23 octobre 2006

L'art d'avoir toujours raison


Schopenhauer, encore lui !
On connaît donc l'aversion féroce qu'il nourrissait à l'encontre de la dialectique hégélienne. Dans ce court traité, il entreprend de mettre à jour les artifices et les procédés qui selon lui apparentent cette dernière davantage à un tissu de « rodomontades » qu'à l'exposé de « bonnes raisons ».
Ce qu'il condamne avant tout, c'est la propension à concevoir l'argumentation comme une fin et non comme un moyen, au risque de négliger la véracité des arguments : « Dans les règles de cet art, on n'a pas à tenir compte de la vérité objective, car il est impossible, le plus souvent, de dire de quel côté elle se trouve »
Il entreprend donc de recenser et surtout de démonter méthodiquement, les quelques 38 stratagèmes dont usent et abusent ceux qui pratiquent cet exercice rhétorique dans le seul but de paraître avoir raison.
Parmi les artifices destinés à créer l'illusion, on reconnaît nombre de ficelles largement utilisées de nos jours lors des joutes télévisées offertes à un public souvent peu exigeant.
Une des plus répandues consiste à fausser l'argumentation de l'adversaire en l'étendant « au delà de sa limite naturelle, pour l'interpréter au sens le plus vaste qu'il se peut et l'exagérer ». Ainsi on traduira par exemple la volonté d'un ministre de renvoyer dans leur pays des familles d'immigrés clandestins par un diktat consistant à expulser des enfants scolarisés...
Autre manière fréquente, l'exploitation d'homonymies pour étendre également l'affirmation, confondre le sens propre et figuré des termes, en un mot jouer sur les mots. On a entendu à peu près tous les excès de cette nature, et venant de tous le bords, lors du débat dévoyé, au sujet de l'existence « d'armes de destruction massive » en Irak. N'était-il pas vain d'ergoter à ce sujet, sachant que Saddam Hussein, qui se vantait d'ailleurs de les posséder, avait fait plus d'un million de morts dans son pays, dont 500.000 en usant d'armes chimiques ? Et que dire du Rwanda où 800.000 personnes périrent sous les coups de machettes et d'armes blanches...
Dans le même esprit, le stratagème 12 consiste à mettre d'avance dans le mot ce qu'on veut prouver. Ainsi certains s'auto-proclament « progressistes », tandis qu'ils qualifieront leurs adversaires de « réactionnaires ».
D'autres se plaisent à ajouter par principe au mot libéralisme le préfixe péjoratif mais spécieux « d'ultra ».
A l'inverse, on entend souvent défendre la fonction publique par la seule invocation de la notion sanctuarisée de « service public ». Pour un observateur crédule la cause est déjà à demi-entendue.
Dans un autre genre, un « coup brillant » consiste à retourner un argument à la manière d'un retorsio argumenti plus ou moins fallacieux : « C'est un enfant, il faut user d'indulgence envers lui », retorsio : « Justement, puisque c'est un enfant, il faut le châtier pour qu'il ne s'endurcisse pas dans les mauvaises habitudes. » A l'évidence les deux ont raison, mais ne parlent pas de la même chose...
Un autre exemple de cette manière de raisonner se trouve dans la manière avec laquelle on entend souvent aborder le problème de la violence. A celui qui préconise la répression on oppose habituellement qu'au contraire, il faut s'en abstenir car « la violence amène la violence ». Ce raisonnement simpliste, qu'on peut interpréter comme on veut, fut mis à mal de manière spectaculaire par les mesures destinées à améliorer la sécurité routière : le seul fait d'avoir installé des radars automatiques sur les routes a permis de sauver plusieurs milliers de vie en moins de deux ans ! Belle efficacité pour une action de répression vraiment primaire !
Un procédé habile assez voisin est celui qui suggère qu'un argument peut se retourner contre celui qui le propose, car « une once de volonté pèse plus lourd qu'un quintal d'intelligence et de convictions ». On sait bien par exemple que les partisans de l'ISF se recrutent avant tout parmi ceux qui savent qu'ils n'y seront pas assujettis...

On retient également le système cherchant à assimiler, pour mieux s'en débarrasser, l'opinion de l'adversaire à un point de vue généralement détesté. En politique, la référence honteuse au fascisme ou au national-socialisme, constitue ainsi le pont-aux-ânes des amalgames dictés par la mauvaise foi.
En dépit de toutes ces recettes, la situation peut parfois être difficile. Schopenhauer rappelle que même en ces circonstances, il reste encore quelques échappatoires qui peuvent se révéler fructueuses. Mettre par exemple l'adversaire en fureur, ce qui conduit à jeter le doute, voire le discrédit sur ses propos, ou encore, faire diversion, se « jeter tout à coup dans un autre propos comme s'il faisait partie du sujet ».
Pour finir, Schopenhauer flétrit l'attitude trop courante qui consiste à « se servir de l'opinion commune en guise d'autorité ». On peut en effet y voir l'opposé de la maïeutique enseignée par Socrate, dont le but est précisément de faire sortir de chacun la matière utile à raisonner de manière originale et personnelle. Hélas force est de constater que le pouvoir de persuasion des mass médias donne raison à Schopenhauer qui cite l'avertissement de Sénèque : « Chacun aime mieux croire que juger par lui-même ».
Au point qu'on pourrait parfois se lamenter avec lui sur le fait que : « Désormais le petit nombre de ceux qui sont doués de sens critique sont forcés de se taire »
Face à ces perversions, les sages pourraient être tentés de suivre son conseil, à savoir de « ne pas s'engager dans un débat avec le premier venu ». Mais s'agit-il d'un choix acceptable ? Ne risque-t-on pas d'entériner ainsi définitivement le règne des idées reçues, des clichés et de l'erreur ?

17 octobre 2006

Ils corrompent nos têtes


Les ouvrages de philosophie apparaissent à ma pauvre cervelle d'autant meilleurs qu'ils sont courts. Avec ce petit traité en forme de pamphlet (95 pages), Schopenhauer (1788-1860) répond parfaitement à cette aspiration.
Celui qu'on catalogue un peu vite parfois comme le chantre de l'ennui et du suicide, incendie ici joyeusement ceux qu'il appelle les bousilleurs de la philosophie à savoir Hegel, Fichte, et Schelling. Ils incarnent en effet la pédanterie et les sophismes qui caractérisent selon lui la Philosophie Universitaire.
Je ne connais guère Fichte, j'ai quelque indulgence pour le romantisme de Schelling. En revanche, je suis tenté de partager son opinion au sujet d'Hegel auquel il réserve ses coups les plus durs, le décrivant comme un « être pernicieux qui a complètement désorganisé et gâté les têtes de toute une génération »...
J'aurais même tendance à ajouter que nous souffrons encore de son empreinte maléfique.
Le jugement de Schopenhauer est sans appel : « Les partisans de Hegel ont complètement raison quand ils affirment que l'influence de leur maître sur ses contemporains fut énorme : Avoir paralysé totalement l'esprit de toute une génération de lettrés, avoir rendu celle-ci incapable de toute pensée, l'avoir menée jusqu'à lui faire prendre pour de la philosophie le jeu le plus pervers et le plus déplacé à l'aide de mots et d'idées, ou le verbiage le plus vide sur les thèmes traditionnels de la philosophie, avec des affirmations sans fondement ou absolument dépourvues de sens ou encore des propositions reposant sur des contradictions – c'est en cela qu'a consisté l'influence tant vantée de Hegel. »
Il qualifie le père de l'idéalisme germanique de philosophastre, et se désole de sa « pauvreté d'esprit », qui le conduit à « exposer habituellement des idées abstraites générales et excessivement larges qui revêtent nécessairement dans la plupart des cas une expression indéterminée, hésitante, amortie. »
Il condamne la fameuse Dialectique qu'il assimile à une phraséologie creuse, se demandant par exemple s'il est possible sérieusement d'imaginer qu'une phrase du genre : « la nature est l'idée dans son autrement être » signifie quelque chose. Il cloue par la même occasion au pilori ceux qui propagent cette pensée abstruse car « désorganiser de cette façon un jeune cerveau tendre, c'est vraiment un péché qui ne mérite ni pardon, ni égards. »
Après avoir brocardé le style et l'emphase, Schopenhauer ne ménage pas le fond. En premier lieu, les notions « d'absolu » et de « conscience directe de Dieu », le révoltent car elles ne peuvent que pervertir le but du philosophe et induire un dangereux mélange des genres : « Comme toute science est gâtée par son mélange avec la théologie, il en arrive de même pour la philosophie; et à un plus haut degré que pour toute autre, ainsi que le témoigne son histoire. »
Au surplus, il s'agit pour lui d'une perversion niant les acquis : « Il ne sert à rien que Kant ait démontré avec la pénétration et la profondeur les plus rares, que la raison théorique ne peut jamais s'élever à des objets en dehors de la possibilité de l'expérience.../... ni à Locke d'avoir fondé sa doctrine sur la non existence des idées innées. »
Schopenhauer s'insurge également contre la propension à ériger l'Etat comme étant « l'organisme éthique absolument parfait », et qui fait « s'y absorber la raison entière de l'existence humaine».
Par une sorte de prescience étonnante, il voit même « l'apothéose hégélienne de l'Etat, prolongée jusqu'au communisme »!
En bref, il trouve « antipathique » Hegel parce qu'il « parle constamment d'une chose de l'existence de laquelle il n'a aucune preuve et de l'essence de laquelle il n'a aucune idée. » Et plus encore parce qu'il enseigne comme s'il s'agissait d'une science, ces élucubrations. Car pour lui c'est certain, l'enseignement doit « être strictement borné à l'exposé de la logique, et à l'histoire tout à fait succincte de la philosophie. »
Les philosophes quant à eux doivent, à l'image de Platon, Spinoza, de Locke, de Hume, ou de Kant, être totalement indépendants de toute hiérarchie de tout pouvoir établi, car « l'atmosphère de liberté est indispensable à la vérité ». S'ils sont professeurs ils sont tenus de s'abstenir, comme le fit Kant, d'enseigner leurs propres théories.
C'est en étant imprégné de cette sagesse, de cette humilité, qu'un « esprit riche en pensées », qui possède « la connaissance et initie à la connaissance, récompense immédiatement son lecteur, à chaque ligne, de la fatigue de la lecture. »

