24 avril 2018

La situation ubuesque de l'hôpital français

Une fois n'est pas coutume, juste un lien vers l'article que le quotidien OUEST FRANCE m'a fait l'honneur aujourd'hui de publier sous forme d'un point de vue libre.
Il reprend de manière condensée les éléments déjà évoqués dans ce blog, au sujet de la politique hospitalière menée dans notre pays...
Les déficits se creusent, la pression fiscale est à son maximum, l'irresponsabilité est quasi générale. L'heure est grave, le gouvernement est assailli de nombreux problèmes hérités de ses prédécesseurs. Espérons qu'il saura enfin trouver des solutions pragmatiques...

18 avril 2018

En marche, un an après

Face au duo grimaçant de pitres idiots-visuels, Plenel et Bourdin, auto-investis de mandats de commissaires du peuple bien plus que de journalistes, le Président de la République Emmanuel Macron a déployé tout le panache et tout l’art de la dialectique dont il est capable. Rien que pour cela, le spectacle qui nous fut offert par la chaine BFM TV ce dimanche 15 avril, valait son pesant de cacahuètes.
Face aux questions en forme de “plaidoyers” voire de réquisitoires, qu’ils lui adressèrent, assorties de rictus grotesques, les réponses du chef de l’Etat sifflèrent comme des balles aux trajectoires millimétrées, renvoyant tour à tour les deux procureurs morveux au fond du court.

Au bout d’une heure de ce petit jeu, les attaquants paraissaient bien plus fatigués et dépités que leur victime, si bien que leurs coups, s’ils fusaient certes encore, étaient tellement amortis, tellement à côté de la plaque, que pour tout un chacun la cause était entendue.


Mais derrière le show étincelant d’Emmanuel Macron, sous la verve mordante de son discours, on cherchait pourtant vainement les éléments révélateurs d’une politique claire et d’actions concrètes à venir.

Comme souvent dans ce genre d’exercice de style, la communication fut parfaitement maîtrisée, mais les propositions restèrent imprécises. La faute sans doute en grande partie aux interviewers, rechignant à s’élever au dessus de viles et démagogiques considérations partisanes, puisées souvent dans le registre ringard de l'extrême-gauche, et incapables de voir l’actualité autrement que par le petit bout de la lorgnette.
Ainsi, on perdit beaucoup de temps à discourir sur le bien fondé ou non des récentes frappes punitives sur la Syrie, on eut droit aux sempiternels couplets pleurnichards sur les inégalités croissantes entre les riches et les pauvres, sur les profits éhontés d’entreprises coupables de "plans sociaux", sur le mythe de la perte financière due à l’évasion fiscale, et on tourna en rond de manière lénifiante autour de l’islamisme, de l’immigration, et de la sinistre pantalonnade de Notre Dame des Landes...

C’est à peine si quelques problèmes pratiques furent esquissés. Celui récurrent des retraites par exemple, au sujet duquel M. Macron réaffirma son attachement exclusif au système par répartition. Comme ses prédécesseurs, il continue donc de tout miser sur cette véritable pyramide de Ponzi qui fait peser un poids croissant sur les jeunes générations, tout en réduisant comme peau de chagrin pour eux l’espoir de profiter un jour des fruits de cette pseudo-solidarité générationnelle.
Le grand âge, la dépendance et la situation tendue dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ne furent qu’effleurés. Il évoqua rituellement la création d’une branche supplémentaire de l’Assurance Maladie en avançant pour seul financement la création d’un nouveau jour de travail non payé... Doux pays où l’on octroie généreusement des jours de repos supplémentaire au titre de la réduction du temps de travail (RTT), tout en rognant peu à peu sur les congés…
Sur le malaise profond qui mine le secteur hospitalier, le Président de la République se borna à envisager la solution illusoire consistant à sortir de la tarification à l’activité, tout en proposant d’un ton évasif “moins de bureaucratie...”
Rien de très clair s’agissant de la SNCF, hormis la promesse que l’Etat, c’est à dire les contribuables, reprendrait tout ou partie de la dette faramineuse de l’entreprise, à condition que les négociations avec les cheminots avancent. On ne voit pas bien le rapport et on ne voit pas bien comment l’Etat pourrait s’exonérer de la mission de résorber les déficits que sa gestion calamiteuse à creusés, sachant comme l’a réaffirmé M. Macron, qu’il n’a jamais été question de “privatiser” les chemins de fer.

Bref, si les mots du président sonnèrent souvent juste face à l’inconséquence de journalistes se faisant un devoir d’être agressifs par principe, on n’apprit pas grand chose de nouveau, comme le relevèrent nombre de commentateurs. Et l’Europe, pour laquelle le chef de l’Etat nourrit tant de projets ambitieux ne fut tout simplement pas abordée. Peut-être sera-ce pour un autre jour...

16 avril 2018

Zigs de ZAD

Les affrontements opposant les forces de gendarmerie aux auto-proclamés Zadistes, sur le désormais fameux site de Notre Dame des Landes, donnent une bien piètre idée de notre République.
De ce que le jargon bureaucratique nommait “Zone d’Aménagement Différé”, ils ont fait une “zone à défendre”, et c’est une vraie armée qu’il faut mobiliser pour la rendre à qui de droit.
Il est en effet consternant d’observer qu’il faille 2500 gendarmes pour déloger 250 énergumènes enragés accrochés à leurs ghettos insalubres, aux allures de campements crépusculaires post-apocalyptiques, bâtis en toute illégalité sur des terres appartenant à l’Etat. Ces zigs prétendent proposer, sans souci des réglementations et rétifs à toute régulation, "leurs" alternatives innovantes au modèle capitaliste. A voir les prémisses miteuses de cet autre monde, il y a quoi être inquiet...

Après un demi-siècle de tergiversations, de plans foireux, de pseudo consultations populaires, et surtout de reculades et de lâcheté de tous les gouvernements qui se sont succédé, le projet de construction d’aéroport contre lequel s’était formée cette rébellion a été définitivement enterré. Le Président de la République, qui hérita de cet abcès de fixation, eut beau rappeler ce dimanche, que ces friches anarchistes n’avaient donc plus aucune raison d’être, les manifestants continuent envers et contre tout leur occupation sauvage des lieux.

Le plus grave en la circonstance est qu’ils manifestent leur “insoumission” avec une violence quasi insoutenable si tant est qu’on soit encore dans un état de droit. Plus de 60 gendarmes ont été blessés durant la semaine écoulée, passée à tenter de déloger cette faune arrogante, qui promet de revenir dès que les représentants de la force publique auront tourné les talons.
Pour tout citoyen responsable et respectueux des lois, cette chienlit est intolérable et de vraies sanctions devraient être désormais appliquées avec détermination. On apprenait que le lundi, premier jour de l’opération, sept personnes avaient été interpellées, avant d’être relâchées dès le lendemain... Tout cela coûte fort cher et contribue chaque jour à discréditer un peu plus le modèle de société ouverte déjà passablement abîmé.

On finit en effet par s’habituer au triste spectacle de ces hordes, agissant en petits groupes, armés, cagoulés, encapuchonnés, qui se plaisent à installer le désordre, à casser le bien public et à soumettre à leurs lubies dévastatrices la majorité silencieuse, sous le regard impuissant des forces de l‘ordre.
Si  l'on ne voit guère la convergence des luttes que l’exécrable parti de M. Mélenchon appelle désespérément de ses vœux, la multiplication de ces micro foyers d’insurrection mine le moral et contribue à enkyster la morosité dans notre pays.
Et vu l’acharnement des Zadistes à poursuivre de plus belle leur lutte malgré le retrait du projet initial, qu’ils ont fini par obtenir, on peut se demander s’il n'eût pas été souhaitable de respecter les avis des experts et le verdict du référendum, et de le construire ce foutu aéroport….

