25 mars 2020

Le savant de Marseille

Entre autres péripéties plus ou moins dramatiques émaillant l’évolution de l’épidémie causée par le COVID-19, on retiendra sans doute l’empoignade épique opposant le Professeur Didier Raoult et son équipe à une grande partie de la communauté scientifique.
La polémique concernant la solution thérapeutique proposée par l’infectiologue marseillais à base d’hydroxychloroquine et d’azithromycine pour écourter la maladie est devenue caricaturale. On trouve d’un côté les partisans de la mise en œuvre immédiate de ce traitement sur la base de données scientifiques préliminaires, de l’autre des adversaires non moins radicaux refusant ce qu’ils qualifient de faux espoir dangereux. Entre les deux, se trouvent les Pouvoirs Publics qui tergiversent, tel l’âne de Buridan, ne sachant pas trop vers qui se tourner et qui proposent en désespoir de cause des demi-mesures et notamment de rigoureux mais lourds et complexes essais cliniques, dont les résultats ont peu de chances d’être connus avant la fin du pic épidémique...
Comment se terminera ce bras de fer ? Au point où en sont rendus les esprits, l’alternative risque d’être très manichéenne, aboutissant soit à la béatification scientifique du génial précurseur, soit à sa déchéance sous l’accusation de charlatanisme. Pourtant, il y a fort à parier qu'aucune des deux options ne sera méritée. Selon toute probabilité, son traitement n'est pas miraculeux (comme le fut la streptomycine dans la tuberculose par exemple), car il est évident qu'on le saurait déjà. Au mieux sera-t-il démontré qu'il constitue un moyen de se débarrasser du virus plus vite et plus radicalement, ce qui pourrait éviter à certains patients de basculer dans une forme grave. Ce serait essentiel pour endiguer le raz-de-marée qui s'abat sur les hôpitaux, mais ce n'est pas facile à démontrer pour une maladie dont 98% des malades guérissent spontanément en quelques jours et dont la grande majorité expriment peu ou pas du tout de symptômes... Rappelons que c'est en diminuant la charge virale qu'on est parvenu à maitriser le SIDA. A ce jour, il n'existe toujours aucun traitement curatif ni de vaccin... Rappelons enfin que certaines infections courantes comme la pneumonie à Pneumocoque est due à un germe sensible aux antibiotiques, souvent des plus simples telle la pénicilline. Pourtant lors des rares formes très graves, qu'on dit fulminantes, ces antibiotiques très efficaces restent sans effet face au déréglement massif du système immunitaire qui cause la mort des malades...

Pour le Professeur Raoult, c’est en tout cas le point d’orgue d’une carrière hors normes…
Venu tardivement à la médecine par la voie littéraire, il n’a pas un cursus obéissant aux canons établis par le clergé scientifique parisien.
On ne peut toutefois pas lui retirer quelques faits d’armes couronnés de succès dans la lutte microscopique contre les microbes et une notoriété internationale qui n’a sans doute rien d’usurpé. On ne peut pas non plus accuser l'administration de l'avoir méprisé vu l’impressionnante armada scientifique dont on lui a confié la responsabilité au sein de l'Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) méditerranéen désormais célèbre.
Il est vrai qu’il est coutumier des provocations et qu’il n’a jamais manifesté beaucoup de sympathie pour le consensus, et pas davantage pour la technocratie qui gère de sa main de fer notre système de santé.
Face au péril actuel, sa démarche est la cible de nombreux doutes si ce n’est de critiques virulentes. Pourtant elle semble cohérente et ne déroge pas à la logique scientifique. Certes les propos qu’il tenait en janvier, au moment où l’épidémie faisait rage en Chine, paraissent aujourd’hui un peu légers. Il parlait alors de deux ou trois malheureux morts et considérait qu’il ne s’agissait jusqu’à preuve du contraire pas d’un problème de santé publique majeur pour la planète.
Aujourd’hui si cette appréciation est choquante, elle ne l’est pas plus que celle de la ministre de la santé qui à la même époque affirmait publiquement que le risque de contamination de la France à partir du foyer de Wuhan était “quasi nul”...

Au demeurant, cela fait des années que le Pr Raoult alerte sur le risque de pandémies et sur l'organisation déficiente de notre système de soins pour les combattre. Si l’on avait suivi la procédure qu'il recommande, le problème n’aurait peut-être pas pris l’ampleur qu’il a aujourd’hui, spécialement en Europe.
M. Raoult préconise en effet de réaliser massivement et précocement des tests diagnostics qu’il affirme être à la portée de n’importe quel laboratoire (tout est un problème d'organisation, dit-il). Cette attitude permet selon lui de repérer très vite les personnes contaminées et de les isoler, ainsi que leurs contacts, ceci pour éviter le recours au confinement généralisé, qu’il qualifie de solution moyenâgeuse.
La Corée du Sud qui a suivi ce chemin semble en passe de juguler la contagion sans avoir été contrainte de confiner toute sa population. La Chine, qui avait pris un peu de retard, a été obligée d'isoler sévèrement toute la région du Hubei, mais elle a suivi ensuite cette politique qui lui vaut aujourd’hui d’avoir réussi à circonscrire le problème. Avec quelques 80.000 malades et un peu plus de 3000 décès rapportés à la maladie, sur une population d’un milliard et demi d’habitants, on pourrait dire que son bilan est meilleur que celui de la France face à une épidémie de grippe...
Le Professeur Raoult propose en outre un protocole thérapeutique original, élaboré par ses soins, à base d’hydroxychloroquine et d’azithromycine, sujet de tant de controverses. Certes les données sur lesquelles il se fonde sont fragmentaires. Mais en période critique, ne sont-elles pas suffisantes pour être mises en œuvre sans délai, partant du principe qu’il ne s’agit que de nouvelles indications de médicaments connus de longue date, faciles à se procurer, peu onéreux et de toxicité modérée ?
C’est sur ce point que les “sachants” s’étripent. Pour une bonne part d’entre eux, ils soutiennent mordicus qu’il faille passer par un essai clinique
en bonne et due forme, à savoir randomisé et en double aveugle, qui selon toute probabilité, prendra des mois avant de livrer ses conclusions. Qui a raison, l’avenir seul le dira peut-être.

L’attitude quelque peu iconoclaste du Pr Raoult a en tout cas le mérite de mettre en lumière des problématiques, pas très nouvelles, mais inhérentes à notre système de santé, régi par une centralisation bureaucratique toujours croissante et un principe de précaution poussé à l’extrême mais trop souvent à côté de la plaque, car manquant de pragmatisme. Peu importe en somme qu’il ait raison ou tort sur le sujet obsédant de la chloroquine, l’essentiel serait de pouvoir tirer les leçons du drame que notre société est en train de vivre, une fois le coup de feu passé...
En attendant, les files s'allongent devant l'IHU de Marseille et l'irrationnel guette plus que jamais...

20 mars 2020

Confinement

Ainsi la progression inexorable du coronavirus contraint les dirigeants de la plupart des pays européens, dont la France, à ordonner le confinement généralisé de leur population et à décréter l’état d’urgence sanitaire. Situation terrible et aveu d’échec encore impensable il y a quelques semaines et qui rappelle les plus sombres heures de l’histoire. On peine à comprendre comment on a pu en arriver là. On peine encore à croire que la vie puisse ainsi s’arrêter si brutalement et qu’au tintamarre insouciant du quotidien succède pour un temps indéfini ce mortel silence de plomb.
A travers ce drame on découvre avec stupeur une réalité implacable. Il n’y a plus moyen de la contourner et tout le reste devient tout à coup dérisoire. L’actualité toute entière semble devoir s’engloutir dans ce trou noir qui s’ouvre sous nos yeux.
Il s’agit pourtant d’une maladie bénigne pour 80% des gens atteints et dont 98% guérissent. Mais voilà, si le mal s’étend, les malheureux dont l’évolution sera fatale ou bien qui auront besoin de soins hospitaliers risquent de représenter une vraie catastrophe en matière de santé publique, par leur nombre absolu.
Face à cette épreuve inédite, les pouvoirs publics paraissent quelque peu désemparés. N’ayant de toute évidence pas pris à temps la mesure du fléau, ils sont contraints de courir après et d’ajuster leur stratégie à la va-comme-je-te-pousse au risque de sombrer parfois dans l’incohérence. Les mots sont parfois lourds de conséquence et les revirements incessants n’inspirent guère la confiance.

Quand faut-il croire le Président de la République ? Lorsqu’il affirme gravement le 16 mars que “nous sommes en guerre” et que cela justifie que chacun reste “au moins quinze jours” totalement cloîtré chez lui, ou bien lorsqu’il déclarait cinq jours auparavant de manière un peu grandiloquente qu’on ne renoncerait à rien et surtout pas aux terrasses, aux salles de concert
Faut-il croire M. Blanquer lorsqu’il annonce qu’au moins la moitié de la population française sera contaminée ? La moitié, c’est au bas mot 30 millions de personnes. Avec une mortalité estimée de manière optimiste autour de 1%, cela ferait 300.000 morts ! Même “lissés dans le temps”, il y a de quoi avoir froid dans le dos...
Faut-il croire madame Buzyn qui en janvier estimait que le risque de propagation à partir de Chine était quasi nul et qui maintenant nous affirme qu’elle avait prévu le tsunami qui allait arriver et alerté le gouvernement à son sujet, et qui se lamente aujourd’hui en se demandant si dans 6 mois nous serons encore vivants...

