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06 décembre 2008

Hymne à la nuit


Lorsqu'on pénètre dans la nuit, on éprouve un étrange sentiment, mélange d'abandon, de solitude et de sérénité. L'apaisement qui vient après les turbulences du jour se mêle à une inquiétude diffuse. La nuit c'est un peu l'inconnu, et le sommeil qui monte irrésistiblement au creux de l'être lorsque le jour s'enfuit, provoque une sorte de détachement. Une petite mort en somme...

Les artistes et les poètes ont souvent été fascinés par ce mystère. l'un de ces derniers, l'a littéralement idéalisé et transfiguré : Novalis.
Derrière ce nom superbe se cachait le baron Friedrich Von Hardenberg (1772-1801), météore romantique qui n'atteignit pas la trentaine, mais qui laissa comme une trace singulière irradiant une sombre incandescence, les Hymnes à la Nuit.
Un petit volume en vers libres de quelques pages à peine, mais dans lequel est contenue l'indicible espérance qui l'accompagna jusqu'au seuil du tombeau.
La nuit de Novalis, n'a rien d'inquiétant, ni de ténébreux. Elle est douce, limpide, émerveillée. Dans son obscurité insondable elle réunit en un panthéisme apaisé et confiant, l'idée de Dieu et celle de la béatitude infinie.
Par un paradoxe étonnant, il ouvre son chant avec une célébration de la clarté qui pourrait faire songer au rêve prométhéen de son frère en poésie que fut Shelley : « Quel être doué d'intelligence n'aime avant tout la lumière, merveille des merveilles de l'espace qui l'entoure ? Source rayonnante de joie, onde irisée, omniprésente et douce à l'éveil du jour ! »
Mais c'est pour mieux établir le contraste avec l'obscurité qui l'attire, dans laquelle il plonge avec délectation : « Je me tourne vers l'ineffable, vers la sainte et mystérieuse Nuit », et à l'emprise exquise de laquelle il associe la douce ivresse de l'hypnose opiacée : « Un baume suave s'égoutte de la gerbe de pavots que tu tiens dans la main. »
Et cette Nuit n'est en rien l'abolition de la conscience mais au contraire le moyen d'accéder à une extase extra-lucide : « Les yeux infinis que la Nuit ouvre en nous paraissent plus célestes que ces étoiles scintillantes et leur regard porte plus loin... » Elle ne connaît d'ailleurs pas de limites ni spatiales ni temporelles contrairement à la Lumière : « La durée fut impartie à la Lumière, mais le royaume de la Nuit existe hors du temps et de l'espace. »
Et la clé de ce royaume indicible c'est le sommeil qui la fournit. C'est une source de pur bonheur teinté d'une connotation érotique assez audacieuse : « C'est toi [sommeil] qui enveloppes le sein délicat de la jeune fille et fais de son flanc un paradis, c'est toi ô sommeil qui surgis du fond des légendes et détiens la clé ouvrant aux demeures des bienheureux, messager silencieux de mystères sans fin. »

En définitive, Novalis attend la fin du jour comme une libération :
« Je vis chaque jour
De foi et de courage
Et je meurs chaque nuit
Du feu de l'extase. »
Tous les proches du poètes témoignèrent de sa tranquille assurance face à la mort. De fait, rongé par la tuberculose, il s'éteignit sans heurt, sans révolte, sans douleur, avec au coeur un sentiment confiant face à l'éternité dans laquelle basculait son être à peine sorti de l'enfance. Lui qui se lamentait : « Faut-il toujours que le matin revienne ? », trouvait enfin un sublime exutoire à sa peine...

On beaucoup glosé sur l'idéalisme de Novalis qu'on a tenté de rapprocher des théories philosophiques de Fichte ou de Hegel. En réalité, il était une sorte d'existentialiste épris d'un absolu de beauté. Au plan pictural, c'est dans les toiles de Caspar David Friedreich (1774-1840) qu'on serait tenté de voir la concrétisation de sa démarche spirituelle
Toutefois, sa pensée rapide comme l'éclair et profonde comme la nuit, s'intéressait autant aux entités mystiques qu'à la connaissance objective, notamment scientifique. Il fut dans l'esprit, assez proche de Schelling (1775-1854) dont l'objectif fut de concilier idéalisme et réalisme.
Par certains aspects, sa vision est étonnamment moderne. Il y fort à parier qu'il se passionnerait pour les interrogations fascinantes que suscite la mécanique quantique. Et sa conception de l'infini nocturne rejoint par exemple étrangement certaines hypothèses scientifiques récentes faisant de la matière noire l'essentiel de la substance de l'Univers.
En somme, il incarne bien cette citation étincelante de Schelling : « A travers l'homme la Nature ouvre les yeux et s'aperçoit qu'elle existe... »