07 avril 2018

Le prix de la Liberté

Aussi grand, aussi sublime que soit le sacrifice d’une vie, consenti pour en sauver d’autres, et tout particulièrement le geste altruiste d’un gendarme agissant avec bravoure pour protéger ses concitoyens, il pose question. Il ne saurait en effet se substituer à la mission première des forces de l’ordre. Celle-ci consiste avant tout à faire régner la sécurité en empêchant les délinquants de nuire et plus encore de récidiver.
Une clameur immense est montée dans le pays pour saluer l’acte héroïque du colonel Arnaud Beltrame lors de l’attentat terroriste de Trèbes. Elle donne la mesure de la vague compassionnelle qui traverse le pays à chaque évènement dramatique, théâtralisé à outrance par les médias. Cet élan est malheureusement très fugace. Pire, il exprime l’impuissance d’une société pétrie de bonnes intentions, mais de plus en plus incapable de faire face aux réalités du monde.
Le discours que le Président de la République tint à cette occasion s’est inscrit dans cette emphase un peu vaine. Bien qu’il fut plutôt digne et mesuré, ses références remontant une fois encore aux misères et aux vicissitudes de l’an quarante, avaient quelque chose de pitoyable.
C’est devenu un pont-aux-ânes que de commémorer ces moments tragiques de l’Histoire et d’évoquer avec force sanglots “l’esprit de résistance” qui régnait dans le pays, alors qu’ils furent marqués avant tout par la coupable faiblesse du monde démocratique face à l’ogre nazi.
S’il n’est pas absurde de trouver des similitudes entre les époques, ce serait plutôt la faiblesse de l’Etat, sa permissivité, voire sa passivité face aux périls qu’on pourrait à chaque fois mettre en parallèle.
La montée en puissance du fanatisme islamique et de son pendant hideux, le terrorisme, menace la liberté et fragilise nos démocraties. Sans une détermination inflexible et des convictions solidement ancrées, il est à craindre que le beau jardin de la Liberté soit peu à peu grignoté par les pestes qui ne demandent qu’à y proliférer. 

Pour répondre aux crimes pervers ou barbares, nous avons cru par exemple que l’abolition de la peine de mort était un progrès. En réalité, il s’agit d’un emplâtre soulageant la mauvaise conscience, mais qui ne résout rien, ni en termes d’efficacité contre la récidive, ni en termes de cruauté de la sanction.
La Liberté a un prix hélas et il ne se paie pas à crédit sous peine d'être contraint de devoir payer beaucoup plus cher ou bien de n’avoir d’autre choix que de pleurer à chaudes larmes la mort injuste d’un gendarme tombé sous les coups d’une brute sanguinaire...

24 mars 2018

Vers les étoiles

Il est difficile lorsqu’on est bien portant, d’imaginer le supplice consistant à se retrouver progressivement et inéluctablement paralysé, jusqu’à ne plus pouvoir bouger que les yeux et les paupières.
C’est le destin atroce qui fut celui de Stephen Hawking (1942-2018) devenu malgré cette infortune, le célèbre astrophysicien que chacun connaît. 

Il vient de s’éteindre, à 76 ans, après plus d'un demi-siècle d’impotence et de délabrement physique. Sort particulièrement cruel pour cet esprit avide d’infini, que de se retrouver totalement enfermé à l’intérieur d’un corps inerte, désespérément cloué à un siège et totalement dépendant pour tous les actes de la vie quotidienne.

Il avait à peine plus de 20 ans lorsque les premiers signes de cette sclérose latérale amyotrophique se manifestèrent. On lui avait prédit à l’époque une mort rapide dans un délai de 2 ou 3 années.
Mais il aimait la vie sans nul doute. A force de volonté, des bons soins prodigués par son entourage, et peut-être en raison de la progression relativement lente de sa maladie, il parvint à s’accrocher à ce monde cruel, et fit même une carrière scientifique éblouissante. Un vrai pied de nez aux partisans de l’euthanasie...
Il disait qu’il devait sa célébrité avant tout à son handicap. Peut-être en partie...


Peu de gens peuvent mesurer objectivement ce qu’il apporta à la Science. Son talent de vulgarisateur fit beaucoup pour sa gloire. Sa "Brève Histoire du Temps" fut vendue à plus de 10 millions d’exemplaires à travers le monde et permit à beaucoup de gens d’appréhender les mystères de l’univers, de la physique et de la relativité à la lumière des connaissances actuelles.

Il travailla beaucoup sur les trous noirs, qui sont parmi les entités les plus énigmatiques du cosmos. Dans ces concrétions vertigineuses, résultat de l’effondrement de la matière sur elle-même, tout s’arrête. Même la lumière qui passe à proximité s’y engloutit sans retour et le temps se fige. On parle de l’horizon des évènements…
Selon Hawking les trous noirs ne seraient “pas si noirs que ça”. Ils pourraient être le siège d’émissions particulaires voire d’un genre d’évaporation énergétique. Surtout, ils pourraient être des portes ouvertes sur d’autres univers, via d’hypothétiques analogues inversés que certains appellent “trous blancs”...

Hélas, toutes ces notions sont tellement nébuleuses qu’il n’existe à ce jour pas la moindre ébauche de preuve de leur réalité. Et quand bien même cela serait, on se demande quels débouchés pratiques pourraient être imaginés.
D’une manière générale, le dessein d’Hawking était insensé : il voulait mettre au point une théorie donnant une explication universelle de l’univers (ou “des” univers), unifiant toutes les lois physiques et les forces qui régissent le monde, de la mécanique quantique à la relativité de l’espace-temps, en passant par la gravité. Qui trop embrasse, mal étreint, il ne put hélas concrétiser ce projet fou.

Il est permis également d’émettre quelques doutes sur ses dernières prises de position, concernant l’intelligence artificielle. Il manifesta un curieux pessimisme à ce propos en prédisant qu’elle serait capable un jour de dépasser l’Homme et qu’elle risquait de l’asservir, pour son plus grand malheur. Rejoignant les visions apocalyptiques de Bill Gates et Elon Musk, il affirma que ces techniques informatiques menaçaient l’humanité dont il alla jusqu’à prédire l’extinction avant l’an 2600 !
Il n’y a en l’occurrence que des supputations gratuites et l’on s’étonne qu’un savant aussi rigoureux et avide de preuve scientifique puisse se laisser aller à tant de subjectivité.
S’il existe un vrai danger, il réside dans l’utilisation par les hommes des machines soi-disant intelligentes, et non en elles-mêmes. Un fusil peut occasionner des ravages mais jamais de son propre chef !
Dans beaucoup de domaines, les techniques informatiques dépassent dores et déjà et de loin les capacités humaines. Une simple calculette est bien plus performante en calcul mental que la plupart des êtres humains “normaux”. Elle n’est pas intelligente pour autant. Elle reste un outil merveilleux mais irresponsable dont les erreurs éventuelles ne peuvent être imputées qu’à celui qui s’en sert ou à celui qui l’a fabriquée… En l’occurrence des êtres humains...