Faut-il croire enfin ceux qui claironnent que cette épidémie signe le retour de l’Etat, la fin du capitalisme et de la mondialisation ?
S’agissant de notre pays, on pourrait au contraire, à l’occasion de cette crise, mettre à nouveau en accusation l’Etat déjà omniprésent, omnipotent, et qui se révèle en la circonstance quasi impotent, dépassé par les évènements à chaque étape de l’épidémie. On pourrait une fois encore mettre en cause les innombrables rouages de la machine technocratique centralisée qui ont mis à mal le système de santé et qui dans les situations critiques freinent sa réactivité. Aujourd’hui le Président de la République promet de déverser des sommes astronomiques pour atténuer les effets probablement désastreux du confinement généralisé sur l’économie. Mais d’où proviendra l’argent puisque les caisses sont à sec ?
Quant à la faillite du système capitaliste annoncée rituellement à chaque crise par les socialistes et apparentés, elle n’est évidemment pas à l’ordre du jour, du moins faut-il l’espérer. Le krach boursier auquel on assiste a été organisé si l’on peut dire, par les Pouvoirs Publics, sous la pression d'un virus. Il ne traduit nullement une crise intrinsèque du système, qui du reste en a connu d’autres, toujours surmontées, c'est d'ailleurs sa force.
S’agissant enfin de la mondialisation, c’est seulement la toile de fond de cette pandémie. Si le tourisme de masse est en train de prendre un sacré coup, probablement durable, la Terre continuera de tourner et le monde continuera d’être ce que le progrès en a fait, à savoir un village planétaire. Le retour au monde cloisonné d’autrefois paraît impensable. Il faudra simplement prendre des mesures plus efficaces pour enrayer précocement ce nouveau type de contagion, rançon de la liberté des échanges. Cela justifie de penser les décisions ensemble et de faire preuve de concertation et de coordination. Le Gouvernement mondial pressenti et souhaité par Kant est plus que jamais d'actualité.
Certains pensent non sans raison mais un peu tard à relocaliser les entreprises. Ils oublient toutefois les causes de l’exode économique, purement conjoncturelles, liées essentiellement au poids des impôts, des taxes et des charges sociales. Si l’on n’y remédie pas de manière pragmatique plus qu’idéologique, il n’y aura pas d’issue nouvelle à cette problématique.

L’Europe, ce conglomérat sans ambition sans dessein, aujourd’hui pointé du doigt comme épicentre du fléau, risque quant à elle, d’exploser définitivement en tant qu’entité. Certains affirment que le mal vient qu’il y a trop d’Europe, et d’autres objectent qu'il n'y en a pas assez. Pour ceux qui pensent qu’on a fait trop de chemin pour revenir au temps des nations, et qui espèrent toujours voir un jour une vraie Fédération, la grande question qui se pose est de savoir si les peuples qui la composent sauront enfin trouver la force d’œuvrer vraiment à un destin supranational en abandonnant certaines prérogatives égocentrées. Pour ne pas donner raison aux adversaires de l'idée européenne, il faudrait aussi que les politiciens comprennent que la démagogie, l’indétermination et les grands principes, peuvent être mortels… Mais le fait est qu’en démocratie, on a les gouvernants qu’on mérite….

14 mars 2020

Un monde pétrifié

A mesure que le coronavirus progresse, l’ambiance prend un tour de plus en plus dramatique. Selon l’OMS il s’agit désormais d’une pandémie. La Presse, quant à elle se livre chaque jour au décompte macabre des victimes, et les titres se font de plus en plus alarmants, pour qualifier un virus “peut-être plus dangereux qu’on ne le pensait”, pour évoquer "le monde entier à l’arrêt" et pour gloser sur le "grand krach boursier", suggérant, non sans délectation pour certains médias de gauche, qu’il prélude à la grande crise économique du capitalisme….
Avec son allocution du jeudi 12 mars, le Président de la République a poussé un peu plus loin encore le tragique de la situation, tout en cherchant à minimiser les conséquences de la catastrophe. Étrange mélange d'onction et de gravité. Bien qu’il se soit montré rassurant en assurant ses concitoyens du soutien total de l’État Providence, le ton a laissé penser qu’on avait franchi un pas de plus. Et ce discours a fait naître une interrogation désagréable: sommes-nous encore en mesure d'enrayer la diffusion du virus, ou bien sommes-nous déjà réduits à courir après ?

Tant que le mal ne concernait réellement que l'Asie, on n’était pas trop inquiet, d’autant plus qu’on laissait entendre que la maladie n'était pas si grave et que les premiers cas sporadiques survenus chez nous étaient en passe d'être maitrisés. A-t-on fait preuve de légèreté, sommes-nous passés à côté de quelque chose pour que tout à coup, l’Europe soit devenue le nouvel épicentre de l’épidémie ?

Sans vouloir jeter d’anathème, étant donné la complexité du problème et la difficulté pour les Pouvoirs Publics de prendre des décisions lourdes de conséquence dans un contexte quelque peu aléatoire, certaines réflexions viennent tout de même à l’esprit. Avant tout concernant l’immixtion de considérations idéologiques dans une problématique purement épidémiologique.
On a entendu par exemple nos plus hauts dirigeants ressasser que le virus se moquait des frontières, qu’il “n’avait pas de passeport”, pour reprendre les mots du chef de l’État. Il s’agit à l’évidence d’une simplification hasardeuse, dictée par la correction politique, car si le virus n’a pas de papier, les porteurs eux en ont. Et la première des précautions eut logiquement été de les contrôler précocement pour éviter, autant que faire se peut, la dissémination de l’agent infectant.
Forte de ses “principes républicains”, la France a rechigné à le faire et ces tout derniers jours encore, la circulation des personnes était parfaitement libre entre l’Italie et notre pays ! On a même laissé passer des cars entiers de tifosi se rendant à un match de football, alors qu’il était plus que probable que le virus se propageait à grande vitesse chez nos voisins transalpins. Résultat, la France fut stupéfaite de voir un nombre croissant de pays, dont les États-Unis, fermer "de manière unilatérale" leurs frontières à ses ressortissants… Elle n’avait pas même pris conscience qu’elle était devenue aux yeux du monde un des foyers brûlants de la contagion !

Autre exemple de propos révélateurs d’une subjectivité néfaste, on a pu entendre il y a quelques jours le ministre de la santé juger “stigmatisant” le qualificatif de “super contaminateur” utilisé par un professeur d’infectiologie pour décrire les patients susceptibles de diffuser abondamment le germe !


On peut également émettre des réserves sur cette fâcheuse tendance qui consiste à penser que notre système de santé est au dessus des autres et que nous n’avons guère de leçon à recevoir de quiconque. On a ainsi observé avec une certaine condescendance ce qui se passait en Chine, puis dans les autres pays d’Asie où le mal s’est rapidement propagé.
On aurait pu pourtant tirer quelque enseignement de ce qui s’y passait et anticiper ce qui allait très probablement nous arriver.
Force aujourd’hui est de constater que nous n’étions pas vraiment prêts à affronter ce fléau.

Lorsque le virus a débarqué, nous avions hélas trop peu de masques, qui furent chichement distribués sur prescription, et trop peu de solutions hydro-alcooliques (SHA). On a d’ailleurs appris à l’occasion, que les pharmacies devaient disposer d’une autorisation du ministère pour confectionner elles-mêmes ces préparations ! Résultat, un vent de folie s’est emparé des foules, accentuant la pénurie et privant sans doute de protection des personnes très exposées. Face à la spéculation, notre inénarrable ministre de l’économie crut bon d’encadrer les prix des SHA. Autant faire un cautère sur une jambe de bois. Ce type de mesure n’améliore évidemment en rien l’approvisionnement, et ne peut qu’accentuer la pénurie ressentie !

Enfin, nous avions trop peu de tests diagnostics et nous avons donc réservé leur prescription aux personnes symptomatiques.


L’observation attentive de certains pays asiatiques nous aurait appris comment avait réagi Taiwan qui à ce jour se pose en modèle (à peine 50 cas recensés et 1 seul décès). Elle a su prendre la mesure du fléau très rapidement. Des contrôles sévères furent mis en place très précocement pour les personnes en provenance de Chine, la sensibilisation de la population fut prompte également et très suivie grâce à l’esprit civique de la population. Le port du masque y est quasi systématique en période d’épidémie, notamment dans les lieux et transports publics. Le pays se souvient du SRAS et a réorganisé son système de santé pour garantir une réactivité maximale.

La Corée du Sud qui fut frappée de plein fouet à partir d’un foyer né au sein d’une congrégation religieuse, a été prise au dépourvu, mais elle a mis en place des actions massives qui ont rapidement porté leurs fruits. Un plan de grande envergure consista à soumettre sans limite la population au test diagnostic, notamment sur les places publiques, les parkings, les gares et les aéroports. Cela permit de mieux circonscrire la propagation du virus en identifiant les porteurs sains ou très peu symptomatiques. Au surplus, cette stratégie a fourni sans doute l’idée la plus juste de la mortalité qui se situe là bas selon les tout derniers chiffrres autour de 0,9% (à pondérer peut-être en fonction de l'âge des patients).

Avec des mesures similaires, le Japon semble également en passe de stopper la progression de la maladie. Quant à la Chine, on connaît la vigueur de sa réponse, malheureusement un peu tardive et sans doute difficile à reproduire au sein d’une démocratie, mais dont l’efficacité est indéniable et qui impose le respect s’agissant de sa capacité à étendre en un temps record le nombre de lits d’hospitalisation dédiés.


Aujourd’hui la France semble avoir pris la mesure de l’ampleur de la crise. Les dernières actions “drastiques” annoncées en urgence aujourd’hui même par le Premier Ministre confirment que nous sommes bien dans une situation “à l’italienne”. Pourtant, on ne prononce le mot “stade 3” que du bout des lèvres. Et tandis qu’on ferme écoles, musées, salles de spectacles, boutiques, cafés et restaurants, tandis qu’on demande impérativement aux gens de rester confinés chez eux, on maintient les transports publics sans imposer ni même conseiller le port du masque. On se limite à la recommandation absurde de tousser dans son coude, et comme si l'on souhaitait favoriser les contacts inter-humains, la RATP et la SNCF annoncent la diminution du trafic... Enfin, on conserve envers et contre toute logique l'échéance des élections municipales qui n’ont aucun caractère d’urgence et qui risquent de se terminer en eau de boudin, si ce n’est en désastre.


Et dans ce monde qui se pétrifie, l’Europe montre une fois encore ses mortelles divisions et son absence de dessein commun. Hormis quelques vœux pieux, aucune coordination n’apparaît et chacun raisonne pour lui. Le gouvernement français se targuait de réquisitionner tous les masques que ses entreprises pouvaient fabriquer, obligeant l’Italie à quémander auprès de la Chine. Cela n’empêche pas notre pays d’en appeler à la solidarité et de réclamer auprès de ceux qui se sont efforcés d’avoir une gestion économe, le droit de s’endetter toujours plus. Ce foutu virus aura-t-il le mérite de faire enfin comprendre la nécessité d’agir avec plus de pragmatisme et moins d’idéologie ?


