28 juillet 2006

Du sang de la haine et de la mort

Le Liban éclate à nouveau comme une noix sous la pression « disproportionnée » des obus et des missiles de Tsahal.
C'est un peu comme si le bel alphabet antique d'Ahiram volait en morceaux sous la fureur barbare.
Comme si le voile de cendre et de suie qui envahit le ciel, éteignait la splendeur du passé phénicien, éclipsant Byblos, Tyr, et Baalbek, l'ancienne Héliopolis, derrière une grisaille affreuse.
Le Liban pays martyr n'en finira donc pas de rouvrir ses plaies. Et les enfants, les pauvres enfants, continueront encore longtemps de mourir dans un monde qu'ils entrevoient mais qu'ils ne pourront jamais comprendre...
A Beyrouth le gouvernement est un mirage fuyant. Plus on l'espère, plus il s'éloigne. Pour son grand malheur, le pays s'éparpille en mille groupes, en mille religions. Le Président Lahoud soutient le Hezbollah. Or "le Hezbollah ne fonctionne plus comme un état à l'intérieur de l'état mais comme l'état lui-même" (Time). Un Etat qui expose les enfants et les laisse se noyer dans leur propre sang, sans imaginer qu'il contient un peu de celui du Prophète. Les scouts d'Al-Mahdi endoctrinés, brandissent leurs bras encore potelés comme le faisaient avant eux les jeunesses hitlériennes...
Une spirale de haine infernale poursuit de sa malédiction le peuple palestinien. Il semble repousser avec une obstination morbide toute occasion d'aller vers un destin paisible. Chaque espoir se perd dans les sables et devient aussitôt impossible à rattraper.
Israël avec une volonté de fer a bâti une démocratie et a fait émerger du désert un verger. Les Palestiniens refusent obstinément de donner naissance aux leurs à côté. Ils préfèrent encore la désolation et l'odeur perpétuelle de la mort au voisinage des Juifs. En leur sein même hélas, les milices se divisent sans fin, Hizb Allah contre Amal, Hamas contre Fatah. Partout les querelles naissent, croissent et dégénèrent en conflits meurtriers.
Ils ont épuisé la patience de leurs coreligionnaires en Egypte, en Jordanie, en Arabie, mais ils servent de jouets diaboliques à de grands prédateurs. L'Iran qui s'enfonce chaque jour que Dieu fait, un peu plus dans l'intolérance et le fanatisme, achète le sang de ces âmes perdues pour en faire le terreau de ses révolutions. La Syrie actionne des leviers pervers dans le jeu desquels ils font office de courroies de transmission.
La Communauté Internationale assiste impuissante à cet atroce théâtre de l'absurde. Les « gardiens de la paix » onusiens, inutilement mêlés aux combattants de l'ombre, sont de vaines victimes. Les crocodiles bien intentionnés pleurent mais sont impotents. Ils ont ouvert la voie à la Charia en Iran, ils ont couvert avec complaisance de sombres dictatures, devant le drame irakien, ils se lavent les mains. Maintenant ils craignent "qu'on veuille détruire le Liban" et réclament à grands cris un chimérique cessez-le-feu, sorti de nulle part. A l'évidence, les « plus jamais ça » psalmodiés rituellement devant les portes noires des anciens camps d'extermination ne sont en la circonstance plus trop d'actualité...

INDEX-PROPOS

20 juillet 2006

Venus et La Mer

Lawrence Durrell le dit d'emblée, il fait partie des islomaniaques : « le seul fait de se savoir dans une île, dans un petit univers entouré par la mer, le remplit d'une ivresse indescriptible. »
De fait, des îles il en parcourut beaucoup pendant sa vie aventureuse. Il connut à peu près toutes celles qui peuplent la mer Egée.
Dans « Vénus et la mer », c'est Rhodes qu'il évoque, « Rhodes où les jours mûrissent lentement, comme des fruits sur un arbre. »
Il raconte le séjour qu'il fit en 1945, alors que l'île était encore italienne, en compagnie d'un étonnant aréopage d'originaux de tout-poil: le capitaine-pilosophe au monocle, Gideon, le consul Hoyle, le docteur Mills, et le potier Egon Huber... sans oublier bien sûr E. « aux yeux noirs, qui recouvre un peu tous les autres de son ombre – l'amie, la critique, la maîtresse. »
Il s'agit d'un microcosme magique : « J'ai essayé de ne pas les déranger dans les petites éternités de leur vie insulaire, où leurs esprits se marient un peu à celui de la Vénus Marine, debout dans sa petite niche de pierre au Musée, telle un défi lancé par une vie infiniment plus lointaine... »