18 mars 2018

Noa Noa

Lorsqu’en 1891, Paul Gauguin (1848-1903) arrive à Tahiti, après « soixante-trois jours de fiévreuse attente, d’impatientes rêveries vers la terre désirée », ses premières impressions ne sont pas très joyeuses.
Il avait pourtant chanté par avance le paradis auquel il se livrait corps et âme:
« J’arrive en ce lieu où la terre est inconnue sous mes pieds.
J’arrive en ce lieu où le ciel est nouveau par-dessus ma tête.
J’arrive en cette terre qui sera ma demeure…
Ô Esprit de la terre, l’Étranger t’offre son cœur, en aliment pour toi... »

Mais le spectacle qui s’offre à ses yeux à l’arrivée « n’a rien de féerique », de son propre aveu, « rien de comparable par exemple à la magnifique baie de Rio de Janeiro. »
Débarqué à Papeete, seconde déception, il trouvera la ville bien trop civilisée à son goût : « C’était l’Europe – l’Europe dont j’avais cru m’affranchir ! – sous les espèces aggravantes encore du snobisme colonial, l’imitation, grotesque jusqu’à la caricature, de nos mœurs, modes, vices et ridicules civilisés. » 

Après quelques semaines, il se met en quête d’un endroit plus sauvage, qu’il trouvera dans le district de Mataiea : « D’un côté, la mer et de l’autre, la montagne, – la montagne béante, crevasse formidable que bouchait, adossé au roc, un groupe énorme de manguiers. »
Dès lors, il n’aura de cesse de relater son expérience dans un journal qu’il intitulera Noa-Noa et qu’il tiendra durant 3 ans, tantôt écrivant, tantôt dessinant.
Le résultat est un ouvrage poétique étonnant qui dit beaucoup de la personnalité du peintre, de l’île qu’il habite, de ses couleurs, de ses parfums, de ses habitants, de leur mythologie et parfois qui s’abandonne à quelques réflexions philosophiques. Ce carnet illustré sera complété ultérieurement par des poèmes en prose ou en vers composés par son ami Charles Morice, mais en si grand nombre, qu’ils alourdiront le texte, le dévoyant quelque peu le but de l’artiste.


Malgré sa bonne volonté, Gauguin aura du mal à se défaire de sa culture européenne, de ses habitudes de pensées, de ses conceptions esthétiques.
Ainsi, peu de temps après son arrivée, contemplant une Tahitienne, pourtant de haut rang, il la décrit de manière quelque peu méprisante : « Elle avait cette majestueuse forme sculpturale de là-bas, ample à la fois et gracieuse, avec ces bras qui sont les deux colonnes d’un temple, simples, droits et le haut vaste, se terminant en pointe…/… Je ne vis un instant que sa mâchoire d’anthropophage, ses dents prêtes à déchirer, son regard fuyant de rusé animal, et malgré un très beau front noble, je la trouvai tout à fait laide. »
L’instant d’après, après réflexion, il se reprend toutefois, comme sous l’effet d’une révélation : « Comme l’homme est changeant ! voilà que je la trouvai belle, très belle... »
Il s’agissait en fait de l’épouse du roi Pomaré qui venait de mourir et dont il avait suivi l’enterrement, submergé par une noire nostalgie : « Avec lui la tradition maorie était morte. C’était bien fini. La civilisation, hélas ! Triomphait – soldatesque, négoce et fonctionnarisme... »

L’acclimatation aux us et coutumes de son nouveau pays fut donc délicate. Après quelques mois se lamente-t-il « je me sentais là bien seul. De part et d’autre, les habitants du district et moi, nous nous observions, et la distance entre nous restait entière.»

C’est par la peinture qu’il va progressivement prendre possession de l’esprit polynésien et s’émanciper du carcan de sa vie passée: « le paysage, avec ses couleurs franches, ardentes, m’éblouissait, m’aveuglait. Jadis toujours incertain, je cherchais de midi à quatorze heures… Cela était si simple pourtant de peindre comme je voyais, de mettre sur ma toile, sans tant de calculs, un rouge, un bleu ! Dans les ruisseaux, des formes dorées m’enchantaient ; pourquoi hésitais-je à faire couler sur ma toile tout cet or et toute cette joie du soleil ? – Vieilles routines d’Europe, timidités d’expression de races dégénérées !… »

Peu à peu, il va apprendre à connaître « le silence d’une nuit tahitienne ». Progressivement, il se mêle à la population : « Mes voisins sont devenus pour moi presque des amis. Je m’habille, je mange comme eux ; quand je ne travaille pas, je partage leur vie d’indolence et de joie, avec de brusques passages de gravité. »

Il se sent même inspiré par la relation intime qu'ont ces gens avec la nature ambiante : « Les tons mats de leur corps font une belle harmonie avec le velours du feuillage, et de leurs poitrines cuivrées sortent de vibrantes mélodies qui s’atténuent en s’y heurtant au tronc rugueux des cocotiers »
Il se laisse doucement envahir par l’ensauvagement à la mode rousseauiste : « La civilisation s’en va petit à petit de moi. Je commence à penser simplement, à n’avoir que peu de haine pour mon prochain – mieux, à l’aimer. J’ai toutes les jouissances de la vie libre, animale et humaine. J’échappe au factice, j’entre dans la nature : avec la certitude d’un lendemain pareil au jour présent, aussi libre, aussi beau, la paix descend en moi ; je me développe normalement et je n’ai plus de vains soucis…. »

Son regard sur les femmes reste toutefois ambigu. Il se met vite à rechercher leur compagnie, tout en gardant sur elles des sentiments non dénués de condescendance. Par exemple d’une voisine venue le saluer : « Elle était peu jolie, en somme, selon les règles européennes de l’esthétique. Mais elle était belle. Tous ses traits offraient une harmonie raphaélique dans la rencontre des courbes, et sa bouche avait été modelée par un sculpteur qui parle toutes les langues de la pensée et du baiser, de la joie et de la souffrance. Et je lisais en elle la peur de l’inconnu, la mélancolie de l’amertume mêlée au plaisir, et ce don de la passivité qui cède apparemment et, somme toute, reste dominatrice. »
La vie sauvage contribue 
selon lui à l’égalité des sexes : « À Tahiti, l’air de la forêt ou de la mer fortifie tous les poumons, élargit toutes les épaules, toutes les hanches, et les graviers de la plage ainsi que les rayons de soleil n’épargnent pas plus les femmes que les hommes. Elles font les mêmes travaux que ceux-ci, ils ont l’indolence de celles-là : quelque chose de viril est en elles, et en eux quelque chose de féminin.../… Cette ressemblance des deux sexes facilite leurs relations, que laisse parfaitement pures la nudité perpétuelle, en éliminant des moeurs toute idée d’inconnu, de privilèges mystérieux, de hasards ou de larcins heureux – toute cette livrée sadique, toutes ces couleurs honteuses et furtives de l’amour chez les civilisés. »

Lorsqu'il aborde la sexualité, ses impressions pourraient choquer nombre d’oreilles prudes de nos jours. Pour lui en effet, « toutes veulent être prises, prises à la mode maorie (mau, saisir) sans un mot, brutalement ; toutes ont en quelque sorte le désir du viol... »

Il ne voit donc rien de mal lorsqu’une Tahitienne de son entourage, s’inquiétant de le voir sans compagne lui fait une proposition très directe: « Si tu veux, je vais t’en donner une. C’est ma fille... »
Apprenant la jeunesse de celle-ci, il éprouve certes quelques réticences, mais bien vite surmontées : « cette jeune fille, cette enfant d’environ treize années, me charmait et m’épouvantait. Que se passait il dans cette âme ? Et c’était moi, moi si vieux pour elle, qui hésitais au moment de signer un contrat si hâtivement conçu et conclu... »

Il se mettra en ménage avec Teura et cherchera à travers elle à comprendre l’âme maorie. Exercice délicat, car « elle ne se livre pas de suite ; il faut beaucoup de patience.../… Elle vous échappe d’abord et vous déconcerte de mille manières, enveloppée de rire et de changement ; et pendant que vous vous laissez prendre à ces apparences, comme à des manifestations de sa vérité intime, sans penser à jouer un personnage, elle vous examine avec une tranquille certitude, du fond de sa rieuse insouciance, de sa puérile légèreté... » 
Cette communion ne sera pas que spirituelle. Doté d’un appétit charnel débordant, Gauguin multipliera pendant ses deux séjours polynésiens les conquêtes de très jeunes filles, dont deux enfanteront de lui. Il serait pourtant excessif de voir dans ces relations quelque peu libertines une inclination perverse à la pédophilie. Elles conduisent plutôt à relativiser les règles qui pèsent sur ce qu’il est convenu d’appeler moralité. Tout au plus peut-on dire que Gauguin abusa des mœurs très libres qui régnaient dans les îles...