11 mars 2020

Du vert pas très écolo...

Les algues vertes, on en parle. On en a parlé même beaucoup depuis des décennies, et le moins qu’on puisse dire est que le sujet est riche de controverses. Il y a des faits bien établis, mais aussi pas mal de supputations plus ou moins partisanes, et des accusations plus ou moins fondées.
Que les nitrates soient en cause dans la pullulation de cette végétation marine indésirable, qui verdit régulièrement les plages des Côtes d’Armor, c’est un fait. Que ces nitrates soient un produit dérivé de l’élevage intensif de porcs, c’est également certain. Que ces algues puissent être toxiques par leurs émanations, lorsqu’elles échouent sur le littoral et qu’elles entrent en putréfaction, c’est indiscutable. Enfin, que les Pouvoirs Publics, Agences Régionales de Santé en tête, aient comme en beaucoup d’autres occasions démontré leur inertie et leur indécision, c’est une triste évidence.
Le problème est qu’autour de ces constats objectifs, s’agitent les écologistes, alter-mondialistes, et anti-capitalistes de tout poil, à l’affût de tout ce qui peut alimenter leurs théories à sens unique, et leur incurable névrose anti-système. Dès lors, le débat perd toute mesure, opposant les auto-proclamés gentils à ceux qu’ils qualifient de méchants. Les uns étant sourds aux arguments des autres, le ton monte inexorablement à mesure qu’on se les jette à la figure. Et in fine, c’est toute la société libérale qu’on veut jeter avec les algues vertes... On peut d'ailleurs émettre quelques doutes sur l'objectivité des auteurs, notamment d'Inès Léraud qui se dit très influencée par Daniel Mermet, journaliste auto-proclamé "de gauche", bien installé sur le "service public", dont on connait les nombreux reportages partisans, et qui fut co-fondateur d'ATTAC, groupe d'influence revendiquant un anti-capitalisme sans nuance...

Cet ouvrage s’inscrit donc dans le tumulte idéologique insensé, qui devient la marque de notre époque en mal de repère et de bon sens. A commencer par le titre qui évoque une “histoire interdite”. Rien de plus faux évidemment, comme l’atteste la publication de l’ouvrage, qui loin d’être censuré, affiche le soutien du Centre National du Livre, sous l’égide du ministère de la Culture ! Au passage, ça n’empêche pas les auteurs, de le faire éditer en Pologne, alors qu’ils se disent nostalgiques du terroir breton d’avant les immixtions étrangères.

Pour eux en effet, l’origine du mal se trouve outre atlantique. La faute aux Etats-Unis comme d’habitude, qui figurent ici au premier rang des accusés avec leur plan Marshall de 1947, le remembrement agricole et l’augmentation de la productivité qu’ils auraient soi-disant imposé à la France. Fallait quand même y penser ! Surtout que dans le même temps, les auteurs font un sombre portrait de la Bretagne de l’immédiat après-guerre, si pauvre que “la plupart des maisons n’étaient pas équipées d’eau courante, de sanitaires, d’électricité et leur sol étaient en terre battue…”

Tout le reste du bouquin est à l’avenant. C’est un réquisitoire sans nuance, qui fait bien entendu le procès du “grand capital”, illustré pages 92-96 par quelques diagrammes en forme de nébuleuses rassemblant à peu près toutes les grandes entreprises françaises, groupes de pression, et rouages politiques. Le tout est qualifié de manière caricaturale de “lobby breton” et cherche donc à nous faire comprendre que le scandale a été quasi organisé par ces collusions occultes, et bien sûr que leurs instigateurs ont tout fait pour le couvrir d’une omerta mafieuse.
Tout cela est évidemment grotesque et fait totalement silence sur la complexité de la problématique de fond, consistant à pérenniser l’agriculture bretonne face à la concurrence étrangère et à maintenir sa compétitivité, notamment en matière d’élevage porcin. Cette stratégie s’opposait hélas par ses effets collatéraux à la vocation touristique de cette région de Bretagne déjà défavorisée par une météo capricieuse, mais dans un pays étranglé par les réglementations, la pression fiscale et les charges sociales, c’était un vrai challenge que de parvenir à ménager la chèvre et le chou.
On ne peut d’ailleurs pas dire que rien n’a été fait pour endiguer la production de nitrates, dont les taux dans les nappes phréatiques sont passés en 25 ans de plus de 100 à 20 mg/l (de l’aveu même des auteurs). Ce n’est certes pas suffisant pour résoudre définitivement le problème, mais parallèlement le ramassage régulier des algues échouées a permis d’assainir les plages, tandis que les efforts sont poursuivis pour réussir à faire descendre le taux autour de 10mg/l.

Le drame est donc à relativiser, lorsqu’on le compare à d’autres catastrophes. Si l’on compile les histoires de chasse décrites par le menu dans l’ouvrage, et si l’on se fie au quatrième de couverture, on peut conclure que “depuis la fin des années 80”, au moins “quarante animaux et trois hommes se sont aventurés sur une plage bretonne, ont foulé l’estran et y ont trouvé la mort”.
Passons sur le fait que ces morts n’ont pas toutes été rapportées avec certitude aux émanations d’hydrogène sulfuré. Passons sur le fait qu’on a vu certaines personnes imprudentes fouler cet estran avec leur chien ou leur cheval en dépit de mises en gardes dûment affichées.
Mais en tout état de cause, ces chiffres sont à mettre en regard du scandale du sang contaminé par le VIH, de celui de l’hormone de croissance, de la vache folle… Autant de circonstances où la machine d’État, bien plus que le capitalisme, a été lourdement mise en défaut, bien qu’on n’ait trouvé que “des responsables non coupables”...

06 mars 2020

Avec Pessoa dans Lisbonne (3)

Derrière la morgue du solitaire qui s’isole du monde, il y a toutefois la sagesse du philosophe. Revenu de tout et sans illusion sur l’humanité et les sentiments, Pessoa exprime une morale fort simple: “ne faire à personne ni bien ni mal.” S’il n’y a pas de chaleur dans sa manière de se comporter, il n’y a pas d’animosité non plus à l’égard de quiconque: “Je suis hautement sociable et l’être le plus inoffensif qui soit, mais je n’ai foi en rien, espoir en rien, charité pour rien…”
Pessoa aime à l’évidence la liberté, mais dans son esprit, c’est avant tout “la possibilité de s’isoler.” Car c’est seulement dans la solitude que l’être peut s'émanciper: “Tu es libre si tu peux t’éloigner des hommes et que rien ne t’oblige à les rechercher, ni le besoin d’argent, ni l'instinct grégaire, l’amour, la gloire ou la curiosité, toutes choses qui ne peuvent trouver d’aliment dans la solitude. S’il t’est impossible de vivre seul, c’est que tu es esclave… A un autre moment, il va plus loin encore: “l’argent est beau parce qu’il libère…”
Grand rêveur, Pessoa n’éprouve pas non plus le besoin de voyager pour s’évader ou se sentir libre. Rien que l’idée lui donne la nausée, et avant même d’être parti, il est revenu de tout:” J’ai déjà tout vu ce que je n’avais vu. J’ai déjà vu tout ce que je n’ai pas vu encore…”. Comme tous les êtres “doués d’une grande mobilité mentale”, il éprouve “un amour organique et fatal pour la fixité” et il déteste “les nouvelles habitudes et les endroits inconnus”. Lisbonne qui n’a plus de secret pour lui suffit à son bonheur.
A la fin des fins, c’est la résignation qui l’emporte sur tout, car “l'esclavage est la loi de cette vie, et il n’en est pas d’autre, car c’est à cette loi qu’on doit se soumettre, sans révolte ni refuge possibles.../… Ne pas tenter de comprendre; ne pas analyser…. Se voir soi-même comme on voit la nature; contempler ses émotions comme on contemple un paysage - c’est cela la sagesse.../… Personne ne pourra me dire qui je suis, ni ne saura qui j’ai été.”
Il ressent le temps qui passe “comme une immense douleur”, et pour en atténuer les effets, selon lui, “sage est celui qui monotonise la vie” dans l’attente de la mort, laquelle n’a pour lui rien de dramatique, bien au contraire: “Nous sommes faits de mort. Cette chose que nous considérons comme étant la vie, c’est le sommeil de la vie réelle, la mort de ce que nous sommes véritablement. Les morts naissent, ils ne meurent pas…” Paradoxalement, il n’est pas pressé, et reste attaché à la vie pour des raisons étranges, voir un brin contradictoires: “Je n’ai jamais envisagé le suicide comme solution, parce que je hais la vie, précisément par amour pour elle !”

