15 décembre 2006

Pour Jean-François Revel, et Direct 8...

Moment culturel très agréable ce soir autour de l'excellent François Busnel, sur Direct 8, la petite chaîne qui grimpe, de la TNT (Les livres de la 8).
En direct, le plateau réunissait quatre auteurs venus d'horizons très divers : André Asséo, qui témoignait de son affection pour Louis Nucéra auquel il vient de consacrer une biographie, André Comte-Sponville qui disserta sur l'esprit de l'athéisme, Jean-Pierre Luminet qui fit de même sur le destin de l'Univers et sur la nature des trous noirs et de la matière invisible (qui représenterait plus de 99% de la masse de l'univers !). Enfin, last but not least Pierre Boncenne, heureux lauréat du prix Renaudot, venu présenter son ouvrage « Pour Jean-François Revel ».
Ah Jean-François Revel ! Drôle de type tout de même. Il écrivit abondamment sur la philosophie mais les philosophes le dédaignent, il fut un remarquable journaliste mais n'est quasi jamais cité par ses pairs, il se disait de gauche mais fut opiniâtrement méprisé par le gratin autoproclamé de ce clan sectaire.
Boncenne nous apprend que son livre est le premier au monde sur le sujet ! Qu'il fut refusé par un premier éditeur au motif que Revel « était de droite ». On croit rêver... Faut-il en déduire que l'esprit critique ait définitivement déserté la France ?
Incontestablement l'homme fut un esprit libre. Pour autant, ses prises de positions peu orthodoxes étaient manifestement dictées par le souci de rationalité, bien plus que par celui de provoquer. Car c'était un être éminement raisonnable et pondéré, quoique d'une insatiable curiosité. Sans doute pas à la manière de Descartes qu'il avait défini comme un des derniers penseurs médiévaux, mais plutôt comme un sceptique optimiste dans le sillage des philosophes anglo-saxons. Un vrai libéral quoi.
Je reste pour ma part profondément imprégné par quelques uns de ses ouvrages que je juge particulièrement efficaces et décapants : « Descartes inutile et incertain », « Pourquoi des philosophes », « La connaissance inutile », « L'obsession anti-américaine ».
Le style est alerte, concis, précis et l'argumentation fait souvent mouche pour quiconque n'a pas trop de parti pris. Un régal intellectuel.
Certes, le personnage recèle également des aspects moins flatteurs. Une certaine suffisance, dont sa personne, joufflue, massive, était en quelque sorte le reflet. Au rang de ses ouvrages les moins réussis figure à mon avis son autobiographie « le voleur dans la maison vide ». On y trouve précisément cette tendance égocentrique, cette tranquille certitude d'avoir raison, cette préoccupation permanente de se montrer à chaque instant sous le meilleur jour.
Dans le même ordre d'idées, la volupté apparente avec laquelle il enfila le costume d'académicien au soir de sa vie, fut touchante tant elle révélait l'intense satisfaction dans laquelle se pâmait son ego.
Il me reste à l'esprit cette anecdote : au moment où je cherchais désespérément des conseils et un éditeur pour mon premier livre, j'écrivis à Jean-François Revel pour lui demander s'il accepterait de lire mon manuscrit. Je ne me faisais guère d'illusions mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque je reçus en guise de réponse, quelques mois après ma sollicitation, un faire-part enluminé signé Bernard Pivot, me proposant de participer à l'achat de l'épée d'académicien du grand homme !
Cela ne m'empêchera toutefois pas de prendre connaissance de la plaidoirie de Boncenne, avec naturellement un oeil critique...

