En
ce début de mars, la Presse répand largement la nouvelle : la
ministre de la santé s'apprête à entreprendre « La »
réforme de l'Hôpital !
Et
la teneur de ce projet, c'est le
Figaro qui la révèle sans détour : « Marisol
Touraine veut défaire la réforme Sarkozy.... »
Joli
programme !
A
peine la dernière loi mise sur les rails, voilà qu'on veut déjà
stopper la machine pour lui faire prendre une direction opposée.
Mais
pour aller où, que diable, puisqu'aucune direction n'était
réellement définie ?
Le
cœur du problème, n'est-ce pas précisément la monstrueuse
avalanche de réformes et de contre-réformes qui se succédèrent en
vain, depuis deux ou trois bonnes décennies ? N'est-ce pas
cette folle ambiance de restructuration permanente, qui entretient le
malaise généralisé, et qui « a mis l'hôpital en dérive »,
pour reprendre les termes employés récemment par
un groupe de syndicats de médecins ?
***
Comme
à l'accoutumé, un rapport vient préluder au chamboulement annoncé.
De ce point de vue, les gouvernements se suivent, qui annoncent
régulièrement « le changement », mais la méthode reste
la même...
A chaque fois la réflexion préliminaire est menée par
un de ces vénérables hiérarques qui peuplent notre Haute Administration, et qui
n'ont pas leur pareil pour faire ronfler les concepts et reluire les
objectifs.
On
avait connu le rapport Larcher, précédant la loi Bachelot, on a
aujourd'hui le Rapport
Couty..
On
avait eu droit au nébuleux projet « Hôpital, Patients, Santé,
Terrritoire », qui donna la Loi Bachelot, on découvre
désormais le « Pacte de Confiance pour l'Hôpital »
derrière lequel transparaît déjà en filigrane la future loi
« Touraine ».
Avec
Nicolas Sarkozy, le leitmotiv était l'efficience : Il fallait
faire mieux, tout en limitant l'inflation des dépenses. But louable,
mais accompagné de mesures tellement théoriques ou nébuleuses, que
rien ou presque n'a changé sur les deux fronts...
Aujourd'hui,
avec la gauche on revient aux standards éculés, faisant appel avant
tout aux slogans faciles parant de toutes les vertus le « Service
Public », et appelant au rejet des mesures trop
« gestionnaires ».
Ainsi,
il est affirmé que pour avoir « considéré l’hôpital
public comme une entreprise » la dernière réforme aurait
fait de l'hôpital « un bateau ivre ayant quitté son sens premier
de Service Public, et perdu les valeurs de solidarité, de respect et
d’humanisme qui lui étaient vitales pour avancer. »
En
pleine crise économique, alors que le modèle social s'effondre
irrémédiablement, et que la France envers et contre tout reste le
second pays parmi les plus dépensiers au monde en matière de santé,
on nous laisse entendre qu'il ne serait plus indispensable de fonder
le budget des hôpitaux sur la tarification des prestations, ni sur
la maîtrise des coûts !
Par
ailleurs, on fait croire que l'équilibre des pouvoirs au sein de
l'invraisemblable brouillamini structurel hospitalier, pourrait
évoluer en faisant la part meilleure aux médecins et aux usagers,
et en réduisant celle des directeurs. Belle hypocrisie sans doute,
car chacun sait qu'en réalité le pouvoir s'exerce et s'est toujours
exercé dans notre pays, de manière centralisée, pyramidale,
descendant du sommet à la base.
Tout
se décide à Paris, même si on a progressivement obscurci le
système, en interposant des relais régionaux, et en compliquant à
plaisir les organisations locales.
Résumons
les choses : la Direction Générale de l'Offre de Soins (DGOS)
met en musique les directives gouvernementales, et les Agences
Régionales de Santé (ARS) veillent à leur application sur le
terrain en les organisant en vertu de plans quinquennaux rebaptisés
Schémas Régionaux d'Organisation des Soins (SROS), selon un savant
maillage « territorial » !
