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22 février 2010

Simple traversée des apparences


Entendu mercredi matin 17/02, sur France Inter, lors de l'émission animée par Nicolas Demorand : Laurent Fabius s'inquiéte que M. Axel Weber, président de la Deutsche Bundesbank, puisse remplacer prochainement M. Trichet à la tête de la BCE. Non pas parce qu'il est allemand s'empresse-t-il de préciser, mais parce qu'il s'agit d'un «Orthodoxe absolu» et qu'avec lui ce serait l'horreur, à savoir : « rigueur, rigueur, les traités, la BCE en première ligne... et le gouvernement économique je ne veux pas en entendre parler. »
M. Fabius souhaite à l'évidence plus de souplesse, plus de liberté pour les Etats et il termine son réquisitoire en clamant haut et fort que « La banque centrale doit être responsable devant les autorités politiques »
A ses yeux, quelqu'un qui souhaite appliquer les règles avalisées et votées par les membres de la Communauté Européenne est donc par nature, néfaste. Très étrange tout de même, surtout dans la bouche d'un ancien ministre de l'économie et premier ministre, qui avec tant d'autres déplore le manque de sérieux des marchés et réclame régulièrement à grands cris « plus de régulations, plus de réglementations et de contrôles » !
Quelques instants plus tard M. Fabius, très en verve s'avance encore plus loin dans l'absurdité en soutenant que « personne de sensé aujourd'hui ne pourrait soutenir qu'il faille une économie qui réponde à la concurrence libre et non faussée. »
Ah bon ? Faut-il comprendre qu'il appelle donc de ses vœux, une concurrence biaisée, et asphyxiée dans les contraintes ! Décidément les Socialistes étonneront toujours, par leur inconséquence et par le refus de voir la réalité en face, ou plutôt par leur désinvolture pour s'en accommoder en l'occultant quand elle les dérange...
Peu avant, dans sa revue de presse très subjective, le chroniqueur Bruno Duvic faisait état de la montée de la violence dans les collèges et les lycées, et s'alarmait du jeune âge des délinquants et de la brutalité des actes, dépassant semble-t-il largement le stade des « incivilités ».
Citant par exemple une enquête de l'Express titrée : "Violence : l'école désarmée", il citait pêle-mêle : « le quotidien, qui mine la vie des profs : les crachats, les pneus crevés, les bousculades, les doigts d'honneur, la peur de tourner le dos à la classe... »
Reprenant les propos du magazine, il évoquait ensuite "La violence qui change". "Elle est plus collective : des groupes s'attaquent à un individu. Du coup, les dégâts sont plus importants car à plusieurs on ose davantage. Autre particularité : on s'en prend de plus en plus aux institutions (l'école et ses représentants). Colère de personnes qui ne se sentent pas 'intégrées au système' (entre guillemets").

Puis, tout à coup, il changeait de cap « sans transition », se mettant avec force références sarcastiques, à évoquer le nombre croissant de gardes à vue, ébauchant une critique guère voilée de la « politique du chiffre ». Dans le même temps, comme pour enfoncer le clou, il insistait sur le jeune âge des personnes concernées : «
Ce qui est en débat notamment, c'est le placement en garde à vue d'adolescents de plus en plus jeunes. » Pour alléger le climat, il citait alors le dessin de Pancho, à la Une du Canard Enchaîné cette semaine : Une maman promène son bébé dans une poussette. Elle croise une autre dame, qui se penche sur la poussette : "Oh qu'il est mignon ! Est-ce qu'il a déjà fait de la garde à vue ?"
Mais à aucun moment il ne fit le rapprochement pourtant logique, entre une délinquance juvénile en hausse permanente, au point de faire quasi quotidiennement les titres des quotidiens, et l'augmentation des interpellations policières « d'adultes de plus en plus jeunes et d'adolescents ».
Les gardes à vue ne constituent sûrement pas la solution au problème de la délinquance puisqu'elles n'en sont qu'une des conséquences, mais peut-être faudrait-il enfin se donner les moyens de restaurer l'autorité dans les écoles, dans les familles et d'une manière générale dans la société... Ni le laxisme lénifiant des théories de la prévention, ni la manie très actuelle de créer à tout bout de champ des régulations et des lois ne sauraient suffire à endiguer ce fléau croissant. Pour éviter une répression brutale qui serait le terme inévitable de la spirale, peut-être faudrait-il envisager de restaurer avec pragmatisme, le sens des responsabilités...

