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23 novembre 2008

Les nouveaux Faustiens


« Il y a 80 chances sur 100 pour que la première personne qui vivra mille ans soit née. Et il y en à 50 sur 100 pour qu'elle soit déjà âgée à ce jour de 40 ou 50 ans. » Ainsi s'exprime l'excentrique savant anglais Aubrey de Grey dans un reportage diffusé récemment par Arte (16/11) à propos des progrès de la science dans le domaine de la biologie du vieillissement et dans celui des nanotechnologies.
Partant du principe que le corps humain n'est qu'une machine, même si elle est très complexe, il se dit convaincu qu'il sera possible sous peu d'en connaître suffisamment le fonctionnement pour pouvoir l'entretenir et le rénover quasi indéfiniment. Pour stimuler les recherches dans cette direction, et en hommage à Mathusalem, il a même créé une fondation qui récompense chaque année par le Methuselah Mouse Prize, les meilleurs travaux... sur les souris !
Ces prévisions sont sans doute un tantinet excessives ou provocatrices, mais elles sont le révélateur d'un courant de pensée résolument optimiste, qui voit l'avenir en rose.
Le Massachusets Institute of Technology (MIT) semble être un vivier de ces hommes de science bien décidés à percer le mystère de l'immortalité. Certains comme Leonard P. Guarente, fondent leur raisonnement sur l'étude du génome. Il a isolé, d'abord chez certaines levures puis chez plusieurs mammifères rongeurs, une série de gènes, dénommé sirtuins dont l'activation conduit à allonger significativement la durée de vie. Plus fort, à l'origine de l'activation de ces gènes il évoque preuves à l'appui, tout simplement des causes nutritionnelles, faisant observer que pour faire vivre plus longtemps des souris, il suffit de les soumettre à un régime alimentaire hypocalorique, pauvre notamment en graisses et en sucre.
Robert S. Langer dirige quant à lui un laboratoire qui tente de mettre au point des traitements révolutionnaires, enfermant ou véhiculant les molécules médicamenteuses par le biais de polymères biodégradables. Grâce à ce type de procédé, il espère propulser les thérapeutiques au coeur même de l'action, et au plus près des sites cibles. Cela pourrait permettre notamment de diffuser l'insuline dans la circulation avec une très grande précision et régularité. Cela offrirait également la possibilité d'emmener les chimiothérapies au sein même des tumeurs, afin de les ronger en douceur sans provoquer d'effets indésirables. Des techniques similaires promettent le piégeage et l'évacuation de substances toxiques ou de déchets endogènes.
D'un autre côté, les avancées dans la connaissance du développement cellulaire notamment des lignées souches, laisse envisager dans un futur pas trop éloigné, par des techniques de différenciation dirigée et de culture, la possibilité de régénérer en partie ou même entièrement des organes: muscles, téguments, os, coeur, vaisseaux...
Parallèlement la miniaturisation des techniques conduit à fabriquer des robots de plus en plus petits voire microscopiques, de vraies nanomachines de la taille des cellules vivantes voire inférieure. Ainsi partant des propriétés de fournisseur d'énergie de la molécule d'adénosine tri-phosphate (ATP), l'équipe du Pr Carlo Montemagno, à l'UCLA puis à l'université de Cincinnati est parvenue à mettre au point une sorte de « nanocopter », c'est à dire une hélice tournant toute seule autour d'un axe animé d'un mouvement perpétuel. Des robots conçus sur de tels principes font littéralement corps avec la matière vivante et pourraient participer activement à l'amélioration de son fonctionnement à l'échelon infinitésimal.
Enfin, le développement rapide de la micro-informatique laisse entrevoir des perspectives fascinantes. L'astrophyscien Stephen Hawking estime que dans quelques années tout au plus les ordinateurs auront dépassé les capacités de l'intelligence humaine. Il pense que bientôt des puces très performantes pourraient suppléer ou amplifier les fonctions défaillantes ou les insuffisances du cerveau. Associées à la neurochirurgie stéréotaxique, ces techniques mettant en oeuvre de véritables prothèses mémorielles, seraient en mesure d'ici une quinzaine d'années, de s'opposer aux ravages de certaines affections terribles comme la maladie d'Alzheimer ou de Parkinson ou même la simple sénescence.