14 octobre 2006

La leçon de ce siècle


Karl Popper (1902-1994) est un des grands penseurs libres du XXè siècle. Si ses ouvrages épistémologiques sont d'un accès ardu (La logique de la découverte scientifique, Conjectures et réfutations), sa pensée s'exprime souvent de manière très abordable. La société ouverte et ses ennemis constitue par exemple une référence incontournable pour tous les amis de la liberté.
Je choisis aujourd'hui d'évoquer un petit ouvrage, écrit à la fin de sa vie, intitulé « la leçon de ce siècle » (Anatolia 1993). Il y livre des réflexions simples et vivifiantes, sur une période sombre de l'histoire du monde, mais riche également d'espoirs pour l'avenir, et il évoque les grands problèmes auxquels l'humanité a été et sera probablement encore confrontée.
Perversité du totalitarisme
A ce propos, Popper rappelle le parcours édifiant de Sakharov. On connaît bien ce savant, père de la bombe atomique soviétique qui combattit courageusement les soviets vers la fin de sa vie. Avant de devenir le paria du régime, Sakharov le servit pourtant docilement, même sachant le caractère potentiellement destructeur de ses travaux. Il fut en effet un communiste fervent, convaincu qu'il fallait par tous les moyens détruire le capitalisme. Selon Popper, « doué d'une grande intelligence, il aurait pu voir que le système politique soviétique faisait de ce pays un endroit terrible », mais même en relatant ses souvenirs, jamais il ne dit « J'étais un travailleur qui obéissait à des ordres ». Alors qu'il ne pouvait ignorer que les expérimentations qu'on lui demandait de superviser feraient des victimes, il employait pour répondre à Khrouctchev les mêmes mots que tous les criminels de guerre allemands : « je ferai mon devoir »...
Misère des idéologies
Popper condamne le nationalisme notamment germanique dont il voit les origines dans les doctrines hégéliennes : « tous les problèmes soulevés par les nationalismes doivent être considérés comme dangereux »
Il analyse non moins sévèrement le marxisme et sa vision négative du monde : « Le marxisme a été une erreur pratiquement dès le début, parce que dès le début, l'idée marxienne consistait à chercher l'ennemi et non les amis qui peuvent aider à apporter une solution aux problèmes de l'humanité. »
Il se pose comme contempteur impitoyable de l'historicisme, qui « voit l'histoire comme un cours d'eau, comme un fleuve qui coule, et qui se croit capable de prévoir où passera l'eau. », « qui imagine pouvoir prédire l'avenir. »
Il s'insurge enfin contre l'état d'esprit répandu qui consiste dans nos pays à « gémir et pester contre le monde prétendument exécrable dans lequel nous sommes condamnés à vivre. »
Limites de la démocratie
« La démocratie en soi n'a rien de particulièrement bon, tout ce qu'il y a de bien vient d'ailleurs. »
« Il n'y a pas dans la démocratie de principe en vertu duquel la majorité a raison, parce que la majorité peut commettre d'énormes erreurs. »
« La liberté absolue est une absurdité. »
« Nous avons besoin de liberté pour empêcher l’Etat d’abuser de son pouvoir et nous avons besoin de l’Etat pour empêcher l’abus de liberté ».
Responsabilité des citoyens
Popper nous demande prendre conscience de notre chance et de comprendre que nos conditions de vie actuelles n'ont rien d'immanent : « Nos démocraties occidentales – et surtout les Etats-Unis, la plus ancienne des démocraties occidentales – sont une réussite sans précédent; cette réussite est le fruit de beaucoup de travail, de beaucoup de d'efforts, de beaucoup de bonne volonté et avant tout de beaucoup d'idées créatrices dans des domaines variés. Le résultat, c'est qu'un plus grand nombre d'hommes heureux vivent une vie plus libre, plus belle, et plus longue que jamais auparavant. »
C'est pour Popper un devoir de veiller à entretenir ce jardin fragile. Il accuse les médias de galvauder la liberté d'expression et de banaliser la violence : « La télévision a véritablement tourné à l'horreur alors qu'elle aurait pu être une bénédiction. »
« Il est immoral de diffuser des mensonges même lorsqu'on a le droit de le faire. »
Le philosophe d'origine autrichienne n'occulte pas pour autant les délicats problèmes liés aux droits des minorités et à l'influence de la religion : « Avant toute chose, il faut dire que les minorités doivent être protégées »
« Le libéralisme peut se passer des religions, mais il doit de toute évidence, coopérer avec toutes, à condition qu'elle ne soient pas intégristes »
Clairvoyance et optimisme
Ceux qui sont coutumiers de la pensée poppérienne savent qu'une des idées qu'il chérissait le plus était que « L'avenir est très ouvert, et qu'il dépend de nous, de nous tous. »
Cet optimisme s'oppose en tous points à la vision sombre et manichéenne du socialisme d'inspiration marxiste : « Selon la réinterprétation marxiste de l'histoire, l'objectif de chacun est de gagner de l'argent, d'acquérir des biens matériels, des armes, du pouvoir. Cette vision de l'histoire, aujourd'hui privée de l'espoir dans la fin dernière d'une société bonne, ne nous laisse en héritage rien d'autre qu'un égoïsme désespéré dans la représentation des choses humaines, et l'idée que les choses ont toujours été ainsi et le resteront toujours. »
Popper fait évidemment la part belle à la démocratie américaine, mais il mesure également l'apport fondamental d'un homme d'état comme Gorbatchev qui annonça : « Je veux faire du peuple d'Union Soviétique un peuple normal .»
Qu'il soit permis de terminer cet aperçu par une vibrante citation : « La vérité est que nous autres, en Occident, nous vivons dans le meilleur des mondes qui aient jamais existé. Nous ne pouvons permettre que cette vérité soit tue. »

12 octobre 2006

Le pays du matin calme vous salue bien

C'est étrange, les voix qui chantaient à l'unisson la faute à Bush lorsque ce dernier décidait de s'en prendre à Saddam Hussein, celles qui conseillaient de s'occuper plutôt de la Corée, sont bien silencieuses tandis que Ministaline fait joujou avec ses bombes du côté de Pyongyang.

Il est vrai que notre président est très pris par les temps qui courent. C'est fou les éclairs de lucidité qui frappent tout à coup son auguste personne au terme d'une carrière de près d'un demi-siècle. Après avoir découvert les injustices flagrantes touchant la retraite des anciens soldats coloniaux, il veut désormais "réformer le dialogue social" (Le Figaro 11/10) ! Vaste programme...
Quant au reste de la classe politique ils sont bien trop occupés à s'éliminer les uns les autres, au grand jeu de la primaire, comme à la Star-Ac...
Rendons-leur justice, ils se préoccupent tout de même des grands problèmes internationaux, puisqu'ils viennent d'obtenir à l'Assemblée Nationale le vote d'un texte ferme et efficace, sanctionnant un pays « voyou » : la Turquie de 1915, pour ses pogroms en Arménie ! On peut dire qu'ils ont l'esprit d'à propos...
Encore un peu de patience et ils vont bientôt s'attaquer à la révolution bolchévique !


Soyons sérieux, qui fait du barouf au sujet de la Corée, à part sa voisine du sud et le Japon qui sont trop proches géographiquement pour être crédibles : encore et toujours Bush ! Zut alors, on lui a déjà fait comprendre : la France n'est pas une vassale des USA. Bush aura beau s'époumoner à l'ONU, il n'engagera que lui.
En plus, il nous refait le coup des armes de destruction massive alors que selon Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, il n'y a vraiment pas de quoi fouetter un chat. Elle doute qu'il s'agisse d'une bombe atomique et a déclaré sur Europe 1, mercredi 11 octobre, que même "s'il s'agissait d'une explosion nucléaire, il s'agirait d'une explosion ratée, si je peux dire" . Ça aurait fait pschiit comme dirait l'autre (en Iran aussi, mais ça fait plutôt chiite...)
Entre nous soit dit, une explosion ratée, n'est-ce pas plus inquiétant encore qu'une explosion réussie ?


PS : Pendant ce temps, le Parlement irakien, élu démocratiquement, avance doucement. Entre mille périls, il a définitivement adopté mercredi 11/10 la loi créant un Etat fédéral (L'Express). Sans doute ignore-t-il les propos d'Artaban-Villepin, affirmant en toute modestie que pas «un pays ne conteste aujourd'hui la justesse de la position française» (Grand Jury- RTL-Le Figaro-LCI 9/10)

Le convoyeur

Sur une bonne idée, voici encore un exemple de l'incurable morbidité du cinéma français. L'ambiance lourde, grise, poisseuse, ultra-violente, véritablement répugnante qui imprègne ce film de bout en bout, est à vomir. C'est bien simple, rien n'éveille le moindre sentiment ni la moindre émotion dans cet infernal magma. Les entreprises de transports de fonds y sont l'émanation de la civilisation du fric et comme il se doit sont pourries jusqu'à l'os, juste bonnes à être rachetées par les « Ricains ». Les convoyeurs dont on imaginait le métier avec empathie sont dépeints ici comme des brutes avinées sans foi ni loi, guère plus intéressantes que les truands qui les attaquent à l'arme lourde.
Albert Dupontel campe un personnage totalement halluciné dont le jeu se résume à un festival psychiatrique faisant alterner expressions muettes de poisson mort, regards exorbités d'idiot constipé, et trépidations d'épileptique en rupture de traitement. On se doute que tout ça est la faute à la société comme d'habitude mais la rengaine est éculée et on trouve bien long ce déferlement prétentieux et gratuit de haine et de sang, qui trouve son apothéose dans un joli spectacle sons et lumières, en forme de carnage général.

11 octobre 2006

Zumbach's coat


Iain Matthews est comme une preuve vivante que ce qui est beau est rare.
Chanteur à la voix douce, claire, chaude, envoûtante, mélodiste d'une exceptionnelle sensibilité, il est bien méconnu, après 40 ans d'une carrière étincelante. Avant sa longue et belle trajectoire en solo, cet anglais errant et discret s'illustra pendant le Flower Power comme leader de groupes aussi prestigieux que Fairport Convention, ou Matthews Southern Comfort.

Aujourd'hui il livre en toute humilité le fruit doucement mûri d'une inspiration toujours intacte. On y trouve des perles dont le charme grandit à chaque écoute : One door opens, July rain, To be white, Start again, The Limburg girl and the traveling man...
L'album doit son titre au roman d'un ancien professeur de psychologie d'Harvard, Richard Alpert plus connu sous le pseudonyme de Ram Dass. Ami et complice de Timothy Leary, Aldous Huxley, Allen Ginsberg, il fut exclu de la prestigieuse université pour avoir initié ses élèves aux sortilèges de la psylocibine, et consacra par la suite sa vie à la sagesse orientale.
Dans le livre en question, Zumbach est un tailleur qui déploie tant de virtuosité commerçante, tant d'ingéniosité publicitaire qu'il convainc ses clients d'acheter des articles dont ils n'ont aucun besoin. Parabole élégante prenant pour cible la société de consommation, elle agit manifestement comme un baume sur Iain Matthews qui poursuit son chemin d'artiste hors des sentiers battus, un peu ignoré mais serein. Fasse le ciel qu'il continue encore longtemps d'enchanter ceux qui le suivent en rêvant d'un monde meilleur...