22 novembre 2009

Contes de la folie ordinaire


Le Foot, est devenu comparable aux jeux du cirque. Le déluge médiatique autour de la main de Thierry Henry (aussi soudain qu'éphémère), est à la mesure de la déraison qui touche ce microcosme, et d'une manière générale, le monde contemporain. La débilité des médias et des journalistes apparaît en de telles circonstances assez colossale, qui vont jusqu'à interroger le Président de la République sur la portée de l'évènement ! N'étaient ce délire verbal et les excès financiers vertigineux qu'elle sous-tend, cette main, qui n'a vraiment rien de celle d'Adam Smith, ne me ferait ni chaud ni froid. Mais grâce à ce petit but qui ouvre à l'équipe de France la perspective de disputer la Coupe du Monde, l'entraineur va toucher un jackpot de près d'un million d'euros. Quant aux joueurs, même ceux qui ne faisaient jusque là que de la figuration sur le banc de touche, empocheront paraît-il plus de 250.000 euros chacun ! Tout cela n'est pas la faute à une main, et pas davantage au libéralisme. C'est juste insensé.
Ailleurs, mais dans le même théâtre dénué de bon sens, on flétrit une entreprise qui n'avait rien trouvé de plus original que de distribuer de l'argent dans la rue, au motif que l'ordre public s'en est trouvé altéré. Tout en minimisant l'extrême violence dont se sont rendues coupables les brutes imbéciles accourues pour tout casser, à l'annonce de cette manne. Pour stupide que fut l'idée de départ, rien ne justifie les dégradations et le déchainement de barbarie, vus ce jour là. Affligeant et inquiétant spectacle, évoquant des mœurs vraiment primitives... Quel est donc l'intérêt d'un débat sur l'identité nationale, lorsque le quotidien est à ce niveau d'abjection ?
Pendant ce temps, le verdict de l'affaire AZF tombe enfin. Huit ans après le drame qui coûta la vie à 30 personnes, et fit des centaines de blessés. Problème : en dépit d'une très longue enquête, on ne sait toujours pas bien ce qui s'est passé ! Le tribunal en a tenu compte, mais la colère populaire se déchaine. Peu importe que la firme pétrolière ait déjà versé plus de 2 milliards d'euros pour dédommager les victimes, peu importe qu'on ne soit pas parvenu à élucider les causes de la catastrophe. Cela ne peut être un aléas, c'est forcément un crime. Il faut un coupable et TOTAL a le profil idéal. Le monstre, désigné dès le jour même des faits, doit être condamné.
On avait déjà vu cette soif de vengeance, ce parti-pris aveugle vis à vis d'entreprises incarnant semble-t-il par axiome, le mal. Les laboratoires pharmaceutiques endossent régulièrement ce rôle. Ils furent par exemple condamnés pour avoir provoqué la sclérose en plaques, par le biais du vaccin contre l'hépatite B. Tout portait à croire pourtant, qu'il n'y avait aucun lien entre les deux, mais en vertu d'un principe de précaution poussé à l'extrême, leur culpabilité fut tout de même prononcée, discréditant dans le même temps, un traitement essentiel dans une maladie grave. Il ne faut pas trop s'étonner que le doute se saisisse des foules, au moment où on leur demande de se faire vacciner en masse contre le virus H1N1, responsable d'une simple grippe, par un produit qui peut paraît-il provoquer la neuropathie de Guillain-Barré,...
Au terme de deux mois de cavale, Jean-Pierre Treiber est capturé. La réaction de Roland Giraud le père d'une des victimes plus que probables de ce sinistre individu, est hautement significative : « j'ai très mal vécu ce qu'ont fait les médias, tous les médias qui ont transformé en pantalonnade cette horreur et je me réjouis que les services de police aient enfin réussi ».
La tendance a faire des brigands des héros romantiques est ancienne et s'inscrit dans ce qu'on pourrait appeler la « fascination du pire » (pour reprendre le beau titre d'un mauvais livre de Florian Zeller). C'est assez niais en général, mais lorsque s'ajoute la complaisance manifestée ces dernières semaines à propos de Treiber, cela devient effectivement obscène.
Image : Masque Grotesque en grès émaillé, par Jean Carriès (1855-1894)

