19 février 2007

L'embaumement du pharaon


Pierre Péan court les plateaux télévisés pour promouvoir au pas de charge ce qui apparaît comme un ultime et quelque peu opportuniste coup de projecteur sur un président parvenu au terme de son marathon politique.
Il ne faut pas espérer y trouver de pensées très profondes, ni quelque nouveauté fracassante. Que peut-on apprendre d'un homme qui à deux mois des échéances, laisse toujours planer le doute quand à une cinquième candidature à l'élection présidentielle (« c'est mon dernier sommet africain... pour cette année ! »)
Il faut y voir plutôt une sorte de panégyrique obséquieux dont la matière provient directement de la bouche de l'intéressé par le biais d'entretiens à bâtons rompus. Le dernier, daté du 14 janvier, donne la mesure du recul en matière de réflexion, pour un livre sorti un mois plus tard...
L'ensemble s'articule autour de deux notions cardinales qui semblent avoir séduit l'auteur, journaliste résolument de gauche : les similitudes étonnantes entre Mitterrand et Chirac d'une part, et l'attitude spectaculaire adoptée par ce dernier lors du second conflit irakien de l'autre. Mais s'il faut reconnaître que Péan fait des constatations justes, ce n'est pas forcément l'acception qu'il en donne qu'on se doit de retenir.
Certes, il est un point commun qui honore les deux hommes, c'est leur jardin secret culturel. Mitterrand était amateur d'art et de littérature, Chirac est paraît-il un des cinq meilleurs experts mondiaux de la Chine ancienne, et aurait traduit en français les oeuvres de Pouchkine !
Pour le reste hélas, la comparaison est moins attrayante. Chirac incarne en effet comme son prédécesseur, tous les travers d'un régime sclérosé par l'étatisme et boursouflé de grandiloquence gaullienne : carrière interminable, secret de polichinelle, contradictions en tous genres, culte de la grandeur, assimilation grotesque du moi à la France....
Il est vrai également que Chirac partage avec Mitterrand l'art de tromper son monde. Ce qui domine d'ailleurs dans leurs itinéraires respectifs, c'est bien l'absence de conviction, qui les a fait épouser en fonction des circonstances, à peu près toutes les tendances de l'échiquier politique. Chirac a officiellement combattu toute sa vie le socialisme, et on apprend qu'en définitive il ne serait rien d'autre qu'un « rad-soc », alter-mondialiste, considérant le libéralisme comme une calamité aussi terrible que le communisme ! Bonjour les dégâts...
Mais au delà de ces ressemblances, que Péan détaille de manière éblouie alors qu'elles ne sont guère flatteuses, ce qui fait l'essence même de ce portrait encomiastique, c'est l'admiration dont il témoigne, pour la hauteur de vues du chef de l'Etat, en matière de politique internationale. Il l'assimile même à de la prescience lorsqu'il évoque l'attitude de notre pays à l'occasion de la seconde guerre d'Irak.
Bien que l'écrasante majorité des Français soient pour l'heure d'accord avec cette opinion, il est encore permis de penser que l'Histoire jugera peut-être différemment. L'inaction est rarement considérée comme très glorieuse avec le recul.
A défaut d'être l'expression d'une intuition visionnaire, la pusillanimité du président en la circonstance, aurait pu passer pour être celle d'une sage prudence. Mais il s'en est enorgueilli avec tant de vanité, alors qu'il avait noué par le passé tant de liens douteux avec le tyran de Bagdad, qu'il est permis d'avoir des doutes. D'autant plus qu'il n'a proposé aucune solution alternative crédible à l'option des Américains, et que pis que tout, il a cru malin de dresser une partie du monde contre eux en accusant leur initiative libératrice d'être une agression illégitime. Le coup de pied de l'âne en quelque sorte...
Mitterrand en 1991 avait incontestablement mieux agi...
En bref, le livre de Pierre Péan s'inscrit dans un style révélateur d'un état d'esprit bien suranné. Peu importe que les dirigeants soient inefficaces et sans foi, pourvu qu'ils incarnent un destin haut en couleur, riche en contrastes et en secrets et qu'ils soient pompeux comme les ors des palais auxquels ils semblent viscéralement attachés.
Il faut espérer qu'un jour cela change enfin...

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je partage votre analyse.

Jacques Chirak a fait beaucoup de tort à la France.

Son incompétence éclate chaque jour.

Son attitude, lors de la libération de l'Irak par les Etats-Unis et leurs 40 alliés, a été lamentable.

Vivement qu'il débarrasse le plancher!

Lesage a dit…

Le choix américain justifié par des "armes de destruction massive" constitue probablement une erreur et la position de Chirac mérite d'être reconnue comme plus adaptée. Il ne s'agit pas de défendre Sadam Hussein, mais de voir où va maintenant l'Irak.
Votre amour des arts et de la culture, qui vous conduit à réagir à juste titre contre un antiaméricanisme primaire, ne doit pas cependant altérer l'analyse de la politique française, qui est parfois meilleure que ses agents.

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Merci pour ces commentaires.
Le sort de l'Irak paraît certes bien incertain. Tout n'est pourtant pas encore joué.
Il me revient cette réflexion du conseiller de Bill CLinton, Sandy Berger, au sujet de l'intervention américaine en Yougoslavie, dont certains prophétisaient l'échec : « Le fait que nos opérations ne produisent pas immédiatement tous les effets attendus ne signifie pas que l’on ne doive pas les entreprendre. Ca, c’est la doctrine de la paralysie, et cet argument a déjà beaucoup servi pour s’excuser de ne rien faire. »