07 octobre 2006

Une théorie de la justice


Le libéralisme est souvent accusé par ses détracteurs d'être injuste ou inégalitaire. Naturellement, les théories philosophiques sur lesquelles il s'appuie sont les cibles de critiques non moins virulentes. Principalement l'Utilitarisme, né en Angleterre au XVIIIè siècle sous l'impulsion de Jeremy Bentham. On reproche notamment à son « principe du plus grand bonheur pour le plus grand nombre» de faire peu de cas de la justice sociale et des droits des minorités.
D'où l'intérêt qu'on se doit de porter à la contribution d'un penseur américain tel que John Rawls (1921-2002), souvent présenté comme utilitariste, épris d'équité. Se réclamant d'une vision pragmatique du monde, mais désireux de la réconcilier avec la morale, il obtint la consécration, notamment auprès des intellectuels de gauche, en publiant une imposante « Théorie de la Justice » en 1971.
La lecture de cette oeuvre s'avère ardue tant elle est touffue, et riche de concepts abstraits ou subjectifs. Autant le dire tout de suite, même avec un a priori favorable, je n'y ai pas trouvé la lumineuse clarté qui fit mes délices en découvrant les écrits de David Hume ou de John Stuart Mill. De ce fait, elle ne répond guère me semble-t-il, à l'esprit de l'utilitarisme qui est avant tout une philosophie pratique, aux concepts facilement compréhensibles et surtout applicables dans la réalité quotidienne.
Il est communément admis que Rawls fonde sa conception de la justice sur deux notions cardinales : Le "principe de liberté", et le "principe de différence". Prenons les séparément afin de les analyser avec un regard de béotien curieux.
Le premier est aisément recevable, bien qu'il soit défini de manière plutôt alambiquée : « Chaque personne a droit à un système pleinement adéquat de libertés de base égales pour tous, compatible avec un même système de liberté pour tous; et dans ce système, la juste valeur des libertés, et de celles-là seulement doit être garantie. » On comprend qu'il se situe dans le droit fil de la conception du droit proposée par Kant (ne pas faire à autrui ce qu'on ne voudrait pas qu'il vous fit, ou encore reconnaître comme juste l'intérêt d'autrui). Il peut également s'inscrire dans la filiation de Montesquieu : « Ma liberté s'arrête là où commence celle de l'autre », qui inspira la déclaration des droits de l'homme en 1789 : « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
Rien de choquant donc, puisqu'il s'agit de la base du contrat social sur lequel repose toute société responsable. Pour garantir la pérennité de cette valeur, Rawls trouve d'ailleurs une formule convaincante : « la liberté ne peut être limitée qu'au nom de la liberté. » L'obligation récente dans laquelle s'est trouvé le gouvernement britannique, réputé tolérant, de sévir face à l'attitude arrogante et violente de certaines communautés islamiques est une application pratique édifiante de ce concept.
Le second principe est en revanche plus ambigu et discutable. Il introduit en effet une notion éminemment subjective, celle de « l'inégalité juste ». Elle peut certes se concevoir comme règle de bon sens lorsqu'il s'agit de pallier un handicap naturel. Par exemple lorsque on offre à des enfants la possibilité d'accéder à un niveau d'études à hauteur de leurs capacités, quelque soit leur statut social.
On est d'ailleurs ici dans une logique parfaitement utilitariste qui consiste, ne serait-ce que dans l'intérêt général, à permettre aux individus de s'épanouir dans les meilleures conditions et de donner le meilleur d'eux-mêmes. C'est en quelque sorte, la fameuse « discrimination positive » si à la mode de nos jours...
Rawls a conscience qu'il est difficile ou utopique de donner à tous une stricte égalité, même réduite aux seuls droits et chances. Il juge nécessaire de préciser qu'il ne s'agit pas supprimer toutes les inégalités : juste celles qui défavorisent certaines personnes, surtout pas celles qui sont justifiées par l'utilité commune.
C'est là que le bât blesse, car tout se tient, et il paraît quasi impossible de distinguer objectivement les inégalités, et de toucher aux unes en respectant les autres. Le risque est donc grand de retomber dans le nivellement égalitaire par le bas, dont on connaît trop bien l'inanité, ou bien dans la facilité de mesures aussi réductrices et perverses que sont les quotas imposés (par sexe, race ou statut social...)
Rawls essaie de se sortir du traquenard intellectuel dans lequel il s'est engagé, en invoquant à son secours le fair-play et ce qu'il appelle le "voile d'ignorance".
L'intérêt de ce raisonnement est qu'il s'adresse à une communauté d'êtres humains responsables, ce qui est en cohérence avec l'objectif principal de la démocratie. Sa faiblesse est qu'on soit malheureusement encore si loin du but...
Du coup le fair-play reste à l'état de voeu pieux...
Quant au voile d'ignorance, il s'apparente à une construction très théorique. Il consiste en effet à postuler que les sujets amenés à prendre une décision, devraient se trouver au plus près d'une position « originelle », indépendante des critères du choix lui-même. Autrement dit, qu'ils soient en mesure d'extraire leur cas personnel de la problématique posée. Selon Rawls, « le voile est une métaphore dont la fonction est de borner l'information disponible, pour mettre en scène des partenaires, responsables des intérêts essentiels des citoyens libres et égaux, en mesure d'avancer une argumentation valide dans un cadre d'équité. »
L'exercice, si tant est qu'on puisse en juger à partir d'une définition aussi sibylline, consiste en quelque sorte à n'être pas à la fois juge et partie. Or il est hélas impossible pour des êtres humains de s'extraire totalement d'une problématique concernant la société dans laquelle ils vivent. La tentation est forte d'affirmer, en s'inspirant du célèbre théorème de Gödel, qu'il restera toujours un degré d'indécidabilité dans ce type de choix.
C'est précisément pour cela que les utilitaristes "classiques" recommandent de se déterminer, non pas en fonction de principes ou d'une justice immanents, mais plus prosaïquement de critères pragmatiques d'efficacité.
On ne doit pas par exemple, décider de la manière de sanctionner les crimes en se réclamant d'une hypothétique justice divine, ni en invoquant le besoin naturel de vengeance ou de revanche, mais en ayant à l'esprit le rapport bénéfices/risques pour la société, le problème étant de quantifier au plus juste ces notions. Ici en simplifiant, on dira qu'il s'agit avant tout de trouver la moins mauvaise solution entre deux écueils : le risque de l'erreur judiciaire et celui de la récidive.
Dans un domaine moins critique, la légitimité de l'impôt de "solidarité" sur la fortune ne devrait pas se poser en teme de justice sociale mais d'efficacité réelle de la mesure, en comparant objectivement les retombées positives et négatives. Il n'a jamais été prouvé qu'on enrichissait les pauvres en appauvrissant les riches...
En définitive, malgré de louables efforts, Rawls peine à se distinguer de John Stuart Mill qui était parfaitement averti de la tendance naturelle des hommes « à croire qu’un sentiment subjectif, si aucune autre explication n’en est donnée, soit la révélation d’une réalité objective ». Pour les utilitaristes dignes de ce nom, l'objectivité constitue depuis toujours un but essentiel.
En toute humilité, ils estiment que c'est à partir de la réalité pratique qu'on l'appréhende le mieux, et qu'on a la meilleure chance ici bas de se rapprocher de la fameuse position originelle de Rawls ou encore du non moins fameux impératif catégorique de Kant. Et ce souci n'exclut aucune considération morale.
C'est vraiment mal connaître les utilitaristes que de les accuser de n'être point humanistes. Une seule phrase de John Stuart Mill décrit suffisamment l'état d'esprit qui animait leur pensée : « entre son propre bonheur et celui des autres, l’utilitarisme exige de l’individu qu’il soit aussi rigoureusement impartial qu’un spectateur désintéressé et bienveillant »
L'apport de John Rawls, même s'il apparaît d'une grande sincérité, est donc quelque peu décevant. Plébiscité dans les années soixante-dix, il est au plan philosophique, comme l'expression de la mauvaise conscience occidentale et plus précisément du doute destructeur qui s'empara du monde anglo-saxon. Au plan stylistique il reste toutefois très dogmatique, ce qui lui valut ce trait assassin de la part de Toni Negri : « Un formalisme fort dans la pensée molle ».
En réclamant la prééminence de la liberté, sa théorie ne peut toutefois être complètement mauvaise.
Si elle donne envie de comprendre l'essence de l'utilitarisme, elle deviendra vertueuse...INDEXLECTURE

03 octobre 2006

L'utopie du professeur Nimbus


J'avoue ne pas bien comprendre les raisons de l'encensement médiatique constant dont bénéficie le professeur Albert Jacquard depuis nombre d'années.
Ce « grand scientifique » dont le caractère fondamental de la contribution en « génétique mathématique » reste assez nébuleux, fait preuve lorsqu'il parle de philosophie, d'une pensée rudimentaire, nourrie de bons sentiments mais enfonçant la plupart du temps les portes ouvertes du conformisme le plus niais.
Pour preuve ce florilège de sentences glanées dans son ouvrage intitulé Petite philosophie à l'usage des non-philosophes :
« L'amoureux qui espère ressent plus de bonheur que l'amoureux qui a obtenu ! »
« Sans l'homme, l'univers n'est qu'un continuum sans structure. »
« Être conscient que demain existera et que je peux avoir une influence sur lui est le propre de l'homme. »
« L'essentiel, peut-être, est intemporel. »
« Sans imagination il ne pourrait y avoir création. »

Je sais bien qu'il peut être réducteur de juger quelqu'un à partir de citations, mais je peine vraiment à trouver quoi que ce soit de novateur dans la foule de platitudes dont il nous abreuve régulièrement. Plus grave, il revendique même les erreurs tragiques de certains « intellectuels », en proclamant que « L'important n'est pas que mon discours soit vrai, mais qu'il soit sincère. » On connaît les ravages qu'un tel raisonnement a entraîné par le passé. Pour un soi-disant scientifique, et à notre époque, c'est tout simplement impardonnable.
Il est donc difficile d'accepter sans réagir, les vieilles lunes qu'il nous sert dans son dernier livre « Mon utopie », dont la presse se fait complaisamment l'écho jusque dans les pages glacées du Figaro Madame.
Mr Jacquard ressort en effet à propos de l'enseignement, la théorie usée jusqu'à la corde de l'égalitarisme pédagogique : « Avec ses notations, ses concours, ses palmarès, notre système éducatif instaure la soumission, et la course contre les autres ». Pas mal pour celui qui n'aime rien comme être le premier dans les manifestations, qui a le don de pointer avant tous les autres, sa bobine de professeur Nimbus partout où il y a des caméras de télévision, qui prétend même mieux que tout le monde, savoir comment il faudrait que le monde soit !
Il faut préciser que l'ancien polytechnicien, qui sourit d'aise quand on lui donne des « monsieur le professeur », n'hésite pas un instant pour juger en toute humilité son parcours d'étudiant émérite : « À Polytechnique, je n’ai rien appris ». Sans doute faut-il en déduire que comme tout un chacun, il avait la science infuse...
Et quand on lui demande de préciser davantage sa pensée, il avance à l'appui de sa thèse des arguments énormes, du genre indiscutable : « il y a dix mille ans, quand on chassait le mammouth, on n’essayait pas d’être le meilleur chasseur de mammouth » !
Sacré farceur ce Mr Jacquard ! Si personne n'avait essayé d'être meilleur chasseur de mammouth, nous serions probablement encore dans les cavernes ! Sans doute imagine-t-il que ça serait plus simple en matière de droit au logement... 

28 septembre 2006

La vengeance est un plat qui se mange froid...