Arrivé de nuit à l'Albergo della Rosa, il décrit après une nuit de sommeil réparateur, le charme extatique qui émane du port de Mandraccio, en dépit des traces encore fraîches laissées par la guerre : « Les fenêtres ouvertes donnaient directement sur la mer dont les soupirs mélodieux constituaient l'accompagnement parfait à la joie de retrouver une île grecque... »
« Le soleil éclaboussait d'or et de bleu les premiers plans du paysage, tandis que l'arrière plan désolé de Caria, à peine effleuré par le soleil, semblait doucement tamisé à travers un prisme. Une immense paix. »
En attendant que le monde égéen trouve son peintre, Durrell use d'une jolie palette de mots : « Ciel céruléen effleuré de cirrus blancs – pareils à la toison qui apparaît entre les cornes d'un chevreau de neuf jours, ou sur les cocons des vers à soie; verts intenses comme la queue d'un paon à l'endroit où la mer s'abat contre les falaises. Explosion prismatique des vagues contre le ciel bleu, écrasant leurs paquets de couleurs frissonnantes, puis le noir que laissent les vagues quand elles se retirent en sifflant. La tache vert-billard frangée de violet au dessous de Lindos. Les étranges ossements nacrés de la falaise au pied de Castello... »
Quant aux fantastiques crépuscules rhodiens, (s'agit-il du « crépuscule aux doigts de rose » décrit par Homère ?), ils ont fait la renommée de l'île depuis le moyen-âge : « Toute la rue des Chevaliers était en feu. Les maisons commençaient à se tordre sur les bords comme du papier, et à mesure que le soleil descendait sur la colline, les roses et les jaunes fusaient d'un coin à l'autre, découvrant les subtilités inouïes de leurs inépuisables nuances, de carrefour en carrefour, de pignon en pignon, jusqu'au moment où les minarets des mosquées jetaient des flammes d'un bleu intense, comme du feu consumant une feuille de papier carbone. »
Dans ces paysages idylliques, les fleurs ont leur part. La rose bien sûr qui ornait les sceaux garantissant sur les jarres la provenance et la qualité des produits locaux : huile, vin, parfums.
Mais était-ce une rose ? Rien n'est moins sûr. Car à Rhodes la reine c'est plutôt l'hibiscus. Il est partout : « Les 3 notes dominantes sont les rouges du laurier-rose, et de l'hibsicus, et les grosses masses pourpres des bougainvillées. »
Suit un récit alangui, écrit pour une bonne partie dans le jardin de la villa Cléobolus ou l'écrivain avait établi ses quartiers. A partir de ses lectures, ses voyages, et ses discussions avec les amis autour de sympathiques bouteilles de Mastika, il livre pèle-mêle, impressions, descriptions et un peu d'histoire et de géographie.
Rhodes qui voisine avec l'Anatolie, n'est à ce qu'il paraît qu'un fragment d'un gigantesque cratère l'Egée, ce qui explique les reliefs et les a-pics : « A l'est se trouvent des fonds de plus de 3000 mètres, tandis que le mont Atabyron se dresse à 1240 mètres au dessus du niveau de la mer. »
Le mont Phileremo qui domine la vallée de Maritsa, dont le sol calcaire, doux comme de la crème est creusé de milliers de petits lits de torrents et couverte de buissons, si bien que chaque fissure ressemble à une bouche masquée par une barbe dorée. »
En matière historique, Durrell se livre à une sorte d'évocation éblouie de ce pays fier, né autour de 408 avant Jésus-Christ, farouchement indépendant, mais qui connut par la force des choses l'empreinte de ses encombrants voisins, la Turquie et la Grèce.
S'agissant de l'influence de la Grèce antique, c'est naturellement l'épisode du colosse qui vient à l'esprit. Et c'est avant tout l'histoire du siège épique de Rhodes par Demetrios, fils d'Antigone, vers 305 avant Jésus-Christ.
Parce que les Rhodiens avaient refusé de faire alliance avec ce dernier contre l'Egypte de Ptolémée, il furent assaillis par une armée massive dotée de machines de guerre redoutables, catapultes, balistes, tortues géantes. Durrell décrit notamment la tour fortifiée ambulante Helepolis, construite en bois de chêne, haute de plusieurs dizaines de mètres et nécessitant plus de 3000 hommes pour être déplacée. En dépit de son aspect effrayant elle ne parvint à venir à bout des remparts et s'enlisa lamentablement dans les boues des égouts de la ville, habilement détournés pour faire barrage à l'engin.
Grâce à leur ténacité, leur courage et leurs éminentes qualités de marins les Rhodiens rejetèrent tous les assauts et finirent par épuiser l'attaquant pourtant lui aussi opiniâtre. Une paix des braves s'ensuivit et Demetrios, magnanime, fournit les moyens nécessaires à la réalisation d'une statue commémorative.
Il fallut douze ans pour ériger, probablement sous le fort de Saint-Nicolas, un géant de bronze d'environ 35 mètres de hauteur. Il fut classé parmi les sept merveilles du monde antique, mais s'écroula 56 ans après, victime d'un tremblement de terre en 227.
Durrell, poète, fait la part belle aux créatures qui peuplent l'imaginaire des Rhodiens depuis l'antiquité : les Néréides, esprits tutélaires de ces îles, qui hantent presque chaque source, chaque ruisseau et qu'il ne faut pas surprendre dans leurs ébats sous peine d'être contraint de danser avec elles jusqu'à l'épuisement. Le Kaous, version autochtone du Dieu Pan, qui pose des questions pernicieuses, et qui vous enfourche en cas de réponse erronée, comme un cheval et vous fait courir ventre à terre en vous frappant avec son bâton.
Rhodes vit durant le moyen-âge, débarquer les Chevaliers Hospitaliers de Saint-Jean, surtout à partir de 1291 lorsqu'ils furent chassés de Jérusalem et qu'ils refluèrent vers Chypre. En 1309, sous la houlette de Foulques de Villeret, ils acquirent la souveraineté de l'île ainsi que de plusieurs autres ( Chalce, Simi, Telos, Nisyros, Cos, la patrie d'Hippocrate, Calymnos et Leros). Ils apportèrent au moins au début quelques bénéfices au pays. Les Turcs cessèrent les agressions dont ils étaient coutumiers, la justice régna et le commerce prospéra. Toutefois Durrell n'est pas très tendre avec les chevaliers, qui étaient censés se consacrer au service des pauvres et à la défense de la vraie foi, et qui négligèrent de plus en plus ces devoirs à mesure qu'ils s'enrichissaient.
Ils finirent par être délogés en 1522 par le sultan de Turquie.
De cette dernière Rhodes a gardé un islam, plutôt apaisé : « pas de cette grossièreté suffocante et de tout ce que cela comporte de bigoterie, de cruauté et d'ignorance. Ici, toutes les franges déchiquetées de la foi se sont effilochées; les minarets dominent la place du marché de leurs stipes gracieux, l'appel du muezzin s'élève doux et musical dans la lumière du crépuscule. Le visage patriarcal du Mufti sous son fez écarlate, fumant d'un air mélancolique dans la cour de la mosquée et accueillant les fidèles. Rhodes a converti l'islam qui s'est intégré à la verdoyante douceur de l'île. »
Le livre s'achève au moment où l'île cesse d'être italienne pour redevenir grecque, après guerre : « ma joie se teinte de regret, car il faudra me séparer une fois de plus d'un pays que j'avais fini par adopter comme une seconde patrie. »