07 février 2008

Des jugements peu cartésiens


Une fois encore la France semble avoir décidé de tourner le dos aux principes de raisonnement logique qui forment pourtant le meilleur de la philosophie cartésienne.
Deux affaires en Santé publique, faisant ces derniers jours les gros titres de la Presse illustrent la faillite de l'esprit critique et sans doute de tout un système de pensée, régnant dans notre pays.
La première rappelle à la mémoire publique l'affreux épisode de l'hormone de croissance, qui il y a près de 25 ans, vit la contamination de 115 enfants par le prion de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ).
Cent-quinze malheureux dont le drame était de ne pas être assez grands, et à qui on avait administré, pour tenter de conjurer cette disgrâce le substrat, extrait de l'hypophyse de cadavres humains, faute de pouvoir à l'époque en faire la synthèse artificielle.
Avec la même désinvolture qui conduisit au scandale quasi contemporain du sang contaminé, on négligea le risque de transmettre l'agent responsable de la
MCJ. Or ce risque était impossible à ignorer, car cette forme de dégénérescence cérébrale et sa nature transmissible étaient connues depuis 1920 !
Non seulement on oublia que le germe, un prion, avait une sorte d'affinité pour le système nerveux central, mais on multiplia le risque en allant prélever les dites hypophyses au mépris du plus élémentaire des principes de précaution. Pour satisfaire les demandes qu'on avait encouragées, et sans doute aussi pour asseoir le plus vite possible une réputation scientifique, on alla en effet jusqu'à extraire l'hormone de la cervelle de patients décédés dans des asiles d'aliénés ! Or la bestiole provoque précisément chez ses victimes une terrible démence, aboutissant en quelques mois à la mort.
Le résultat de cette stratégie hallucinante est un vrai drame : à ce jour 115 morts sur les quelques 1700 patients « traités ». Et la preuve que notre pays a dans le domaine une responsabilité toute particulière : il totalise à lui seul les trois-quarts des victimes enregistrées dans l'ensemble du monde !
Il a fallu pourtant attendre près d'un quart de siècle pour que cette sinistre histoire soit enfin jugée. Mais au fait, qui est responsable de ce désastre ? Les médecins qui clament leur innocence, où bien l'administration anonyme pudiquement dénommée « France-Hypophyse » à laquelle l'Etat avait accordé le monopole de la collecte et de la prescription ? Il y a fort à parier qu'à l'instar de l'affaire du sang contaminé, sauf à trouver un bouc émissaire, les condamnations soient symboliques (« responsables mais pas coupables »)...
Tranchant avec cette terrible catastrophe en santé publique, on apprenait simultanément, 14 ans après la campagne nationale de vaccination contre l'hépatite B, que les responsables de deux laboratoires pharmaceutiques, GSK et MSD, ayant mis au point et commercialisé le vaccin, avaient été mis en examen jeudi 31 janvier pour « tromperie sur les contrôles, les risques et les qualités substantielles d'un produit ayant eu pour conséquence de le rendre dangereux pour la santé de l'homme ».
Derrière cette accusation, on retrouve la croyance tenace que ce vaccin puisse occasionner au chapitre des effets indésirables, la survenue d'une sclérose en plaque.
Il faut en l'occurrence bien dire « croyance » car aucun fait objectif n'est venu la confirmer, bien au contraire. Si des soupçons pouvaient à la rigueur être portés à un certain moment, ils ont été levés par plusieurs études scientifiques internationales, qui dès 2001* disculpaient totalement le médicament.
Il n'est pas inutile non plus de préciser que l'hépatite virale B, contre laquelle le vaccin est censé lutter, constitue un fléau autrement plus grave que la petite taille. Elle occasionne des hépatites transmissibles souvent sévères, évoluant soit vers la défaillance hépatique aiguë, soit vers la chronicité, soit vers la cirrhose, soit encore vers le cancer et donc la mort (350 millions de porteurs chroniques dans le monde et seconde cause reconnue de cancer).
Face à cette affection fréquente et grave, le vaccin est d'une remarquable efficacité préventive. Pourtant il fut discrédité par la force de la rumeur publique (teintée d'un fort part-pris idéologique).
En juin 1998, le laboratoire Beecham fut accusé une première fois sans aucune preuve scientifique, au nom du seul principe de précaution ! Le laboratoire mis en cause fut condamné par le tribunal de Nanterre à payer des provisions de 50 000 F et 80 000 F à deux plaignants. Dans la foulée, le ministre de la santé Bernard Kouchner suspendit dès le 1er octobre de la même année les campagnes de vaccination dans les écoles.
En 4 ans, de 1994 à 1998, plus de 25 millions de Français furent néanmoins vaccinés et on compte à ce jour, 27 plaintes pour apparition de sclérose en plaques, un chiffre infinitésimal et non supérieur à celui qui existe dans une population non vaccinée...
Quel est donc ce mystère qui fait qu'on condamne sur des a priori grotesques et qu'on soit si peu enclin à reconnaître des responsabilités évidentes ?
Les êtres humains n'étant ni pires ni meilleurs qu'ailleurs, il faut bien subodorer que le système dans lequel ils évoluent soit propice à la survenue de telles aberrations.
Le fait par exemple que la puissance supposée de l'Etat soit telle, qu'il se croit autorisé à tout réglementer et que tant de gens soient abusés par cette totipotence douce et bien intentionnée. Le fait que les citoyens soient tellement habitués à cette présence qu'ils s'en remettent à lui en toute circonstance. Et que lorsqu'ils se plaignent c'est habituellement pour réclamer plus d'Etat, rarement moins. Du nuage de Tchernobyl en passant par le Pouvoir d'Achat, du réchauffement climatique à la grippe aviaire, de la Santé à l'Education, de l'enfance à la vieillesse, il est supposé pouvoir résoudre tous les problèmes.
Corollaire logique, tout ce qui n'est pas d'essence étatique est suspect, soit d'enrichissement abusif, soit de malversation, soit de perversion intellectuelle soit de tromperie.