Dans le dernier volume de son ouvrage « Le pouvoir et la vie », l'ancien président se déleste d'accusations graves et surtout sordides à l'encontre de l'hôte actuel de l'Elysée. Il évoque notamment les confidences que lui aurait faites François Mitterrand quelques jours avant sa mort. Ce dernier lui aurait révélé que Jacques Chirac et lui s'étaient rencontrés peu de temps avant l'élection présidentielle de 1981, et que le chef du RPR lui aurait confié qu'il fallait « se débarrasser de Giscard ». Mitterrand alla paraît-il même alors jusqu'à affirmer « qu'il n'aurait jamais été élu sans l'apport des voix de Chirac ».
Pourtant de l'aveu du même Giscard, et à la même époque, Chirac de son côté avait démenti, « catégoriquement toute rencontre secrète avec Mitterrand ».
Giscard ferait-il donc davantage confiance à Mitterrand son adversaire, qu'à Chirac, son ancien premier ministre (et qui c'est une certitude, lui avait permis d'être élu en 1974)? Et surtout oublierait-il que ce sont surtout les Français qui le renvoyèrent sans ménagement dans ses foyers, peut-être parce qu'ils avaient été un tantinet déçus par sa politique ? INDEX-PROPOS

27 septembre 2006

The ballad of Jack and Rose


Jack est un intéressant spécimen de hippie fossilisé. Il est confit dans ses vieux idéaux, tendance new age, écolo, et misanthrope. Don Quichotte de la rusticité, il est en guerre avec la société et tout particulièrement avec les promoteurs immobiliers qui investissent progressivement le terrain sur l'île de Nouvelle Angleterre, où il s'est exilé. Il y a bâti un micro-univers dans lequel il s'est enfermé après la mort de sa femme, avec ses certitudes et surtout avec sa fille Rose. Entre elle et lui, c'est un amour fusionnel, excessif, parfois un peu trouble, et narcissique.
Le jour où il décide de faire entrer dans leur petit monde une amie, Kathleen, et ses deux garçons, l'ordre et l'harmonie artificiels dans lesquels évolue cet étrange duo volent en éclats. Les drames se succèdent, l'émancipation de Rose est brutale et à plusieurs moments on frôle la catastrophe. Jack prend peu à peu conscience de l'impasse dans laquelle il s'est fourvoyé. La fin de l'histoire est hélas tragique, mais tout de même porteuse d'espérance.
Avec la performance étonnante de Daniel Day Lewis, c'est toute la force de ce film par ailleurs un peu long. La vision n'est ni bornée, ni manichéiste. Les sentiments sont complexes, un peu désespérés, ambigus, mais vierges de tout a priori idéologique. Certaines scènes sont poignantes et l'ensemble laisse une étrange sensation d'inachevé peuplé de questions torturantes : Aimons nous vraiment ceux que nous aimons ? Suffit-il d'aimer quelqu'un pour faire son bonheur ? A-t-on raison de haïr ceux que nous haïssons et de croire à ce que nous croyons ? INDEX-CINEMA

22 septembre 2006

Il n'est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir


Décidément Nicolas Sarkozy semble avoir décidé de faire parler de lui. Après sa visite à la Maison Blanche, ses propositions iconoclastes sur la carte scolaire, les régimes spéciaux de retraite, il attaque bille en tête la Justice, et ses dysfonctionnements.

Bien qu'étant dubitatif sur la volonté réelle du ministre de l'intérieur de changer nombre d'archaïsmes et d'idées reçues dont notre pays crève, j'avoue trouver ses sorties récentes assez jouissives tant elles sont décomplexées et tant elles laissent désemparé le microcosme politique autour de lui. Pour l'heure c'est lui l'agitateur d'idées et personne d'autre. Faute d'inspiration, ils en sont tous réduits à aboyer derrière lui...


La justice est mise en cause. La belle affaire ! Après les ratés mémorables d'Outreau on attendrait d'elle un peu de modestie. Bien au contraire, le premier président de la cour de cassation Guy Canivet demande à être reçu par Jacques Chirac, pour se plaindre des agissements de son ministre ! Il déplore une « nouvelle atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire » ! Parce que selon lui sans doute, lorsqu'on est juge on devrait être à l'abri de toute critique, et autorisé à toutes les conneries...

Comme s'ils souhaitaient eux aussi irriter le président Canivet, 28 préfets sortent de leur réserve et manifestent aujourd'hui dans le Monde leur mécontentement, déplorant la montée de la violence juvénile et accusant au premier chef les juges : « la déficience de la réponse judiciaire » est « la principale difficulté à la réalisation des objectifs de lutte contre la délinquance ».

Face à ce vrai problème, crûment posé, le plus délectable dans l'affaire restent comme prévu, les réactions de la classe politique, complètement à côté de la plaque

Celle d'abord de Jean-François Copé affirmant que les magistrats avaient «pleinement à cœur de faire respecter la règle de droit». Le pauvre, ça doit tout de même chatouiller le gosier, ce genre de couleuvre lorsqu'on s'est fendu d'un bouquin intitulé : « Promis, j'arrête la langue de bois » !

Celles bien sûr dans la majorité, de ceux qui à l'image du porte parole du gouvernement ménagent la chèvre et le chou dans l'attente de connaître avec certitude le champion auquel il faudra se rallier.

Et surtout les protestations quasi hystériques de certains socialistes, outrés sans doute qu'on ose ainsi s'attaquer au rituel empesé de la liturgie technocratique : Arnaud Montebourg qualifie Nicolas Sarkozy d'«anti-républicain dangereux» qui «doit être rappelé à l'ordre rapidement», Laurent Fabius et François Hollande appellent Jacques Chirac a « rappeler à l’ordre son ministre de l’Intérieur ». Enfin last but not least, Ségolène Royal, pour qui le ministre de l'Intérieur doit «présenter ses excuses» après un «dérapage inadmissible» . Pas de doute, le conservatisme et l'esprit réactionnaire ne sont plus là où on les croyait... INDEX-PROPOS

20 septembre 2006

Le grand méchant mou


Mr Chirac est en forme paraît-il. Et à quoi juge-t-on cette bonne santé ? Très simple : Il cultive le conservatisme le plus rétrograde et l'esprit de compromission le plus inconséquent.
Sur l'Iran par exemple, il trouve opportun à l'ONU de prendre à nouveau le contrepied de la position américaine en affirmant que : « la suspension de l'enrichissement d’uranium n'est plus un préalable à l'ouverture des négociations. » Il veut paraît-il « tester la volonté de négociation » du régime des ayatollahs (France Inter ce matin). Il faut tout de même le faire à l'heure où ces derniers vocifèrent entre autres imprécations, depuis plusieurs mois qu'ils ne céderont sur rien... Peut-être rêve-t-il de leur vendre le savoir faire technique de la France en la matière, comme il l'avait fait pour l'Irak de Saddam Hussein ?
En politique intérieure Mr Chirac juge utile de se démarquer de Nicolas Sarkozy. Les régimes de retraite spéciaux, qui constituent autant de privilèges féodaux, on n'y touche pas, la carte scolaire génératrice de tant d'injustices et d'inégalités flagrantes, on n'y touche pas... Bref, tout va bien madame la marquise ! INDEX-PROPOS

15 septembre 2006

Les cieux et les dieux sont incertains...



A l'occasion de son voyage récent aux USA, Nicolas Sarkozy a eu le courage – il faut bien le dire – de se démarquer des lieux communs ronflants et méprisants si souvent entendus au sujet des relations franco-américaines : «Plus jamais nous ne devons faire de nos désaccords une crise, a -t-il plaidé. De nos désaccords, faisons l'occasion d'un dialogue constructif, sans arrogance et sans mise en scène».
Faisant clairement allusion aux tartarinades de Mr de Villepin en 2003, lorsqu'il agitait le spectre du veto au conseil de sécurité de l'ONU, il a même fait amende honorable : «Jamais on ne doit chercher à mettre ses alliés dans l'embarras. On ne doit jamais donner l'impression de se réjouir des difficultés de nos alliés. Pour notre dialogue, l'efficacité dans la modestie, c'est ce qu'il y a de mieux.»
Évidemment le choeur des bien-pensants ne pouvait laisser sans écho ce pavé jeté dans l'espèce de bouillie pharisienne qui tient lieu de débat d'idées dans notre pays. Les Bouvard et Pécuchet de la morale franchouillarde sont rapidement montés au créneau. Mr Hollande a reproché à Nicolas Sarkozy d'être « non pas pro-américain mais pro-Bush ». Probablement sa conception approximative de la démocratie l'empêche-t-elle de comprendre que même si le président américain n'a pas que des amis dans son pays il est tout de même le représentant légitime de son peuple. Quant à Mr Bayrou, il a fait encore plus fort en accusant cette entrevue de contribuer à la «glorification de Bush». Plus ridicule, tu meurs...



Tony Blair, en dépit d'une popularité déclinante, garde le courage de ses opinions. Dans une contribution donnée au laboratoire d'idées Foreign Policy Centre, il condamne sans détour « la tendance à cultiver un sentiment antiaméricain dans certains secteurs de la politique européenne » la qualifiant de « folie, comparée aux intérêts à long terme du monde dans lequel nous croyons ».
Le premier ministre anglais n'est sans doute pas au dessus de toute critique; son mandat paraît un peu longuet semble-t-il aux yeux des Anglais; mais l'Histoire retiendra j'espère, outre son charisme, la force et la sincérité de ses convictions. Grâce à elles il réforma et modernisa son parti, qui était au moins aussi rétrograde et doctrinaire que le PS français. Il engagea son pays résolument aux côtés de L'Amérique, dans le combat pour la Liberté, connaissant la difficulté de l'enjeu et sachant qu'il risquait de ternir sa popularité.
On peut donc méditer son avertissement : « le danger avec l'Amérique d'aujourd'hui n'est pas qu'elle est trop impliquée. Le danger serait qu'elle décide de relever le pont-levis et de se désengager ».

Pendant ce temps, Mr Chirac qui constate que «La Méditerranée est devenue le point focal des incompréhensions entre les peuples», en est réduit a proposer la mise en place d'un « atelier culturel » entre l'Europe, la Méditerranée et le Golfe pour « promouvoir le dialogue des peuples et des culture »...
Qu'obtient-il en réponse ? L'exhortation à se convertir à l'islam envoyée par le président iranien, et les menaces des nervi d'Al Quaeda recommandant à leurs affidés de semer la peur «dans le coeur des traîtres et des fils apostats de France» et d'écraser «les piliers de l'alliance croisée».
Mr Chirac va devoir user de beaucoup de patience pour parvenir, comme il le souhaite, à «conjurer le choc de l'ignorance, de la bêtise et de l'arrogance».

Aujourd'hui même, la montée de l'intolérance se manifeste une fois encore à l'occasion de propos tenus par le pape Benoît XVI au cours d'un voyage en Allemagne. Il a demandé aux croyants du monde entier de « professer le visage d'un Dieu humain » et a condamné la guerre sainte et le recours à la violence au nom de Dieu : "Celui qui veut conduire quelqu'un à la foi a besoin de bien parler et de raisonner correctement, au lieu [d'user] de la violence et de la menace."
Si certaines de ses paroles visent à l'évidence, le fanatisme islamique, il n'en a pas moins accusé l'Occident chrétien de construire un monde dans lequel « Dieu est superflu » et de repousser « la religion dans le champ de la sous-culture» l'empêchant «de s'insérer dans le dialogue des cultures».
Ces réflexions, auraient donc pu inciter les musulmans modérés à se désolidariser des extrémistes fanatiques et à se rapprocher d'une vision humaniste de la religion. Pour l'heure hélas, elles ne font que déclencher au contraire un tollé tous azimuts, nourri de haine et d'anathèmes, assez inquiétant...

11 septembre 2006

Que la Liberté guide nos pas...


Le 11 septembre 2001, la Liberté a été frappée en plein coeur. Ceux qui ont proclamé la main sur le leur « Nous sommes tous des Américains » doivent être conscients du poids de leurs paroles. On ne se met pas à la place de ses amis pour un seul jour. Quand on scelle son destin au leur, ce n'est pas pour dénouer ces liens dès le lendemain.