Durrell repassa, des années après, au large de Rhodes. Les souvenirs que lui inspirèrent ces lieux où il fut heureux sont un épilogue nostalgique : « Devant nous la nuit s'assemble, une nuit différente, et Rhodes commence à s'enfoncer dans cette mer insensible d'où seule la mémoire peut la délivrer. Les nuages passent très haut au-dessus de l'Anatolie. D'autres îles ? D'autres futurs ?
Pas après avoir vécu avec la Vénus Marine, je pense. La blessure qu'elle donne, il faut la porter jusqu'au bout du monde. »

INDEX-LECTURE

18 juillet 2006

Dors-tu content, Voltaire...

André Maurois fut un maître dans l'art de la biographie (Byron, Shelley, Chateaubriand, George Sand, Victor Hugo, Tourgeniev, Disraeli...). En vingt-deux courts chapitres, écrits « allegretto », il dressa un portrait de Voltaire aussi concis que précis.
Le personnage et son oeuvre pourraient pourtant suggérer des flots de littérature.
Il vécut 84 ans (1694-1778) et marqua de son empreinte provocatrice « son » siècle, celui qui s'étend de la fin du règne Louis XIV (mort en 1715) jusqu'au début de celui de Louis XVI. Il traversa une époque qui vit mourir le monde ancien dans un curieux mélange de plaisirs frivoles, de mignardises, d'intolérance et d'obscurantisme religieux.
Il fut homme de lettres, philosophe, romancier, dramaturge, journaliste (« le plus grand que les hommes ont connu », selon Maurois).
On a dit qu'il fut un vulgarisateur parce que ses idées paraissaient trop simples. En réalité il représentait l'archétype du gentilhomme éclairé : « curieux de tout, il savait plus d'histoire que les mathématiciens et plus de physique que les historiens... »
Voltaire, sous des apparences ironiques et sarcastiques, resta fidèle au classicisme français. D'ailleurs comme le souligne son biographe, « tous les romantiques sont antivoltairiens. »
Il fut en tout cas un infatigable travailleur : « Plus j'avance dans la carrière de la vie, et plus je trouve le travail nécessaire. Il devient à la longue le plus grand des plaisirs et tient lieu de toutes les illusions qu'on a perdues. »

Il connut de son vivant à la fois la gloire et l'infamie. Il fut exilé, embastillé à plusieurs reprises (dont un séjour de 18 mois pendant la régence) et nombre de ses oeuvres subirent l'autodafé. En 1734, Les Lettres Philosophiques furent par arrêt du Parlement, condamnées à être « lacérées et brûlées dans la cour du Palais, au pied du grand escalier d'icelui, par l'exécuteur de la haute justice, comme scandaleuses, contraires à la religion, aux bonnes moeurs et au respect dû aux puissances. »
Il fut toutefois élu à l'académie française. Il fut admiré de Frédéric II qui qualifiait ses ouvrages « de trésors d'esprit ». Ce dernier l'éleva à la dignité de chambellan et lui remit la croix du mérite. En 1791,enfin, il entra par la grâce de la Révolution, au Panthéon...

De la vie sentimentale de Voltaire, on retient avant tout ses amours pour Emilie du Châtelet. Elle durèrent 14 ans et furent riches d'autant d'affection que de d'affinité intellectuelle. Elle lui procura un refuge agréable lorsqu'il était pourchassé, dans son domaine de Cirey près de la frontière à deux pas de la Lorraine.
Elle avait 12 ans de moins que lui. Il la partagea par la force des choses tout d'abord avec son mari, mais dut plus tard lui laisser la liberté de fréquenter le capitaine de St-Lambert qui lui fit une fille, alors qu'elle venait d'avoir 44 ans. Elle en mourut. Il en fut extrêmement affecté.

Voltaire fut très proche de l'esprit anglo-saxon. Il séjourna en Angleterre et fut profondément impressionné par la lecture de John Locke. De même, il assistera ému aux funérailles de Newton en 1727.
Un extrait d'un poème écrit au moment de la mort de l'actrice Adrienne Lecouvreur, à qui on refusait à Paris une sépulture religieuse, témoigne de ces sentiments :
« Ah verrai-je toujours ma faible nation,
Incertaine en ses voeux, flétrir ce qu'elle admire,
Nos moeurs avec nos lois toujours se contredire,
Et le Français volage endormi sous l'empire
De la superstition ?
Quoi ! N'est-ce donc qu'en Angleterre
Que les mortels osent penser ? »
Deux ans avant sa mort, les Etats-Unis d'Amérique accédèrent à l'indépendance (1776). Il avait rencontré peu de temps auparavant Benjamin Franklin qui avait conçu pour le vieux patriarche une véritable admiration.

