"La Science est faite par les hommes" rappelle Heisenberg dans son ouvrage "Le Tout et la Partie".
Il n’est donc pas étonnant qu’il s’attache à toujours la placer dans un contexte très humain, très palpable en quelque sorte.
Pas de formule ésotérique ici, pas de démonstration savante, mais un souci constant de mettre ce qu'elles contiennent à la portée du lecteur.
Ainsi, ça commence en 1920, par une sympathique promenade pendant laquelle des amis étudiants, entreprennent de débattre de la nature profonde des choses et de la représentation qu’on s’en fait. Vaste sujet n'est-il pas ?
C'est en l'occurrence un certain Robert qui résume la situation d'une manière très kantienne : "C'est de notre pensée seule que nous avons une connaissance immédiate. Mais cette pensée ne se trouve pas auprès des objets.../... Nous ne pouvons pas percevoir les objets directement. Nous devons d'abord les transformer en représentations, et finalement, former des concepts (qui ont un sens) à partir d'eux..."
A l'échelle des atomes, qu'on ne peut ni voir ni percevoir à proprement parler, ce raisonnement semble particulièrement pertinent.
Cela constitue même le coeur de la réflexion sous tendue par l'infiniment petit, non moins déroutante que celle concernant l'immensité de l'univers. A ces extrémités, nos sens sont en effet incapables de nous donner une représentation précise des choses. Nous déduisons leur existence à partir de théories et de raisonnements, et nous tentons de les valider par des observations confirmant plus ou moins bien les théories...
Mais, de même qu'Einstein montra qu'à l'échelle de l'infiniment grand, et dans un monde où tout est en mouvement, le temps et l'espace devenaient des concepts relatifs, l'amélioration des connaissances du monde des atomes montre qu'il est régi par des lois étranges, ne semblant pas s'appliquer à la physique classique ni aux objets qui peuplent notre quotidien. "Les atomes ne sont pas des objets de l'expérience quotidienne" rappelle le savant.
La rupture de la notion de continu est le premier constat dérangeant. Fait au sujet de l'énergie à l'échelon microscopique par Planck, il conduit à considérer qu'elle ne se disperse pas de manière progressive comme on le pensait intuitivement, mais par paquets, qu'il nomma quantas. L'énergie totale d'un système est donc un multiple entier de la quantité élémentaire d'énergie qui le caractérise.
Mais ce n'est qu'un des aspects de cette nouvelle mécanique, car plus bizarre encore est l'incertitude qui vient se mêler aux phénomènes observés. Cette fois, c'est le lien entre un évènement et sa cause qui est mis à mal !
Heisenberg prend l'exemple de la transformation de radium B en radium C par l'émission spontanée d'électrons.
S'il est possible, explique-t-il, d'affirmer pour une quantité donnée de radium, que statistiquement la moitié des atomes seront transformés en 30 minutes, il est impossible de prévoir précisément pour un seul d'entre eux quand et dans quelle direction l'émission d'électrons se produira. Selon Heisenberg, aucun paramètre ne peut modéliser le phénomène car s'il en existait un, alors il en existerait un autre, aboutissant à décrire l'inverse !
Cela choquait beaucoup l'une de ses amies, la mathématicienne Grete Hermann, qu'il soit inenvisageable d'acquérir une connaissance suffisante d'un phénomène, permettant d'en comprendre la cause et de le prédire, et in fine qu'on puisse affirmer d'une connaissance, qu'elle soit à la fois complète et incomplète.
En réalité l'étude des particules, aboutit à remettre en cause le principe de base de la physique newtonienne : à savoir le strict déterminisme causal des phénomènes qui veut que l’état d’un système doive toujours être déterminé de façon unique par l’état qui le précède directement immédiatement.
Avec Planck on découvre donc que l’énergie d’un système atomique varie de façon discontinue. Il y a des positions d’arrêt qu'on appelle états stationnaires, que même le roi de l'atome, Bohr, peinait à se représenter... Quant à Schrödinger, il s'exclama dépité : "si ces damnés sauts quantiques devaient subsister, je regretterais de m'être jamais occupé de théorie quantique..."
Avec Heisenberg on apprend que l'univers des particules est soumis à un principe d'indétermination,et qu'il est possible de l'exprimer mathématiquement. Il montre ainsi que pour une particule, le produit de l'imprécision liée a sa position, par celle liée à sa quantité de mouvement (donc à sa vitesse), ne peut être inférieur au quantum d'action de Planck ! Autrement dit, plus est précise la position d'une particule, moins l'est sa vitesse et réciproquement...