Ray Kurzweil dont le nom est associé à de nombreuses inventions, notamment dans le domaine de l'intelligence artificielle, de la reconnaissance vocale ou dans celui des synthétiseurs utilisés par de nombreux musiciens,fréquente lui aussi le MIT. Il est ardemment convaincu que l'homme est à la veille d'un bond de géant, qui pourrait le conduire à maitriser sa vie, son environnement, voire l'univers entier.
En 1991, il avait prédit l'année exacte où un ordinateur battrait un champion d'échec à son propre jeu (l'ordinateur Deep Blue capable d'effectuer 3. 108 d'opérations à la seconde, eut raison de Gary Kasparov en 1997). Aujourd'hui, il prévoit qu'en 2040 la partie « non biologique » de l'intelligence humaine sera un milliard de fois plus puissante que celle émanant de nos cerveaux. Les ordinateurs pourront faire alors selon lui 1035 opérations par seconde, tandis qu'il évalue les capacités de l'ensemble des cerveaux humains de la planète autour de 1026 opérations par seconde.
Il imagine que doté d'aussi fantastiques performances, l'homme sera capable non seulement d'abolir le vieillissement, mais de faire communiquer directement les cerveaux entre eux. Il aura également conçu des machines douées de conscience avec lesquelles il travaillera en symbiose parfaite.
Lorsque la somme totale de l'intelligence humaine et artificielle aura atteint le chiffre vertigineux de 10100 opérations par seconde (un googol), il serait possible selon Kurzweil de maitriser la totalité de notre univers voire d'en concevoir de nouveaux ! D'ailleurs il suggère que notre monde pourrait n'être lui-même que le fruit d'une super intelligence émanant d'un autre (par exemple l'objet d'un travail expérimental fait par un super-étudiant d'un autre univers...)
A ce stade, tout peut être dit, mais on peut tout de même avoir quelques doutes. Certes les progrès sont spectaculaires depuis quelques décennies. Le volume et le coût des ordinateurs ont diminué de manière prodigieuse tandis que leurs performances croissaient dans des proportions tout aussi phénoménales. Les télécommunications ont réduit la planète à l'état de village global. Pourtant les êtres humains ne sont guère plus intelligents. Nous avons désormais dans presque chaque foyer des ordinateurs fantastiques (bien supérieurs à ceux que la NASA employait lorsqu'elle envoyait des hommes sur la Lune) mais leurs formidables capacités sont le plus souvent dédiées à des jeux vidéos vains et même parfois stupides. Nous disposons de téléphones cellulaires, de GPS, de WIFI et de Bluetooth tous azimuts mais nous n'avons quasi rien à communiquer, que des fadaises...
Fasciné par le développement de l'Intelligence Artificielle, j'ai moi-même bien modestement travaillé sur les systèmes experts en médecine et certains langages ayant pour but la modélisation de raisonnements logiques (LISP). J'ai pu constater que ces systèmes réalisaient parfois des prouesses étonnantes, supérieures à celles d'étudiants voire de praticiens chevronnés sur des problèmes très ponctuels. En aucun cas je n'ai vu toutefois qu'ils soient en mesure d'apporter autre chose qu'une aide limitée, guère supérieure à celle que fournit une calculette à un comptable. D'ailleurs l'enthousiasme des chercheurs est vite retombé et plus de vingt ans après les premières réalisations, le champ d'application de ces logiciels reste très limité en pratique.
Au plan de la santé, il est indéniable que l'espérance de vie ne cesse de s'allonger dans les pays développés. La médecine dispose de moyens d'imagerie sensationnels. La miniaturisation permet désormais d'aller récurer en toute sécurité les artères coronaires. Là où il fallait souvent une intervention à thorax ouvert, l'arrêt temporaire du coeur et l'établissement d'une circulation extra-corporelle, les médecins se contentent aujourd'hui de monter une sonde dans les vaisseaux qui permet d'aplanir les sténoses artérielles et d'y laisser de petits ressorts empêchant la récidive, le tout en quelques minutes sous anesthésie locale. Les gastro-entérologues disposent de leur côté de micro-capsules dotées d'une caméra et d'un micro-émetteur, qui une fois avalées, parcourent toute la longueur du tube digestif en envoyant régulièrement des images à un récepteur externe.