Le fait est que pendant les dernières années de sa vie, tout en concrétisant ses ambitions artistiques il donna de lui une image ombrageuse, voire déplaisante, empreinte d’égoïsme et d’indifférence. Victor Segalen arrivé à Tahiti en 1903, quelques semaines après le décès du peintre, décrivit en quelques lignes ce parcours illuminé mais désespéré : « Ce décor fut somptueux et funéraire, ainsi qu’il convenait à une telle agonie ; il fut splendide et triste, paradoxal un peu, et entoura de tonalités justes le dernier acte lointain d’une vie vagabonde qui s’en éclaire et s’en commente.../.. Gauguin fut un monstre. C’est-à-dire qu’on ne peut le faire entrer dans aucune des catégories morales, intellectuelles ou sociales, qui suffisent à définir la plupart des individualités.../… Il apparut dans ses dernières années comme un être ambigu et douloureux, plein de cœur et ingrat ; serviable aux faibles, même à leur encontre... »


Les amours versatiles et la débauche ne sont assurément pas à l’honneur de Gauguin, mais elles furent la source d’une inspiration qui se traduisit par une floraison de toiles enchanteresses. Lui-même exprimera cette renaissance artistique avec une béatitude non feinte : « Je m’étais remis au travail et le bonheur habitait dans ma maison : il se levait avec le soleil, radieux comme lui. L’or du visage de Teura inondait de joie et de clarté l’intérieur du logis et le paysage alentour. Et nous étions tous les deux si parfaitement simples ! Qu’il était bon le matin, d’aller ensemble nous rafraîchir dans le ruisseau voisin, comme au paradis allaient sans doute le premier homme et la première femme... »
En plus des soins et de l’attention qu’elle lui prodiguait, Teura initia l’artiste à la symbolique foisonnante du pays et de ses ancêtres, à la mythologie féconde dont il peupla ses tableaux, confondant à plaisir les allégories animistes, mystiques et religieuses.


Une chose est sûre, même s’il ne parvint à retrouver l’état sauvage idéalisé, auquel il aspirait, Gauguin aima sincèrement Teura dans laquelle se confondaient tous les effluves enivrants du paradis perdu qu’il chanta sans vergogne : « dans cette fête tahitienne, aux fumets des mets, aux odeurs des fleurs de l’Île, elle ajoutait, me semblait-il, un parfum plus fort que les autres et qui les résumait tous – Noa Noa ! »

10 mars 2018

Gauguin, ou l'impériosité de l'Art

Quelle mouche a piqué Paul Gauguin (1848-1903), paisible et prospère agent de change parisien, mari comblé et père de cinq enfants, pour tout quitter à l’âge de 34 ans, au profit de la destinée très aléatoire d’artiste-peintre ?

Nul ne peut expliquer cette nécessité subite passant avant toute autre considération. C’est la force étrange de la vocation, qui s’impose à celui sur lequel elle s’exerce. Gauguin est entré en peinture comme d’autres entrent en religion, lorsque la foi les saisit.
Cette rupture ira au delà du métier, de la famille et des conventions. Elle concerne la société, et in fine toute la civilisation sur laquelle elle repose. Dès lors, il ne s’agira plus tant d’une échappatoire que d’un nouvel enfermement, ce sera le drame de Gauguin.

De fait, si sa vie et son art recèlent des trésors incomparables il y a également des lacunes, des faiblesses, des échecs. Parmi ceux-ci, le premier est d’être resté largement incompris de ses contemporains. Car tout comme Van Gogh, Gauguin déroute, voire décourage ceux qui manifestent la volonté de s’intéresser à lui. Plus il se détache de la civilisation, plus elle “s’en va petit à petit de lui”, plus il devient étranger au monde qui l’entoure, lequel le lui rend bien. Entre autres exemples, avant d’embarquer pour Tahiti en 1895, une vente publique de ses œuvres ne voit partir que 9 des 47 tableaux proposés (deux seront achetés par Degas). Même dans son dernier éden polynésien il choqua nombre d’autochtones. Bien qu’il chercha sincèrement à aider les populations locales contre les rigueurs de l’administration métropolitaine, ses mœurs très libres, au relents de rébellion, d’addictions, de débauche, voire de pédophilie, ont laissé une empreinte déplaisante. De fait, il finira sa vie tragiquement seul.

Il y eut une première fuite en Bretagne, terre dont il tomba amoureux car elle lui parut sauvage, à l’image disait-il, de “ce ton sourd, mat et puissant que je cherche en peinture.”
Il y fit preuve d’audace picturale, et à la fois de mysticisme comme le révèle le très fort et symbolique “combat de l’ange”. De l’impressionnisme il passe ainsi au symbolisme puis au synthétisme.

Son périple le fit passer par la Provence où il rencontra de manière orageuse et inaboutie Van Gogh, autre solitaire invétéré. On retient entre autres, l’énigmatique perspective des Alyscamps.


Ce sera ensuite le grand départ vers Tahiti dont il s’était forgé une image ivre de liberté, de bonheur et d'inspiration artistique, un vrai retour aux sources qui conduira son art vers le primitivisme. Des couleurs à la fois tendres et profondes au service d’une vision éthérée de la vie au plus près de la nature. 
Mais malgré ses efforts, Gauguin ne deviendra jamais un polynésien au sens premier du terme, car il y a en définitive beaucoup d’artifices dans les tentatives qu’il fera pour retrouver l’esprit ancestral des tribus locales. Ses sculptures par exemple, sont des curiosités mais elles ne possèdent pas l’âme originelle empreinte de naïveté et de foi. Il n’a en lui ni l’une ni l’autre, même s’il affirme que le ridicule ne peut l’atteindre car il est “à la fois un enfant et un sauvage.”


Tout au plus parviendra-t-il à capter de manière très personnelle l’atmosphère des îles, ce qui n’est déjà pas si mal. Parti d’Europe pour échapper à une société trop technique et trop administrée, qu'il maudissait, et ne faire selon ses propres mots, “que de l’art simple”, il concevra une œuvre extrêmement originale, peut-être justement parce qu’elle n’est pas totalement libérée du génie de la civilisation  occidentale dont ses fibres étaient imprégnées.
En somme, contrairement à une opinion répandue, mais assez galvaudée, Gauguin n’est pas un peintre révolutionnaire. Il paraît excessif de prétendre comme on le fait parfois, qu’il ouvrit la voie à l’expressionnisme, au symbolisme, ou au cubisme. Il reste comme une île dans l’océan pictural.
En dépit de sa contribution au mouvement des peintres de Pont-Aven, il n’a pas vraiment fait école, peut-être parce que tout disciple aurait risqué de tomber dans l’imitation ou la parodie. Il a sans nul doute créé un monde à part, mais il en a tout dit, ne laissant quasi rien à ajouter pour d’éventuels suiveurs...