En somme l'Etat en France répond aujourd'hui presque parfaitement à la définition que donnait Tocqueville, du gentil monstre dont il redoutait l'avènement, l'Etat Providence déresponsabilisant :
« Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, prévoyant, régulier et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance; il aime que les citoyens se réjouissent pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »
* :Nature Medicine - Septembre 99 - "No increase in demyelinating diseases after hepatitis B vaccination" - John G.Weil & al.
The New England Journal of Medicine - February 1, 2001 - Vol. 344, No. 5

15 janvier 2007

Morituri te salutant


Plusieurs évènements récents amènent à se pencher une fois encore sur la légitimité de la peine de mort, en essayant d'éviter de tomber dans les lieux communs de la sensiblerie ou dans des a priori par trop idéologiques :
- Saddam Hussein au terme d'un long procès a fini sa vie au bout d'une corde.
- Aussi incroyable que cela paraisse, dans notre bonne ville de Rouen, un détenu après avoir tué son voisin de cellule s'est livré sur lui à des actes de cannibalisme !
- Enfin, le président de la République s'est donné parmi ses dernières missions régaliennes, celle d'inscrire dans le marbre de la constitution française l'abolition « définitive » de la peine capitale.
La France est bien vertueuse. Certaine de détenir la vérité intangible en la matière, elle se répand en leçons à qui veut les entendre. Peut-être est-elle d'autant plus arrogante qu'elle a beaucoup à se faire pardonner.
N'est-ce pas elle qui scella il y a deux siècles à peine, avec le « sang impur » de gens trop bien nés, les fondations de sa grotesque première république ?
N'est-ce pas elle qui en 1793, fit de la terreur un système de gouvernement, et qui en abandonna la responsabilité à une bande d'abrutis « barbouilleurs de lois » avides avant tout d'ordonner « l'interruption de vie » de tous les malheureux dont le seul crime était de penser différemment d'eux. Les colonnes infernales de Vendée, les ignobles mariages républicains de Carrier à Nantes, les tribunaux expéditifs de Fouquier-Tainville, la folie purificatrice des Robespierre, Saint-Just et autres Marat, tout cela n'est pas si loin.
Pour paraphraser l'infortunée madame Rolland, combien de crimes l'Etat a-t-il commis au nom de la Liberté chérie ?
Il n'y a guère plus de 50 ans, après la libération du pays de l'occupation nazie, n'est-ce pas en France encore qu'on vit, suite à des accusations non vérifiées, ou à des ragots inspirés par le plus vil des désirs de vengeance, des femmes humiliées, violées, tondues, des exécutions sommaires, et le retour de sinistres tribunaux d'exception assassinant « légalement » à tour de bras des gens au motif le plus souvent douteux « d'intelligence avec l'ennemi » et des écrivains pour simple délit d'opinion : Paul Chack par exemple fusillé parce qu'il était anti-bolchévique, ou encore Robert Brasillach, condamné à mort pour quelques phrases insensées, le jour même de l'ouverture de son procès, après une délibération de vingt minutes !
Très indulgente avec son passé, la France condamne aujourd'hui avec la plus ferme intransigeance les Etats-Unis qui avaient pourtant aboli la peine de mort depuis beaucoup plus longtemps qu'elle (dès 1840 pour le Michigan !) et qui de toute manière en avaient toujours fait un usage plus parcimonieux que l'ensemble des pays européens.
L'Amérique a cru bon de rétablir ce châtiment en 1976. Encore faut-il préciser que l'application de cette décision résulte d'un processus parfaitement démocratique, qu'elle ne concerne que 38 états et qu'elle est toujours susceptible d'être revue en fonction des circonstances. Ce qui fait en effet la particularité des Etats-Unis, c'est qu'ils évitent d'ériger en loi de simples préjugés, et surtout qu'ils respectent autant que faire se peut, la volonté populaire.

