preuve de tant de mansuétude pour les satrapes de La Havane...

En Afghanistan, on assiste au retour massif et brutal des Talibans, à la faveur du désengagement des États-Unis. Ils étaient les derniers à tenter de faire encore rempart aux révolutionnaires islamistes sanguinaires et à protéger les fragiles progrès démocratiques que l’intervention de la Communauté Internationale avait permis de faire.
Ces tristes événements ne suscitent hélas guère plus d’émotion que la mise au pas des dissidents cubains. Face à cette nouvelle déferlante de barbarie, le gouvernement français appelle, sans état d’âme, ses ressortissants à quitter au plus vite le pays. Éternel recommencement. Comment ne pas se remémorer l’abandon tragique du Vietnam, puis du Cambodge, de l’Iran et de tant de pays, devant l’imminence des périls. On se souvient des ambassades prises d’assaut par les réfugiés, les drapeaux amenés en catastrophe, et l’effacement chaotique de tous les symboles de la Liberté...

L’évolution de la situation au Mali procède de la même mécanique. Aujourd’hui le président Macron menace de “stopper Barkhane si le pays s'enfonce dans l'islamisme radical”. N’était-ce pas précisément le motif de l’intervention initiale ?
On se retrouve en définitive prisonniers d’un tragique imbroglio. Pendant qu’on accueillait au titre de l’asile politique, nombre de jeunes gens, qui auraient pu combattre auprès de nos troupes pour offrir à leur pays l’espoir d’une liberté durable, l’hydre totalitaire reconstituait sans cesse ses bras mutilés pour mieux renaître le jour où nous baisserions les nôtres...

Une fois encore, l’absence de consensus et de détermination de la part des instances de régulation internationales, fait la part belle à l’horreur tyrannique. Et pendant que dans le Monde Libre, des minorités vociférantes voient ressurgir à la moindre contrariété le spectre de la Shoah, des peuples entiers continuent de souffrir en silence de la vraie privation de liberté et de toutes sortes d’atrocités infligées par les despotes qui les asservissent en toute impunité...

13 juillet 2021

Voyage autour de ma chambre

Voltaire soutenait que la vraie sagesse consistait à savoir tout simplement cultiver son jardin. Xavier de Maistre (1763-1852) inventa quant à lui le voyage autour de sa chambre comme source quasi inépuisable de bonheur.
Natif de Savoie, et frère du célèbre penseur conservateur Joseph, il ne sera jamais français ce qui lui valut lors des guerre entreprises au nom de la Révolution et de l’Empire, de s’engager dans les armées russes, en soutien au Tsar. Bien qu’intrépide combattant, il lui arriva toutefois de contrevenir à la discipline militaire, ce qui lui occasionna un arrêt de rigueur avec obligation de rester confiné chez lui durant 42 jours.
Il transforma cette peine en expérience initiatique originale, mettant à profit cette claustration forcée pour donner libre cours à son imagination et pour se livrer à une exploration de son environnement immédiat afin d'en tirer matière à réflexions et anecdotes.
Il fit en effet contre mauvaise fortune bon cœur, comme on dit et trouva bien des avantages à ce périple intérieur forcé affirmant en substance qu’il "ne coûte rien", qu’on n’a "point à craindre l'intempérie de l’air et des saisons", qu’on ne rencontre "ni précipices, ni fondrières", et enfin, qu’on y est "à l’abri des voleurs…” Au surplus, le lit, chaud et douillet, dont on n’est plus obligé de sortir dès la sonnerie du réveil, devient “un théâtre qui prête plus à l’imagination, qui réveille de plus tendres idées…”

Le prisonnier de sa propre chambre peut alors se livrer à toutes sortes de pensées. Parmi celles-ci, il a la révélation soudaine que “l’homme est composé d’une âme et d’une bête” et que ces deux êtres “sont absolument distincts, mais tellement emboîtés l’un dans l’autre, ou l’un sur l’autre, qu’il faut que l'âme ait une certaine supériorité sur la bête pour être en état d’en faire la distinction.” De facto, la situation d’aventurier immobile offre l’occasion inespérée de “faire voyager son âme toute seule”, ce qui procure la jouissance “d’étendre son existence, d’occuper à la fois la terre et les cieux, et de doubler, pour ainsi dire, son être.”