Révolté par l'injustice, il prit la défense de nombreuses personnes accusées à tort. La plus célèbre fut Jean Calas dont il parvint à réhabiliter la mémoire. Le malheureux avait été condamné, sur la foi de témoignages douteux (des « quarts de preuve » additionnés...), à être roué vif pour avoir étranglé son fils, lequel s'était en réalité suicidé.
Trente années après ce drame, en 1793, la Convention Nationale fit ériger à Toulouse sur la place du supplice, une colonne de marbre où fut gravée l'inscription suivante : « La Convention Nationale à l'amour paternel, à la nature, à Calas, victime du fanatisme. » Au même moment, la même assemblée envoyait à l'échafaud des milliers de Français qui ne pensaient pas comme elle...
Voltaire fut horrifié par le sort réservé au Chevalier de la Barre, décapité pour avoir négligé d'ôter son chapeau au passage d'une procession.
Enfin, il défendit la mémoire de Lally-Tollendal, décapité pour avoir « trahi les intérêts du roi », lors de la perte des Indes.

Les rapports de Voltaire avec la religion furent plus complexes qu'on ne pourrait le croire.
L'existence de Dieu lui semblait relever de l'évidence : « Il est naturel de reconnaître un dieu dès qu'on ouvre les yeux... L'ouvrage annonce l'ouvrier. »
Parlant des oeuvres humaines inspirées de la nature : « Se pourrait-il que les copies fussent d'une intelligence et que les originaux n'en fussent pas ? »
Sa religion était des plus simples : « Le seul évangile qu'on doive lire c'est le grand livre de la nature. Il est impossible que cette religion pure et éternelle produise du mal.» ou encore : « Si vous voulez ressembler à Jésus Christ, soyez martyrs et non pas bourreaux. »
Mais il resta dubitatif tout au long de sa vie. Dans le domaine qu'il acheta à Ferney, où il vécut les vingt dernières années de sa vie, il avait fait construire une église et un tombeau qui se trouvait moitié à l'intérieur, moitié en dehors : « Les malins diront que je ne suis ni dedans, ni dehors. »

Quant à son enseignement, il fut tout entier contenu dans ses petits romans, Zadig, Micromégas, Memnon, Candide, « toujours imaginés pour prouver quelque vérité morale; dans un style allègre et ravissant. » Les esprits pédants ne s'en accommodèrent pas : « Le pauvre homme ne savait pas être ennuyeux, comment l'eut-on jugé sérieux ? » mais nombre de ses maximes aujourd'hui encore font mouche : « Marchez toujours en ricanant dans le chemin de la vérité. »
« Jouissez de la vie qui est peu de chose, en attendant la mort qui n'est rien... »
Voltaire fut mal compris. Bien que monarchiste et conservateur, il ne contribua pas peu à tordre et à briser l'armature du monde ancien s'appuyant sur la monarchie et la religion. Provocateur né, ses mots dépassèrent souvent sa pensée, mais il était sincèrement bouleversé par les abus commis au nom de principes immanents, ou de croyances. Curieux de toute chose, il eut souhaité sans doute un progrès paisible, plutôt que des révolutions.
Il écrivit Candide - pour Maurois, « l'un des chefs d'oeuvre de l'esprit humain » - à l'âge de 65 ans. La morale en est limpide et humble : « Le monde est fou et cruel, la terre tremble et le ciel foudroie; les rois se battent et les églises se déchirent. Limitons notre activité et essayons de faire aussi bien que nous pourrons notre petite tâche. », autrement dit : « Il faut cultiver notre jardin »

14 juillet 2006

Enquête sur l'entendement humain



La philosophie, aux yeux du commun des mortels, fait souvent figure de galimatias pédant et peu intelligible; une sorte de jus de cerveau aussi vaniteux que futile.
Dès l'antiquité, puis au travers de la scolastique moyenâgeuse, et jusqu'à l'existentialisme et au marxisme, nombreux furent les philosophes qui manièrent les concepts abscons, les notions fuligineuses, qui échafaudèrent des théories obscures, chimériques, ou basées sur de simples croyances.
Au dix-huitième siècle, en Angleterre, dans le sillage des fabuleuses avancées scientifiques amenées par Newton, un courant de pensée pragmatique rompit pourtant cette désespérante fatalité. Ses représentants avaient acquis la conviction qu'en philosophie pas plus qu'en science, il n'existe de raisonnement sérieux capable de s'affranchir de la réalité tangible. Ils bannirent de leur discours tout a priori, toute croyance non fondée, tout principe inné et firent de l'expérience l'unique terreau de leur pensée.
David Hume (1711-1776) illustra ce point de vue de manière magistrale dans des ouvrages très accessibles et encore très actuels. L'enquête sur l'entendement humain en constitue une pièce maîtresse. Il l'écrivit initialement sous la forme d'un traité, qui se heurta à l'indifférence générale. Il retravailla patiemment ce texte jusqu'à lui conférer l'humilité d'une enquête et la rigueur d'une synthèse.
Sa préoccupation principale est de faire simple, et il s'en explique : « La philosophie facile et claire aura toujours la préférence auprès de la généralité des hommes, sur la philosophie précise et abstruse; et de nombreuses personnes la recommanderont non seulement comme plus agréable, mais encore comme plus utile que l'autre. »
« C'est un raisonnement juste et précis qui est le seul remède universel, approprié à toutes les personnes et à toutes les dispositions; seul, il est capable de ruiner la philosophie abstruse et le jargon métaphysique qui, en se mêlant à la superstition populaire la rendent en quelque sorte impénétrable aux argumentateurs négligents et lui donnent l'apparence de la science et de la sagesse. »