Sur Dieu, son opinion n’est pas définitive, mais il se rapproche de l’agnosticisme voltairien: “si l’on considère sérieusement ce fait essentiel qu’est la grande horlogerie de l’univers, je n’ai jamais compris que l’on puisse en même temps nier l’existence de l’horloger.”
Il repousse en tout cas les arguments habituels de ceux qui doutent, et plus encore de ceux qui professent avec assurance l’athéisme : “Je comprends qu’on attribue à cette intelligence suprême quelque élément imparfait. Je comprends également, si l’on tient compte du mal qui existe dans le monde, on ne puisse admettre l’infinie bonté de cette intelligence parfaite. Je le comprends, sans l’admettre.../… Quant à nier l’existence de cette intelligence, c’est à dire de Dieu, cela me semble l’une de ces imbécilités qui affectent sur un point l’intelligence d’hommes qui, sur tous les autres points, peuvent fort bien être des esprits supérieurs…”

Pour achever cette incursion dans l’univers foisonnant de Pessoa, il ne reste plus qu’à s'appesantir un peu sur le seul sujet qui lui tint à coeur dans sa vie, la littérature. Il s’agit sans aucun doute pour lui, “du plus beau des arts”, un domaine “où seule compte l’excellence”. On a vu son intransigeance vis à vis de la langue. S’agissant de l’art en général, Pessoa n’est pas moins exigeant, ce qui l’amène à répudier maintes formes prétendues artistiques, qui ne sont rien d’autres pour lui que l’expression de banalités sans intérêt. La création n’est pas à la portée de tout le monde, et si le fond importe, la perfection de la forme lui paraît essentielle: “lorsque le critère de l'art était une construction solide, un respect scrupuleux des règles, bien peu pouvaient se risquer à être des artistes, et parmi ceux-là, la plupart étaient fort bons. mais lorsque l’art cessa d’être considéré comme une création, pour devenir l’expression des sentiments, alors chacun put devenir artiste, puisque tout le monde a des sentiments…”
La littérature quant à elle, constitue la quintessence de ce que l’esprit humain peut construire, et sa force est sans nul doute d’être en lien direct avec les rêves. Elle s’en nourrit pour l’auteur et les alimente pour le lecteur : “ce mariage de l’art et de la pensée, cette réalisation que ne vient pas souiller la réalité - m’apparaît comme le but vers lequel devrait tendre tous les efforts de l’être humain s’il était vraiment humain, et non pas une excroissance superflue de l’animal.../… Pour être son être véritable, on n’y parvient qu’en rêvant, parce que la vie réelle, la vie humaine, loin de vous appartenir, appartient aux autres. remplace donc la vie par le rêve et ne te soucie que de rêver à la perfection. Dans aucun des actes de la vie réelle, depuis celui de naître jusqu’à celui de mourir, tu n’agis vraiment: tu es agi; tu ne vis pas: tu es seulement vécu.”

Avant tout poète, et attaché à la beauté des formes autant qu’à la force du rêve, Pessoa a quelque chose de parnassien. A l’instar de Mallarmé, il se plaît à évoluer dans une symbolique éthérée, ce qui éclaire une de ses devises, qu’il livre au lecteur en forme de conseil: “Deviens aux yeux des autres un sphinx absurde.”
Il y aurait encore des foules de choses à dire et à retirer de cet étrange et envoûtant Livre de l’Intranquillité, tantôt caustique et désespéré, tantôt extra-lucide et résigné. Avant de le refermer, voici deux extraits poétiques en diable qui disent bien l’essence de ce rêve éveillé, et de l’âme lisboète, célestes mais nourris de sensations:

Rêve triangulaire
La lumière avait pris une teinte jaune d’une lenteur excessive, un jaune sale et blême. Les intervalles entre les choses s’étaient élargis, et les sons, espacés selon un ordre nouveau, résonnaient de façon décousue. On les avait à peine entendus qu’ils cessaient d’un seul coup, comme cassé net. La chaleur, qui semblait avoir augmenté, paraissait - chaleur à l’état pur - toute froide. Les volets intérieurs de la fenêtre, juste entrouverts, laissaient apercevoir par cette fente étroite l’attitude d’expectative exagérée, du seul arbre visible. Il était d’un vert différent, tout imbibé de silence. dans l’atmosphère se fermaient des pétales. Et dans la composition même de l’espace, une corrélation différente, entre des choses analogues à des plans, avait modifié et brisé la façon dont les sons, les lumières et les couleurs utilisent l’étendue.

Enfin, une incantation aux ténèbres que Novalis n’aurait pas reniée: “Ô nuit, où les étoiles mentent de leur lumière, ô nuit, seule chose à la taille de l’Univers, change-moi, corps et âme, en une partie de ton propre corps afin que je me perde, devenu pur ténèbre, et devienne nuit à mon tour, sans rêves telles des étoiles au fond de moi, sans astre dont l’attente resplendirait depuis l’avenir…

04 mars 2020

Avec Pessoa dans Lisbonne (2)

Lorsqu’on est entré dans la touffeur ensorcelante du Livre de l’Intranquillité, il s’avère difficile d’en sortir. Il n’y a ni chemin, ni récit, ni histoire, ni même action. C’est tout l’art de l’auteur que d’accrocher le lecteur par la seule force de ses rêveries, et de créer une complicité durable. Par petites touches, se dessine un être très humble, presque effacé, mais attachant et souvent déconcertant, auquel on ne peut s’empêcher de s’identifier par moments, et qu’à d’autres on cherche vainement à comprendre. C’est un peu du mystère de l’âme humaine et de l’essence de l’existence qui se dévoile au long de pages souvent poétiques, parfois hermétiques, mais très accaparantes.
Pour tenter d’en faire goûter la saveur, rien ne vaut la méthode qui consiste à cueillir de ci de là dans cette forêt de symboles, quelques citations et de les présenter en une sorte de pot-pourri thématique suggestif.

Pour cela, commencer naturellement par le rêve : “C’est la pire des drogues car elle est la plus naturelle de toutes. Elle se glisse dans nos habitudes avec plus de facilité qu’aucune autre, on l’essaye sans le vouloir, comme un poison offert. Elle n’est pas douloureuse, elle ne cause ni pâleur ni abattement - mais l’âme qui en fait usage devient incurable, car elle ne peut plus se passer de son poison, qui n’est rien d’autre qu’elle-même.”
Le rêve, c’est une sorte d’ontologie : “Toutes mes pensées, malgré mes efforts pour les fixer, se transforment tôt ou tard en rêverie. Nous ne sommes véritablement que ce que nous rêvons, car le reste, dès qu’il se trouve réalisé, appartient au monde et à tout un chacun. Si je réalisais l’un de mes rêves, j’en deviendrais jaloux car il m’aurait trahi en se laissant réaliser…/... Cependant, même le rêve né au cours de ma réflexion finit par me lasser. Alors j’ouvre les yeux qui rêvaient, je vais à la fenêtre et je transpose le rêve vers les rues et les toits.../… Dans cette contemplation mon âme se voit réellement délivrée, et je ne pense plus, ne vois plus, n’éprouve plus aucun besoin; c’est alors que je contemple réellement l’abstraction de la Nature - de la Nature, différence entre l’homme et Dieu…”
Le rêve en somme, c’est ce qui nous permet de tout imaginer, de concevoir les projets les plus complexes sans jamais être obligé de les réaliser. Le rêve, c’est aussi ce qui préserve de l’ennui dont Pessoa livre une belle définition: “souffrir sans souffrance, vouloir sans volonté, penser sans raisonnement… C’est comme être possédé par un démon négatif, être ensorcelé par quelque chose d’inexistant.”

Lorsque l’auteur sort du royaume des songes et qu’il aborde le sujet de la conscience de soi et des autres, il exprime un sombre pessimisme, que d’aucun pourrait qualifier d’égocentrisme: “Aucun homme ne peut comprendre les autres. Comme l’a dit le poète, nous sommes des îles sur l’océan de la vie; entre nous ondoie la mer, qui nous définit et nous sépare.../… Nous ne possédons ni un corps, ni une vérité - pas même une illusion. Nous sommes des fantômes de mensonges, des ombres d’illusions, et notre vie est aussi creuse au-dehors qu’au-dedans…”
Plus loin, la frontière entre le moi et les autres est encore plus explicite: “L’une de mes constantes préoccupations est de comprendre comment d’autres gens peuvent exister, comment il peut y avoir des âmes autres que la mienne, des consciences étrangères à la mienne, laquelle étant elle-même conscience, me semble par là même être la seule…
A la vérité, Pessoa ressent une profonde solitude. Rien ne peut vraiment la combler, car envers et contre toute compassion, “lorsqu’on souffre on est seul...” En retour, il ne parvient à s’émouvoir du sort de ceux qui l’entourent, même s’il éprouve de la sympathie pour eux: “Quelque amitié que je porte à quelqu'un, et si véritable que soit cette amitié, apprendre que cet ami est malade ou qu’il est mort ne me cause rien d’autre qu’une impression vague, indistincte, comme effacée, qui me fait honte../… J’éprouve seulement de la peine d’être incapable d’en ressentir…”
La misanthropie qui semble l’affecter repose sur des expériences douloureuses et des constats désabusés sur les comportements humains : “j’ai toujours voulu plaire. J’ai toujours souffert de ne trouver qu’indifférence.../… je reconnais en moi l’aptitude à inspirer le respect, mais non l’affection.../… je ne possède ni les qualités d’un chef, ni celles d’un subalterne. Je ne possède pas même celles de l’homme satisfait de son sort.../… Ayant constaté avec quelle lucidité, quelle cohérence logique certains fous justifient, pour les autres et pour eux-mêmes, leurs idées les plus délirantes, j’ai perdu à tout jamais la ferme certitude de la lucidité de ma propre lucidité…”
Au fond, pour lui, ce qu’on nomme habituellement l’amour n’est qu’un pis aller: “Aimer c’est se lasser d’être seul; c’est donc une lâcheté, une trahison envers soi-même (il importe souverainement de ne pas aimer…)”

Conséquence logique du sentiment de vanité de l’existence et des rapports humains, Pessoa regarde le monde qui s’agite avec lassitude. Il le contemple, mais rechigne à prendre part à l’agitation qui l’anime : “L’action est une maladie de l’esprit, un cancer de l’imagination. Agir c’est s’exiler. toute action est incomplète et inachevée. Le poème dont je rêve n’a de défaut que lorsque je tente de l’écrire…”
L’idéal, pour l’écrivain, “ce serait de n’avoir d’autre action que l’action fictive d’un jet d’eau - monter pour retomber au même endroit, bref éclat au soleil dénué de toute utilité, et faisant un bruit quelconque dans le silence de la nuit, pour que le rêveur pense à des fleuves dans son rêve, et sourie distraitement…”
Il n’est admirateur, ni des hauts faits d’armes ni des épisodes glorieux de l’histoire, ni du progrès social: “ Cela me fait mal à l’intelligence que quelqu’un puisse s’imaginer qu’il va changer quoique ce soit en s’agitant. La violence quelle qu’elle soit, a toujours représenté pour moi une forme hagarde de la bêtise humaine.../… Tous les révolutionnaires sont stupides, comme le sont, quoiqu'à un degré moindre, parce que moins gênants, tous les réformateurs.../… Impuissant à dominer et à réformer sa propre attitude, le révolutionnaire cherche une échappatoire en essayant de changer les autres et le monde extérieur.../… Rien ne me rebute autant que les vocables de la morale sociale.../… les termes de “devoir civique”, “solidarité”, “humanitarisme”, et d’autres du même acabit, me répugnent comme autant d’ordures qu’on me jetterait à la tête…”
Son mépris pour ceux qui dirigent le peuple est gigantesque et face à la foule, il se retranche dans l'individualisme: “Le gouvernement des hommes repose sur deux principes: réprimer et tromper. L’ennui c’est qu’ils ne parviennent ni à réprimer, ni à tromper. Ils saoulent tout au plus…/… J'admets toujours difficilement la sincérité des mouvements collectifs, étant donné que c’est l’individu seul avec lui-même qui pense réellement…

On dit souvent de Pessoa, qu’il incarne le Portugal. Pourtant sa vision de la patrie se limite à celle de la langue, à laquelle il voue un culte exclusif: “il me serait totalement indifférent qu’on prenne ou qu’on envahisse le Portugal, à condition qu’on ne me cause pas d’ennuis, à moi personnellement. Ma patrie c’est la langue portugaise. J’éprouve de la haine véritable, non pas contre ceux qui écrivent mal le portugais, qui ignorent la syntaxe ou qui écrivent selon l’orthographe simplifiée, mais contre la page mal écrite, que je déteste comme une personne réelle.”
 