09 décembre 2006

Ségolades et Douste-blablas


La légèreté, l'inconstance, et la pusillanimité dont font preuve la plupart des politiciens français dans leurs analyses concernant le Proche-Orient a de quoi faire frémir.
Il y a quelque jours madame Ségolène Royal, qui aspire aux plus hautes fonctions de l'Etat, était en voyage dans cette partie plutôt agitée du globe.
Rencontrant les dignitaires du Hezbollah, dont elle ne peut ignorer la nature terroriste anti-occidentale, elle révéla qu'elle partageait une bonne partie de leurs opinions (« Il y a beaucoup de choses que je partage dans ce que vous avez dit, notamment votre analyse sur les États-Unis. » cité par Rioufol). Elle a condamné par la même occasion le survol du Liban par l'aviation israélienne.
Deux jours plus tard en Israël, dont elle sait qu'il est le principal allié des Américains dans la région, avec Olmert elle revendiquait le droit à la sécurité du peuple hébreu, et disait finalement comprendre le même survol du Liban. Plus fort, elle alla même jusqu'à refuser à l'Iran le droit de disposer d'installations nucléaires civiles !
Et, comme pour donner une dimension messianique à son périple elle se crut obligée en l'achevant, de se délester d'une lapalissade aussi pompeuse que superfétatoire : « Je forme le voeu (...) que se lève une paix durable et de nouvelles forces de vie. Le progrès du monde a besoin d'un Proche-Orient réconcilié avec lui-même" (Le Monde).

Parmi les réactions moqueuses ou critiques qui ponctuèrent ce joli coup d'épée dans l'eau médiatique, celle de monsieur Douste-Blazy, sémillant ministre des Affaires Étrangères, figure comme un morceau d'anthologie. Il s'insurgea en effet contre la prise de position de la candidate, au motif qu'elle traduit une méconnaissance profonde du sujet : "Remettre en cause le droit de l'Iran à obtenir l'énergie nucléaire civile, je dis bien civile, comme vient de le proposer Madame Royal c'est en réalité remettre en cause le Traité de non prolifération qui a été signé par la quasi-totalité de tous les pays du monde" (L'Express).
Or le même Douste-Blazy, comme je l'avais déjà relaté, affirmait pourtant début 2006 : «Aujourd'hui c'est très simple : aucun programme nucléaire civil ne peut expliquer le programme nucléaire iranien, donc, c'est un programme nucléaire militaire clandestin».
Mais Le cher Douste n'est guère moins volage que Ségolène. Quelques mois après il n'hésitait pas à reconnaître
au même Iran un « rôle de stabilisation dans la région »!
Pauvre France...

06 décembre 2006

La méthode assimil


On entend souvent (pas plus tard que le 4/12/06 sur France Inter dans le très partisan 7-9h30) comparer dans la même abjection deux dictateurs sud-américains : Augusto Pinochet et Fidel Castro.
Cet amalgame très réducteur est symptomatique de la pauvreté de la pensée politique en France et de sa nature manichéenne.
Peut-on mettre sur le même plan ces deux personnes que rien ne rapproche ? Je ne le pense pas pour ma part.
Castro, fils d'un riche planteur, a inscrit son nom dans la longue, très longue liste des tyrans inféodés au marxisme-léninisme, si dévastateur à travers le monde. Au pouvoir depuis 45 ans, à la faveur d'une révolution sanglante fabriquée par ses soins, il a installé un absolutisme basé sur la terreur, qui n'a molli à aucun moment et peut compter ses victimes par centaines de milliers, soit qu'elles furent emprisonnées, soit purement et simplement assassinées. Il a placé son pays dans une situation conflictuelle absurde avec les USA qui l'avaient pourtant libéré de la tutelle espagnole en 1898, et l'a plongé dans l'arriération intellectuelle et la pauvreté.
Les gens qui défendent encore ce bastion odieux de l'intolérance prétendent que l'éducation et la santé y sont gratuites. C'est naturellement faux car comme pour toute chose ici bas, elles sont forcément payées par quelqu'un. Au surplus, la première relève plus de l'endoctrinement que de l'enseignement, quand à la seconde elle reste d'un piètre niveau en dépit des éloges complaisants de l'OMS.
Pinochet, originaire à l'inverse, d'une famille modeste est parvenu au pouvoir à l'occasion d'une guerre civile dont il fut un des acteurs principaux, mais sans a priori idéologique autre que celui d'empêcher précisément l'installation du communisme (qui récolta sous le nom d'Allende, 36% des voix, à l'occasion d'une catastrophique élection triangulaire). Cet épisode fut émaillé sans nul doute de drames humains nombreux et coûta la vie a environ 3000 personnes. Pinochet installa un régime autoritaire, mais sans commune mesure toutefois avec celui de Cuba et surtout, il organisa la transition démocratique de son vivant. Aujourd'hui, le Chili est le pays le plus stable politiquement d'Amérique du Sud et le plus riche de très loin en PIB/habitant.
Ces faits sont incontestables et rendent incompréhensibles les flagorneries irresponsables dont bénéficia si longtemps Castro de la part de nombre de dirigeants et de « faiseurs d'opinion » notamment français. Aussi incroyable que cela paraisse, jusque aux plus hautes sphères de l'Etat, Castro, surtout du temps qu'il était flanqué de son archange pervers Ernesto "Che" Guevara, était en dépit d'évidences criantes, gratifié d'une aura de révolutionnaire épris de justice et de progrès !
Dans le même temps ces censeurs obtus, drapés dans les oripeaux d'une vertu à sens unique, accusaient de tous les maux, le président chilien, assimilé à une sorte de Néron fasciste. La communauté des bien-pensants alla même jusqu'à tenter de le traduire en justice à l'occasion d'un traquenard diplomatique grotesque, occultant ainsi le droit d'un peuple libre de juger son dirigeant en toute connaissance de cause.
Les temps changent mais les assimilations demeurent toujours aussi grossières et partisanes.
Aujourd'hui, ces mêmes idiots, aussi éclairés par leur dogmatisme arrogant que des taupes par le plein jour, se réjouissent ostensiblement du basculement "à gauche" de l'Amérique du Sud, englobant dans le même émerveillement anti-libéral et anti-américain (car au fond c'est ça et seulement ça qui les meut) Lula, Bachelet d'une part et Morales, Chavez de l'autre ! Eternel recommencement...