L'arrogance de nos dirigeants actuels apparaît bien éloignée de l'humilité de ceux qui envoyèrent Tocqueville en Amérique en 1830 pour analyser sans a priori son système pénitentiaire et qui virent revenir un sage, heureux d'avoir découvert... la Démocratie !

Chacun sait qu'en France la peine de mort a été abolie contre l'opinion majoritaire des Français.

Et bien que les choses soient donc en passe d'être entérinées sans retour par un Pouvoir imbu de ses certitudes, il est permis de continuer à s'interroger sur cette problématique qui confine au fait de société.
Le terrain est plutôt miné si je puis dire, tant il contient de pseudo-évidences qui constituent autant de chausses-trappes sur le chemin d'un raisonnement serein.
Soyons clair : il est a peu près aussi facile d'être contre la peine de mort que d'être contre la guerre et aussi difficile de proposer dans les deux cas des solutions de rechange crédibles. Au surplus, que l'on soit pour ou contre, dans tous les cas, l'horreur est souvent au bout du chemin. Le choix n'est donc pas manichéen et personne ne peut en la circonstance s'accorder par avance de brevet de bonne moralité.
Les abolitionnistes les plus résolus sont souvent les mêmes qui jugent barbare l'incarcération à perpétuité, et qui s'élèvent vigoureusement contre la construction de prisons au motif que cela empêcherait celle d'écoles ou d'hôpitaux.
Si l'on adopte ce point de vue, il ne reste plus guère d'alternative pour empêcher les meurtriers de nuire ! Sans compter que c'est avec de tels principes, pour le moins hypocrites, qu'on aboutit au surpeuplement et à la dégradation des conditions de vie en milieu pénitentiaire, dont notre pays affiche la triste réalité.
En matière de justice, il paraît indispensable d'éviter tout argument instinctif et le citoyen, lorsqu'il raisonne sur le sujet, se doit absolument de tenter d'extraire sa problématique personnelle du débat. Bien qu'il soit vain de gommer toute préoccupation morale, le souci primordial est d'ordre pragmatique et se résume à une question simple : comment protéger la société, et notamment les plus faibles de ses membres, des agissements de criminels odieux ?
Tant qu'il est impossible de parvenir à changer le comportement de ces derniers sans pour autant dégrader leur personnalité donc l'essence de leur individu, il faut bien se résoudre à les tenir à l'écart de leurs victimes potentielles. La récidive apparaît en effet comme un échec cuisant pour tout système de justice digne de ce nom.
Et lorsqu'on est convaincu que ce risque est majeur, il ne reste qu'une alternative : soit les emprisonner à vie, soit les condamner à mort.
Vu le caractère aléatoire des expertises psychologiques, et compte tenu des données de l'expérience, la moins mauvaise méthode pour jauger ce risque est de l'évaluer en proportion de l'énormité et du degré de préméditation des crimes commis.
Il découle de ce constat qu'en tout état de cause le champ d'application des châtiments suprêmes ne peut qu'être extrêmement restreint. Il exclut à l'évidence les délits d'opinion, et la plupart des crimes passionnels. Restent toutefois passibles de telles sanctions dans une société de liberté et de responsabilité, les crimes terroristes ou pervers.
Plusieurs objections cruciales sont habituellement faites lorsqu'on aborde le sujet de la peine de mort :
-le risque de condamner à tort un innocent
-la cruauté du châtiment
-La valeur sacrée de la vie
Il est certain que la perspective de l'erreur judiciaire est épouvantable. C'est probablement l'argument principal contre la peine capitale et comme on peut le lire sur le site Wikipedia à propos de cette problématique aux USA: « Le meilleur espoir des abolitionnistes pour espérer faire basculer l'opinion publique en leur faveur demeure la première preuve formelle d'un innocent exécuté par erreur. »
Ce risque est toutefois à mettre en balance avec son opposé, sans doute plus grand, qui consiste à relâcher un criminel, faute d'avoir pu collecter assez de preuves contre lui. Dans les deux cas, il s'agit d'une grave défaillance de la justice. Bizarrement – probablement parce que les effets désastreux sont directement palpables – elle s'avère beaucoup plus troublante dans le premier cas que dans le second. Pourtant la gravité est la même et surtout les conclusions à en tirer sont similaires : ce n'est pas parce qu'on risque de relâcher un assassin qu'il faut garder emprisonnés tous les suspects, et ce n'est pas davantage parce qu'on craint de condamner un innocent qu'il faut cesser de châtier les coupables.
De toute manière, l'abolition de la peine de mort ne prémunit aucunement contre l'erreur judiciaire. On objectera qu'elle a un caractère moins irréversible. Mais sachant la difficulté qu'il y a de remettre en cause un verdict, la perspective d'emprisonner à vie un innocent n'est-elle pas effroyable ? Il suffit d'imaginer le tourment incessant dans la tête du malheureux pour supposer qu'il puisse en venir à souhaiter plutôt mourir...
Ce sont d'ailleurs parfois les détenus qui réclament davantage de courage et de détermination de la part de ceux qui les jugent.
On se souvient de
Gary Gilmore qui en 1976, au moment où la peine de mort était rétablie aux Etats-Unis, refusa tout recours après son jugement et demanda à être exécuté plutôt que de croupir le restant de ses jours en prison.
En France, en janvier 2006, le journal Le Monde publia la pétition de prisonniers condamnés à de longues détentions, qui demandaient le rétablissement de la peine capitale, qualifiant l'emprisonnement de « cruel et hypocrite »...
On pourrait enfin évoquer le choix de
Socrate, qui bien qu'injustement condamné, préféra la mort à l'exil.
Reste la corde sensible de « la valeur sacrée de la vie » que d'aucuns font vibrer avec émotion. Non sans raison car il est vrai qu'il n'est pas dans la nature de la justice d'être cruelle, ni même vengeresse.
Mais en vérité, lorsque la culpabilité ne fait aucun doute, le respect de la vie peut sembler un piètre argument s'il s'agit de celle de brutes inqualifiables qui méprisent généralement jusqu'à la leur, à la manière des kamikazes.
Il paraît d'ailleurs assez incongru dans la bouche d'abolitionnistes qui affirment dans le même temps qu'ils seraient prêts à se faire meurtriers eux-mêmes si on touchait à l'un de leurs enfants... Ou bien lorsqu'ils en font si peu de cas à propos de l'avortement pour convenances personnelles et de l'euthanasie des personnes âgées ou handicapées au motif que ces dernières auraient donné leur accord...
Ces dérives bien intentionnées font froid dans le dos dans une société qui paraît s'enfoncer dans un hédonisme et un matérialisme croissants.
C'est pour toutes ces raisons qu'il paraît un peu vain aujourd'hui de s'apitoyer sur le sort de Saddam Hussein. Certes les conditions de son exécution furent assez déplorables mais sa culpabilité ne faisait aucun doute, son procès fut correct et en définitive le châtiment fut à la mesure des atrocités auxquelles il s'était livré en toute conscience depuis des décennies.
L'affaire du détenu cannibale incite elle à se poser des questions sur les conditions de détention en France. La survenue d'un tel évènement est une honte pour notre système pénitentiaire. Par la même occasion on peut s'interroger sur le devenir d'un monstre capable de tels actes...
En définitive, devant un monde aussi brutal et chaotique, il semble bien téméraire et présomptueux de décréter qu'on puisse définitivement abolir la peine de mort. Il faut sans nul doute tendre vers ce but comme il faut tendre vers la paix perpétuelle, mais il est hélas illusoire d'en faire dès à présent un acquis.