De l'expérience
Pour Hume, l'expérience constitue le fondement de toute construction de l'esprit. Elle est conditionnée avant tout par la perception qu'on a des choses.
Il établit une différence fondamentale entre celle-ci, qu'il appelle « impression », et l'idée qu'on peut s'en faire, qui n'est qu'une sorte de « copie » atténuée de la première. Il n'est que de comparer la douleur qu'on ressent en se brûlant et l'idée qu'on en a, pour mesurer la distance qui les sépare.
Toutefois, l'idée même de brûlure n'a de sens pour l'esprit humain que si le corps en a fait l'expérience. Il en est ainsi de toute chose. Les idées qui sont le substrat de l'imagination reposent donc toutes sur des « impressions ».
Pour autant, « Rien n'est plus libre que l'imagination humaine. Elle a un pouvoir illimité de mêler de composer, séparer et diviser les idées dans toutes les variétés de la fiction et de la vision. Elle peut feindre une suite d'évènements avec toute l'apparence de la réalité, elle peut leur attribuer un temps et un lieu particuliers, les concevoir comme existants et se les dépeindre avec touts les circonstances qui appartiennent à un fait historique auquel elle croit avec la plus grande certitude. »
Il paraît donc essentiel de se défier des constructions abstraites que le cerveau est capable d'engendrer, et de s'attacher à conserver une logique lorsqu'on associe les idées entre elles. Face à tout concept paraissant abstrus, Hume recommande de rechercher « de quelle impression dérive cette idée supposée ». « Si l'on ne peut en désigner une, cela servira à confirmer que le concept en question est dénué de sens. »


Des relations de cause à effet
« Il y a seulement trois principes de connexion entre les idées, à savoir ressemblance, contiguïté dans le temps ou dans l'espace, et relation de cause à effet. »
Seule l'expérience peut garantir la pertinence de ces connexions. Les relations de causalité ne peuvent en effet pas se déduire d'un fait lui-même : « Nul objet ne découvre jamais, par les qualités qui paraissent aux sens, soit les causes qui le produisent, soit les effets qui en naissent; et notre raison ne peut, sans l'aide de l'expérience, jamais tirer une conclusion au sujet d'une existence réelle et d'un fait. »
Il faut noter que l'expérience n'a de valeur que parce qu'elle permet de tirer des conclusions reproductibles dans le temps : « toutes nos conclusions expérimentales procèdent de la supposition que le futur sera conforme au passé. »


De la difficulté de tenir compte de l'expérience dans les sciences humaines
Hume est parfaitement conscient qu'il est difficile de transposer la rigueur scientifique à certains concepts humains : « L'isocèle et le scalène se distinguent par des frontières plus précises que le vice et la vertu, le vrai et le faux. »
Mais il impute une bonne partie de ces difficultés à l'imprécision des notions dont on parle : « Le principal obstacle à notre perfectionnement dans les sciences morales ou métaphysiques est donc l'obscurité des idées et l'ambiguïté des termes. » Il met en cause également le besoin de surnaturel qu'a l'être humain qui le pousse trop souvent à « recourir à quelque principe invisible et intelligent comme cause immédiate de l'évènement (deus ex machina)». Or, « L'expérience nous apprend seulement comment un événement en suit constamment un autre, sans nous instruire sur la connexion cachée qui les lie l'un à l'autre et les rend inséparables. »


Du danger de mêler le divin aux préoccupations philosophiques
Le philosophe, qui n'était pas l'ennemi de l'idée de Dieu, rappelle que cette dernière fait en général mauvais ménage avec la recherche raisonnable de la connaissance : « Si l'esprit de religion se joint à l'amour du merveilleux, c'est la fin du sens commun et, dans ces circonstances, le témoignage humain perd toute prétention à l'autorité. »
« Un esprit religieux peut être un enthousiaste et s'imaginer voir ce qui n'a aucune réalité; il peut savoir que son récit est faux et pourtant y persévérer avec les meilleures intentions du monde dans le but de promouvoir une cause aussi sainte. »
De même, il condamne la méthode consistant à réfuter une hypothèse, « par le danger de ses conséquences pour la religion et la morale. » car, « Quand une opinion conduit à des absurdités, elle est certainement fausse, mais il n'est pas certain qu'une opinion soit fausse parce qu'elle est de dangereuse conséquence. »
Au passage il égratigne les théories reliant trop directement Dieu avec les évènements qui agitent le monde, celles qui voient en toute chose la main de Dieu. S'il en était ainsi, il serait impossible de juger aucune action humaine. Pour chaque crime, il faudrait par le jeu des causes et des effets, en rendre responsable Dieu créateur de tout, ce qui est absurde, car cela reviendrait à nier la nature criminelle des actes en question.
Hume relativise, surtout dans le domaine religieux, la valeur des témoignages. Il insiste par exemple, sur la neutralisation d'un témoignage digne de foi par un autre aussi digne de foi mais relatant l'inverse du premier.
Il use de cette argumentation pour affirmer qu'aucun témoignage humain ne peut avoir assez de force pour prouver un miracle ou de manière plus générale tout acte violant les lois connues de la nature. « C'est en effet l'expérience seulement qui donne autorité au témoignage humain; et c'est la même expérience qui nous rend certains des lois de la nature. Quand donc ces deux genres d'expérience sont contraires, nous n'avons rien à faire que de soustraire l'une de l'autre », « ce qui se monte à un entière annihilation. »
Pour éviter tout excès enfin, il invite dans les raisonnements, à garder le sens de la mesure : « Quand nous inférons une cause particulière d'un effet, il nous faut proportionner l'un à l'autre, et l'on ne peut nous accorder d'attribuer à la cause que les qualités qui suffisent exactement à produire l'effet. L'élévation, sur l'un des plateaux, d'un corps de dix onces peut servir de preuve que le poids antagoniste dépasse dix onces; elle ne peut jamais apporter une raison qu'il dépasse cent onces. »
« Vous trouvez certains phénomènes dans la nature. Vous cherchez une cause ou un auteur. Vous vous imaginez que vous l'avez trouvé. Puis vous devenez si épris de cette créature de votre cerveau que vous croyez impossible qu'elle ne produise pas nécessairement quelque chose de plus grand et de plus parfait que la présente scène de choses qui est si pleine de mal et de désordre... »