01 décembre 2006

Etonnante Amérique des cloîtres



Lues dans « Escales d’un européen », ouvrage d’André Fraigneau, récemment réédité, ces opinions sur les Américains : "Ils sont propres, discrets, respectueux des autres et ceux qui s’intéressent à la culture sont fort informés, délicats et attentifs. Ce à quoi ils ressemblent le plus, c’est aux Allemands et aux Hollandais. Pas du tout aux Anglais indifférents ou aux Français suffisants et dépourvus de curiosité. " Ou encore : "l’Amérique, non seulement nous ressemble, mais nous rassemble, Européens éminents. "
Evoquant le musée des Cloîtres sur la longue colline qui domine l’Hudson, où plusieurs trésors de l’architecture gothique ont été reconstruits pierre par pierre à partir de ruines laissées à l'abandon en France : " Chacun de ces oratoires ouverts aux profanes qui veulent y méditer à leur manière et à leur guise, aux jeunes Américains trop pauvres ou trop jeunes pour visiter la vieille Europe mais qui veulent en rêver et écouter sa leçon, est composé de quelques fragments, non pas volés, arrachés par force, mais cédés par un gouvernement dont la volonté était de détruire ces édifices religieux d’en disperser les restes, de les laisser briser, servir de matériau aux citoyens enfin laïcisés. Mais le grain de porphyre, de granit ou de marbre n’a pas été réduit en poudre, ils n’est pas mort, il a poussé ici en bonne terre, respectueusement préparée et il continue son office. "
" Rockefeller a acquis cet espace immense pour y interdire toute construction industrielle, pour assurer le fief du musée, ou plutôt du monastère aux quatre cloîtres, aux deux chapelles dont la Beauté est la règle. "
"L’Amérique a le raffinement des races fortes, celui des Florentins de Laurent de Medicis ou des Versaillais de Louis XIV. "
Je me souviens avoir découvert pour la première fois cette étonnante aventure des "Cloisters" dans un livre de Georges Blond, "J'ai vu vivre l'Amérique". Et son cri du coeur, après avoir admiré les abbayes de Saint-Michel-de-Cuxa, Saint-Guilhem-le-Désert, Bonnefont-en-Comminges et Trie reconstituées amoureusement à quelques kilomètres des gratte-ciel de New York : " Eclate, génie de l’Europe ! "
Et je me prends à fulminer intérieurement : " Bon sang pourquoi tant d'incompréhension de la part du vieux monde vis à vis d'un rejeton aussi éclairé et respectueux ? " Jalousie recuite des vieilles peaux ratatinées pour les plus jeunes peut-être...