A suivre...

28 février 2020

Avec Pessoa dans Lisbonne (1)

Rarement un écrivain aura autant fait corps avec une ville. Fernando Pessoa (1888-1935) c’est un peu l’âme de Lisbonne. Ce personnage déroutant est à l’image de cette cité, à la fois noble et belle mais également imprégnée d’une étrange et distante fatalité tragique. Héritage possible du drame qui la secoua en 1755, bien qu'elle fut presque entièrement reconstruite sous l’égide du marquis de Pombal, Lisbonne garde un parfum de vieille ville derrière ses grandes et nostalgiques places et avenues.
On aime ou on n’aime pas ce mélange un peu déconcertant qui fait naître des sentiments contradictoires. Il y a dans Lisbonne quelque chose de géant et de désespéré; de vastes proportions mais une sensation d’absence, et des couleurs délavées balayées par les vents océaniques. Les azulejos ont des teintes de ciels et de nuages, de mer et d’écume. Ils sont là, bien présents, mais vous parlent d’ailleurs, et d’un autre temps. Et le long de ruelles tortueuses, les tramways poussifs mais infatigables gravissent les pentes et les redescendent tels de modernes et désuets sisyphes.
Il y a dans Lisbonne comme un subtil mélange d’espérance et de désillusion, de sérénité et d’intranquillité.
C’est exactement ce qui traverse l’œuvre monumentale et inquiète de Fernando Pessoa. Lire Pessoa, c’est donc comprendre un peu mieux Lisbonne...

Le fait même que l’écrivain crut bon de recourir à plusieurs identités, qu’il qualifiait d’hétéronymes, dit bien la complexité de cet esprit tourmenté. Tantôt Fernando Pessoa, tantôt Bernardo Soares, ou bien encore Alberto Caeiro, Ricardo Reis, Alvaro de Campos, on se perd en conjectures devant tant de facettes d’une même personne, même si depuis Rimbaud, on sait que le Je est un autre…
Quant au Livre de l’Intranquillité, son monumental chef d’oeuvre en prose, comment le qualifier ? Richard Zenith écrivait en introduction qu’il ne s’agissait pas d’un livre, mais de “sa subversion”, voire de “sa négation”, d’un “livre en puissance, ou mieux, d’un livre en ruine, un livre-rêve, un livre-désespoir, l’anti-livre par delà toute littérature…”
Lorsque l’on se plonge dans cette “autobiographie sans évènement” comme la nomme l’auteur lui-même, on n’est pas certain d’en ressortir indemne. Comment ne pas vaciller en effet, en lisant qu’il se situe “à cette distance de tout, que l’on appelle communément la Décadence”, ou encore que selon lui “l’inconscience est le fondement de la vie”.
Et comment garder la tête froide lorsque pour être plus explicite, il tourne en interrogation ce décalage existentiel: “à nous qui vivons sans savoir vivre, que reste-t-il, sinon le renoncement comme mode de vie, et pour destin la contemplation ?”
“Je voudrais, écrivait-il encore, que la lecture de ce livre vous laisse l’impression d’avoir traversé un cauchemar voluptueux.”

C’est un fait, Pessoa est avant tout un rêveur, un inactif, un contemplatif, quasi jusqu’à l’absurde. Il n’est pas extérieur au monde bien au contraire. Il est dans l'événement, il navigue presque désincarné, dans le présent qui se déroule sous ses yeux. Mais il est seul, tel un marin, exilé volontaire sur l’océan, qui se confronte
aux éléments, sans but évident pour le commun des mortels...
Pour Pessoa, plus encore que pour la Tortue, rien ne sert de courir, rien ne sert même de partir à point, il suffit d’être... et de rêver. Car tout ce qui n’est pas rêve n’est qu’illusion. Même écrire, pour important que cela fut pour lui, apparaît dérisoire : “Je relis, lentement, lucidement, morceau par morceau, tout ce que j’ai écrit. Et je trouve que cela est nul et que j’aurais mieux fait de ne pas l’écrire…” Plus loin, il enfonce un peu plus encore le clou: “ le seul destin noble pour un écrivain, c’est de ne rien publier…”
Dans ces conditions, pourquoi diable lire ?
Parce que nous dit Pessoa, “Lire, c’est rêver en se laissant conduire par la main….”

A suivre...

26 février 2020

Viralité

Viralité: ce terme à la mode dans le microcosme des réseaux sociaux est devenu en quelques semaines le principal sujet de préoccupation de la communauté internationale, et fait désormais la une de tous les journaux. Cette fois c'est au sens propre.
Un nouveau variant de coronavirus dit COVID-19 est en train de faire tache d'huile sur la planète. Il n'a pas les caractéristiques terrifiantes des grandes épidémies d'autrefois, mais il est susceptible de déstabiliser profondément la marche du monde.


La propagation rapide de ce micro-organisme qui se rit des frontières est une manifestation spectaculaire de la mondialisation. C'est une réalité incontournable que nul protectionnisme ne peut espérer endiguer durablement. Mieux vaut imaginer des mesures pragmatiques internes que de tenter d'ériger d'illusoires lignes Maginot.

Dans un tel contexte, les régimes totalitaires “avancés” ont un avantage. Grâce à la centralisation du pouvoir et de tous ses leviers de commande, grâce à l’absence d’opposition, ils ont une capacité sans égale pour confiner les populations, et peuvent mobiliser des moyens importants au service d'une stratégie concentrationnaire comme l'a démontré récemment la Chine.
Les démocraties ont pour elles la réactivité, la puissance scientifique, l'information éclairée des citoyens et l'esprit civique. Malheureusement ces avantages qui devraient être décisifs, ont été érodés par la permissivité, l'irresponsabilité, la démagogie et l'indétermination chronique des pouvoirs publics...

Quoiqu'il en soit, l'évolution de cette nouvelle pandémie risque d'être rapide et diffuse. La maladie a une létalité relativement modeste (probablement inférieure à 2%) ce qui facilite sa propagation. D'autant plus que si sa contagiosité ne semble pas très forte, les personnes contaminées peuvent la transmettre sans manifester eux-mêmes de symptômes.
Il est donc probable, comme le nouveau ministre de la santé l'a annoncé, que notre pays soit prochainement confronté de plein fouet à l'épidémie.
Selon les scénarios quelque peu catastrophistes de certains experts, 40 à 70% de la population mondiale pourrait être touchée, soit jusqu’à 5 milliards de personnes. Ce qui pourrait se traduire par plusieurs dizaines de millions de morts... Par comparaison, la grippe dont les manifestations cliniques ressemblent beaucoup à la maladie due au coronavirus, aussi contagieuse mais avec une létalité dix fois moindre, et pour laquelle on dispose d'un vaccin, est responsable de 10.000 décès par an en moyenne. S'agissant du coronavirus, le sinistre décompte a déjà dépassé largement les 2000 et les foyers sporadiques se multiplient en Europe. Tout est là pour créer un mouvement de panique. On annonce déjà "la" crise économique majeure que les spécialistes attendaient fébrilement depuis des mois, et les médias se plaisent à montrer les pharmacies submergées par la ruée sur les masques FFP2 et les solutions hydro-alcooliques. Tandis que la Bourse dévisse, la spéculation va bon train sur ces expédients, sans doute guère plus efficaces que les mesures de bon sens consistant à éviter embrassades, poignées de mains et autres contacts trop rapprochés...
Nouvelle rassurante, la Chine par laquelle le mal est venu, semble être en passe de réussir à le circonscrire. On se souvient enfin que la fameuse grippe H1N1 qui avait semé en 2009 une belle panique s'était avérée en définitive fort bénigne.
Tout espoir n'est donc pas perdu...

19 février 2020

Vanité du Politique

La déconfiture lamentable de Benjamin Griveaux, renonçant à sa candidature à la mairie de Paris pour une sordide affaire de mœurs, inspire une fois encore une foule de réflexions sur la vanité du politique.
Comment l'étincelant héraut de la geste macronienne, parti sabre au clair et quasi assuré de la victoire, a-t-il pu faire preuve d'autant de faiblesse et de naïveté, voilà qui est vraiment inexplicable. On pourrait épiloguer sur le fait qu’il fut un des lieutenants du calamiteux et dissolu Strauss-Kahn. Tel père, tel fils en somme…
On pourrait, à l'unisson des gens bien intentionnés, se lamenter, voire s'insurger contre l'intolérable violation de la vie privée que cette triste histoire révèle.
Mais derrière ce fait divers consternant, c’est toute la classe politique qu’on peut pointer du doigt pour son inconstance et son irrémédiable légèreté, pour ne pas dire stupidité.
Si l’on s’en tient à l’ère Macron, il faudrait longuement énumérer les actions, mesures, et propos absurdes ou insensés. Tous ne relèvent pas de la moralité certes, mais tous s’inscrivent dans l’incongruité voire dans l’auto-destruction.
Ainsi la baisse (pourtant homéopathique) des Aides Personnalisées au Logement, au moment précis où le gouvernement faisait semblant d’abolir l’Impôt de solidarité sur la Fortune, relevait du quasi suicide politique eu égard au court-bouillon égalitariste et revanchard dans lequel clapote le pays depuis la Révolution.
Non content de cette expérience funeste, le Premier Ministre ne trouva rien de mieux à faire quelque temps après, que de souffler sur les braises en imposant l’ubuesque réduction de la vitesse sur les routes, tout en faisant monter indéfiniment les taxes punitives sur le diesel. S’ensuivit la prévisible mais interminable rébellion des Gilets Jaunes...
On pourrait continuer la litanie, car la taxe sur les GAFA, ourdie par le sémillant mais creux ministre de l’économie Bruno Lemaire est évidemment du même tonneau. Elle ruisselle de démagogie, mais elle ne peut être qu’inefficace, ne rapportant qu’une hausse des prix pour les consommateurs et des mesures de rétorsion de la part des Etats-Unis. Dans le même registre figure la loi egalim supposée encadrer les promotions commerciales en matière de produits alimentaires, ou celle bloquant les loyers dans certaines grandes villes. Il n'est pas nécessaire de sortir de Polytechnique pour voir que toutes ces dispositions tarabiscotées aboutissent en règle au résultat inverse de celui escompté. Mais qu'importe. Moins ça fonctionne, plus les politiques s'entêtent dans leurs lubies...

