De retour de Venise, avant toute chose, c’est le bruit de la circulation automobile qui vous ramène aux dures réalités… Le rêve est bien fini.
Le long des canaux charriant les eaux lourdes d’une Italie hors d’âge, on oublie vite les horribles nuisances de notre univers contemporain. Les turbulents remous des vaporetti qui sillonnent sans cesse à toute allure ces boulevards liquides, la rumeur sourde de la foule qui se presse un peu partout ne parviennent à troubler le charme vénérable et fantasque de cette ville qui ne ressemble à aucune autre.
On dit qu’elle s’enfonce inéluctablement dans la lagune, cette laque tragique qui semble déjà se nourrir des reflets des voûtes marmoréennes des palais antiques, de leurs façades aux couleurs de fruits rouges, de terre et de sang.
Qui sait si les travaux gigantesques entrepris ou prévus pourront préserver ce trésor suspendu entre ciel et mer des lents ravages du temps. Venise est de toute manière une sorte de mirage; l’expression même de la vanité humaine. Paul Morand écrivait, en se comparant en toute modestie à la Sérénissime, qu’elle “résume dans son espace contraint, ma durée sur terre, située elle aussi au milieu du vide, entre les eaux foetales et celles du Styx”...
Plus loin, évoquant le fait qu'elle fut édifiée en dépit du bon sens : “elle a pris le parti des poètes, elle a bâti sur l’eau” (Venises, Gallimard 1971).
Par un paradoxe étonnant, elle a duré plus que maintes citadelles; elle a même très peu changé au fil des siècles. Devenue un musée à ciel ouvert, la cité lacustre a sans doute perdu de son faste et de son lustre. N’empêche, la fascination qu’elle exerce reste forte tant ses pierres savent faire naître l’émotion d’un passé majestueux.
Par un paradoxe étonnant, elle a duré plus que maintes citadelles; elle a même très peu changé au fil des siècles. Devenue un musée à ciel ouvert, la cité lacustre a sans doute perdu de son faste et de son lustre. N’empêche, la fascination qu’elle exerce reste forte tant ses pierres savent faire naître l’émotion d’un passé majestueux.
Il y a bien sûr l’incroyable profusion architecturale que ses hauts lieux vous jette aux yeux, où qu'ils regardent. Il y a cette basilique San Marco, ouvragée jusqu’à la folie, avec sa fabuleuse dentelle d’inspiration byzantine qui rappelle la puissance évanouie d’une religion, devenue l’ombre d’elle-même après avoir incarné le génie triomphant du christianisme.
On compte paraît-il plus de 120 églises dans Venise, et leur style éclatant donne une idée de la puissance passée de la foi. Sur la façade de la basilique on trouve en hommage à l’apôtre évangéliste, les chevaux du fameux quadrige, que les Croisés ramenèrent de Constantinople. Volés par Bonaparte qui les plaça sur l’arc de triomphe du Carrousel, ils retrouvèrent en définitive la cité des doges lors de la déconfiture de l’Empire en 1815. Il y a également ce lion ailé, qui fut la représentation souveraine de l’apôtre avant de devenir celle de la ville.
On compte paraît-il plus de 120 églises dans Venise, et leur style éclatant donne une idée de la puissance passée de la foi. Sur la façade de la basilique on trouve en hommage à l’apôtre évangéliste, les chevaux du fameux quadrige, que les Croisés ramenèrent de Constantinople. Volés par Bonaparte qui les plaça sur l’arc de triomphe du Carrousel, ils retrouvèrent en définitive la cité des doges lors de la déconfiture de l’Empire en 1815. Il y a également ce lion ailé, qui fut la représentation souveraine de l’apôtre avant de devenir celle de la ville.
Derrière toute la magnificence de ce spectacle éblouissant, aux pieds duquel grouillent les touristes, Venise recèle nombre d’endroits charmants qui en font un hâvre de paix et de méditation.
Il y a ces innombrables fondamenta courant le long des canaux qu’une multitude de ponts enjambent gracieusement.
Il y a ces innombrables fondamenta courant le long des canaux qu’une multitude de ponts enjambent gracieusement.
Dès qu’on s’éloigne des endroits les plus fréquentés, on y trouve aisément le calme, juste troublé par le bourdonnement grave de quelque vaporetto et les apostrophes des gondoliers qui se croisent.
Ici ou là des lauriers roses font jaillir gaiement leurs efflorescences, des brassées de pétunias dégoulinent des balcons et des fenêtres, et des jasmins parfumés montent à l’assaut des murs ou bien forment des haies enivrantes comme celle qui borde le parc où siège la Biennale di Venezia...
Ici ou là des lauriers roses font jaillir gaiement leurs efflorescences, des brassées de pétunias dégoulinent des balcons et des fenêtres, et des jasmins parfumés montent à l’assaut des murs ou bien forment des haies enivrantes comme celle qui borde le parc où siège la Biennale di Venezia...
Il y a cette belle allée maritime qui court vers la pointe de la Douane et fait face à l'île de Giudecca. On y voit l’élégante église du Redentore, qui fut construite à la fin du XVIè siècle pour célébrer la fin de l’épidémie de peste qui avait décimé près d’un tiers de la population. Sur la petite île éponyme, la basilique San Georgio Maggiore dessinée comme la précédente par le crayon céleste de Palladio, ferme la perspective avec la grâce du style Renaissance imprégné de classicisme antique qui constitue la marque de fabrique de cet architecte.
Ainsi, au fil des heures qui passent, le jour doucement décline et Venise s’assoupit dans une indicible et coruscante nostalgie. Il faut hélas s’arracher à cette cité unique en son genre, dont les richesses paraissent si fragiles, quand on pense aux millions de piliers de bois millénaires sur laquelle elle repose, enfoncés dans la lagune au prix de la sueur et des larmes. Est-elle le symbole d’une énergie indomptable, toujours en quête de nouveaux défis, ou bien celui d’un monde qui s’éteint dans les délices d’un matérialisme nihiliste ?
Profitons encore un peu de l’instant magique, immortalisé par Musset :Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge,
Pas un pêcheur dans l'eau,
Pas un falot.
Seul, assis à la Grève,
Le grand lion soulève,
Sur l'horizon serein,
Son pied d'airain.
Autour de lui, par groupes,
Navires et chaloupes,
Pareils à des hérons,
Couchés en rond,
Dorment sur l'eau qui fume,
Et croisent dans la brume,
En légers tourbillons,
Leurs pavillons...