25 mars 2012

Cirque barbare



Le drame qui a tenu en haleine la France entière durant ces derniers jours porte en lui bien des symptômes dont souffre notre monde, tout en révélant une fois encore sa propension au spectacle de mauvais goût (qui ne date pas d'hier).
Survenu au cœur d'une campagne électorale dans l'ensemble assez démagogique et superficielle, contrastant avec la gravité de la situation, il exacerbe les travers d'une société décidément engluée dans le culte de l'apparence et les poncifs intellectuels.
Dans ces circonstances, chacun affirma se retenir d'instrumentaliser les actes diaboliques qui ensanglantèrent la région de Toulouse. Mais des médias aux politiciens, toute action, tout propos s'est efforcé d'entourer avec théâtralisme les tragiques événements.
Passons sur les images et commentaires assénés en boucle, même lorsqu'il n'y avait rien à dire, tant c'est devenu une habitude. Avant même de savoir de quoi il retournait, les interprétations ont fusé avec le manichéisme dérisoire de l'idéologie dominante. Tout ce qui porte à gauche et incline à la bonne conscience, y vit par avance les effets du racisme et de la « stigmatisation », dernier mot à la mode. A l'inverse, les autres dénoncèrent le laxisme face à la délinquance, à l'immigration et au fanatisme religieux.
En bref, chacun soigna sa posture avec pompe et componction. Les candidats prirent des mines compassées, tout en laissant échapper par la force des choses, quelques torves allusions. La polémique sur les failles supposées dans le suivi de l'apprenti terroriste fut une des plus grotesques : car faite par ceux-là mêmes qui sont choqués par un simple contrôle d'identité... Il faudrait selon eux maintenant, marquer à la culotte tous les djihadistes supposés et tous les petits malfrats qui pullulent en toute liberté, faute d'éducation, faute de réelles sanctions, faute de prisons, tout cela résultant des politiques qu'ils encouragèrent sans faiblir depuis des décennies !
La question qui se pose, véritablement angoissante est celle-ci : combien de têtes brûlées se baladent à l'heure actuelle, avec des idées proches de celles de Merah ; et  si ce n'est la volonté de déclencher d'aussi ignobles carnages, celle d'errer de délits en délits, jusqu'à je ne sais quelle extrémité…

Cette triste affaire devrait également donner à réfléchir au sujet de ceux qui appellent quotidiennement à « l'insurrection », à « l'indignation », à la « révolution »... Ceux dont le langage haineux, servi au nom de la fraternité et de l'égalité, n'a d'autre but que de mettre à bas tout ce qui tient encore debout dans le monde contemporain. Et qui donnent de celui qu'ils voudraient mettre à la place, une vision bornée par leurs œillères idéologiques, une caricature monstrueuse, dont les expériences du passé auraient dû nous vacciner définitivement !

De ce point de vue les mesures proposées dans l'urgence, par le Chef de l'Etat, pour lutter contre le terrorisme font figure d'insipides cataplasmes. Punir pénalement «  toute personne qui consultera de manière habituelle des sites internet qui font l'apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine et à la violence » : Est-il vraiment sérieux lorsqu'il fait une telle proposition ?

La naïveté enfin, des Pouvoirs Publics, qui espéraient pouvoir capturer la bête fauve vivante, et qui ont déployé des moyens considérables pour tenter de parvenir à cette fin, contraste avec la détermination hallucinante du tueur.
Dans sa folie sanguinaire, menée jusqu'au bout de l'absurdité, il a eu au moins le cran de contraindre la police à faire ce que la justice compatissante, veule, et irénique aurait quant à elle, été incapable de mener à bien : à savoir, l'empêcher définitivement de nuire...

21 mars 2012

Mortelles Chimères

Dans une liesse rouge un rhéteur grimaçant
Veut réveiller l'infâme esprit de la Bastille
Il réclame en levant poing, marteau et faucille,
Le retour d'un passé dégoulinant de sang.

Mais pour quelle utopie, quel stupide idéal
Pendant ce temps, non loin, on tue on assassine ?
Quel mystère insensé ensorcelle et fascine
Les fous qui font du rêve un délire bestial ?

Devant l'absurdité la sagesse titube
Et les morts innocents qui errent par légions,
Immolés pour plaire à d'affreuses religions,
Conchient la Liberté transformée en succube.

***
Un silence opaque descend
Sur les âmes rongées de tristesse
Il aspire espoir et jeunesse
Mais luit sur ce monde angoissant,
Comme une simple pierre blanche
Empreinte de fatalité,
Qui reçoit des fleurs d'une branche
Un doux parfum d'éternité...