30 novembre 2006

Comment défendre notre alma mater ?

Superbe émission ce soir sur TF1. Eh oui, il y en a encore quelques unes sur cette chaine !
L'équipe d'Ushuaïa Nature a emmené les téléspectateurs vers l'archipel de Juan Fernandez au large du Chili, à quelques 600 Km de Valparaiso. On a pu découvrir grâce à des images stupéfiantes de beauté et de réalisme, le petit paradis botanique qu'est l'île de Robinson.
C'est assurément en faisant ce genre de démonstration que Nicolas Hulot est le plus convaincant, lorsqu'il évoque l'avenir de la planète et l'importance qu'il y a d'en sauvegarder le patrimoine écologique.
Quand il se mêle de politique hélas c'est beaucoup moins percutant. Il minaude d'un parti à l'autre et se croit obligé de prendre un ton doctoral, voire dogmatique pour enfoncer les portes ouvertes de l'évidence.
Qu'on en juge sur les 5 propositions « de son pacte écologique » :
Installer un vice premier ministre chargé du développement durable ! Pourquoi pas un vice-président, une enième commission interministérielle, une Agence, un Haut Comité...
Instaurer une taxe carbone : la belle idée dans un pays déjà criblé d'impôts de toute nature, dont une monstrueuse taxe sur les produits pétroliers !
Offrir un marché à l'agriculture de qualité : sans blague, en dépit de la vogue des produits « bio », les citoyens seraient donc abrutis au point d'acheter des produits frelatés ?
Soumettre les orientations du développement durable au débat public : n'est-ce pas précisément l'objectif de toute système démocratique.
Mettre en place une grande politique d’éducation et de sensibilisation : on ne nous bassinerait donc pas encore assez avec les prétendues conséquences du réchauffement climatique et de la pollution ?
Non décidément, je préfère cent fois à ce verbiage nébuleux, les ensorcelantes images ramenées de ses voyages au coeur de l'alma mater...

28 novembre 2006

Une épopée fantastique


ARTE a offert le 27/11 aux téléspectateurs, une belle rétrospective de l'histoire américaine, vue à travers le prisme du cinéma.
Signé Jean-Michel Meurice, ce documentaire montre clairement l'importance du 7è art dans l'imaginaire de cette nation.
Bien sûr il fait la part belle à David W.Griffith qui mit en scène avec beaucoup d'excès et d'emphase, mais aussi avec un réalisme étonnant les grands moments de cette fabuleuse aventure. Mais il passe également en revue, non sans une certaine tendresse, les oeuvres d'un grand nombre de cinéastes, américains de souche ou bien issus de l'immigration : Kazan, John Ford, Chaplin, Fuller, Mann, Capra...

Force est de constater qu'aux Etats-Unis, le cinéma est comme un exutoire au déferlement des passions, des drames, et des grands moments qui forgent la mémoire d'un peuple. Il n'y a guère de tabou. Tous les évènements sont évoqués sans concession.
Grâce à celà l'Amérique semble mieux digérer son histoire que l'Europe. Il n'y a pas de passif qu'il faut trainer comme un boulet. En dépit de ses erreurs, de ses fautes, le pays peut se regarder en face sans avoir peur de rougir, sans ressentir le besoin de s'excuser à tout moment. Et il peut afficher sa fierté d'avoir contribué à faire naître en quelque sorte le monde moderne en lui donnant comme fondations un idéal robuste autant qu'éclairé.
Belle démonstration, commentée sobrement et avec bon sens par deux écrivains, Jim Harrison et Russel Banks. Pas d'a priori, pas de clichés idéologiques.
Une soirée simple et roborative.

27 novembre 2006

La véritable horreur économique


Le 20 novembre, le Figaro titrait à propos des entreprises: "Tous les records de fusions et acquisitions seront battus en 2006". Gaz de France-Suez, Arcelor-Mittal, Alcatel-Lucent... Il y a plusieurs mois déjà que l'on sait que la France est gagnée par la fièvre des fusions.
Pour le quotidien, cette année sera encore plus "active" que 2000, marquée par le Krach de la bulle internet.
Souvent encouragées par l'Etat, elles ne se cantonnent pas au domaine privé. Le mouvement de concentration est général. Ainsi la plupart des administrations ou institutions publiques suivent la même tendance : les hôpitaux notamment, qui sont en train de se dévorer les uns les autres, en constituent une tragique illustration.