L'Amérique blessée a réagi. Deux tyrannies sont tombées et la liberté s'est installée à leur place. Bien fragilement certes, mais rien ne dit qu'il soit impossible de progresser. Le combat n'est pas fini. Plus de 2600 soldats sont morts. Qui oserait prétendre qu'ils ne se battaient pas pour que l'Irak et l'Afghanistan puissent vivre libres et que leurs peuples n'aient plus peur de l'avenir ?

Le 11 septembre est un jour de tristesse, mais ce peut être un jour d'espoir s'il signifie qu'aucune personne n'est morte en vain. Séparées, l'Amérique et l'Europe risquent de s'engager sur des voies périlleuses ou sans issue. Le monde en souffrira. Ensemble elles peuvent faire avancer la lumière et la liberté. Leur fraternité sera sans nul doute un exemple pour d'autres. Le défi est gigantesque mais à portée de main. Puissions nous être à la hauteur... INDEX-PROPOS

08 septembre 2006

En France, l'opinion ne Bush guère...

Rediffusion hier soir par France 2 du pamphlet réalisé par William Karel, dirigé contre l'administration américaine actuelle, et subtilement intitulé « Le monde selon Bush ».
Faut-il croire qu'il soit encore nécessaire de renforcer le sentiment anti-américain qui étouffe déjà littéralement dans notre pays tout esprit critique depuis tant d'années ?

Le même Karel dans un précédent film, « Opération Lune », avait déjà montré comment on pouvait, grâce à un montage cinématographique habile, soutenir les thèses le plus abracadabrantes et donner l'apparence d'un documentaire objectif aux mensonges les plus gros.

Eh bien c'est sans aucune réserve qu'il faudrait lui faire confiance lorsqu'il entreprend de démolir le gouvernement américain en usant des mêmes recettes : assimilations grossières, raccourcis abrupts, basés sur des extraits vidéo coupés de leur contexte, des fragments d'interviews mis bout à bout.
L'essentiel de l'argumentaire se fonde sur des supputations et des insinuations parfois grotesques, allant par exemple jusqu'à qualifier les horribles attentats du 11 septembre de « cadeau » offert aux dirigeants américains pour leur permettre d'assouvir leur besoin obsessionnel d'en découdre avec l'Irak !
Quasi rien n'est dit sur l'intervention militaire en Afghanistan, qui permit grâce à une campagne éclair la chute du régime odieux des Talibans. En revanche, le film revient sans cesse sur l'illégitimité supposée de celle déclenchée en 2003 en Irak, présentant notamment ce dernier comme totalement étranger à la problématique moyen-orientale et cause « d'aucun danger imminent ».
Jamais il n'est rappelé que le tyran de Bagdad avait envahi le Koweit en 1991, que depuis cette date il narguait la Communauté Internationale, jusqu'à retenir en otage les inspecteurs de l'ONU, qu'il fut le seul chef d'état au monde à se réjouir publiquement des attentats de New-York, qu'il massacrait plusieurs dizaines de milliers de ses propres concitoyens par an, n'hésitant pas pour cette tâche, à utiliser d'atroces armes chimiques, enfin qu'il rêvait tout haut de détruire définitivement Israël...
Rien n'est dit non plus des longs mois de négociations pendant lesquels la chance fut laissée maintes fois à Saddam Hussein de trouver une porte de sortie honorable. Rien n'évoque l'intense débat démocratique contradictoire qui se déroula aux USA, et qui aboutit à un large consensus politique légitimant l'opération militaire.

Bref, la manière se présenter les choses adoptée par Mr Karel et son co-scénariste Eric Laurent, dont on connaît la haine recuite pour la famille Bush, ne se distingue en rien de celle employée par Michael Moore. Le président américain est présenté à travers ces tripatouillages comme un véritable illuminé religieux, moitié idiot moitié naïf, entouré d'une horde de comploteurs intriguant dans son dos. La plus belle et ancienne démocratie du monde à qui tant de pays, dont le nôtre, doivent la liberté est assimilée à un peuple d'imbéciles prêts à gober n'importe quelle sornette.
Hélas force est de constater que c'est en France qu'on trouve tant de benêts capables d'avaler aussi goulûment de tels torrents d'insanités. Évidemment les médias y contribuent largement en ne montrant et remontrant qu'un seul point de vue, mais tout de même...
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Ah ! ça Iran, ça Iran, ça Iran...

Mr Douste-Blazy donne parfois l'impression de faire de la politique étrangère comme d'autres font du macramé : en amateur. Au sujet de l'Iran par exemple, on serait même prêt à lui reconnaître un certain sens du comique si ce n'était aussi grave.
En août 2005, il s'insurgeait courageusement sur France-Inter, affirmant « qu’il fallait empêcher l’Iran de fabriquer la bombe atomique » et qualifiant « d’inacceptables les pressions actuelles de Téhéran »
Au début de l'année 2006, alors qu'on pouvait encore espérer une négociation, il était encore plus explicite : «Aujourd'hui c'est très simple : aucun programme nucléaire civil ne peut expliquer le programme nucléaire iranien » avait-il déclaré, « donc, c'est un programme nucléaire militaire clandestin.»
Depuis le conflit au Liban, il semble curieusement avoir tourné casaque et son ardeur a fondu comme neige au soleil, alors que la situation est plus inquiétante que jamais. Chacun a compris en effet que le Hezbollah était la créature de l'Iran et que ses buts fièrement revendiqués sont la destruction d'Israël et la création d'une république islamique au Liban. Chacun a pu voir que cette organisation ne se contentait plus de menaces, mais qu'elle était passée à l'action, montrant dores et déjà la mesure de sa capacité de nuisance.
Chacun peut entendre enfin les propos agressifs et intolérants des dirigeants iraniens et constater qu'ils deviennent de plus en plus arrogants et déterminés.

Eh bien c'est ce moment précis que notre sémillant ministre choisit pour déclarer qu'il faut considérer l'Iran comme "un acteur respecté et important", qui joue un "rôle de stabilisation dans la région" !
Alors que George Bush alerte une fois encore la communauté internationale sur la menace représentée par un pays dirigé par des fanatiques, et qu'il tente de rameuter la cavalerie : « Les nations du monde libre ne permettront pas à l'Iran de produire l'arme nucléaire. », Mr Douste trouve très fin de se désolidariser par avance en minimisant le danger, mettant même en garde contre une dérive vers une « guerre de civilisations » entre les Occidentaux et le monde musulman, et ridiculisant à mots couverts le président américain : « Le mal et le bien ne sont pas décrétés par des Occidentaux dans un pays donné ».
Après Dominique de Villepin face à Saddam, Mr Douste volant au secours du président Ahmadinejad dans l'espoir de sauver la paix, cela rappelle de bien mauvais souvenirs.
En avril 1938, Daladier trouvait des accents martiaux pour illustrer la détermination de la France à défendre son alliée la Tchécoslovaquie : "Si la France et la Grande-Bretagne continuent de s'incliner devant la violence, si l'esprit politique qui leur est commun est inspiré par la faiblesse, elles ne feront que précipiter de nouveaux appels à la force et en préparer le succès". L'ennui c'est qu'en septembre de la même année, il s'inclinait piteusement avec Neville Chamberlain devant les exigences du Führer, évitant temporairement la guerre, mais oubliant les promesses faites aux Tchécoslovaques et préparant le séisme qui allait ravager l'Europe et le monde moins de 2 ans plus tard.
Churchill avait trouvé le 5 octobre 1938 devant les Communes, les mots justes, mais effroyables pour qualifier cette lâcheté :
« Tout est fini. La Tchécoslovaquie muette, triste, abandonnée et brisée s'enfonce dans les ténèbres », et parlant des brillants négociateurs : "Ils ont eu le choix entre le déshonneur et la guerre ; ils ont choisi le déshonneur, et ils auront la guerre"...
Daladier de son côté, quoique faible, n'était pas dupe. Il fut surpris du triomphe que la foule lui fit à son retour de Munich. Il laissa échapper dans un murmure qui n'échappa pas à son entourage immédiat : "Les cons, s'ils savaient..."
Certes l'Iran de 2006 n'est pas l'Allemagne de 1938 et Israël n'est pas la Tchécoslovaquie, mais tout de même, l'histoire a parfois un goût de déjà vu...
INDEX-PROPOS

Je fusionne, tu fusionnes, ils fusionnent...

Les députés sont de vrais gamins. Ils jouent au débat parlementaire en déposant pas moins de 137.449 amendements destinés à bloquer le projet de fusion GDF-Suez ! Vaine plaisanterie qui aura probablement l'effet inverse de celui recherché et conduira peut-être à renoncer à toute discussion puisque la loi permet de rejeter l'ensemble sans nuance par la procédure du vote bloqué ou sans vote du tout, en invoquant tout simplement le fameux 49.3... De toute manière, c'est vraiment pour rire, car ce qui est en cause, ce n'est pas la fusion, qui ne choque personne, mais la privatisation, synonyme d'horreur absolue dans notre pays.

C'est une vraie épidémie par les temps qui courent. Après Canalsat et TPS, ce soir c'est Alcatel et Lucent qui s'associent pour devenir un seul conglomérat : le numéro 2 mondial des équipementiers télécom ! C'est pourtant curieux, ni les actionnaires d'Alcatel, ni ceux de Lucent n'avaient l'air d'être convaincus du bien fondé de la manoeuvre à l'issue des assemblées générales entérinant ce choix (Le Monde 7/9/06)...

06 septembre 2006

God bless you, Bob

Dans un monde plein d'insipide sentimentalité, de platitudes ronflantes, d'urgences vaines, et d'ersatz démocratiques, Bob Dylan fait partie des quelques repères rassurants qui au dessus du tumulte mou, vous rappellent que l'existence est plus que tout cela et qu'elle vaut bien la peine d'être vécue.
Il n'affiche pas de grands sentiments, se garde de toute niaiserie intellectuelle et de tout engagement borné. Mais il est là. Il est rugueux comme la terre sur laquelle on peine, moelleux comme l'herbe où l'on s'allonge, humble et sauvage comme les fleurs qui peuplent le bord du chemin, et aussi libre que les voiles qui glissent l'été sur l'horizon ensoleillé. Son oeuvre baigne dans une intemporalité tranquille à la fois continue et sans cesse renouvelée. A l'image des palétuviers plongeant des milliers de racines dans la boue de la mangrove, son talent puise son inspiration à mille sources, et se nourrit du quotidien en le transcendant de mille façons.
Dans son dernier album intitulé tout simplement, et par tendre dérision « Modern Times », on trouve toutes les facettes de cet art à nul autre pareil. Le son est velouté, léger, aérien, parfaitement maîtrisé, la voix pincée tient du feulement mais son timbre est plus profond et magnifique que jamais. Cette musique apaisée, sereine, lumineuse emprunte tantôt au jazz, tantôt au blues (thunder on the mountain, rollin' and tumblin', someday baby), s'égare en ballades émouvantes (spirit on the water, when the deal goes down, workingman's blues #2, beyond the horizon), revient par moment à une scansion plus appuyée (Nettie Moore) et meurt en une douce et indicible complainte (ain't talkin'). Un vrai trésor.
INDEX-MUSIQUE

31 août 2006

V pour vendetta : vers le meilleur des mondes ?