Passant le plus clair de ses journées à méditer sur la disposition des pièces, sur les objets qui les meublent, sur leur histoire réelle ou supposée, Xavier de Maistre s’abandonne aux fantasmes spatio-temporels: Il convoque ainsi au gré de sa volonté Hippocrate, Platon, Périclès, et l’épouse de ce dernier, Aspasie...
Avec le premier, il relativise l’intérêt de la médecine, incapable d’abolir le destin funeste qui finit par tous nous emporter, quoiqu’on fasse.
Avec Périclès il disserte sur la décadence des arts et des sciences, égratignant au passage le mythe fondateur de la Révolution française dans laquelle on voit “des savants illustres quitter leurs sublimes spéculations pour inventer de nouveaux crimes”, et dans le tumulte de laquelle on entend “une horde de cannibales se comparer aux héros de la généreuse Grèce, en faisant périr sur l’échafaud, sans honte et sans remords, des vieillards vénérables, des femmes et des enfants, et commettant de sang froid les crimes les plus atroces et les plus inutiles…”
Avec Platon il se réjouit a contrario “des découvertes de Locke sur la nature de l’esprit humain, de l’invention de l’imprimerie, des observations tirées de l’histoire, qui auront contribué à rendre les hommes meilleurs et tendre vers une république heureuse.”
Avec Aspasie, enfin, il discute plus légèrement “des gravures de mode, des vêtements et des coiffures qu’elle n’aurait pu imaginer, et qu’elle trouvait trop couvrants, laissant supposer plus de vertu qu’à son époque…”

Nombreuses sont les idées plus ou moins saugrenues qui passent par l’esprit. Un jour le Robinson en pantoufle, soliloquant sur les mérites comparés des arts, fait le constat que la peinture est évidemment supérieure à la musique, car si “on voit des enfants toucher du clavecin en grands maîtres, on n’a jamais vu un bon peintre de douze ans.” Le lendemain, il se met à souhaiter “l’invention d’un miroir moral, où tous les hommes pourraient se voir avec leurs vices et leurs vertus”, à l’instar de la glace qui renvoie à celui qui passe devant, sa propre image, de manière toujours impartiale et vraie. Mais l’instant d’après, il convient que cela serait inutile car il ne suffit pas de voir pour prendre conscience. “Il est si rare que la laideur se reconnaisse et casse le miroir…”
A propos de la visite inopinée d’un mendiant, il prend même une leçon cocasse de philosophie et d’humanité de son domestique et de son chien

Mais hélas tout a une fin. La peine infligée par les autorités arrive un jour à son terme et il faut quitter le “charmant pays de l’imagination, que l'Être bienfaisant par excellence a livré aux hommes pour les consoler de la réalité.”
Le jour de la libération devient paradoxalement celui où il faut “rentrer dans les fers”! "Le joug des affaires" va de nouveau peser et il n’y aura plus un pas “qui ne soit mesuré par la bienséance et le devoir.”
Cette microscopique mais originale odyssée valut à son auteur une gloire littéraire qui ne faiblit pas avec le temps. La pandémie due au COVID-19 lui donne même un écho saisissant. Le confinement donne en effet à ceux qui ont eu la chance de ne pas trop en souffrir, l’occasion de vérifier nombre de constats, de relativiser l’importance de certaines priorités et impératifs qu’ils imaginaient incontournables, et de réfléchir sur la condition humaine et la vanité de quantité d’exigences.
Après cette confrontation prolongée avec lui-même, Xavier de Maistre s'exclame: “jamais, je ne me suis aperçu plus clairement que je suis double.” Et alors que le corps retrouve sa liberté d’aller et venir, l'esprit le sermonne, non sans inquiétude : “O ma bête, ma pauvre bête, prends garde à toi !”
A chacun d’en tirer les enseignements opportuns....

03 juillet 2021

Lord Jim


In memoriam Jim Morrison (1943-1971)

Dans un morne Paris nocturne
L’ombre énamourée de la Mort
Enlace la ville qui dort
Tel un fantôme autour d’une urne

La fin du héros taciturne
S’inscrit dans un étrange sort
Qui le prive de tout ressort
Et l’offre au sommeil de Saturne

Déjà il erre entre deux eaux
L’esprit ailleurs, les yeux mi-clos
Sourd à tout chant, toute musique

Dans un navrant bain de minuit
Il a enfin noyé l’ennui
Et l’angoisse métaphysique.