Autre caractéristique : les opérations sont d'une complexité et d'une durée croissantes. C'est ainsi qu'en France, Suez et Gaz de France ne boucleront sans doute pas avant 2007 leur fusion annoncée en février de cette année. Pis, en Espagne : les hostilités pour le contrôle du géant Endesa commencent juste en Bourse alors qu'elles se sont ouvertes il y a plus d'un an !
Tout ça est bien inquiétant.
Car en définitive il n'y a rien de plus abominable dans une économie saine et dynamique que les fusions d'entreprises. Cela peut faire illusion de manière fugace en donnant du poids et du chiffre aux géants nouvellement créés. A terme cependant, ça asphyxie l'émulation, ça tue l'initiative, ça créé des situations quasi monopolistiques, ça déshumanise et ça boursoufle la technostructure...



19 novembre 2006

La tyrannie de la pénitence


Ouvrage salutaire que l'essai de Pascal Bruckner sur « le masochisme occidental ».
S'inscrivant comme suite logique à son désormais célèbre « sanglot de l'homme blanc », il frappe juste en montrant les effets pervers de la culpabilité obsessionnelle vis à vis des fautes du passé, devenue la marque de l'Europe et tout particulièrement de la France.
Certes notre continent a beaucoup à se faire pardonner, mais il est d'autant plus étonnant de le voir verser dans une repentance aussi morbide, qu'il semble avoir réussi à vaincre ses principaux démons : communisme, fascisme, impérialisme colonisateur...
Bruckner flétrit la tendance actuelle à vouloir systématiquement prendre le parti des vaincus, des rebelles et des auto-prétendus opprimés, jusqu'à se dresser contre ses propres alliés et à ériger des brutes en héros. Il évoque à ce propos, la longue liste des tyrans et des illuminés successivement encensés par une intelligentsia irresponsable et donne en dernier lieu l'exemple de la figure « christique » du Palestinien.
Elle ressuscite en effet la notion de « bon sauvage » et cristallise en elle toute la culture de l'excuse, qui aboutit à transformer d'anciennes victimes en bourreaux. Par un incroyable tour de passe passe idéologique, les Juifs deviennent ainsi des oppresseurs au seul motif que leur existence contrarie les desseins de la nation arabe. Tout comme le fait de vouloir résister au communisme équivalait il y a peu de temps encore pour certains, à prôner le fascisme.
Loin de les inciter à progresser, ce dérèglement des sens conduit à infantiliser et déresponsabiliser nombre d'excités du tiers monde en excusant leur comportement actuel par leurs peines passées. On en vient d'ailleurs à se demander s'il s'agit de stupidité ou de lâcheté : « on s'agenouille devant les fous de dieu, on accepte leur révolte, et on bâillonne ou on ignore les libres penseurs. »
Bruckner montre qu'avec une mauvaise conscience aussi dogmatique, et en recherchant trop opiniâtrement les fautes anciennes, on laisse entendre que tout individu est une victime potentielle. « Chacun de nous acquiert en naissant un portefeuille de griefs qu'il devra faire fructifier. » De cette manière, on ne referme pas les plaies, on en crée de nouvelles : « j'étais malheureux, je ne le savais pas ».
Appliquée aux affaires intérieures du pays cette logique amène une étrange manière de penser : l'anticolonialisme sert de marxisme de substitution à toute une gauche en perte de compréhension du monde, l'anti-libéralisme et l'alter-mondialisme remplacent les illusions socialistes perdues.
On voit l'empreinte maléfique de la « Loi du marché » partout et même dans les aléas climatiques, et on finit « par lire les Minguettes ou la Courneuve avec les lunettes des Aurès ou des hauts plateaux du Tonkin »...
L'auteur constate parallèlement que « le romantisme de la souffrance » se conjugue dans un monde voué au culte de l'hédonisme, avec une « allergie à la douleur », l'idéal étant « d'acquérir le titre de paria sans avoir jamais rien enduré. »