16 mars 2012

Matisse, pour les yeux, et pour le coeur


Deux choses définissent à mes yeux l'art de Henri Matisse (1869-1954): la couleur et les formes.
En peinture, c'est bien là l'essentiel. C'est même, pourrait-on dire, la quintessence de l'expression picturale.
De là sans doute ce pouvoir étrange d'attraction qu'ont ces paysages, ces portraits et ces natures mortes, en apparence si simples et pourtant si difficiles à imiter ou à égaler. En dépit de leur désarmant dépouillement, on a le sentiment qu'on n'avait rien vu de tel avant, et qu'après, il n'y a plus rien à ajouter...
D'emblée l'artiste manifesta une audace et une force sauvages. Révélées en premier lieu dans l'effervescence du courant fauviste, elles évoluèrent au gré de puissantes compositions dans lesquelles le jaillissement des couleurs semble écraser les canons classiques du dessin, abolissant notamment la profondeur de champ et la gravité.
Pour aboutir aux silhouettes monochromes, aux épures délicatement contrastées, produites durant les dernières années de sa vie, l'artiste parcourut un long chemin. Mais le fait est que Matisse qui vécut 85 ans, fut un créateur inspiré jusqu'au bout. Et d'une étonnante fraîcheur. D'une vitalité inépuisable.

Il suffit pour s'en convaincre, de s'arrêter devant une de ses dernières œuvres : La Tristesse Du Roi. Quelle merveilleuse simplicité ! Quelle grâce, quelle élégance et paradoxalement, quelle magnifique joie dans l'affliction !
Dans ce qui est qualifié d'autoportrait, l'artiste, réduit à l'état de symbole, n'est plus qu'une ombre obscure, une sorte de trou noir central d'où s'échappent des mains blanches et une guitare. Autour, vibrionnent des taches de couleurs avec légèreté et apparente insouciance. Une silhouette probablement féminine semble saluer celui qui s'engloutit dans la nuit. Tandis que de l'autre côté, une forme galbée paraît danser avec des bras s'élevant vers les cieux comme des oiseaux. Le tout baigne dans une ambiance peuplée d'étoiles et de fleurs.

A ce doux adieu à la vie, à cette entrée sereine dans l'au delà, les vitraux de la Chapelle du Rosaire de Vence donnent un écho mystique. Les arabesques bleues découpent la lumière en douces flaques, qui créent une atmosphère mêlant une intense modernité à un ineffable mysticisme.

Le vrai mystère est qu'avec un art aussi humble, aussi simple, Matisse parle autant aux yeux qu'au cœur. Dans chaque tableau il y a quelque chose qui vous interpelle. Un mur se confond avec le ciel, dans leur bocal, des poissons rouges semblent jouir d'une étrange liberté, dans un arrière plan, un jardin sans perspective se dissout en délicieuses volutes végétales, et dans de merveilleux décors, fusionnent doucement les lumières, les odalisques et les moucharabiehs de l'Orient, avec les impulsions lumineuses de l'Occident moderne, inspirées par les trépidations du jazz et même les bariolages publicitaires...
A l'inventivité d'un Picasso, à l'intense symbolique d'un Braque, Matisse ajoute une incandescence spirituelle qui vibre même dans les plus schématiques découpages.
Comme pour mieux extraire la quintessence de ses sujets, il revenait souvent sur des thèmes déjà travaillés, pour les traiter différemment, pour en apurer les contours ou bien en styliser toujours plus les formes.
Le Musée Beaubourg lui consacre une intéressante exposition, explorant la manière récurrente qu'avait l'artiste d'exprimer ses points de vues picturaux. Intitulée Paires et Séries, elle rapproche de manière saisissante des tableaux réalisés parfois à plusieurs années d'écart, mais centrés sur des motifs communs. Une entreprise fascinante qui tente de percer le mystère de la genèse artistique. Et un envoûtement garanti autour de ce thème et variations...