En définitive Hume souhaite que la philosophie délaisse les « sublimes mystères » touchant à l'existence de Dieu. Pour retourner « avec la modestie convenable, à son véritable domaine propre, l'examen de la vie courante, où elle trouvera assez de difficultés pour occuper ses recherches sans se lancer sur un océan infini de doutes, d'incertitudes et de contradictions »
Il termine sur cette recommandation visant à apprécier à sa juste valeur tout ouvrage de philosophie : « contient-il des raisonnements abstraits sur la quantité ou le nombre ? Non. Contient-il des raisonnements expérimentaux sur des questions de fait et d'existence ? Non. Alors mettez-le au feu, car il ne contient que sophismes et illusions. »


11 juillet 2006

Les militants : voyage dans le zéro marxiste


Pendant 7 ans de 1932 à 1938, Arthur Koestler "a défendu une illusion, et sa vie entière, jusqu'à sa mort, il s'emploiera à combattre un système qui en dupera plus d'un, en assassinera des millions avant d'apparaître sur la scène hideuse de ce siècle pour ce qu'il est : une imposture."
C'est ainsi que Dan Franck conclut ce petit texte édifiant écrit à la fin des années 50, par quelqu'un qui crut, par foi sincère, au communisme, mais qui eut la lucidité et le courage de le répudier dès lors qu'il en découvrit la nature perverse. Au risque d'être catalogué de rénégat par ceux qui préférèrent continuer de collaborer à ces odieux mensonges.

Comme tant d'autres, Koestler devint communiste comme on entre en religion. Inutile selon lui chercher une quelconque argumentation logique ou rationnelle à cette conversion : « la foi ne s'acquiert pas par le raisonnement.»
Il avoue tout de même que ce qui le poussa, fut la classique révolte contre les injustices et disparités du monde : "Je me pris à détester cordialement ceux qui affichaient leur richesse -(l'envie joue un rôle bien moindre dans les conflits sociaux, qu'on ne l'imagine) non pas parce qu'ils pouvaient se payer ce qui leur plaisait, mais parce qu'ils étaient en état de le faire sans mauvaise conscience."
Il ne se doutait pas qu'ensuite, ce serait l'engrenage infernal, l'incarcération douce dans une dialectique implacable, celle de la Cause, fondée sur un axiome majeur : "Aussi bien moralement que logiquement, le Parti est infaillible".

Évidemment c'est un peu dur à avaler pour un esprit éclairé et Koestler décrit bien les hésitations et les doutes qu'il ressentit pendant son parcours initiatique. Mais il décrit bien également comment on lui apprit à raisonner de manière dialectique et non pas « mécanistique ». Comment on lui fit comprendre qu'un fusil dans les mains d'un policier était une arme d'oppression au service du capital et de la bourgeoisie tandis que dans celles d'un révolutionnaire il devenait un outil de libération du prolétariat.
Il décrit comment on lui fit apprécier les choses d'une façon « dynamique » et non « statique ». Peu importait par exemple que le taux de pauvreté des pays socialistes fusse largement supérieur à celui des pays capitalistes puisqu'il ne pouvait s'agir que d'un état transitoire trompeur, l'un étant condamné à croître et l'autre à diminuer...

Un patient endoctrinement l'amena ainsi à accepter que la Cause justifiait tous les moyens et que toute chose pouvait s'interpréter à sens unique. Pour lui comme pour ses camarades, devenus des zéros sans individualité, plus rien n'était vraiment un problème : « Le camarade Ivan Ivanovitch des usines Poutilov était notre Buffalo Bill », « Nous placions la Révolution mondiale comme des vendeurs d'aspirateurs »

Avec le recul cependant, et à mesure que se yeux se déssillaient, l'auteur du « Zéro et l'infini » fit bientôt un constat terrible sur son aveuglement : "La foi est chose vraiment étonnante; elle rend les hommes capables non seulement de remuer les montagnes, mais de prendre un hareng pour un cheval de course."
Ce fut alors l'horreur d'avoir fait sienne « sans difficulté, suivant la voie toute tracée de la foi », « la nécessité :
-du mensonge et de la calomnie
-de l'intimidation des masses pour les sauver de leur propre myopie
-de la liquidation des groupes d'opposition et des classes hostiles
-du sacrifice d'une génération entière au bénéfice de la suivante. »