Y a-t-il d’ailleurs des peintres révolutionnaires ? Si l’on regarde attentivement les plus grands, Rembrandt, Velasquez, Michel-Ange, Vermeer, jusqu’aux impressionnistes, et jusqu’à Gauguin, on s’aperçoit qu’ils s’inscrivent dans une continuité évolutive. Les vrais révolutionnaires sont peut-être ceux qui ont contribué à la déconstruction violente de l’art, sans avoir rien à proposer de réellement nouveau. Après les dynamitages du XXème siècle, l’art moderne semble s’être enlisé dans un magma informe et clinquant, à l’image des inutiles et vaines compressions et autres coulées résineuses de César, ou des babioles superfétatoires et grotesques des Jeff Koons, Damien Hirst, McCarthy, Kapoor, Murakami, Serrano & Co... Aujourd’hui, tout est dans la forme, rien dans le fond. On dirait que les artistes n’ont plus rien à dire.


Ce n’est pas ce qu’on peut reprocher à l’œuvre de Gauguin. Elle nous parle, elle nous interpelle, elle nous interroge à l’instar du titre de sa fresque intitulée “D'où venons nous, qui sommes nous, où allons nous ?”
Il y a des beautés indéniables dans ces panoramas tropicaux alanguis, dans ces odalisques exotiques, ces féeries du bout du monde, inondées de couleurs et nimbées de mystère. Dans ces somptueuses effusions, l’Art se confond plus que jamais avec la Liberté...

09 mars 2018

Fugit Irreparabile Socialismus

Ce matin, on apprenait que M. Le Drian, ci-devant ministre des Affaires Étrangères du gouvernement d’Emmanuel Macron, quittait le Parti Socialiste. Avec sa mine contrite de dépressif incurable, il vient en effet d’annoncer sur la chaîne d’information télévisées CNews, qu’il se retirait du PS, “avec beaucoup d'émotion après 44 ans”, ajoutant que c’était avec “beaucoup de fierté mais aussi avec déception.”
La belle affaire que voilà !

Il est permis de penser qu’il lui a fallu beaucoup de temps pour s’apercevoir que cet engagement ne menait à rien de bon. On pourrait même, en étant un peu plus méchant, souligner qu’il pourrait surtout avoir honte d’être resté accroché avec une telle opiniâtreté à cette idéologie insane qui s’en va en piteux lambeaux.
Le bonhomme a dû avaler beaucoup de couleuvres, dans le sillage des démagogues de tout poil qui lui permirent de faire une carrière quasi muette  mais dorée d’apparatchik zélé. Il se fit le complice de bien des mensonges et de bien des hypocrisies pour faire accroire au bon peuple que le socialisme était un idéal en devenir.

Mais n’allez pas croire qu’il soit touché par le remords d’avoir trempé dans tant de manigances, et contribué à propager tant de tromperies. Ne vous imaginez pas que ses yeux se soient enfin dessillés à force d’avoir été témoin de tant de turpitudes sous les lambris dorés des palais de la République.
Il n’en est rien. M. Le Drian garde à ce qu’il paraît ses chimères de jeunesse et son aveuglement de notable rassis. Simplement il prend acte du fait que les actuels satrapes du parti, ou plutôt de ce qu’il en reste, ne le considèrent plus comme étant des leurs.
Sa décision fait en effet suite à la récente déclaration du “coordinateur national du Parti socialiste”, Rachid Temal, affirmant “qu'il n’y a pas de Socialiste au gouvernement.”

Si M. Le Drian n’est plus socialiste, on ne sait pas trop ce qu’il est, car pour l’heure, il refuse de rejoindre “La République en marche” qui porta M. Macron au pouvoir et qui soutient son action. Il se borne simplement à se réclamer de la “Majorité Présidentielle”. Bel acte de bravoure et surtout signe d’un opportunisme à toute épreuve…
Une fois n'est pas coutume, remercions tout de même au passage M. Hollande pour avoir œuvré avec tant d’efficacité, même si ce fut involontaire, au sabordage de sa propre formation politique.
Un sondage réalisé immédiatement après le débat opposant les 4 candidats au poste de premier secrétaire du PS, révélait que 60% des personnes interrogées n’en avaient trouvé aucun convaincant, et que 77% avaient une très mauvaise opinion du Parti Socialiste.

Si les derniers rats quittent le navire en perdition, que restera-t-il donc à la fin des fins ? Sans doute rien hormis de mauvais souvenirs...

26 février 2018

No Sport !

On connaît la fameuse réplique que fit Churchill à quelque journaliste qui lui demandait le secret d’une vie longue et saine : No Sport !
Dans notre époque où le culte de la forme physique est devenu une obsession et où l’on déploie des trésors d’imagination pour améliorer les performances sportives sans tomber dans cette nouvelle forme de damnation qu’est le dopage, le facétieux premier ministre anglais serait quelque peu décalé. Lui qui affirmait qu’il préférait les cigares et le whisky à la gymnastique, il aurait bien ri en apprenant que même au curling, on pourchasse les sportifs qui font usage de substances stimulantes…

Le nouveau puritanisme exige une totale pureté, au service de performances toujours plus folles. Il y a une vaste hypocrisie à pousser ainsi la nature humaine aux extrêmes, en jetant à la vindicte celui qui cède à la tentation, ou à la faiblesse.
Ayant à peu près atteint les limites physiques du corps, on peut d’ailleurs se demander ce qui pousse encore à vouloir enregistrer de nouveaux records et pourquoi donc s’user la santé dans des compétitions de plus en plus effrénées.
Mais derrière la vanité de cette fuite en avant, il reste toutefois de belles envolées, de beaux spectacles, et de magnifiques challenges.
Le tennis est une sorte d’oasis dans l’univers aride du sport. Il y a de l’élégance, de la grâce même parfois dans ces duels au soleil, acharnés mais non dépourvus de fair play.

S’il est un champion qui incarne mieux que quiconque cet état d’esprit, c’est bien Roger Federer.
Revenu à plus de 36 ans au sommet de la gloire, il affiche, tournoi après tournoi sa suprématie avec une souriante sérénité, qui n’empêche pas une once de désinvolture...
Il va, court, vole et nous venge de toutes les désillusions que le sport engendre par sa technicité, ses artifices et ses dérives marchandes.

Federer semble au dessus de tout cela. C’est une star parmi les stars mais il garde une incroyable fraîcheur, une inoxydable simplicité. Rien ne semble l’atteindre tant il paraît fait d’une autre essence que le commun des mortels. Il connut certes des échecs et des passages à vide, mais jamais le désespoir ne l’atteignit vraiment et sa force de caractère, sa détermination sont à l’évidence la cause principale de son exceptionnelle longévité.
Il est des mauvaises langues pour insinuer que sa domination s’explique par le manque de vrais rivaux. Mais n’est-ce pas plutôt son génie qui réduit à néant la concurrence ? A Wimbledon au début de l’été 2017, il n’accorda pas même un set à ses adversaire. Son jeu est un véritable enchantement tant il possède avec une précision millimétrique la quasi totalité des coups, qu’il sait faire varier pour retenir en permanence l’attention.
Dommage que les télévisions diffusent de moins en moins les matchs de tennis. La grande époque des Borg, Vilas, McEnroe, Nastase, Connors, et j’en passe, est loin mais le jeu en vaut encore la chandelle.
A ce stade, ce n’est plus du sport, c’est du grand art !