04 mars 2012

Extinction dialectique


Si la crise économique ronge de manière inquiétante les fondations matérielles de notre société, la crise morale et dialectique qui sévit dans les esprits paraît pire encore.
A lire ou à entendre les médiocres argumentaires développés dans les tribunes contemporaines, et répercutés ad libitum par l'écho médiatique, il est difficile de réprimer l'écœurement. Le dégoût côtoie l'abattement face à un tel déclin intellectuel et un aussi tragique appauvrissement de la pensée.
Alors que l'esprit français était autrefois synonyme d'élégance et d'invention, qu'on se piquait d'avoir du goût et de la mesure, qu'on se faisait un devoir de respecter ses adversaires, et qu'on pensait indispensable de relever toute bonne conversation d'un zeste d'humour, force est de constater qu'aujourd'hui, ces préoccupations font partie d'un passé évanoui.
Le consensus, le rassemblement, l'unité sont pourtant devenus des poncifs auxquels il est de bon ton de se référer. Mais ces mielleuses intentions sont comme un couvercle étouffant posé sur le chaudron des idées. En dessous, dans l'infâme court-bouillon, tout se déforme, se racornit, et finit en résidus sans saveur ni substance. Le débat politique est devenu quasi insignifiant à force de s'attacher à des détails microscopiques ou a d'exaspérants lieux-communs. Curieusement, l'outrance croît à mesure que s'atrophient les perspectives, tandis que l'humour quant à lui, patauge dans le rabâchage et la dérision, avec de grosses semelles de plomb.

Ainsi durant cinq années, l'intelligentsia verrouillant les médias, s'acharna à réduire le mandat de l'actuel président de la République à sa soirée post-électorale au Fouquet's, à un bref moment de détente sur le yacht d'un ami, à une apostrophe triviale jetée à un importun. Cette même intelligentsia en gants blancs prit un plaisir morbide à résumer toutes les réformes à une inepte mais bien anodine mesure de bouclier fiscal.
Même si la critique est légitime et nécessaire, c'est faire insulte à sa propre intelligence que de ne trouver rien d'autre de plus intéressant à dire...
Surtout lorsqu'on n'a pas mieux à proposer qu'un programme erratique et contradictoire , où pour sortir de la crise, on se fait fort de doper la production de richesses, tout en affichant une détestation obsessionnelle « des riches », ou bien qu'on promet l'alternance démocratique et le retour à un état impartial en annonçant par avance en cas de victoire, l'éviction de tous les hauts-fonctionnaires suspects d'être proches du camp opposé. Qui peut, dans un tel contexte, être assez niais pour espérer des jours meilleurs ?

Dans ce marasme les débats restent incroyablement manichéens derrière le décorum de la correction politique. L'argumentation se résume quasi systématiquement à l'invective ou au rejet primaire de l'autre.
Au sommet de cette minable escalade, il y a le fameux point Godwin, qui est devenu l'alpha et l'omega de toute discussion. Impossible d'échapper à la reductio ad hitlerum qu'il sous-tend de manière diabolique.
Un récent exemple de cette perversion de la dialectique fut donné par le député socialiste Letchimy qui le 7 février dernier en pleine Assemblée Nationale, fit du ministre de l'intérieur Claude Guéant un suppôt de l'idéologie nazie au motif qu'il s'était permis d'affirmer que « toutes les civilisations ne se valent pas » !
Ce dernier s'offusqua à juste titre de l'énormité de l'injure, mais par une consternante inconséquence, se livra peu ou prou au même exercice quelques jours plus tard, en considérant que le Front National était un parti « nationaliste » et « socialiste » !
Si l'on ne brûle plus les hérétiques comme on le fit pour Jeanne d'Arc ou Giordano Bruno, force est de constater que les procès en diabolisation sont légions par les temps qui courent et que les émules de Cauchon pullulent dans les nouveaux tribunaux de la pensée.
Comment expliquer la montée de cette rhétorique absurde ? S'agit-il des restes d'une vieille rancœur née dans le tumulte revanchard des révolutions, des vestiges haineux d'une lutte des classes déconfite, ou bien peut-être des pestilences qui continuent de suinter des plaies jamais cicatrisées du drame de l'an quarante ?
C'est peu de dire que ces incessantes saillies ramenant à un passé honni sont usantes. Elles sont absolument indignes d'une démocratie évoluée, et tout citoyen raisonnable ne peut qu'avoir honte de ce qu'elles montrent de son pays. Au surplus, non seulement elles sont stériles, mais elles altèrent l'essence même de la liberté d'expression.

Hélas, si le pire n'est jamais certain, l'avenir a de quoi préoccuper.
Le zèle paradoxal du législateur pour réglementer toujours plus la liberté d'expression est une source supplémentaire d'inquiétude. Certes le dernier et absurde projet de loi sur le génocide arménien a été temporairement repoussée par le Conseil Constitutionnel, mais l'horizon reste en ce domaine très sombre. Alors qu'on se jette quotidiennement à la figure des injures faisant odieusement référence aux pires moments du passé, on voudrait dans le même temps, « normaliser » l'interprétation de ce même passé...
abyssus abyssum invocat...