07 octobre 2006

Une théorie de la justice


Le libéralisme est souvent accusé par ses détracteurs d'être injuste ou inégalitaire. Naturellement, les théories philosophiques sur lesquelles il s'appuie sont les cibles de critiques non moins virulentes. Principalement l'Utilitarisme, né en Angleterre au XVIIIè siècle sous l'impulsion de Jeremy Bentham. On reproche notamment à son « principe du plus grand bonheur pour le plus grand nombre» de faire peu de cas de la justice sociale et des droits des minorités.
D'où l'intérêt qu'on se doit de porter à la contribution d'un penseur américain tel que John Rawls (1921-2002), souvent présenté comme utilitariste, épris d'équité. Se réclamant d'une vision pragmatique du monde, mais désireux de la réconcilier avec la morale, il obtint la consécration, notamment auprès des intellectuels de gauche, en publiant une imposante « Théorie de la Justice » en 1971.
La lecture de cette oeuvre s'avère ardue tant elle est touffue, et riche de concepts abstraits ou subjectifs. Autant le dire tout de suite, même avec un a priori favorable, je n'y ai pas trouvé la lumineuse clarté qui fit mes délices en découvrant les écrits de David Hume ou de John Stuart Mill. De ce fait, elle ne répond guère me semble-t-il, à l'esprit de l'utilitarisme qui est avant tout une philosophie pratique, aux concepts facilement compréhensibles et surtout applicables dans la réalité quotidienne.
Il est communément admis que Rawls fonde sa conception de la justice sur deux notions cardinales : Le "principe de liberté", et le "principe de différence". Prenons les séparément afin de les analyser avec un regard de béotien curieux.
Le premier est aisément recevable, bien qu'il soit défini de manière plutôt alambiquée : « Chaque personne a droit à un système pleinement adéquat de libertés de base égales pour tous, compatible avec un même système de liberté pour tous; et dans ce système, la juste valeur des libertés, et de celles-là seulement doit être garantie. » On comprend qu'il se situe dans le droit fil de la conception du droit proposée par Kant (ne pas faire à autrui ce qu'on ne voudrait pas qu'il vous fit, ou encore reconnaître comme juste l'intérêt d'autrui). Il peut également s'inscrire dans la filiation de Montesquieu : « Ma liberté s'arrête là où commence celle de l'autre », qui inspira la déclaration des droits de l'homme en 1789 : « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
Rien de choquant donc, puisqu'il s'agit de la base du contrat social sur lequel repose toute société responsable. Pour garantir la pérennité de cette valeur, Rawls trouve d'ailleurs une formule convaincante : « la liberté ne peut être limitée qu'au nom de la liberté. » L'obligation récente dans laquelle s'est trouvé le gouvernement britannique, réputé tolérant, de sévir face à l'attitude arrogante et violente de certaines communautés islamiques est une application pratique édifiante de ce concept.
Le second principe est en revanche plus ambigu et discutable. Il introduit en effet une notion éminemment subjective, celle de « l'inégalité juste ». Elle peut certes se concevoir comme règle de bon sens lorsqu'il s'agit de pallier un handicap naturel. Par exemple lorsque on offre à des enfants la possibilité d'accéder à un niveau d'études à hauteur de leurs capacités, quelque soit leur statut social.
On est d'ailleurs ici dans une logique parfaitement utilitariste qui consiste, ne serait-ce que dans l'intérêt général, à permettre aux individus de s'épanouir dans les meilleures conditions et de donner le meilleur d'eux-mêmes. C'est en quelque sorte, la fameuse « discrimination positive » si à la mode de nos jours...
Rawls a conscience qu'il est difficile ou utopique de donner à tous une stricte égalité, même réduite aux seuls droits et chances. Il juge nécessaire de préciser qu'il ne s'agit pas supprimer toutes les inégalités : juste celles qui défavorisent certaines personnes, surtout pas celles qui sont justifiées par l'utilité commune.
C'est là que le bât blesse, car tout se tient, et il paraît quasi impossible de distinguer objectivement les inégalités, et de toucher aux unes en respectant les autres. Le risque est donc grand de retomber dans le nivellement égalitaire par le bas, dont on connaît trop bien l'inanité, ou bien dans la facilité de mesures aussi réductrices et perverses que sont les quotas imposés (par sexe, race ou statut social...)