11 février 2018

No Limit

A l’imagination, rien n’est impossible. Faire vrombir un hot rod flamboyant dans l’espace était le pur fantasme du groupe de rock ‘n roll texan ZZ Top. Son panache incandescent devint l'emblème du groupe et illustra nombre de pochettes de leurs disques. Il ne s'agissait que de science fiction de bande dessinée en somme...
Mais aujourd’hui l’ébouriffant Elon Musk l’a fait pour de vrai ! Il a envoyé là haut un exemplaire rutilant de son roadster, arrimé au bout de sa fusée, l’a propulsé en orbite autour de la Terre où il fit quelques tours, avant d’entreprendre un voyage sans retour à travers le système solaire. Au volant, Starman, un mannequin en scaphandre, nonchalamment accoudé à la portière comme s’il était en balade.
Lubie de milliardaire, aussi clinquante qu’inutile, ou bien démonstration de savoir faire d’un entrepreneur sans limite ?
Les images de ce cabriolet rouge sur fond de planète bleue ont fait le tour du monde si l’on peut dire, et le fait est qu’il y eut somme toute peu de grincheux pour trouver à redire à l’exploit. Dans le même temps, on vit avec stupéfaction deux des fusées porteuses de l’engin revenir en douceur se poser
, l'une à côté de l'autre, droites comme des points d'exclamation, avec une précision impressionnante.

Les Etats-Unis sont bien le seul pays où une entreprise privée peut tutoyer les étoiles et se livrer avec humour à de tels challenges ! Pour cet essai technique, Elon Musk aurait pu en effet lester son cargo spatial avec du béton et de la ferraille, mais il a préféré sacrifier l'une de ses autos. Nettement plus amusant, et belle publicité sans nul doute...

Le parcours d’Elon Musk prouve s’il le fallait, que tout est possible outre-atlantique pour celui qui fait preuve d’audace et de détermination, même si ses projets peuvent paraître fous aux caciques confinés dans l'inertie bureaucratique.
Né en Afrique du Sud il y a 46 ans, de parents ordinaires, séparés alors qu’il n’avait pas encore 10 ans, il n’avait a priori aucun avantage pour accomplir ce qu’il a fait. Émigré au Canada puis aux Etats-Unis, il a créé une bonne demi-douzaine d’entreprises, à la pointe du progrès technique et de l’innovation écologique. Ses voitures électriques sont les plus performantes au monde et en matière d'astronautique, il est devenu le fournisseur attitré de la NASA. Il vient de montrer qu'il était en mesure de construire les fusées les plus évoluées qui soient. Il est avec Steve Jobs et d’autres, l’incarnation du self made man et la preuve qu’aux States l’ascenseur social n’est pas un vain mot.
Il est richissime. Sa fortune est évaluée à 20,8 milliards de dollars. Dire qu'il ne travaille pas pour l'argent serait sans doute excessif mais il est évident que d'autres ambitions le motivent. Pour autant, il a besoin d'argent, ses entreprises ont besoin d'argent et de capitaux. Longtemps il s'est "levé de bonne heure", comme dirait l'autre, pour aller quérir ces indispensables ressources financières. Il est peu probable qu'il soit enclin à se les faire massivement confisquer par l'Etat au nom d'une redistribution prétendue équitable du fruit de ses efforts. Il sait très bien le faire lui-même. Il n’y a que des vieux ronchons aigris et revanchards comme Jean-Luc Melenchon et ses épigones pour penser qu’une telle richesse soit nuisible…



There's a starman waiting in the sky
He'd like to come and meet us
But he thinks he'd blow our minds
There's a starman waiting in the sky…

(David Bowie)

09 février 2018

Péril climatique, époque climatérique

Les aléas du climat semblent en passe de devenir la plus grande menace pesant sur nos sociétés en mutation, et en quête de repères. Dans ce contexte, le progrès technique apparaît non seulement impuissant à endiguer ce danger, mais si l’on en croit les prophètes de mauvais augure, il en serait le premier responsable. Triste constat.
Sauf qu’il est bien galvaudé à l’évidence !
Certes les victimes des récentes inondations et dans une moindre mesure des chutes de neige et du grand froid hivernal sont bien réelles, et le spectacle de leurs mésaventures ne peut qu’inspirer sympathie et compassion.
De là à incriminer une fois encore le dérèglement climatique, il y a un pas que certains franchissent allègrement…
Le climat est à l’origine de catastrophes mais durant les mauvaises saisons, le débordement des fleuves, le gel et la neige n’ont rien de bien étonnant. On peut juste s’interroger sur l’ampleur des conséquences de quelques pluies insistantes ou de quelques de flocons accumulés sur nos routes.
D’une manière générale, il n’est en l’occurrence de calamité que pour les gens qui les subissent. Qui s’est vraiment soucié des gigantesques submersions et des terribles glaciations que la Terre a connu durant sa préhistoire, c’est à dire durant les millions d’années qui précédèrent l’arrivée des êtres humains ?
En tout état de cause, même s’il est réel et même s’il est causé par l’homme, le fameux réchauffement climatique paraît bien insignifiant par rapport à ces monstrueux désordres naturels.
Quant aux plus grands périls auxquels est exposée l’humanité, force est de constater que pour la plupart, ils sont causés par elle-même et le plus souvent, en toute connaissance de cause.
C’est vrai des guerres sanguinaires que les êtres humains se font depuis la nuit des temps pour des raisons souvent méprisables. C’est également vrai des crimes, de la violence, à l’échelle domestique, ou bien organisée par tant de régimes totalitaires, coupables de massacres au nom d’idéologie stupides.
Plus indirectement, combien de dangers nous font face du fait de notre propre négligence, de notre impéritie ou de notre inconscience des risques ?

Malgré tout, les progrès dans la connaissance du monde dans lequel il vit, et son aptitude à développer d’ingénieuses solutions techniques, permettent à l’Homme, cet infime “roseau pensant”, d’anticiper nombre de désagréments de la nature et de s’opposer aux rigueurs climatiques, et aux vicissitudes de nombre de maladies.
Il y a donc plutôt lieu d’être optimiste, si toutefois le courage, l’espoir, la raison, et la foi en un dessein supérieur ne désertent pas son esprit...

03 février 2018

Quand les affaires dérapent

A défaut d’avoir toujours pu être résolue et classée, dans l’actualité une affaire chasse l’autre.
Les projecteurs médiatiques se détournent vite des faits, même s’ils sont horrifiques. Mais pour peu qu’il y ait quelque rebondissement, l’attention renaît. Le Moloch de l’opinion publique exige du neuf.