La fin de cette confession, qui aurait dû éveiller tant d'idiots et d'odieux pédants qui croyaient ou qui croient encore du fond de leur salons feutrés aux vertus du Collectivisme prend les accents d'un remord inexpiable et d'une accusation terrible :
« Chacun de nous porte un cadavre dans le fond de son coeur; il y a là de quoi faire un beau charnier. »
« Ayant moi-même trouvé des excuses pendant sept longues années, à toutes les absurdités, à tous les crimes commis au nom du marxisme, le spectacle de cette acrobatie mentale, sur la corde raide de la dialectique, par laquelle des hommes intelligents et de bonne foi parviennent à se tromper, est plus décourageant encore que les atrocités commises par les simples d'esprit. »
« Je n'ai cité la façon dont je m'accrochai au dernier lambeau de l'illusion que parce qu'elle est bien caractéristique de la lâcheté intellectuelle si courante à gauche. »
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07 juillet 2006

Hommage à Thomas Jefferson


Quelques jours après l'anniversaire de l'Independence Day, qu'il soit permis d'honorer ici la mémoire de Thomas Jefferson (1743-1826), un des plus grands hommes d'état que l'Humanité ait engendré depuis l'antiquité.
Principal artisan de la Déclaration d'Indépendance, il fut le troisième président des Etats-Unis (1801-1809). Il conduisit la destinée de ce pays au moment où la France vivait une éphémère gloriole sous le règne de Napoléon Ier.
Comme chacun sait il acheta à ce dernier la Louisiane en 1802. A cette occasion, il donna une merveilleuse leçon de pragmatisme. Jefferson était en effet confronté à un dilemme car l'affaire devait être rapidement conclue sous peine de voir Napoléon revenir sur sa décision. Or l’achat d’un territoire par le pouvoir fédéral n’était pas prévu dans la Constitution. Plutôt que de tergiverser ou d'engager une procédure longue et complexe visant à modifier ce texte essentiel, il trancha : «le bon sens dont fait preuve notre pays corrigera les effets néfastes d’un texte imprécis chaque fois que cette imprécision risque d’être pernicieuse». Bien lui en pris car la superficie de son pays, grâce à cette acquisition passa du simple au double !
Grâce à ce sage principe, la Constitution américaine a conservé sa pureté originelle. Seuls quelques amendements sont venus la compléter au fil des ans.
Le poète Walt Whitman pouvait avec justesse célébrer ce texte fondamental comme une des plus belles créations de l'esprit humain, destinée à durer des milliers d'années...
Aux Etats-Unis, la République est donc inchangée depuis plus de 200 ans (pendant la même période la France en connut cinq, plus trois monarchies royales, deux empires et plusieurs révolutions...)
Jefferson était l'ami de notre pays : « Tout homme a deux patries, la sienne et la France ». Mais s'il admirait la richesse intellectuelle du « Siècle des Lumières », il condamna vigoureusement les excès de la terreur révolutionnaire qu'il vit de près alors qu'il était ambassadeur à Paris. Il n'eut que mépris pour les brutes avinées de 1789 qui noyèrent la Liberté dans le sang des innocents, des poètes et des savants.
Thomas Jefferson était lui même, comme Benjamin Franklin, un éminent savant. On lui doit plusieurs inventions notamment dans le domaine agricole. Il fut en outre un brillant architecte. Sa maison de Monticello témoigne de son style gracile rappelant Palladio.
En politique, son action fut inspirée par sa foi inébranlable dans la démocratie décentralisée. Dans son discours d'investiture, il se fit le défenseur « d'un gouvernement sage et économe» qui maintiendrait l’ordre parmi les habitants mais les «laisserait, par ailleurs, libres de régler la poursuite de leurs activités et l’amélioration de leur condition». Il tint promesse.
Si seulement cette profession de foi pouvait guider les trop nombreux politiciens qui croient savoir mieux que leurs concitoyens ce qui est bon pour eux, et qui sont convaincus que la prospérité, le bonheur et la justice sociale passent par les réglementations et la bureaucratie administrative...

04 juillet 2006

C'est trop de la balle !


La coupe du Monde de football donne une fois encore l'occasion de vérifier les inusables adages sur la versatilité de l'opinion publique. L'équipe de France qui faisait l'objet de tous les sarcasmes il y encore quinze jours, est maintenant portée aux nues. Zidane qui ne suscitait que des quolibets est redevenu une idole à laquelle le pays en liesse s'identifie sans aucune mesure. Le « Ils sont nuls » se transforme en « On est en demi ! ».
Les politiciens s'en frottent les mains (les vendeurs de bière aussi). L'inespéré se produit. Les "affaires" s'estompent comme par magie. Clearstram est déjà loin. On peut changer le PDG d'EADS en toute tranquillité, tout le monde s'en fout. Pour un peu Villepin pourrait rêver qu'une telle ferveur populaire salue bientôt ses audacieuses réformes.
L'essentiel est en tout cas de jouer finement pour surfer sur cette vague d'enthousiasme en souhaitant qu'elle ne se termine pas trop abruptement. Avec les vacances qui se profilent et quelques chiffres encourageants obtenus sur le front du chômage, c'est quasi l'euphorie. Voilà la France remise sur les rails comme par enchantement. « Pourvu que ça dure ! » comme disait avec son rude accent corse et un rien de scepticisme, Laetitia Bonaparte lorsqu'on lui racontait les exploits de son turbulent rejeton...
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La mauvaise foi tranquille...