L’interdiction promise quoique sans cesse repoussée du glyphosate et toutes les demi-mesures gravitant autour de cet herbicide honni n’est pas moins absurde, puisque toutes les publications sérieuses et toutes les Agences officielles qui se consacrent à la protection de l’environnement ont conclu qu’il s’agissait d’un péril en grande partie imaginaire. Pourquoi donc risquer de ruiner les quelques agriculteurs essayant encore de survivre sous l’étouffoir réglementaire ? Et quelle prétention que celle de changer le cours du monde, et jusqu’à son climat par la seule force des lois et des taxes !

Devant tant d’inconséquence et d’arrogance, on reste coi. Il semble impossible de comprendre toutes ces extravagances totalement étrangères à “la raison raisonnante”. Dommage, car elles sont susceptibles de casser les objectifs de programmes intéressants ou de gâcher l’effet de mesures utiles. Il en est ainsi par exemple de la fameuse et nécessaire réforme des retraites que l’impréparation, la confusion des genres et les perpétuels revirements ont rendu inintelligible et donc probablement vouée à l’échec. Il en est de même pour les baisses d’impôts plutôt bienvenues, mais qui soit passent inaperçues, comme celle sur le revenu, soit ne convainquent personne comme l’étrange suppression de la taxe d’habitation, à budget constant.
Vanitas vanitatum, omnia vanitas...

Illustration: David Bailly, Vanité au portrait

06 février 2020

Comment l'Etat tue le téléphone...

Notre cher État Providence n’est jamais à court d’imagination en matière de réglementation fiscale et de dispositifs tarabiscotés supposés inciter les bonnes gens à mieux se comporter ou au contraire à les dissuader de mal agir.
Il y a quelques années, il a inventé le dispositif innovant des Certificats d’Économie d’Énergie (CEE), destiné à protéger l'environnement en réduisant la consommation énergétique.
Depuis 2005, selon le principe des pollueurs payeurs, tous les fournisseurs d’énergie (EDF, Engie, Total, BP…) sont contraints par la loi POPE (curieux nom…) d’attester qu’ils mettent en place une politique d’économie, dont la conséquence pour eux est évidemment de vendre moins de leurs produits. Et pour attester qu’ils font tout pour réduire leur chiffre d’affaires, ils sont tenus d’acheter des bons points, les fameux CEE. Trois possibilités s’offrent à eux: acquérir directement ces certificats “sur le marché”, les obtenir en contrepartie d’aides financières aux travaux d’isolation, ou encore en échange de participation financière à des programmes d’économie d’énergie “éligibles”.

On pourrait ergoter sur l’absurdité de cette mesure qui pénalise des commerçants au motif qu’ils vendent leur marchandise. On pourrait également flétrir l’hypocrisie du système qui conduit en fin de compte à faire payer leurs clients dont la facture ne peut par ricochet, que s’alourdir…
Mais le plus édifiant en la matière, est de voir l’afflux soudain d’aigrefins en tous genres attirés par la manne ainsi dispensée au titre de l’aide aux travaux d’isolation, qui s’abattent sur les bénéficiaires potentiels comme une noria d’oiseaux au dessus d’un champ fraîchement semé.
Derrière le slogan magique de “l’isolation à 1 euro”, ils se sont mis à racoler sans vergogne tous les possesseurs de biens immobiliers. La publicité est vite devenue invasive, se transformant en véritable harcèlement tous azimuts, notamment téléphonique. Résultat, pour quantité de gens, pas un jour sans recevoir au moins une demi-douzaine d’appels incitant à faire valoir leurs droits. Au bout du fil, c’est tantôt une voix doucereuse d’hôtesse administrative, tantôt celle masculine et neutre d’un correspondant cherchant à conférer un caractère officiel à ses recommandations. Parfois une simple invitation à se mettre en relation avec un conseiller spécialisé, parfois également rien du tout: absence de tonalité et fin brutale de communication…
Pour celles et ceux qui se laissent harponner, c’est une aventure qui commence et qui se termine parfois très mal, la ristourne finale étant beaucoup moins avantageuse que promis. Au pire, les travaux entrepris par des entrepreneurs peu scrupuleux, s’achèvent en eau de boudin, pétris de négligence et de malfaçons, quand ils ne sont pas purement et simplement avortés. Du pain béni en somme pour Elise Lucet, toujours à l'affût des mauvais coups à dénoncer…

Pour encadrer et expliquer cette loi si bien intentionnée, on ne compte pas moins de deux agences d’État: l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) et l’Agence nationale de l'habitat (ANAH). Invraisemblable débauche de moyens pour un résultat des plus discutables. Et qui a conduit à un déferlement d’excès et d’abus que l’État ne sait plus comment endiguer. Un fait est sûr, cette usine à gaz est en train de rendre le téléphone odieux à beaucoup de gens, et va probablement conduire à tuer les lignes fixes, quasi monopolisées par ce démarchage insupportable !

04 février 2020

Hôpital Express

La Chine contemporaine est à bien des égards étonnante. Terre de tous les excès et de tous les contrastes, elle stupéfie le monde. Restée officiellement communiste, elle s’est ouverte largement au capitalisme. Le mélange s’avère détonnant.

Comment un pays aussi riche culturellement, aussi inventif et dynamique avait pu basculer à ce point dans l’horreur socialiste, voilà qui reste un très intrigant mystère.

Non moins extravagante fut la folie qui saisit nombre d’imbéciles intellectuels occidentaux, soi-disant éclairés, qui les conduisit à qualifier cet obscur moyen-âge, d’expérience des plus excitantes, riche d’espoir et de progrès. Tandis que Mao assassinait par millions son peuple, tout en se livrant à des absurdités plus énormes que celles de Père Ubu, une partie du monde libre faisait semblant de s’extasier sur les pretendus bienfaits de ce tyran hors norme. Il faut espérer que ce honteux épisode serve de leçon, mais on peut en douter hélas lorsqu’on voit l’emprise persistante de cette idéologie sur les esprits.

Le redécollage de "l’Empire Céleste" au sortir de la terrifiante nuit maoïste a bouleversé le cours des choses urbi et orbi. Beaucoup de questions restent certes en suspens sur l’avenir de ce régime chimérique, mariage improbable des contraires, mais on ne peut que rester ébahi par sa capacité à donner la prospérité à un nombre croissant d’individus et à réagir avec détermination et sang froid aux situations de crise.

L’épidémie actuelle de fièvre due au coronavirus est prise là bas très au sérieux. Pour l’endiguer, tous les moyens sont mis en œuvre. Et la construction expresse d’un hôpital de 1000 lits en dix jours constitue une illustration spectaculaire de l’effort entrepris. Un tel tour de force est évidemment inimaginable en notre bonne vieille Europe et surtout en France... Qu’on imagine l’État englué dans la crise hospitalière, pouvoir la résoudre de cette manière, en trois coups de cuillers à pot !
Impensable évidemment, mais en Chine tout est permis. Pas de syndicats indépendants, pas de gilets jaunes ailleurs que sur le dos des ouvriers, un code du travail réduit à sa plus simple expression, des droits sociaux quasi inexistants, et un Pouvoir Central omnipotent et décisionnaire de tout, ça simplifie la vie… L’application expérimentale, quasi sauvage, du capitalisme, sans frein autre qu’un pouvoir de décision centralisé, est vertigineuse.

Ce lundi 3 février, l’établissement hospitalier consacré aux victimes du coronavirus, dont les travaux avaient débuté 10 jours auparavant, a ouvert comme prévu ! Pari tenu, pour un coût équivalent à une quarantaine de millions d’euros, et un chantier titanesque de 25000 m2, sur lequel ont travaillé jour et nuit 4000 ouvriers, et des milliers d’engins. Du réglage de l’époustouflant ballet de pelleteuses, à la coordination de tous les corps de métier, tout fut parfaitement ordonné.
Il n’y a plus qu’à espérer que cela contribue à contenir la propagation de l’épidémie et à en réduire la morbidité et la mortalité ! Et plus que jamais, on est songeur, sur ce qui se passe là-bas, dans cet Orient, extrême à tous égards...