Parfois ce qu’on croyait oublié revient au premier plan.
Il en est ainsi de l’affaire dite Alexia, du nom d’une charmante jeune femme retrouvée étranglée à deux pas de chez elle, à l’orée du bois le long duquel elle avait l’habitude d’effectuer son jogging matinal. On découvre avec stupeur trois mois après la découverte de son corps que le meurtrier n’est autre que son mari Jonathann. Ce jeune homme bien sous tout rapport, présenté comme doux et timide, jouait depuis trois mois le rôle de veuf inconsolable, soutenu par ses beaux parents et une foule d’amis et de sympathisants. Il s’était épanché devant les caméras le visage baigné de larmes et avait participé à nombre de manifestations publiques et notamment à la marche blanche en mémoire de sa femme.
Ce coup de théâtre ne fait que rappeler le caractère illusoire des apparences et la versatilité du sens qu’on donne aux évènements. Il en est ainsi de ces cérémonies populaires suivant la survenue d’un drame. Pour émouvantes qu’elles soient, elles sont sans lendemain et la sincérité qu’on croit lire sur les visages n’est parfois qu’un faux semblant. On se souvient de Patrick Henry, qui pour des raisons crapuleuses avait enlevé et tué un enfant de 7 ans, manifestant avec une foule éplorée, allant jusqu’à réclamer la peine capitale pour l’assassin…
Aujourd’hui c’est Jonathann Daval qui prend le rôle de monstre, capable de verser des larmes de crocodile sur le sort de son épouse qu’il a lui-même étranglée.
Du coup, tout dérape. Tout devient incertain. Un homme s’est étrangement suicidé à côté de la scène de crime, serait-il lié à l’affaire ?
Les avocats sont désemparés. Acculés par la pression médiatique, ils en disent trop, puis reviennent sur leurs propos, hésitent et perdent totalement les pédales. Le gouvernement, par la voix de la ministre de l’égalité des droits et des femmes, l'ébouriffante Marlène Schiappa, croit bon de s'immiscer dans cet imbroglio qu’elle n’hésite pas à qualifier de “féminicide”, lui donnant un tour idéologique. Seule madame le procureur garde son sang-froid, évitant sans doute d’autres dérives interprétatives.

A peu près au même moment, l’affaire du “petit Théo” qui avait défrayé la chronique il y a quelques mois ressurgit, à l’occasion de la publication d’une vidéo par Europe1. On croyait la cause entendue. La “victime” selon son propre témoignage, avait été l’objet de violences policières inqualifiables lors de son interpellation, qu’on ne pouvait attribuer qu’à la perversion et au racisme des forces de l’ordre. De notoriété publique, Théo avait été intentionnellement sodomisé par une matraque téléscopique, après qu'on lui eut baissé son pantalon. L’histoire était suffisamment convaincante pour que le Président de la République en personne, François Hollande, se fasse un devoir d’aller le visiter à l’hôpital en évoquant un garçon “connu pour son comportement exemplaire”, dont le souhait était de “vivre en paix et en confiance” avec la police.
Peu de temps après on apprenait qu’il était sous le coup, avec au moins un de ses frères, d’une enquête préliminaire pour détournement massif d’aides sociales. Puis, plus rien. Connaîtra-t-on un jour le dénouement de cette seconde histoire, rien n’est moins sûr...
En tout cas la vidéo récemment diffusée montre à l’évidence que la version donnée par Théo de son interpellation était mensongère. Elle fut certes violente mais causée par son refus mouvementé de s’y soumettre. Les échanges de coups qui s’ensuivirent ne révèlent en tout état de cause ni motivation raciste, ni agression sexuelle caractérisée.
Il s’agit donc encore une fois de dérapages multiples dans le cours d’une affaire fortement médiatisée, avant qu’elle soit jugée, mettant en cause la neutralité de représentants de l’Etat au plus haut niveau.
Que reste-t-il dans ces conditions de la sérénité et de l’indépendance de la justice, de plus en plus souvent bafouées, perturbées, souillées pourrait-on dire, par des considérations fondées, non pas sur l’objectivité et la connaissance des faits, mais sur l’idéologie ou la démagogie ?
La France peut bien faire la leçon à d’autres pays, elle fait figure de nation sous développée en la matière. Le triste état des prisons, souligné par la révolte récente des gardiens, est un reflet non moins accablant de cette incurie.

L’affaire mettant en cause M. Darmanin est elle aussi révélatrice. Certes, il apparaît très peu probable que le ministre du budget se soit livré aux violences sexuelles dont on l’accuse, mais dans un pays anglo-saxon, sa démission aurait été certaine, au moins jusqu’à ce qu’on sache précisément de quoi il retourne.
Chez nous il reste “droit dans ses bottes” et reçoit même le soutien unanime du gouvernement, ministre de la justice en tête. Tous avaient pourtant juré que dans le Nouveau Monde qu’ils incarnent, il n’y aurait plus aucune faiblesse ni indulgence…

Etonnante époque où la justice s’égare, et où la permissivité la plus débridée cotoie un puritanisme des plus rigides, qui s’étend comme une tache d’huile. Ce dernier est en train de tourner au délire obsessionnel.  Le sexisme est devenu le motif d'une véritable chasse aux sorcières. On supprime un acteur de la distribution d’un film presque achevé et d’une série à succès, on songe à effacer le nom d’un réalisateur réputé du générique de son propre film. On change la fin de l’opéra Carmen, au motif qu’une femme y meurt assassinée, un musée décroche des toiles parce qu’elle représentent des femmes nues...
C’est le règne de tous les excès ou en fin de compte, plus rien n’a d’importance, et plus grand chose n'a de sens...

31 janvier 2018

Fille de révolutionnaires

Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, disait le titre d’un film. Est-ce le cas de Laurence Debray, fille de l’ancien révolutionnaire castriste Régis Debray et de l’intellectuelle “de gauche” Elisabeth Burgos ?
Sans doute ne partage-t-elle pas vraiment l’assertion si l’on en croit ce qu’elle dit de ses géniteurs dans le livre témoignage qu’elle vient de publier.
Si elle n’est pas tendre avec eux, au moins peut-on dire qu’elle ne cède pas à la mode assez détestable de dénigrer sa famille, ses proches ou ses amis après leur mort, comme on le voit dans tant d’ouvrages.
Il ne s’agit d’ailleurs pas selon elle de régler ses comptes, mais simplement de décrire l’univers si particulier de cette intelligentsia dans laquelle elle a grandi tout en lui restant étrangère. Ce n’est pas tant leur engagement politique que l’auteur reproche à ses parents que d’y avoir sacrifié en quelque sorte leur fille et notamment tout l’amour et la tendresse qu’elle était en droit d’attendre. C’est édifiant et cela témoigne d’un certain courage et d’une force de caractère très impressionnante.

On connaît de nos jours Régis Debray, comme un notable plein d’onction et de componction, qui se veut le commentateur éclairé de son époque, dans des bouquins pédants et sentencieux, et qui ne déteste pas de parader sur les plateaux télés pour y étaler sa rhétorique ronflante de vieux gauchiste confit dans le mépris de classe.
Mais il y a quelques décennies, dans les années 60, il fut le compagnon très rapproché des guérilleros communistes cubains, dans leur combat pour la propagation de l’idéologie marxiste dans toute l’Amérique du Sud. Il copina ainsi avec Fidel Castro et fut pour ainsi dire le frère d’armes du “Che” Guevara.
On ne sait trop en quoi consistait sa participation à l’entreprise révolutionnaire de ses mentors, mais elle lui valut quelques ennuis et notamment d’être arrêté en Bolivie et condamné à 30 ans de prison ! Il n’en fera que quatre grâce à l’intervention de nombreux intellectuels de gauche dont Jean-Paul Sartre, mais surtout de tractations en sous main menées par le gouvernement français et sans doute les services secrets américains.
Suite à cette piteuse aventure, qui se solda entre autres par l’élimination de Guevara il prit très progressivement conscience de la brutalité de la dictature cubaine, et se résigna à un prosélytisme plus paisible à défaut d’être moins sectaire. Revenu en France, il s'accomoda fort bien de l’ambiance feutrée des salons politiques et littéraires germano-pratins, et tomba sous le charme de François Mitterrand dont il devint le courtisan servile et le laudateur zélé.