Le 7/9 de France Inter a toujours fait preuve d'une partialité fort désagréable.
Ce matin elle était une fois encore flagrante lors de l'interview d'Arno Klarsfeld par Pierre Weill. Au sujet de la mission de médiation qui vient d'être confiée à l'avocat pour juger de la situation des enfants scolarisés, de parents « sans papier », Mr Weill a fait preuve d'une mauvaise foi tranquille, reposant manifestement sur l'inébranlable certitude d'être dans le courant de l'opinion en vogue.
S'il n'était connu comme journaliste on aurait pu le croire inscrit aux alter-mondialistes réunis tant ses questions étaient à sens unique et tant il n'a eu de cesse de dépeindre cette mission comme le moyen insidieux d'expulser arbitrairement de France "des milliers" d'innocents gamins.
A aucun moment il n'a semblé se préoccuper un tant soit peu du problème de fond, ni même essayé de prendre en compte tous les aspects de cette question complexe. Jamais il ne lui vint à l'esprit que l'immigration non maîtrisée pouvait être un fléau. Jamais il n'envisagea que les mesures proposées par le gouvernement puissent se justifier, voire qu'elles soient insuffisantes pour éviter un afflux croissant de miséreux vers notre pays déjà au bord de la faillite. Au contraire, il se répandit en insinuations d'un goût plutôt douteux sur la "collaboration" de Mr Klarsfeld avec le Pouvoir.
Cette subjectivité permanente du service public d'information est détestable. Découragé par tant de d'esprit partisan je n'écoutais plus guère France Inter sur cette tranche horaire (France Musique ou France Culture valent heureusement bien mieux). Mon expérience de ce matin ne m'incite pas à revenir.
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03 juillet 2006

July s'en va : libération ou coercition ?

Serge July s'en va. Pour le journal Libération c'est la fin d'une époque. C'est aussi l'occasion de faire un retour sur image comme on dit. Qu'a-t-elle apporté à l'information cette nouvelle presse de gauche aux accents vaguement libertaires, fondée sur la bimbeloterie idéologique de 68 ? Que reste-t-il de l'engagement politique tonitruant des premières années ? De l'ambition affichée de « lutter contre le journalisme couché » ?
On serait tenté de dire pas grand chose puisque la connotation politique s'est progressivement diluée dans le sens des réalités et qu'aujourd'hui le PDG s'en va, victime selon les apparences, des lois implacables de la logique capitaliste...
Mais ce serait un peu court et surtout injuste pour quelqu'un qui mena tout de même la barque pendant une trentaine d'années. L'analyse doit donc être un peu plus nuancée.
Que ce quotidien fut engagé, le doute n'est toutefois pas permis.
Il le fut un peu beaucoup si l'on pense aux prises de positions maoïstes de July en 1969 : "Mai 68 a remis la révolution et la lutte des classes au centre de toute stratégie. Sans vouloir jouer au prophète, l’horizon 70 ou 72 de la France, c’est la révolution."
Il le fut trop quand on évoque les outrances politiques de Jean-Paul Sartre, premier directeur du journal.
Un peu trop en tout cas pour pouvoir se proclamer en 1973 "organe entièrement libre" et prétendre faire de l'information !
Trop encore en mai 1981, lorsque le quotidien sortit, parfumé à la rose, pour célébrer la victoire de François Mitterrand. Avec le recul c'était un peu fleur bleue... Mais surtout, c'était trop inféodé à un parti politique, en dépit de la distanciation progressive au fil des ans.
Il est naturel d'évoquer par comparaison le journal Combat qui, nonobstant sa nature de gauche, sut éviter l'écueil. Né dans le feu et le sang d'un tumulte autrement plus grave que celui de 1968, il fut fidèle à la noble déclaration d'intention que fit Albert Camus en 1944 : « La tâche de chacun de nous est de bien penser ce qu’il se propose de dire, de modeler peu à peu l’esprit du journal qui est le sien, d’écrire attentivement et de ne jamais perdre de vue cette immense nécessité où nous sommes de redonner à un pays sa voix profonde .» On ne peut pas dire que cela fut pour ce journal un gage de longévité puisqu'il mourut en 1974, mais au moins put-il revendiquer l'indépendance de ton et d'esprit.
L'engagement à gauche de Libération « made in July » fut donc son défaut principal. Excessif au départ, son tamisage progressif fut vécu par une partie du lectorat comme une perte progressive d'âme, sans pour autant vaincre la défiance des libres penseurs.
Tout de même, il avait l'avantage d'être moins hypocrite que le jésuitisme et les torves ondulations idéologiques qui pervertirent il y a quelques années son concurrent Le Monde. Considéré on ne sait trop pourquoi, comme « objectif » par la bourgeoisie intellectuelle, ce dernier fit beaucoup de mal à l'information et à l'esprit critique en France.
Au fond, Libé n'a pas que des tares et il faut espérer qu'après July, survive son indéniable curiosité intellectuelle, son tempérament original qui le range un peu à part, sa sincère aspiration pour le débat d'idées. J'en sais quelque chose pour avoir sans difficulté glissé deux ou trois interventions pas très politiquement correctes, notamment au sujet du second conflit irakien.
Et reconnaissons pour terminer que Serge July s'en va beau joueur. Il ne saborde pas, il ne déverse ni fiel ni acrimonie sur le journal qu'il a en grande partie fait et qui le rejette aujourd'hui. Dans son dernier éditorial, il fait même des constats lucides et courageux :
"Le modèle économique sur lequel a reposé pendant si longtemps la presse quotidienne écrite, ce modèle s'effrite sous nos yeux".
"Le problème de
Libération n'est pas tant la qualité ou la pertinence de ce que nous publions chaque jour, il est industriel et financier."
"En novembre 2004, Edouard de Rothschild décidait de souscrire une augmentation de capital de 20 millions d'euros »", "En moins de deux ans, ces 20 millions auront été consommés..."
Je retiens donc son mot de la fin en espérant qu'il soit porteur d'espoir : "Je quitte Libération, parce que c'est la dernière chose que je peux faire pour que vivent cette entreprise et cette équipe."
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