30 janvier 2020

Le Triomphe Des Lumières ? (2)

Sur certains sujets le raisonnement de Steven Pinker déraille parfois étrangement et s’égare dans les lieux communs, le fatalisme et même le conformisme catastrophiste qu’il s’est fait un devoir de combattre !
Lorsqu’il évoque le noble sujet de la démocratie par exemple, il se félicite de voir le modèle hérité des pères fondateurs américains s’étendre peu à peu, diffusant même dans des régimes autoritaires comme en Chine et en Russie. Dans le même, le temps pourtant, il estime qu’il soit difficile à implanter dans des pays extrêmement pauvres, “dont les gouvernements sont faibles ou bien qu’on a décapités” comme en Irak et en Afghanistan, au motif que "l’effondrement de l’État entraîne violence et instabilité, et ne mène pratiquement jamais à une démocratie." Ce faisant, il rejoint le consensus des idées reçues, et oublie que c’est par la force que la démocratie s’est imposée en Allemagne et au Japon…
Il néglige bizarrement d’évoquer les bastions où le totalitarisme s’accroche envers et contre tout (Corée du Nord, Cuba, Venezuela, Iran…) mais voit en revanche une menace majeure dans la montée des mouvements dits populistes dont Donald Trump serait l’archétype.
Pinker bascule alors corps et âme dans le manichéisme, si ce n’est le sectarisme qu’il condamne pourtant avec énergie. Au sujet du magnat américain, pas encore élu président, il fait preuve d’une aversion qui confine à la haine brute, n’hésitant pas à affirmer que tous les progrès qu’il vient de passer son temps à énumérer joyeusement “sont menacés si Donald Trump parvient à ses fins”. Au passage, il l’accuse de tous les maux: il est protectionniste, opposé aux vaccins (qu’il accuse de favoriser l’autisme), il veut priver des millions d’américains d’une couverture santé, il est hostile au commerce, il se désintéresse de la technologie, de l’éducation et des politiques sécuritaires, il préconise des réductions d’impôts au profit des plus riches, il a diabolisé les immigrés, et ravale le réchauffement au rang de canular.

Non satisfait de cette volée de bois vert il ajoute qu’il est “admirateur de Poutine”, qu’il est “notoirement impulsif et vindicatif”, et enfin qu’il aurait “plein de traits distinctifs d’un dictateur” !

Autant dire que c’est l’ouvrage dans son ensemble et la thèse qu’il soutient qui perd de sa crédibilité devant tant de jugements à l’emporte pièce. A quoi bon seriner “qu’il est déraisonnable de s’opposer à la raison”, lorsqu’on laisse ainsi des ressentiments personnels s’exprimer avec tant de passion ? Et pourquoi tant de réticence à voir que si le “populisme” progresse, c’est peut-être tout simplement parce que le modèle démocratique est en crise ? Pourquoi ne pas accepter l’idée que ce n’est pas nécessairement la démocratie qui rebute mais plutôt son incapacité croissante à défendre les valeurs sur lesquelles elle est fondée, et sa tendance à jargonner plutôt qu'à appeler les choses par leur nom ? Les succès électoraux des Trump, Orban, Salvini et compagnie ne sont-ils pas l’expression d’un mouvement de rejet vis à vis des politiciens classiques, aussi verbeux et démagogues en promesses qu’ils sont indéterminés, pusillanimes et inertes dans l’action ? En un mot le “triomphe des Lumières” est-il un acquis irréfragable, une certitude intangible ?

Au chapitre de l’humanisme, le dernier, Pinker achève de déconstruire la logique sur laquelle il s’appuyait et montre beaucoup de subjectivité pour vanter les vertus de l’athéisme. On pourrait trouver le thème hors sujet s’il n’en faisait pas un des moteurs essentiels du progrès, allant jusqu’à prétendre que “les pays les plus éduqués, ont un taux de religiosité faible” ce qu’il attribue à “l’effet Flynn”. Ce constat l’amène in fine à conclure assez monstrueusement que “lorsque les pays deviennent plus intelligents, ils se détournent de Dieu…”

N’est-ce pas plus prosaïquement la prospérité et le bien-être matériel qui détourne nombre de gens de la vie spirituelle, et en fait d'ailleurs plus des païens jouisseurs que des athées convaincus ?
A l’appui de sa thèse, l’auteur évoque avec un brin de satisfaction “la décroissance du nombre de croyants dans le monde au cours du XXè siècle.../… et le taux d’athéisme qui a été multiplié par 500 et qui a encore doublé depuis le début du XXIè siècle”. Détail amusant, il tire ces chiffres de sondages dont il nous dit “qu’ils utilisent des méthodes astucieuses pour contourner la réticence des gens à se dire ouvertement athées…” Belle preuve d’impartialité !
Pour parachever sa démonstration, Pinker assène lourdement que la morale théiste serait affublée de 2 défauts rédhibitoires : Primo, “il n’y a aucune bonne raison de croire que Dieu existe”. Pour preuve, “les arguments cosmologiques et ontologiques pour l’existence de Dieu sont contraires à la logique et l’argument du dessein divin a été réfuté par Darwin”.
Secundo, même si Dieu existait, sa morale serait inopérante, surtout transmise par le biais des textes sacrés et des religions qui ont permis de commettre, voire encouragé, tant d’atrocités au nom de Dieu. De toute manière, Pinker en est certain, il n’est pas besoin de craindre un châtiment divin pour obéir à la morale et s’empêcher de violer, de tuer ou de torturer.
On est éberlué devant le simplisme de la réflexion qui en toute logique conforte l’auteur dans l’idée que l’humanisme pourrait exister sans Dieu (good without God) et qu’il est possible d’asseoir la morale sur des bases rationnelles. Hélas, contrairement à ce qui est ici prétendu, le passé a montré que les régimes athées, soi-disant épris de bonnes intentions et de bons sentiments, étaient les plus férocement anti-humains.
Sur l’islam et son regain actuel, dans sa version la plus rétrograde et obscurantiste, l’auteur paraît songeur, voire un peu gêné, ce qui ne l’empêche pas de minimiser le péril. S’il déplore le caractère anti-humaniste des prêches les plus radicaux et la croyance qu’ont les musulmans dans l’infaillibilité du Coran, il considère que l’essor de cette religion serait dû notamment “aux interventions malencontreuses des occidentaux, tels le démembrement de l’empire ottoman, le soutien aux moudjahidines anti-soviétiques en Afghanistan, l’invasion de l’Irak…”
Il espère toutefois que l’islam moderne, issu de la civilisation arabe classique qui fut par le passé “un haut lieu de la science et de la philosophie séculière”, saura mettre fin à ses dogmes rigoristes et il ne désespère pas de voir les idées et valeurs occidentales progresser peu à peu dans le monde musulman par “diffusion et percolation”. Anecdote croustillante qui révèle une naïveté confondante, il rapporte à cette occasion qu’on a découvert dans la cache de Ben Laden un ouvrage de Noam Chomsky !

Au total, le pavé de connaissances et de raison qui devait démontrer le triomphe des Lumières dans la longue quête de Progrès se termine en assommoir pontifiant. Après avoir ingurgité patiemment nombre de graphiques et de chiffres, l’esprit est littéralement enseveli sous les truismes en tous genres, des plus tautologiques aux plus grotesques et partisans. En fin de compte, avec de tels dérapages, rien n’est moins assuré que le triomphe annoncé, ce pourquoi le titre de ces billets porte un point d’interrogation. Il reste encore l’espoir que l’héritage des Lumières soit assez solide pour qu’il survive aux coups de boutoirs des révolutionnaires et des idéalistes de tout poil, dont le péché commun est de faire passer leurs utopies avant le pragmatisme, quitte à mépriser l’expérience et la connaissance des faits. Il y aurait beaucoup à dire sur les légions d’intellectuels occidentaux qui exècrent par pure construction idéologique leur propre société et idéalisent celle de leurs ennemis. Pinker le déplore mais ne fait qu’effleurer le sujet. Encore se trompe-t-il trop souvent de cible, en désignant des boucs émissaires tels Nietzsche à propos duquel il se déchaine en critiques virulentes, venant un peu comme des cheveux sur la soupe. On comprend vite qu’elle exprime la détestation de l’auteur pour le populisme. Au passage, la brillante romancière libérale Ayn Rand (auteur du colossal Atlas Shrugged) est également éreintée, ainsi à nouveau que le pauvre Trump, dans lequel Pinker voit “le jaillissement de tribalisme et d’autoritarisme depuis les recoins sombres de la psyché.”
Il est vraiment dommage de tomber si bas lorsqu’on avait l’ambition de monter si haut, et si quelques uns des constats énumérés dans l’ouvrage restent bienvenus, on laissera notre adorateur des Lumières perdre sa raison dans de vaines controverses politiques et peut-être complètement s’égarer dans ses fumeuses théories cosmologiques selon lesquelles “le multivers serait la théorie la plus simple de la réalité...”

28 janvier 2020

Le Triomphe Des Lumières ? (1)

Par les temps de morosité sociale, de mécontentement quasi permanent et de rabâchages quotidiens au sujet d’un monde qui serait condamné à la catastrophe, certaines lectures pourraient être revigorantes, laissant entrevoir un espoir à travers la sinistrose.
L’optimisme “raisonné” dont fait preuve Steven Pinker dans un de ses derniers ouvrages à succès intitulé “Le Triomphe des Lumières” est à ce titre plutôt appréciable.
Pour confirmer cette impression, il faut évidemment avoir le courage de s’enquiller les quelques six cents pages (dont une centaine consacrées aux références bibliographiques !) de ce pavé à la rigueur souvent austère, et croire au pouvoir de la raison plutôt qu’à celui des croyances et des idées reçues. Il faut être sensible aux démonstrations chiffrées, car le livre en regorge. A l’appui de son propos, Pinker use en effet (et abuse peut-être un peu) des graphiques, car selon lui, tout est quantifiable et facile à mettre en courbe, y compris le bonheur.
C’est ainsi que défilent tous les thèmes sociétaux, passés au triple prisme de la Raison, de la Science, et de l’Humanisme: vie, santé, subsistance, prospérité, inégalités, environnement, paix, sécurité, terrorisme, démocratie, savoir, qualité de vie.
Et au travers de cette optique, si l’on regarde “objectivement les choses, tout ne va pas si mal…”