Laurence Debray naquit en 1976, quelque temps après la rencontre de Régis et d’Elisabeth Burgos, intellectuelle vénézuélienne “engagée”, lors de leurs pérégrinations révolutionnaires en Amérique du Sud. Hélas pour leur enfant, le couple n’eut jamais grand chose en commun, hormis les idées politiques et ils n’étaient de toute évidence pas vraiment faits pour devenir parents.
Il n’y a rien d’étonnant donc à ce que Laurence se soit sentie étrangère à cette famille inexistante : “Je n’ai jamais rien compris”, écrit-elle “ni à leur engagement politique, ni à leur vie dissolue.../… Nous ne partagions ni opinions, ni loisirs, ni rituels familiaux.”
C’est peu dire que malgré son ascendance, la malheureuse n’avait pas les gènes de la révolution en elle. Elle ne rêvait que “d’une famille stable, une existence sage, rangée et organisée, loin du pouvoir et de l’intelligentsia” car les idéaux “ne la font pas rêver”, elle est “pragmatique, factuelle, et réaliste.”
Dans cet étrange univers, le père farouchement égoïste “ne s’occupe que de son œuvre”. La paternité l’indiffère et “les responsabilités, ce n’est pas son truc”. Quant à la maman, “elle se voulait une femme libre, mais elle était finalement soumise” aux préjugés de son mari.
L’ambiance dans cette étrange cellule familiale était glaciale, marquée par l’intolérance vis à vis de tout ce qui s’écartait du dogme. “Avec mes parents”, écrit l’auteur, “rien n’était léger ou gai. Leur ton était sérieux” .../… ”on ne fréquentait pas les gens qui lisaient Le Figaro, allaient à Deauville, et s’ils vivaient rive droite, ils étaient très suspects.”
Même l’alimentation était réglementée de manière à éviter toute compromission avec le Grand Capital et les Etats-Unis qui représentaient l’horreur absolue. Il était notamment interdit de consommer du Coca-Cola ou des corn flakes.
S’agissant de la télévision, rares étaient les émissions regardables hormis “7 sur 7”, le talk show bien pensant animé par Anne Sinclair, “qui était notre messe hebdomadaire…”
Pas le moindre plaisir pas le moindre loisir qui n’obéisse au rituel intangible, et bien peu de tendresse. De toute manière, avoue Laurence, “Mon père me faisait peu de cadeaux. Il n’a jamais compris ce qu’on gagnait en offrant.” Pire, écrit-elle un peu plus loin, “Je n’ai aucun souvenir de mes parents faisant ensemble quelque chose pour moi ou avec moi.”
Les seules détentes ou voyages devaient s’inscrire dans la ligne du parti. C’est ainsi que Laurence fut contrainte, pour affermir sa pensée politique, d’intégrer à l’âge de 10 ans un camp de pionniers à Cuba, durant lequel entre autres distraction, on lui apprit le maniement des armes… On n’est pas très loin des islamistes qui endoctrinent leur progéniture et vont prêter main forte aux enragés du Jihad dans les pays du Proche-Orient...

Si elle ne trouva pas auprès de ses parents beaucoup d’affection, Laurence Debray trouva toutefois quelque réconfort auprès de ses grands parents. Elle adorait notamment sa grand-mère maternelle Janine Alexandre-Debray, qui fut rien moins que sénatrice, et avec laquelle elle eut beaucoup d’affinités au plan artistique et culturel.
A la disparition de ses parents, la manière avec laquelle Régis dispersa avec mépris leur héritage fut un nouveau sujet de dépit pour Laurence : ”Mon père pouvait prendre les armes dans le maquis pour sauver les déshérités de l’injustice mais ne pouvait pas prendre en main les affaires familiales. Ce fut surprenant… et décevant. L’image du père fut définitivement affaiblie. Mon père devenait rentier, avec tous les maux inhérents à ce confortable statut. Il prenait l’argent, mais ne gardait pas les souvenirs, ni le raffinement. Il enterrait définitivement ses parents et liquidait ses origines. Subrepticement, il s’accommodait d’une nouvelle vie, confortable, conventionnelle et bourgeoise.”

Autour d’elle, Laurence Debray vit nombre d’amis changer d’opinion vis à vis du régime cubain. Il en fut ainsi de Mario Vargas Llosa qui s’éloigna résolument, “préférant la démocratie et la liberté aux illusions”, de Jorge Semprun qui prit lui aussi ses distances, “fort de son expérience politique unique” lors de la guerre civile espagnole. Il en fut de même d’Alberto Moravia, qui confia à Elisabeth après le discours que Fidel Castro tint sur la place de la Révolution le jour de l’an de l’année 1966 : « Cela me rappelle Mussolini… »
Elisabeth et Régis quant à eux, avaient endossé sans réticence le statut “d’otages volontaires de luxe”. “Ils vivaient à la charge du régime, sous la coupe directe de Fidel Castro, comme des enfants subsistent grâce à leurs géniteurs, à la merci des moindres largesses et punitions.”
Avec le temps, l’opinion de Régis devint il est vrai légèrement plus nuancée, notamment après le procès du général Ochoa en 1989. Hélas, constate Laurence, “par ignorance et par fidélité à des idéaux qui n’existent plus, il se rallia néanmoins à quelques causes aussi grotesques que chevaleresques : le sous-commandant Marcos, ou la révolution bolivarienne de Hugo Chávez, ce que je vécus comme une trahison, comme le déni de mes origines vénézuéliennes, comme l’expression de la stupidité d’une gauche aveuglée par de bons sentiments, au détriment de la cruelle réalité.”
On sait comment Laurence Debray, monta courageusement au créneau contre Jean-Luc Mélenchon qui fut l’admirateur béat du régime de Chavez et qui témoigne d’une odieuse complaisance vis à vis de son successeur Nicolas Maduro. A défaut d’être révolutionnaire, Laurence Debray est révoltée : sous le regard torve de cette gauche incurablement partisane, le Venezuela sa seconde patrie, sombre dans la dictature et la paupérisation, alors que ce pays avait tout pour être un havre de paix et de prospérité.

En définitive, ce témoignage a la force du vécu et ses constats paraissent implacables. C’est en quelque sorte l’expression de la colère d’une génération envers celle qui la précéda, qui en dépit de l’abondance matérielle et de la liberté dont elle put jouir, s’érigea en donneuse de leçons de morale, aussi étriquée que dogmatique, et fit preuve d’une irresponsabilité vertigineuse.
Laissons à l’auteur l’épilogue et la morale de l’histoire: “ils ont vendu au monde leur solidarité mais agissent en grands égoïstes. Ils ont bénéficié du plein-emploi, n’ont jamais connu les affres de la précarité et profiteront des dernières retraites honorables. À force d’avoir eu des idéaux, ils laissent à leurs enfants le réchauffement climatique, une dette publique élevée, des retraites qui ne sont pas financées, le chômage de masse, un système éducatif peu performant. Sans remords, ni remise en question…”
Elle est gentille, car en plus de ces tares, elle aurait pu ajouter qu’ils se sont rendus coupables d’avoir aidé en paroles ou en actes, des assassins et des brutes dans leur oeuvre d’asservissement de peuples entiers, au nom d’une sinistre idéologie !
Leur mérite en somme est d’avoir conçu quasi à leur corps défendant, une fille bien sympathique, dotée d’un charme ravageur et dont la force de caractère et la lucidité donnent à penser que même quand on croit tout perdu, il reste malgré tout un espoir...