Le tout est encadré par une nébuleuse d'administrations et d'organismes étatisés, supposés doper la qualité et la performance : Haute Autorité en Santé (HAS), Agence Nationale d'Appui à la Performance (ANAP), Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), Agence Technique de l'Information Hospitalière (ATIH), Institut National du CAncer (INCA), Agence des Systèmes d'Information partagés de Santé (ASIP)...
Rappelons
que les hôpitaux quant à eux ont été sommés d'abandonner la
structure organisationnelle qui les régissaient depuis des temps
immémoriaux, et qui se fondait sur la notion de services de soins.
Il leur a fallu arbitrairement et autoritairement regrouper ces
derniers en pôles, dont le rôle n'a jamais été clairement précisé
par les Pouvoirs Publics. Par voie de conséquence ces nouveaux
organigrammes sont restés à ce jour à peu près inintelligibles au
commun des mortels et même aux personnels travaillant dans les
établissements ainsi « rénovés », et ils compliquent
considérablement le travail des gestionnaires en empilant une
nouvelle strate au mille-feuilles existant.
Toute
cette lourde machinerie évolue dans un tourbillon centripète, qui
lui même s'inscrit dans ce que l'on appelle « territoire de
santé », étrange échelon géographique, créé de toutes
pièces il y a quelques années, sans recouper aucun de ceux qui
étaient en vigueur, notamment département ou canton.
Les
territoires de santé sont depuis près de deux décennies, le siège
d'un formidable mouvement de centralisation autour des grandes villes
et des grands hôpitaux, dont le corollaire est la désertification
des autres. Cette évolution n'a rien de spontané. Elle a été
programmée, encouragée, organisée, au gré d'un planisme
implacable sous-tendu par quantité d'artifices « restructurants »:
normes de fonctionnement, seuils réglementaires d'activité,
tarifications et enveloppes financières ciblées...
Aujourd'hui,
on atteint la phase terminale de ce processus. Les gros hôpitaux
sont en train de phagocyter les petits, les administrations quittent
les unes après les autres les campagnes, et le reste naturellement
est progressivement aspiré vers les mégalopoles. Bien que
scrupuleusement planifiée, la répartition des médecins,
généralistes aussi bien que spécialistes, accuse de son côté une
hétérogénéité criante. La France ne manque pas de praticiens,
mais à cause d'un cadre réglementaire trop rigide, ils ne sont pas
dans les bonnes spécialités, ne sont pas installés là où on en a besoin, et
sont débordés, puisqu'aucune délégation de tâches aux
professionnels paramédicaux n'est permise.
Hélas,
il n'y a guère à attendre du projet de réforme tel qu'il se
présente à ce jour, puisqu'il envisage d'accentuer ce système en
instituant un Service Public Territorial de Santé (une version
modernisée du kolkhoze sans doute...), voire de rendre encore plus
coercitives les réglementations...
Ce
qui est merveilleux en la circonstance c'est l'adhésion béate de
nombre d'acteurs hospitaliers, ce dont s'auto-congratule madame
Touraine sur son blog.
Je me souviens qu'en 1996, le Plan Juppé avait de la même manière
été applaudi tous azimuts (ou presque)...
En
définitive, en relisant un
article réalisé au moment de l'élaboration de la loi HPST,
je m'aperçois que je pourrais en reprendre la plus grande partie.
Même si les propositions actuelles expriment une volonté de
changement, il y a fort à parier que ce Pacte de Confiance n'apporte
pas grand chose de nouveau, sauf encore un peu plus de confusion et
de bureaucratie, derrière sa nuée de bons sentiments et de vertueux
principes...
Jamais
l'adage de Jaurès ne s'est mieux appliqué à notre époque en mal
d'idées neuves et de détermination: « Quand
les hommes ne peuvent plus changer
les choses, ils changent
les mots. »