Avant de rentrer dans le vif du sujet, l’auteur rappelle ce que sont les fameuses “Lumières”. il n’apporte en la matière rien de nouveau à la magistrale analyse qu’en fit Kant, mais on sourit d’aise à la belle définition de Thomas Jefferson, liant lumière et progrès : “celui qui reçoit une idée de moi l’ajoute à son savoir sans diminuer le mien; tout comme celui qui allume sa bougie à la mienne reçoit la lumière sans me plonger dans la pénombre…”
Dans le chapitre suivant, consacré à la progressophobie, on trouve une diatribe assez juste sur les intellectuels dits “progressistes” qui ne cessent paradoxalement de dénigrer le progrès à tout bout de champ, tout en profitant sans vergogne à titre personnel de ses bienfaits. Les mêmes se comportent en prophètes de malheur, ressassant obsessionnellement la faillite du modèle fondé sur la démocratie, le libéralisme et le capitalisme, et Pinker flétrit au passage les médias qui relatent complaisamment à leur suite le mythe du déclin. Pour assoir ce constat, il analyse ainsi la teneur des articles paru dans le New York Times de 1945 à 2005, en “recensant les occurrences et le contexte dans lequel apparaissent des mots ayant des connotations positives ou négatives” et en tire des scores qu’il traduit en graphique. La démonstration est sans appel: d’une note oscillant entre 2 et 3 dans l’immédiat après guerre, on est passé à -3 de nos jours !
Tout l’ouvrage est à la mesure de ce procédé, bluffant, mais un tantinet caricatural, qui conduit en définitive à conclure que “le monde a fait des progrès spectaculaires dans chaque domaine mesurable du bien-être humain sans exception, mais [que] presque personne n’est au courant…”

Il y a dans cette démonstration beaucoup de constats pertinents, mais également quelques excès voire contradictions qui atténuent singulièrement la force du raisonnement. Commençons par les premiers.
S’agissant de “la richesse des nations”, par exemple, rien à dire, puisqu’il s'agit de remettre à l’endroit certaines réalités trop souvent occultées ou carrément travesties. Par exemple lorsqu’il est rappellé que “sur les 70 millions de personnes mortes de famine au cours du XXè siècle, 80% ont été victimes de la collectivisation forcée, des confiscations punitives et de la planification centrale totalitaire imposées par les régimes communistes.” Ou bien lorsqu’on lit cette remarque sarcastique à propos de Mao, longtemps encensé par les intellectuels de gauche, alors qu’il fut un des plus sanguinaires tyrans que la terre ait porté : “en 1976, [il] changea à lui seul et de façon spectaculaire le cours de la pauvreté dans le monde, par un acte simple, il mourut..”
Même si ces affirmations devraient relever de l’évidence, cela fait quand même plaisir à lire. Tout comme les constats qui devraient couler de source, affirmant que “les avantages économiques du capitalisme sont si évidents qu’ils n’ont pas besoin d’être mis en évidence par des chiffres”, et que “le monde est environ 100 fois plus riche qu’il y a deux cents ans, la part de l’humanité vivant dans l’extrême pauvreté étant passée de 90% à moins de 10%”. Hélas ces faits sont quasi quotidiennement niés par de prétendus savants, bourrés de préjugés et de parti-pris idéologiques...

S’agissant des inégalités, thème à la mode s’il en est, le propos est du même tonneau. Elles ne sont “pas en soi moralement condamnables” et ceux qui comme le très surestimé Piketty entretiennent la confusion entre inégalité et pauvreté, ne font que propager un sophisme connu sous le nom de lump fallacy. Cette absurdité veut que la quantité de richesse soit fixe et que l’enrichissement des uns se fasse nécessairement au dépens des autres. Rien de plus faux évidemment et l’auteur rappelle à cette occasion en citant Seidel : “que tous ceux qui appellent de leurs vœux une plus grande égalité économique feraient bien de se rappeler qu’à de rares exceptions près, elle n’a jamais été engendrée autrement que dans la douleur…”

Sur l’environnement et les écologistes le propos de Pinker est un peu plus déroutant. Il commence par fustiger la “croisade fanatique” que certains tels Steward Brand ont entrepris. A cette occasion, il n’hésite pas à mettre dans le même panier des activistes Al Gore, Unabomber, et le pape François ! En substance, “Les justiciers climatiques” voudraient qu’au lieu d’enrichir les pays pauvres, on appauvrisse les pays riches.
Sous l’éclairage de courbes et de chiffres difficilement contestables, on découvre que la pollution n’a pas cessé de diminuer. Un seul exemple, depuis les années 70 les États-Unis ont réduit des deux tiers leurs émissions de cinq polluants atmosphériques, alors que la population dans le même temps s’est accrue de 40% ! Il n’y a donc pas lieu de manifester un pessimisme alarmiste, d’autant que le développement de l’économie numérique devrait permettre de progresser encore en dématérialisant nombre de procédures matérielles.
Toutefois, Pinker fait également preuve d’un étonnant manichéisme, le conduisant par exemple à déplorer, face au réchauffement climatique et aux méfaits du carbone, “le déni des géants de l’énergie et de la Droite politique”, oubliant au passage que c’est le président Obama, son idole, qui a ouvert largement la voie à l’exploitation du gaz de schiste.
Revenant tout à coup à l’idéologie politique, il préconise également le recours massif aux taxes punitives, notamment sur l’utilisation de produits carbonés… Lui le libéral affirmé devient soudain le partisan de règles contraignantes et d’un étroit encadrement des comportements par l’État. Et c’est là que surgissent dans le discours certaines incongruités, parfois au détriment de l’impartialité, et que les choses commencent à se gâter... (à suivre)

18 janvier 2020

Expectatives 3

A part ça tout va bien madame la marquise... Si l’on excepte évidemment les gigantesques incendies qui ravagent depuis quelques semaines une partie de l’Australie. Les images pour l’occasion sont à foison, et elles ne laissent pas d’impressionner, donnant à certains un avant-goût de l’enfer. Le plus terrible étant toutefois l’impuissance apparente des pouvoirs publics à contenir ces feux géants, dont on nous dit qu’ils risquent de durer encore longtemps voire de s’amplifier.
Nul doute, il s’agit bien d’un désastre. Tout le monde est bien d’accord sur cela. Qu’on y songe : pour l’heure, une superficie grande comme l’Irlande a déjà été “rayée de la carte” comme ils disent ! Des habitations dévastées, une végétation consumée à perte de vue, des victimes humaines et un nombre incalculable d’animaux carbonisés ou étouffés. Les supputations vont bon train. On parle d’un demi milliard de bêtes occises. Comment ce compte a-t-il été fait peu importe. A-t-on compté les insectes, on s’en tamponne. Il faut du chiffre on en a, c’est l’essentiel.
Dans la confusion, et comme si cela ne suffisait pas, on nous annonce que des “snipers” ont été commandités pour abattre 10.000 dromadaires ! Il semble que cela n’ait aucun rapport avec le reste, mais tant pis, cela ne peut qu’apporter de l’eau, dont on a plus que jamais besoin, au moulin des écologistes atterrés de voir ces coups ainsi portés à la planète.
Nul besoin pour eux d’aller chercher loin le coupable, il est là, terrifiant dans toute sa puissance et son impunité : le réchauffement climatique !
Inutile d’argumenter devant une telle évidence. On avait déjà "des dizaines de milliers de scientifiques" à l’appui de cette thèse, cette fois le forfait est commis au grand jour. Des températures largement supérieures à 40°C ont été relevées, preuve irréfutable qu’à côté d’un brasier, ça chauffe…

Foin de provocation, admettons que le climat joue un rôle dans le développement de ces catastrophes, voire même que l'Humanité ait une part de responsabilité. Mais une fois qu’on a dit ça, que fait-on ? Continue-t-on de croire que les incendies s’allument tout seuls et que la combustion spontanée soit une fatalité satanique ourdie par Trump, Bolsonaro & Co ? Feint-on de penser qu’il suffise d’enrayer la montée des températures sur la planète pour résoudre le problème ? Qu’il suffise pour cela d’ordonner la décroissance économique, de mettre à terre le Grand Capital, et de revenir au bon vieux temps préindustriel où comme chacun sait, on vivait sereinement d’amour et d’eau fraîche ?
Ou bien va-t-on commencer enfin à se dire qu’il y a peut-être des solutions plus pragmatiques que les anathèmes pour empêcher les pyromanes criminels ou inconscients de jouer avec le feu, pour éviter la propagation insensée des flammes, ou à l’inverse d‘empêcher le déferlement anarchique des eaux de pluie débordant des fleuves et autres tempétueuses submersions côtières ? Pour rendre grâce aux mânes de Darwin, saura-t-on mettre à profit nos capacités adaptatives, source d’évolution créatrice, ou bien donnera-t-on  libre cours à nos pulsions destructrices pour faire la révolution, cause à coup sûr de malheurs et de mort ?

A côté de ces enjeux planétaires, les remous de l’affaire Matzneff qui n’en finissent pas d’éclabousser le landerneau médiatique franchouillard paraissent bien ridicules.
Pour dérisoires qu’ils soient, ils sont parfois cause d’amusement, tant ils sont révélateurs de l’éternelle sottise du conformisme sociétal, même lorsqu’il verse dans la transgression. L’heure est à l’exhumation des cadavres exquis d’une époque où le dernier chic intellectuel était justement de déborder les limites de la morale judéo-chrétienne et de l'ordre réactionnaire. En 1977, une pétition parue dans les journaux de la gauche bourgeoise bien pensante Le Monde et Libération, prenait ingénument la défense de trois obscurs quidams coupables «d’attentats à la pudeur sans violence sur mineurs de [moins de] 15 ans».
Certains signataires, tel Bernard Kouchner, clament aujourd’hui leur innocence avec une candeur qui confine soit à la lâcheté soit à la friponnerie, au choix. L’ancien ministre pour sa défense, ose en effet affirmer qu’il n’avait pas lu le texte, et qu’il l’avait ratifié à la demande expresse de son ami Jack Lang. Quelle excuse ! Il fallait oser... D'autres, tels Sollers "ne se souviennent plus bien" tant ils avaient l'habitude de signer des pétitions... Aveu tardif mais réjouissant d'une inconséquence qui fut portée jusqu'aux cimes de la cuistrerie  !
Toujours est-il qu’on peut prendre connaissance avec délectation de ce texte récemment ressorti des archives, écrit paraît-il par Matzneff en personne, et surtout de la liste de ses 67 signataires, rassemblant la fine fleur de ce "peuple de gauche" qui nous a tellement bassinés avec ses leçons de morale politique et de justice sociale. Quelques noms parmi les plus connus, pour mémoire : Kouchner, Bory, Beauvoir, Sartre, Barthes, Lang, Guattari, Deleuze Aragon, Sollers, Glucksmann, Rancière, Chéreau, Chatelet, Hocquenghem...