Cette histoire qui reprend le thème rebattu du vengeur masqué évoque naturellement de prime abord le personnage emblématique de Zorro : solitude du héros, cape et chapeau noir, voltiges à l'arme blanche, paraphes en lettres de feu...
Pour s'en démarquer, les scénaristes ont tenté d'instiller un peu d'ambiguïté dans l'intrigue, et d'inattendu dans le manichéisme. Hélas ça donne en fait une sorte de galimatias sans queue ni tête, nourri d'allusions plutôt équivoques : D'un côté on découvre l'Angleterre soumise à un régime totalitaire qui justifie sa pression policière par des périls imaginaires, mais dont le peuple s'accommode assez bien, accroché qu'il est à son confort matériel. L'église y est comme il se doit, pervertie et inféodée au Pouvoir, l'homosexualité, synonyme d'intelligence et d'ouverture d'esprit est persécutée, et le Coran constitue la relique émouvante d'une culture bannie. L'Amérique quant à elle est en pleine décomposition « à cause des guerres qu'elle a entreprises... »
De l'autre côté, on suit les péripéties d'un justicier censé incarner le bien mais dont les jugements sont expéditifs. Il n'hésite pas « pour la bonne cause », à tuer, brutaliser, terroriser, ou à faire sauter joyeusement les symboles même de la démocratie que sont le Parlement et le Palais de Justice en se servant du métro pour véhiculer ses bombes...
Au final le sentiment qui domine, c'est celui d'assister à une farce sinistre qui s'épuise en bavardages sentencieux et invraisemblances ridicules. L'esthétique léchée de BD post-moderniste ne parvient à sauver cette douteuse aventure qu'on voit s'achever non sans un certain soulagement. INDEX-CINEMA

28 août 2006

Retour vers le meilleur des mondes


A la fin des années cinquante, près de 30 ans après avoir écrit Le Meilleur des Mondes, Aldous Huxley jugea nécessaire de revenir au problème « énorme » de la liberté et de ses ennemis.
Son propos reste par bien des aspects d'une brûlante actualité, même si certaines de ses craintes ne paraissent à ce jour pas trop fondées : la surpopulation par exemple, qui l'incitait à préconiser des remèdes malthusiens, ne menace guère les régimes démocratiques. Aujourd'hui c'est plutôt la dénatalité qui constitue pour elles un problème.
De même on n'est plus trop effrayé par la propagande subliminale ou bien celle infligée pendant le sommeil, qu'il appelle hypnopédie. Leurs dangers paraissent pour l'heure assez théoriques.
Il reste toutefois une réflexion pénétrante sur la fragilité de la liberté, menacée aujourd'hui encore par toute une série de fléaux très concrets :
-L'excès d'organisation qui conduit à la bureaucratie, à la centralisation, à l'uniformité, et à la perte progressive du contrôle par les citoyens des leviers de commande la société : « L'organisation est indispensable, car la liberté ne peut naître et avoir un sens que dans une communauté d'individus coopérant sans contrainte à la réglementation de l'ensemble.
Mais bien qu'indispensable, elle peut aussi être fatale. Son excès transforme hommes et femmes en automates, paralyse l'élan créateur et abolit la possibilité même de l'indépendance. »
-La propagande et l'endoctrinement qui restent très présents en dépit de la mort des grandes idéologies du XXè siècle. Huxley est très convaincant lorsqu'il montre comment on peut par l'endoctrinement, anéantir la personnalité la plus affirmée et avoir raison de la raison la plus solidement ancrée : « Si l'endoctrinement est bien fait au stade voulu de l'épuisement nerveux, il réussira. Dans des conditions favorables, pratiquement n'importe qui peut être converti à n'importe quoi. »
La montée du fanatisme islamique est la preuve flagrante de la permanence de ce démon qu'on croyait terrassé. Il serait instructif de savoir pourquoi autant de jeunes gens acceptent de mourir en kamikaze, en se rendant coupables dans le même temps de carnages démentiels. Il est impossible que des êtres doués de raison en viennent à de telles extrémités, surtout au nom de Dieu, sauf à avoir été contraints par une diabolique propagande « à accepter pour évident ce dont il serait raisonnable de douter. » Il faut donc conclure qu'il existe des infrastructures puissantes d'endoctrinement et de coercition, au sein même parfois d'authentiques démocraties. Ce sont les pépinières des totalitarismes de demain.
-Le plus grave enfin : l'abandon progressif de l'attachement à la liberté. Huxley cite des sondages de l'époque objectivant que : « La majorité des adolescents au dessous de 20 ans ne croient pas aux institutions démocratiques, ne voient pas d'inconvénient à la censure des idées impopulaires, ne jugent pas possible le gouvernement du peuple par le peuple et s'estimeraient parfaitement satisfaits d'être gouvernés d'en haut par une oligarchie d'experts assortis, s'ils pouvaient continuer à vivre dans les conditions auxquelles une période de grande prospérité les a habitués. »
Cette sorte d'insidieuse démission constitue peut-être le venin le plus dangereux. C'est sans doute à cause d'elle que tant de gens à se fermèrent les yeux sur le péril hitlérien lors des négociations de Munich, préféraient être « rouges plutôt que morts » lorsque les hordes communistes surarmées trépignaient d'impatience aux portes de l'Europe, ou de nos jours se lavèrent les mains du sort des Irakiens soumis à un despote sanguinaire, sous-estiment complaisamment la dictature terrifiante de Castro, ou enfin semblent se résigner à la disparition pure et simple d'Israël, qualifié de plus en plus souvent de corps étranger en terre d'islam...
A la fin de son ouvrage, Huxley évoque le Dodo, cet oiseau sans aile, autrefois endémique sur l'île Maurice et aujourd'hui disparu : « Tout oiseau qui a appris à gratter une bonne pitance d'insectes et de vers sans être obligé de se servir de ses ailes renonce bien vite au privilège du vol et reste définitivement à terre. »
Et il conclut : La Liberté, « un certain nombre d'entre nous croient encore que sans elle les humains ne peuvent pas devenir pleinement humains et qu'elle a donc une irremplaçable valeur » INDEX-LECTURE

23 août 2006

Honni soit qui Google y pense...

En feuilletant distraitement le dernier numéro de l'Express, je tombe sur un entretien accordé à la revue par Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque Nationale de France.
Ça commence plutôt bien car il commente avec enthousiasme le fabuleux développement de l'internet et cherche à convaincre des bienfaits des techniques de numérisation qu'il voit comme « un moyen de sauvegarder les livres », et « de mettre à portée de tous les richesses accumulées au long de siècles ».
Mais il émet aussitôt des réserves sur la manière d'y parvenir, critiquant sans ménagement l'initiative de Google, qui prévoit de numériser en 6 ans pas moins de 15 millions d'ouvrages.

On peut certes comprendre qu'il soit un peu frustré par l'ampleur du projet. Ça fait évidemment beaucoup par rapport à celui de la BNF, Gallica, qui propose à ce jour 80.000 livres en ligne et qui espère en produire désormais 120.000 par an.
En réalité, c'est la nature même de la démarche qui le chiffonne : Google, « c'est un environnement américain qui préside au choix des livres et à la manière de les présenter », « C'est le royaume du vrac », asservi « à une logique marchande », dans lequel « un algorithme aussi secret que la recette du Coca-Cola », privilégie quelques références « comme les têtes de gondoles dans les librairies ».
Mr Jeanneney est choqué et il enfonce le clou. Pour lui c'est clair, « si l'état ne surplombe pas le marché, la diversité culturelle sera écrasée ».
Curieuse manière de raisonner : il s'insurge contre « les grands monopoles » tout en constatant la profusion difficilement égalable de leurs offres, il craint la « loi du marché » qui présente en premier ce qui se demande le plus, et il en déduit étrangement que seul l'Etat, par ses serviteurs zélés, est capable de régenter l'univers culturel !
En citant le général de Gaulle : « Ne soyez pas aveugle en face du marché », il donne pourtant lui-même une clé intéressante. On a vu par le passé les ravages de la culture d'Etat. Le marché quant à lui, n'impose les choses qu'aux gens qui se les laissent imposer. Soyons éclairés et le marché le sera. Mais pourquoi donc abandonner à d'autres les choix qui nous incombent ?

Aujourd'hui même on pouvait lire dans la presse que la Commission de Bruxelles n'avait jamais enregistré autant de fusions d'entreprises qu'en 2006, plus de 345 ! Ce qui est habituellement salué comme un évènement heureux et encouragé par les Pouvoirs Publics, autant d'ailleurs pour les entreprises nationalisées que privées, ne laisse pas d'inquiéter. J'aimerais, en bon libéral jeffersonien que je suis, être certain que cette tendance concentrationnaire ne constitue pas un danger pour l'émulation et le progrès...
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L'enfer est souvent pavé de bonnes intentions

Toujours dans l'Express, Claude Allègre s'interroge gravement au sujet de la peine de mort : en la supprimant, « n'a-t-on pas instauré une torture plus barbare encore ? »
Il rappelle qu'il approuva sans réserve l'abolition, inscrite dans le programme électoral de François Mitterrand en 1981 pour plusieurs raisons : elle rend l'erreur judiciaire moins irréparable tout en n'ayant aucune influence péjorative sur les statistiques de criminalité, et elle prend en compte le bon vieux principe rousseauiste qui veut qu'un homme ne soit jamais « définitivement bon ou mauvais ».
S'il paraît ne pas regretter son choix, il se lamente cependant sur l'alternative retenue : « Pour satisfaire une opinion publique toujours plus répressive et désormais privée de sang, on a institué la réclusion perpétuelle incompressible ». Elle ne fait en effet selon lui que fabriquer « des fauves dangereux » ou « des dépressifs profonds ».
Mais au delà de ces propos quelque peu réducteurs et méprisants pour le peuple, le problème est qu'il ne dit pas ce qu'il faudrait en définitive faire.
Ah ces gens bien intentionnés, qui ne veulent pas de bourreaux parce que c'est inhumain, qui ne veulent pas de « perpète » parce que c'est cruel, et qui ne veulent pas même de prisons parce qu'il vaut mieux construire des écoles et des logements sociaux...
Avec leurs bons sentiments, ont-ils seulement imaginé qu'ils avaient une part de responsabilité dans le grand délabrement de la justice en France ? Les victimes d'assassins récidivistes, les prisons surpeuplées, les outrances judiciaires dont Outreau fut le tragique révélateur, n'ont-elles pas quelque chose à voir avec leurs doutes larmoyants, issus contre toute attente d'une morale somme toute très dogmatique ?
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Trois enterrements

Ça commence par la mort d'un homme, tué par balles, dont on découvre le corps au milieu de nulle part, entre le fin fond du Texas et l'orée du Mexique, alors que les coyotes s'apprêtent à le dévorer.
Mais cette entrée en matière brutale, évoquant un thriller brûlant, se met à patiner un bon moment en tergiversations, supputations, et allers et retours incessants entre le passé et le présent, autour de personnages et d'évènements qu'on peine à mettre en cohérence. On se demande même si quelque chose va vraiment démarrer au sein de cette atmosphère desséchante, ivre de poussière et de soleil.
D'autant que la vie est dure dans cette contrée reculée. La police des frontières omniprésente, n'est pas tendre avec les malheureux qui tentent de fuir leur pays pour gagner un hypothétique eldorado. D'une manière générale les gens ne sont pas très avenants, à l'image de Tommy Lee Jones avec sa silhouette hâve et sa gueule burinée, mal rasée de vieux cow boy désabusé. L'ennui est sur toutes les têtes. Les femmes le trompent en trompant leur mari et les hommes en buvant, et en baisant les femmes qui trompent leur mari...