Les nouveaux résistants sont en effet bien souvent « des héros de combats terminés. » Ils sont d'autant plus virulents que le risque lié à leurs prises de position est faible. Ils cultivent un devoir de mémoire intransigeant sur les drames du passé mais se révèlent d'une incurable myopie ou bien complaisants sur les maux actuels : Cambodge, Rwanda, Bosnie, Darfour, Tchétchénie, Corée, Irak, Iran...
Les responsables politiques, conscients des réalités mais pétrifiés par la crainte d'apparaître « réactionnaires », donnent des gages contradictoires. Ils affirment « comprendre » la jeunesse délinquante mais organisent avec force publicité contre elle des raids policiers tapageurs peu efficaces. Ils renvoient quelques sans-papier vers leur pays d'origine tout en régularisant la situation d'autres plus médiatisés. Ils cultivent l'ambiguïté en mélangeant « discrimination positive » et « immigration choisie ». Ils annoncent à grands frais quelques mesures sociales démagogiques tout en se livrant à une privatisation pusillanime des monopoles d'état, ils disent vouloir alléger, et "moderniser" la pression fiscale mais pérennisent un impôt aussi idéologique, absurde et stérilisant que l'ISF...
Résultat, par son attitude à la fois répressive et laxiste, libérale et néo-collectiviste « la République se met en position de perdre sur tous les fronts. »
Il y a dans cet ouvrage un constat pertinent des maux qui rongent notre société.
Au titre des critiques, on peut toutefois regretter une organisation générale un peu confuse. Cette impression est renforcée par l'excès de notes de bas de page et le surgissement de curieux encadrés en fin de chapitre, dont on ne comprend pas bien la signification vu qu'ils sont souvent sans lien évident avec ce qui précède.
La thèse n'est d'autre part, pas exempte de contradictions.
L'auteur reproche par exemple à la France « la détestation qu'elle se porte à elle-même », une « jubilation morose à se déprécier », et l'instant d'après il l'accuse au contraire de « s'identifier avec l'universel », de « se gargariser de sa grandeur ».
Un peu plus loin, s'attaquant vertement à l'anti-américanisme, il ne peut pourtant pas s'empêcher de sortir le traditionnel couplet anti-Bush accusant notamment l'administration actuelle de « rompre de façon inquiétante avec l'alliance d'empirisme de bon sens et d'enthousiasme qui a toujours caractérisé l'Amérique. » Plus fort, il qualifie même l'entourage du président « d'anciens bolcheviks passés à droite», et de « lobby néo-impérialiste » ! Quant à George W. Bush, il le dépeint comme « le messager antipathique de la liberté » !
C'est dommage, car venant à la fin de l'ouvrage ça en atténue un peu la portée.
Il faut en effet décider si le fait de porter haut l'étendard de la démocratie et de ses convictions constitue une qualité ou un défaut.
On peut lire par exemple que la démocratie résulte d'une « lente maturation », ce qui suggère qu'elle ne peut être imposée par la force, et qu'en terre musulmane elle ne s'établira « qu'à partir de l'islam et non dans sa négation », contrairement semble-t-il à ce que feraient actuellement les Américains.
Or, à l'inverse de ces affirmations, on a vu la démocratie s'installer de manière brutale et sanglante, et pourtant durablement au Japon et en Allemagne. Jamais enfin, en dépit d'une indéniable naïveté et de maladresses, l'administration Bush dans son grand dessein de faire progresser la liberté, n'a remis en cause l'islam lui-même, surtout pas en Irak.
Ces réserves mises à part, on ne peut que tomber d'accord avec l'exhortation avec laquelle Bruckner conclut son exposé : « Que l'Europe chérisse la Liberté comme le bien le plus précieux, et l'enseigne dès l'école aux enfants. »

17 novembre 2006

Un phare de l'humanité s'éteint...


Une pensée pour le grand économiste Milton Friedman qui vient de s'éteindre à l'âge 94 ans.