Rawls essaie de se sortir du traquenard intellectuel dans lequel il s'est engagé, en invoquant à son secours le fair-play et ce qu'il appelle le "voile d'ignorance".
L'intérêt de ce raisonnement est qu'il s'adresse à une communauté d'êtres humains responsables, ce qui est en cohérence avec l'objectif principal de la démocratie. Sa faiblesse est qu'on soit malheureusement encore si loin du but...
Du coup le fair-play reste à l'état de voeu pieux...
Quant au voile d'ignorance, il s'apparente à une construction très théorique. Il consiste en effet à postuler que les sujets amenés à prendre une décision, devraient se trouver au plus près d'une position « originelle », indépendante des critères du choix lui-même. Autrement dit, qu'ils soient en mesure d'extraire leur cas personnel de la problématique posée. Selon Rawls, « le voile est une métaphore dont la fonction est de borner l'information disponible, pour mettre en scène des partenaires, responsables des intérêts essentiels des citoyens libres et égaux, en mesure d'avancer une argumentation valide dans un cadre d'équité. »
L'exercice, si tant est qu'on puisse en juger à partir d'une définition aussi sibylline, consiste en quelque sorte à n'être pas à la fois juge et partie. Or il est hélas impossible pour des êtres humains de s'extraire totalement d'une problématique concernant la société dans laquelle ils vivent. La tentation est forte d'affirmer, en s'inspirant du célèbre théorème de Gödel, qu'il restera toujours un degré d'indécidabilité dans ce type de choix.
C'est précisément pour cela que les utilitaristes "classiques" recommandent de se déterminer, non pas en fonction de principes ou d'une justice immanents, mais plus prosaïquement de critères pragmatiques d'efficacité.
On ne doit pas par exemple, décider de la manière de sanctionner les crimes en se réclamant d'une hypothétique justice divine, ni en invoquant le besoin naturel de vengeance ou de revanche, mais en ayant à l'esprit le rapport bénéfices/risques pour la société, le problème étant de quantifier au plus juste ces notions. Ici en simplifiant, on dira qu'il s'agit avant tout de trouver la moins mauvaise solution entre deux écueils : le risque de l'erreur judiciaire et celui de la récidive.
Dans un domaine moins critique, la légitimité de l'impôt de "solidarité" sur la fortune ne devrait pas se poser en teme de justice sociale mais d'efficacité réelle de la mesure, en comparant objectivement les retombées positives et négatives. Il n'a jamais été prouvé qu'on enrichissait les pauvres en appauvrissant les riches...
En définitive, malgré de louables efforts, Rawls peine à se distinguer de John Stuart Mill qui était parfaitement averti de la tendance naturelle des hommes « à croire qu’un sentiment subjectif, si aucune autre explication n’en est donnée, soit la révélation d’une réalité objective ». Pour les utilitaristes dignes de ce nom, l'objectivité constitue depuis toujours un but essentiel.
En toute humilité, ils estiment que c'est à partir de la réalité pratique qu'on l'appréhende le mieux, et qu'on a la meilleure chance ici bas de se rapprocher de la fameuse position originelle de Rawls ou encore du non moins fameux impératif catégorique de Kant. Et ce souci n'exclut aucune considération morale.
C'est vraiment mal connaître les utilitaristes que de les accuser de n'être point humanistes. Une seule phrase de John Stuart Mill décrit suffisamment l'état d'esprit qui animait leur pensée : « entre son propre bonheur et celui des autres, l’utilitarisme exige de l’individu qu’il soit aussi rigoureusement impartial qu’un spectateur désintéressé et bienveillant »
L'apport de John Rawls, même s'il apparaît d'une grande sincérité, est donc quelque peu décevant. Plébiscité dans les années soixante-dix, il est au plan philosophique, comme l'expression de la mauvaise conscience occidentale et plus précisément du doute destructeur qui s'empara du monde anglo-saxon. Au plan stylistique il reste toutefois très dogmatique, ce qui lui valut ce trait assassin de la part de Toni Negri : « Un formalisme fort dans la pensée molle ».
En réclamant la prééminence de la liberté, sa théorie ne peut toutefois être complètement mauvaise.
Si elle donne envie de comprendre l'essence de l'utilitarisme, elle deviendra vertueuse...INDEXLECTURE