En matière de prévention, on a établi sans ambiguïté le rôle de mesures hygiéno-diététiques simples, basées sur le fameux régime méditerranéen, pour empêcher la survenue les maladies vasculaires et on commence à entrevoir certains bénéfices sur les maladies tumorales.

Il y aurait mille exemples d'améliorations spectaculaires dans le domaine médical. Pour autant, même si l'espérance de vie des populations s'allonge, on n'a encore pas vu beaucoup de gens dépasser en durée de vie, le siècle. Pour l'heure, Jeanne Calment et ses 122 printemps constituent un horizon exceptionnel et indépassable. Et paradoxalement, la médecine semble actuellement plus préoccupée de savoir comment abréger la vie que de la maintenir indéfiniment. Les revendications portant sur l'euthanasie et les soins palliatifs sont omniprésentes dans les médias. Même dans les services de Réanimation on s'interroge de plus en plus souvent sur la nécessité de réanimer...
Si l'on excepte ces contradictions apparentes entre le fatalisme de la réalité quotidienne et l'enthousiasme des théories et des prédictions, le gros problème de ces dernières à mon sens, c'est leur excès de déterminisme. En dépit de leur optimisme, elles inscrivent l'avenir dans des chiffres fermés ou des prédictions formelles mais elles ne répondent pas aux questions fondamentales de l'existence humaine. L'homme est-il assimilable à une machine dont l'intelligence serait le software et le corps le hardware, et qui pourrait en quelque sorte s'upgrader elle-même ? Quel est le sens de l'immortalité dans une telle conception alors qu'on sait que les machines élaborées par l'homme tombent en obsolescence de plus en plus rapidement sans qu'on ait le moindre état d'âme à les remplacer ? Est-il sensé de prétendre qu'une machine puisse totalement comprendre le monde dont elle n'est qu'un sous produit dérisoire ? Et pour paraphraser Albert Camus à l'endroit de Sisyphe, faut-il imaginer qu'un superordinateur puisse être heureux ?
Quand bien même maitriserions nous totalement l'univers et notre destinée que nous nous retrouverions face au même dilemme, quant à la signification de notre existence.
J'aime le théorème d'incomplétude de Gödel qui tend à suggérer qu'il nous manquera toujours au moins une clé pour expliquer la totalité du Monde. C'est un peu démoralisant de prime abord mais en réalité ça ménage un espace pour l'espoir. L'être humain a besoin de mystères, et c'est une illusion de croire qu'il saura un jour par exemple ce qu'est le néant et l'infini.
A moins d'imaginer dans une vision prométhéenne, que l'Homme soit en mesure de devenir Dieu ou tout au moins de regagner par ses propres moyens le jardin d'Eden, il faut bien se résoudre à un peu de modestie.
La science a fait des progrès gigantesques et en fera sans doute encore, mais comme le rappelait Jean Rostand en 1958, l'Homme lui-même n'a pas changé depuis 100.000 ans et ne changera sans doute plus. Il lui importe d'inscrire sa science dans un minimum de sérénité. L'essentiel reste invisible pour les yeux, aussi performants et clairvoyants soient-ils...
La science doit incliner à l'humilité et non à l'arrogance. Lorsque Jean-Pierre Changeux prétend que le cerveau est « intégralement descriptible en termes moléculaires ou physico-chimiques », il dit une évidence de base mais il n'éclaire en rien sur l'essence de la conscience. Et s'il croit pouvoir l'expliquer avec l'aide de ses électrodes, il ne fait que reprendre le refrain des scientistes du XIXè siècle, qui pensaient rencontrer l'âme au bout de leur scalpel. Gardons au moins l'illusion que la conscience n'est pas une illusion. De toute manière on sait depuis Rabelais que sans elle, la science n'est que ruine de l'âme.
Elevons s'il est possible le débat. L'enjeu le mérite. Rien ne serait pire que de rester comme l'âne de Buridan, coincé entre deux conceptions exclusives, l'une réduisant l'alpha et l'omega du monde à un matérialisme hédoniste sans but, l'autre les interprétant avec des considérations immanentes souvent teintées d'archaïsmes religieux...
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Merci à Namaki de m'avoir fait l'honneur d'associer mon blog au prix Premio Dardos, attribué à son magnifique travail, consacré précisément à la compréhension du monde, par le regard et par la réflexion...