Fondateur de l'Ecole de Chicago, prix Nobel en 1976
, ses conceptions ont contribué à vivifier le libéralisme hérité des Lumières, celui-là même qu’appelait déjà de ses vœux Thomas Jefferson. Friedman plaidait pour un Etat modeste et répètait volontiers qu’il aimait les baisses d’impôts « plus parce qu’elles contraignent l’Etat à se serrer la ceinture que pour leur possible rôle incitatif de relance des investissements et de la consommation. »
Friedman, comme tous les amoureux de la Liberté, croyait davantage dans l'initiative individuelle que dans l'interventionisme de l'Etat, la première offrant de bien meilleures garanties en terme
de responsabilité et d'efficacité que le second. Relevée dans Libération, une citation mérite d'être soulignée tant elle contient d'évidence et d'humour : "Personne ne dépense l'argent de quelqu'un d'autre aussi consciencieusement que le sien."Il récusait d’autre part, toutes les politiques de relance, se soldant par une augmentation de l’inflation, montrant qu’en l’occurrence celle-ci ne peut qu’être aggravée par l’augmentation de la masse monétaire en circulation.
Avec Hayek, il affirmait que liberté politique et économique sont soeurs jumelles et indissociables, définissant ainsi l’idéal libéral dans toute sa plénitude.
En plaidant pour l’allègement du poids de l’administration et le renforcement du rôle fondamental des individus, l’école de Chicago a joué un rôle éminent dans le retour progressif de la confiance en matière économique après guerre. Malgré une augmentation passagère des déficits publics, l’Amérique a vécu la fin du vingtième siècle sous le signe de la prospérité retrouvée.
Nombre de pays ont profité de cette leçon. Pas la France hélas. Pourtant, elle pourrait s'enorgueillir depuis le XVIIIè siècle, d'avoir donné naissance à quelques uns des plus brillants économistes libéraux, très admirés outre-atlantique, quasi inconnus chez eux : François Quesnay, Turgot, Jean-Baptiste Say, Frédéric Bastiat...
Il y a un point toutefois sur lequel l'histoire, j'espère, lui donnera tort. Il avait prédit un sort funeste à l'euro...

15 novembre 2006

L'été d'un amour


Il y a de curieux « retours sur image » dans la vie.
Depuis l'adolescence je voue au poète romantique anglais Percy Bysshe Shelley une admiration éblouie.

Son destin aussi bref et étincelant que celui d'un météore me fascine. Échappé de la tutelle rigide de l’Angleterre victorienne, d’une beauté paraît-il angélique, et chantre aérien de l’amour et de la liberté, il mourut noyé à l’âge de 30 ans, alors qu’il traversait en plein orage, la baie de la Spézia, en Italie. Il y vivait des jours heureux auprès de sa femme Mary (elle-même écrivain et auteur du célèbre Frankenstein), et de ses amis, dont Lord Byron.


Aujourd’hui, par accident, je tombe sur un ouvrage de Mark Twain : « In the defense of Harriet Westbrook » qui me permet de redécouvrir un épisode obscur de sa courte vie (j’en avais connaissance mais l’avais quelque peu occulté). Le père spirituel de Tom Sawyer publia cet écrit sarcastique au titre étonnant, pour réparer une erreur historique commise selon lui par un des plus fameux biographes de Shelley, Edward Dowden, au sujet de la première épouse du poète.

Shelley, le rebelle, l’insoumis, l’auteur précoce d’un brûlot anticlérical intitulé « La nécessité de l’athéisme », avait épousé – religieusement – à 19 ans, la très jeune Harriet Westbrook de trois ans sa cadette.
D’extraction sociale nettement inférieure à la sienne, elle rayonnait cependant d’un charme certain. Elle était, selon les témoignages des personnes qui l’ont côtoyée, d’une exquise beauté et "bien qu’elle fut en passe de quitter l’enfance, celle-ci semblait vouloir lui laisser au front cette grâce indicible que donne l’innocence et la crédulité".
Elle conçut pour le poète, un amour infini, indéfectible.
Un amour irrémédiable en quelque sorte.
Ils vécurent heureux l’espace d’un été. En 1812, en Ecosse, à Lynmouth. A cet endroit où est établi aujourd’hui le Shelley’s Hotel, se trouvait à l’époque le Woodbine Cottage. Ils y passèrent une lune de miel éblouie. C’était, selon la description laissée par Harriet, lue sur le site internet de l’Hôtel : « such a little place that it seems more like a fairy scene than anything in reality ». Il s’agissait d’une résidence délicieuse, aux murs envahis par les roses et les myrtes, bordée au loin par les montagnes et offrant de la butte sur laquelle elle était juchée, une magnifique perspective sur la mer.
Malheureusement ce fut une joie fugace. Peut-être les seuls réels instants de bonheur vécus par la jeune femme qui
donna par ailleurs à Shelley deux enfants ; une fille, Ianthe et un garçon, Charles.
Mais le poète, avide de rencontres stimulant sa curiosité fantasmatique, sa propension pour les idées révolutionnaires et la réflexion philosophique, se mit rapidement à négliger sa petite famille. Il en vint même selon ses propres aveux, à regretter son engagement contracté sous le coup de l’impulsivité de sa nature.