Et puis les morceaux épars du puzzle se rassemblent tout à coup.
Cet homme, on apprend par qui et pourquoi il a été tué. On découvre qu'il avait un ami qui tenait vraiment à lui. On comprend que pour cet ami, le crime ne peut rester impuni et que les dernières volontés du défunt doivent être exaucées.
Une vengeance se dessine alors, car la justice doit passer, même si ceux dont c'est le métier s'avèrent incapables de la rendre.
Elle va donc s'accomplir au travers d'une hallucinante chevauchée, une sorte de vertigneux et insensé huis clos itinérant. Un véritable voyage expiatoire, rude, terrible, dont la simplicité implacable évoque naturellement les errances solitaires des héros du western classique.
Tommy Lee Jones, dont c'est la première réalisation, en fait un peu trop dans le sordide. Mais il signe toutefois une oeuvre originale, magnifiquement dirigée et servie avec brio par des acteurs excellents : lui-même, Barry Pepper, mais aussi par exemple Levon Helm - le batteur du groupe mythique The Band - qu'on découvre en vieil ermite aveugle qui supplie qu'on achève sa vie sans espoir. Le tout s'appuie sur un scénario dur, mais fort heureusement pas aussi gratuit qu'on pouvait le craindre. Les situations sont plus complexes qu'il n'y paraît. L'assassin avait des raisons d'en vouloir à sa victime, mais il ne le savait pas. Le mort était gentil mais un peu menteur. Quant à l'immigration clandestine, elle est là comme un fait tragique, incontournable, pas comme le prétexte à un parti pris idéologique...
Bref, c'est diablement humain...
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22 août 2006

The constant gardener

On ne voit pas bien ce que vient faire le jardinier dans cette histoire. On ne voit pas bien pour tout dire, l'intérêt de l'histoire tant elle est compliquée, obscure et invraisemblable...
Il faut dire que rien ne tient vraiment debout dans ce montage tarabiscoté et manichéen qui voudrait nous faire croire, sur fond de romance à l'eau de rose, que les entreprises pharmaceutiques occidentales n'ont qu'une idée en tête : s'enrichir sur le dos des pays pauvres, en tuant au passage leurs enfants, utilisés comme cobayes sans âme, pour des médicaments pourris. Tout cela naturellement avec la bénédiction des gouvernements dont ils dépendent...
La coupe est décidément pleine de ces chevaliers blancs qui semblent se faire un devoir de pourfendre le système qui les nourrit. A trop vouloir en dire on ne dit rien. Si la situation est aussi grave ce n'est pas avec des insinuations aussi grotesques qu'on peut espérer la changer !
John Le Carré, l'auteur du livre dont est tiré le film, a depuis toujours cultivé l'ambiguité politique. Cette fois, il a manifestement rejoint les rangs des enragés de la théorie du complot. De ceux qui voient partout l'empreinte des griffes du Grand Satan Bush et qui haïssent le capitalisme avec des arguments à peu près aussi subtils et perspicaces que ceux qu'employaient les Bolchéviques. Un signe ne trompe pas, le romancier anglais fait figure dorénavant pour le Parti Communiste d'écrivain "franchement prodigieux de finesse et d’intelligence critique", "l’un des chroniqueurs les plus sagaces du dernier demi-siècle" (l'Humanité avril 2004).

Le vrai problème de ce film de Fernando Meirelles, c'est qu'en dehors de ce parti pris discutable mais après tout légitime, ce qui aurait pu être un bon thriller s'avère n'être qu'un navet très convenu et sans nuance, assez gonflant pour tout dire.
La mise en scène qui use et abuse des feed-backs, est approximative, décousue, incohérente un peu comme les trépidations anarchiques dont est affligée la caméra.
Le suspense est quasi inexistant tant l'histoire est prévisible, dès les premières minutes.
Même l'histoire d'amour entre Tessa-Rachel Weisz et Justin-Ralph Fiennes vient comme des cheveux sur la soupe. On n'y croit pas un seul instant et le jeu des acteurs stéréotypé et superficiel y est pour beaucoup. Elle est horripilante, il est niais.
Bref, on cherche vainement ce qui pourrait valoir un compliment dans cette lamentable guimauve bien-pensante. Quelques images pathétiques d'une Afrique qui crève, avant tout des déchirures qu'elle s'inflige elle-même, et de sa désespérante incapacité à surmonter un fatum si noir sous un soleil si blanc peut-être....
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21 août 2006

Et pan dans le Sénat !

Arnaud Montebourg, qui ressemble tant à un petit marquis qu'on voit presque constamment son nom affublé d'une particule, l'affirme bien fort ce matin sur France-Inter : « Tous les démocrates ont le Sénat – cette assemblée de notables, précise-t-il – dans le collimateur. »
Est-ce parce qu'il fait désormais cause commune avec les « royalistes » du PS, qu'il se prend à imaginer un pouvoir monarchique absolu, ou bien rêve-t-il avec nostagie au monde ancien, celui des belles républiques démocratiques populaires bien nettes, marchant au pas sous la férule joyeuse du socialisme triomphant ? Nul besoin en effet d'assemblées et de contre-pouvoirs dans ces régimes si parfaits...
Et si on se demandait plutôt pourquoi en France le Sénat est si insignifiant ?
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18 août 2006

La route de la servitude

On ne sait trop pourquoi, le libéralisme fait si peur à quantité de gens. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce qui n'est rien d'autre que l'incarnation de l'esprit de liberté, engendre pour un grand nombre de personnes une terreur irrationnelle, une sorte d'effroi panique incontrôlable.
En le rejetant, c'est pourtant une des plus belles aspirations humaines à laquelle on renonce, celle « d'Erasme et de Montaigne, de Cicéron et de Tacite, de Périclès et de Thucydide... »
A toutes ces personnes inquiètes, la lecture de Friedrich Hayek peut être une révélation tant sa vision des choses paraît humble, naturelle et dénuée d'artifice. Tant elle tient de l'évidence, à condition de n'avoir pas trop de préjugés.
Pour l'économiste d'origine autrichienne, prix Nobel en 1974, fondateur de la Société du Mont-Pèlerin, « la route de la servitude », c'est celle qui attend les gens qui préfèrent à la liberté, le pouvoir «absolu, prévoyant, régulier et doux » de l'Etat. C'est le destin de ceux qui s'en remettent corps et âme au « Plan » pour organiser leur vie.
Cet ouvrage fut écrit en 1943, au moment où le monde était déchiré par de sanglants conflits d'idées. Par bien des aspects, il reste d'une vibrante actualité. Avec des mots simples et des exemples tirés de la vie quotidienne, Hayek mettait en garde contre les méfaits de la planification étatique et montrait qu'il faut avoir confiance dans la liberté.

Le planisme est l'outil commun des idéologies collectivistes : socialisme, communisme, nazisme, fascisme
L'ouvrage est dédié « aux socialistes de tous les partis. » Même si cette interpellation sarcastique peut paraître étonnante, voire choquante pour certains, elle se justifie tant les collectivismes se ressemblent, au moins par les moyens utilisés pour parvenir à leurs fins : quasi négation de l'individu et de son entourage familial, asservissement du peuple au Parti et planification centralisée, rigide.
Les récents aveux de Günther Grass éclairent d'un nouveau jour ces similitudes. Cet homme, qui incarne depuis plusieurs décennies, la « Gauche morale », avoue avoir été séduit à 17 ans, par le modèle de justice et de progrès sociaux proposé par le national-socialisme.
Il faut dire qu'on a tellement glosé rétrospectivement sur l'horreur irrationnelle du nazisme, qu'on a fini par oublier ses racines socialistes, et sa nature idéaliste...

Cela étant, ce qui est en question ici, ce ne sont pas les desseins à proprement parler de ces mouvements, mais les moyens qu'invariablement ils mettent en oeuvre pour les accomplir. Car ils se révèlent pervers et n'aboutissent en règle qu'à produire l'inverse de qui était attendu.
Ainsi le planisme s'avère l'outil commun, indispensable aux sociétés trop inféodées à une idéologie. Le drame, c'est qu'il « mène à la dictature parce que la dictature est l'instrument le plus efficace de coercition et de réalisation forcée d'un idéal. »

On pourrait croire que le socialisme moderne qui se veut respectueux de la démocratie soit parvenu à éluder le problème, mais il n'en est rien, s'il veut rester fidèle à son idéal, par essence totalitaire : « Les socialistes se placent sans s'en rendre compte, devant une tâche que seuls peuvent exécuter des hommes durs, cruels, prêts à bousculer toute barrière morale. »
Les exemples de tels hommes pullulent dans l'Histoire contemporaine.
Toutefois, « beaucoup de socialistes ont fini par comprendre qu'ils ne pouvaient mettre en pratique leur idéal qu'à l'aide de méthodes que le socialisme réprouve... » Et devant ce dilemme, plutôt que de tenter une nouvelle fois d'installer un régime totalitaire, ils se résignent à édulcorer leur projet, à le fondre dans quelque chose de moins effrayant : la « social-démocratie. »
Mais Hayek ne considère pas qu'un destin meilleur soit garanti. La démocratie, même si elle est souhaitable, n'est pas la panacée : « Sous le gouvernement d'une majorité homogène et doctrinaire, la démocratie peut s'avérer aussi tyrannique que la pire des dictatures. »
Si le socialisme de nos jours accepte souvent les règles de la démocratie, il ne peut complètement accepter la liberté qui normalement va de pair avec elle. Il continue de rejeter le plus souvent avec horreur le libéralisme et n'a de cesse de proposer des réglementations, des interdits et des contraintes. On peut donc sans en déformer la signification, reprendre les mots de Tocqueville, et là où il parlait de démocratie, y substituer le libéralisme : « Le libéralisme étend la sphère de l’indépendance individuelle, le socialisme la resserre. Le libéralisme donne toute sa valeur possible à chaque homme, le socialisme fait de chaque homme un agent, un instrument, un chiffre. Le libéralisme et le socialisme ne se tiennent que par un mot, l'égalité ; mais remarquez la différence : le libéralisme veut l'égalité dans la liberté, et le socialisme veut l’égalité dans la gêne et dans la servitude. »
En définitive, les temps changent mais le constat reste : le planisme, en faisant de l'Etat le centre décisionnel de la vie des gens se condamne lui-même et comme le déplorait déjà Hölderlin : « Ce qui fait de l'État un enfer, c'est que l'homme essaie d'en faire un paradis... »
On comprend dès lors que pour éviter cette perspective, Hayek conseille vivement de se rallier à la conception simple de l'Etat, énoncée par Tocqueville : « Le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. »