23 août 2006

L'enfer est souvent pavé de bonnes intentions

Toujours dans l'Express, Claude Allègre s'interroge gravement au sujet de la peine de mort : en la supprimant, « n'a-t-on pas instauré une torture plus barbare encore ? »
Il rappelle qu'il approuva sans réserve l'abolition, inscrite dans le programme électoral de François Mitterrand en 1981 pour plusieurs raisons : elle rend l'erreur judiciaire moins irréparable tout en n'ayant aucune influence péjorative sur les statistiques de criminalité, et elle prend en compte le bon vieux principe rousseauiste qui veut qu'un homme ne soit jamais « définitivement bon ou mauvais ».
S'il paraît ne pas regretter son choix, il se lamente cependant sur l'alternative retenue : « Pour satisfaire une opinion publique toujours plus répressive et désormais privée de sang, on a institué la réclusion perpétuelle incompressible ». Elle ne fait en effet selon lui que fabriquer « des fauves dangereux » ou « des dépressifs profonds ».
Mais au delà de ces propos quelque peu réducteurs et méprisants pour le peuple, le problème est qu'il ne dit pas ce qu'il faudrait en définitive faire.
Ah ces gens bien intentionnés, qui ne veulent pas de bourreaux parce que c'est inhumain, qui ne veulent pas de « perpète » parce que c'est cruel, et qui ne veulent pas même de prisons parce qu'il vaut mieux construire des écoles et des logements sociaux...
Avec leurs bons sentiments, ont-ils seulement imaginé qu'ils avaient une part de responsabilité dans le grand délabrement de la justice en France ? Les victimes d'assassins récidivistes, les prisons surpeuplées, les outrances judiciaires dont Outreau fut le tragique révélateur, n'ont-elles pas quelque chose à voir avec leurs doutes larmoyants, issus contre toute attente d'une morale somme toute très dogmatique ?
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