Bien qu’il fut convaincu que l’amour était la seule richesse qui puisse se partager sans décroître, il se révéla incapable d’empêcher la désaffection pour Harriet de gagner son cœur. Ce furent tout d’abord des absences, de plus en plus fréquentes et prolongées du domicile ; des relations exaltées avec les milieux intellectuels de Londres, y compris avec certaines jeunes femmes dont le pouvoir de séduction n’était de toute évidence pas que spirituel.

Peu de temps après avoir rencontré rencontré Mary, la fille du philosophe anarchiste et « libéral » Godwin auquel il vouait une admiration probablement excessive, il en tomba follement amoureux et conçu très rapidement le projet de s’établir avec elle en Italie. Ce qui le conduisit à abandonner ni plus ni moins, sans grand remord, sa femme et ses enfants.
Certes, il veilla à ne pas les laisser dans le besoin, leur versant régulièrement une pension.

Mais Harriet ne se remit jamais de cette rupture qui entamait si incroyablement l’image idéalisée qu’elle se faisait de son mari. Après une longue désespérance, et malgré l’affection qu’elle portait à ses enfants et à sa sœur aînée, elle décida de se donner la mort en se jetant dans le lac Serpentine, qui traverse Hyde Park. Elle avait alors 21 ans.

La lettre d’adieu, laissée par Harriet avant son suicide vaut mieux qu’un long discours :
« Mon cher Bysshe, je te conjure, en souvenir des instants de bonheur passés ensemble, d’exaucer mon dernier vœu. N’enlève pas ton enfant innocent à ma sœur Eliza, qui est bien plus que moi-même, et qui n’a jamais cessé de lui prodiguer des soins attentifs. Ne dis pas non à ma dernière requête. Je n’ai jamais rien pu te refuser, et si tu ne m’avais pas abandonnée je pourrais continuer de vivre. Mais puisque c’est comme cela, je te pardonne librement, et je prie pour que tu puisses profiter de tout le bonheur dont tu m’as privée ».Cette histoire est édifiante.
Elle n’apparaissait pas sous ce jour dans la biographie écrite par Dowden qui trouva une foultitude d’excuses à Shelley pour sa conduite, et qui alla jusqu’à insinuer, sans preuve objective, qu’Harriet manifestait une étroitesse d’esprit insupportable, et une jalousie obsédante tandis qu’elle trompait sans vergogne son mari.

Mark Twain, révolté par cette présentation tendancieuse des choses, entreprit de la battre en brèche en analysant de nombreux témoignages contradictoires. Sa version s’avère convaincante à mes yeux et, même si elle ne diminue en rien le talent poétique de Shelley, elle amène à se poser des questions.
Comment un être aussi sincèrement épris de perfection, aussi révolté par l’injustice, et aussi pénétré par la « Beauté intellectuelle » à laquelle il a consacré un hymne, comment un tel être peut-il causer tant de chagrin autour de lui ?
C’est un grand mystère.
Shelley, parfaitement bien intentionné mais trop idéaliste n’a pas vu ou n’a pas voulu voir autour de lui le malheur qu’il infligea à des gens qui l’aimaient sincèrement.
Il délaissa sa première femme, mais lorsqu’il mourut noyé comme elle, en grande partie à cause de son insouciance et de son inconscience, il laissait une veuve âgée de 25 ans et un orphelin de 6…