Le planisme n'apporte ni l'équité, ni la sécurité, ni la justice sociale
Le planisme par nature restreint la liberté, au profit prétendu de l'équité et de la sécurité collective.
Hayek démontre que dans ce jeu pervers, le gain est chimérique tandis que la perte est bien réelle et désastreuse, car rien ne peut vraiment remplacer la liberté, et ce n'est qu'après l'avoir perdue qu'on en mesure l'importance.
Il rappelle à ce sujet l'avertissement solennel de Benjamin Franklin : « Ceux qui sont prêts à abandonner des libertés essentielles contre une sécurité illusoire et éphémère ne méritent ni liberté ni sécurité. »
On peut aller plus loin et condamner ceux qui incitent à se défier de la Liberté, en la présentant comme source d'immoralité ou de précarité et ceux qui discréditent l'argent au motif qu'il corrompt, qu'il aliène :
« L'école et la presse ont inculqué à notre jeune génération l'habitude de considérer toute entreprise commerciale comme suspecte, tout profit comme immoral. » On en vient à considérer « qu'employer une centaine de personnes équivaut à les exploiter, tandis que commander le même nombre d'individus est une tâche honorable. »
La liberté devient dans ces descriptions fallacieuses, « un état extrêmement précaire, où l'on est méprisé en cas de réussite autant qu'en cas d'échec. »
Résultat, « On n'est pas surpris de voir affirmer par un nombre toujours plus grand de gens que la liberté ne vaut rien sans la sécurité et qu'ils sont prêts à sacrifier la première à la seconde. »

Pourtant il n'est pas nécessaire de chercher loin pour conclure que le planisme est incapable de garantir une vraie « justice sociale ».
Si l'abolition de la propriété privée et l'objectif de l'égalité totale semblent désormais irréalisables ou non désirables, celui consistant à tendre vers une plus grande équité est toujours fièrement revendiqué. Pourtant, il n'est d'aucun secours aux dirigeants du Plan pour leurs décisions, tant il est vague et abstrait. Ce but suggère en effet « de prendre aux riches autant que possible. » Mais lorsqu'il s'agit de distribuer le prélèvement ainsi effectué, le problème demeure, tel que le décrivait John Stuart Mill : « Les hommes capables de soupeser chacun, comme dans une balance, et d'attribuer, selon leur bon plaisir et leur appréciation, aux uns plus, aux autres moins, de tels hommes devraient soit descendre de surhommes, soit être soutenus par une terreur surnaturelle. »
Autrement dit, « le monde dans lequel le riche est puissant n'est-il pas meilleur que celui dans lequel seul le puissant peut acquérir la richesse ? »

Quant à l'argent, si vil et maléfique, on entrevoit aisément les conséquences, « si l'on acceptait de faire ce que proposent maints socialistes, à savoir remplacer le mobile pécuniaire par des stimulants non économiques. Si l'on se met à rétribuer le travail non pas par l'argent mais sous forme de distinctions honorifiques ou de privilèges, d'attribution d'un pouvoir sur d'autres ou par de meilleures conditions de logement ou de nourriture, par des possibilités de voyage ou d'instruction, tout cela signifie une nouvelle restriction de la liberté. »
En réalité, à l'évidence, l'argent n'a pas les tares dont on l'accuse; au contraire, il s'avère « un des plus magnifiques instruments de liberté que l'homme ait jamais inventé. » puisqu'il offre à l'individu la possibilité d'en faire ce que bon lui semble. Son seul défaut, c'est d'être trop rare pour le commun des mortels...

La sécurité enfin, n'est guère mieux lotie dans une société planifiée: « Plus on tente d'assurer une sécurité complète en intervenant dans le système du marché plus l'insécurité augmente. »
Ce qu'on apporte à certains, on le retire mathématiquement à d'autres. C'est ainsi qu'avec les meilleures intention du monde, on en arrive à créer des rentes de situation, des niches artificiellement protégées tandis qu'on aggrave les difficultés de ceux qui n'en peuvent bénéficier.
En réalité le planisme n'aboutit souvent qu'à distribuer des prérogatives et des prébendes: « L'amateur de paysages champêtres qui veut avant tout préserver leur apparence et effacer les insultes faites à leur beauté par l'industrie, tout autant que l'hygiéniste enthousiaste qui veut démolir les chaumières pittoresques et insalubres ou l'automobiliste qui veut voir partout de bonnes routes bien droites, le fanatique du rendement qui désire le maximum de spécialisation et de mécanisation, et l'idéaliste qui au nom des droits de la personne humaine veut conserver le plus possible d'artisans indépendants, tous savent que leur but ne peut être totalement atteint que par le planisme, et c'est pourquoi ils veulent le planisme. Mais l'adoption du planisme qu'ils revendiquent à grands cris ne peut que faire surgir le conflit masqué qui oppose leurs buts. »

Le libéralisme à l'inverse n'a aucune raison de favoriser tel ou tel groupe humain. D'ailleurs, le voudrait-il qu'il ne le pourrait pas, puisque par nature, il n'en a pas le pouvoir.
Au surplus, « il est significatif que l'argument le plus courant contre la concurrence consiste à dire qu'elle est « aveugle ». Il est peut-être opportun de rappeler que pour les anciens, la cécité fut un attribut de la divinité de la justice. La concurrence et la justice n'ont peut-être rien d'autre en commun que le mérite de ne pas tenir compte des considérations personnelles. »

Si le planisme se caractérise par un carcan organisationnel, cela ne signifie pas que la société libérale doive s'affranchir de règles générales. L'Etat peut par exemple légitimement contrôler et réglementer certaines productions nuisibles (toxiques par exemple) ou encore limiter la durée du travail sans que cela ne menace la concurrence ni la liberté. Il peut même sans les entamer significativement, décréter un revenu minimal de subsistance ou instaurer un régime de protection contre la maladie.
« D'une manière générale, chaque fois que la communauté peut agir pour atténuer les conséquences des catastrophes contre lesquelles l'individu est impuissant, elle doit le faire. »
Simplement, « Il n'y a rien dans les principes du libéralisme qui permette d'en faire un dogme immuable; il n'y a pas de règles stables, fixées une fois pour toutes. Il y a un principe fondamental : à savoir que dans la conduite de nos affaires nous devons faire le plus grand usage possible des forces sociales spontanées et recourir le moins possible à la coercition. »
Si le libéralisme est basé sur la conviction que la concurrence est le meilleur moyen de guider les efforts individuels, en aucun cas il ne s'agit d'un laisser faire dogmatique. Il ne nie pas mais au contraire réclame, pour que la concurrence puisse jouer un rôle bienfaisant, « une armature juridique soigneusement conçue ».

Le planisme n'a rien d'inéluctable, même dans un monde complexe
Pour Hayek, il y a une chose révélatrice : peu de partisans du planisme centralisé le décrivent comme « désirable ». En revanche, « la plupart d'entre eux affirment que nous ne pouvons plus choisir, et que nous sommes contraints par des circonstances échappant à notre volonté de substituer le planisme à la concurrence. »
Les transformations techniques ont pour eux rendu « la concurrence impossible dans un nombre croissant de domaines », ne laissant le choix qu'entre « la production par des monopoles privés et la direction par le gouvernement. » et imposant « de recourir à la coordination d'un organe central pour éviter que la vie sociale devienne un chaos. »
Pourtant, « L'histoire intellectuelle des soixante ou quatre-vingts dernières années illustre parfaitement cette vérité qu'en matière d'évolution sociale, il n'y a d'inévitables que les choses qu'on pense être inévitables. »
« Le contrôle et le planisme ne présenteraient pas de difficulté dans une situation assez simple pour permettre à un seul homme ou un seul conseil d'embrasser tous les faits. Mais lorsque les facteurs à considérer deviennent si nombreux qu'il est impossible d'en avoir une vue synoptique, alors, mais alors seulement, la décentralisation s'impose. »
Autrement dit, plus le monde devient complexe, et plus il a besoin de la concurrence et de la liberté.

Dans un même ordre d'idée, la complexité du monde et les exigences de rentabilité ne rendent pas impérative ni nécessaire la constitution de monopoles. Les gains immédiats sont en effet éphémères.
Le planisme et la centralisation ne conduisent à faire baisser le coût des biens qu'au prix d'artifices, c'est à dire soit une restriction de la liberté soit une uniformité de ces biens : « On pourrait concevoir que l'industrie automobile britannique arrive à produire une voiture moins chère et meilleure qu'aux Etats-Unis à condition que tout le monde en Angleterre soit décidé à se servir du même modèle. »
L'expérience l'a montré maintes fois, la production étatique et le regroupement industriel sous la forme de trusts s'avèrent à long terme coûteux et stérilisants en terme d'invention et de progrès.
A contrario, « le prix immédiat que nous avons à payer pour la variété et la liberté du choix peut parfois être élevé mais à la longue le progrès matériel lui-même dépendra de cette variété. »
« Cela signifie que si nous voulons conserver la liberté, nous devons la garder plus jalousement que jamais et être prêts à faire des sacrifices pour elle. »

Le planisme est source de tensions internationales
Lorsqu'il se projette dans le contexte des relations internationales, Hayek y trouve des arguments supplémentaires pour rejeter les organisations rigidement planifiées.
« Il n'y a pas de grandes difficultés à planifier la vie économique d'une petite famille dans une communauté modeste. Mais à mesure que l'échelle grandit, l'accord sur les fins diminue et il est de plus en plus nécessaire de recourir à la force et à la contrainte. »
Non seulement la mise en cohérence de plusieurs organisations nationales intangibles serait délicate, mais il y a fort à parier qu'elle supposerait à un moment où à un autre un accroissement des tensions. « Au lieu d'une lutte toute métaphorique entre concurrents, on aurait affaire à un conflit de forces, avec transfert des rivalités que les individus règlent normalement sans recourir à la force, à des Etats puissamment armés échappant à toute loi supérieure. »
En bref, « on ne peut pas être juste, ni laisser les gens vivre leur vie si c'est une autorité centrale qui distribue les matières premières, répartit les marchés, si tout effort spontané doit être approuvé, et si l'on ne peut rien faire sans l'autorisation de cette autorité centrale. »

Hayek n'est toutefois pas opposé au principe d'une autorité supra-nationale. Il juge même que cette dernière pourrait « contribuer énormément à la prospérité économique », à condition qu'elle « se contente de maintenir l'ordre et de créer des conditions dans lesquelles les peuples puissent se développer eux-mêmes », qu'elle aide « autant que possible les peuples pauvres à reconstruire leur vie et à élever leur standard de vie ».
Il souhaite donc un organisme dont le pouvoir « serait essentiellement d'un caractère négatif » , pour surtout dire « non » à toutes sortes de mesures restrictives. »
Il l'imagine dotée de pouvoirs réels car « il ne peut pas y avoir de lois internationales sans un pouvoir capable de les faire respecter », mais elle devrait être avant tout « conçue de manière à empêcher les autorités nationales ou internationales de devenir tyranniques. »

Suit un vibrant plaidoyer pour le fédéralisme qui garantit dans les meilleures conditions le respect des intérêts de chacun dans une perspective de progrès commun : « La fédération est l'application de la méthode démocratique aux affaires internationales, la seule méthode de transformation pacifique que l'homme ait inventée. »
« L'avantage du fédéralisme est de rendre le planisme nuisible difficile, tout en ouvrant la voie au planisme nécessaire. »
« Notre but ne doit être ni un super-état tout-puissant, ni une association lâche de « nations libres », mais une véritable communauté de nations composées d'hommes libres. »
« Nous gagnerons tous à créer un monde dans lequel les petits États puissent subsister. »