S'agissant du marché de l'emploi, la mondialisation ne doit pas être considérée, comme irrémédiablement néfaste. Si les pays occidentaux traversent des difficultés conjoncturelles, le solde général à l'échelle de la planète est largement positif, eu égard au boom que connaissent nombre de pays émergents.
Il ne s'agit rien de moins que du principe des vases communicants, qui à la faveur de l'ouverture des frontières, s'exerce logiquement au profit de nations capables de fournir en abondance une main d'oeuvre bon marché. Dans cette nouvelle forme de compétition, les pays développés, comme le remarque judicieusement Thomas Friedman, ont tout intérêt à privilégier les emplois hautement qualifiés, et donc un haut niveau d'éducation et de formation professionnelle.
Au lieu de ça, nombre de pays dont la France, semblent s'abandonner à un marasme inquiétant. Le désastre de l'Education Nationale concerne une frange de plus en plus nombreuse de la population qu'elle laisse par une étrange résignation, littéralement à l'abandon. Parallèlement la Recherche et l'Innovation patinent, tant dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, la foi dans le mythe de l'Etat omnipotent s'impose, au détriment des initiatives privées.
A ce sujet Friedman évoque ce qu'il appelle un peu bizarrement le coefficient de platitude: "Moins une nation ou une entreprise a de ressources naturelles, plus elle recourt à l'innovation pour survivre". Il faut reconnaître qu'appliqué à la plupart des pays européens qui ne disposent ni de gisements d'emplois facilement mobilisables, ni d'abondantes ressources naturelles, le concept fait mouche...
Comme l'avait prévu Schumpeter (1883-1950) dans ses sombres prévisions concernant le capitalisme, ces phénomènes sont aggravés, par le poids croissant que font peser les acquis sociaux dans les pays riches. Plombés par un droit du travail et des législations de plus en plus contraignants, asphyxiés par des systèmes de taxation étouffants et une dette étatique bientôt incommensurable, leur dynamisme s'essouffle inexorablement. Avec raison Friedman déplore "la sur-réglementation [qui] s'avère néfaste pour les gens qu'elle est censée protéger, et ouvre la porte à la corruption des bureaucrates"
Au lieu de faire preuve de réactivité, la combativité face à la crise paraît s'émousser tandis qu'on sent monter une agressivité contre le reste du Monde. La morosité, voire une certaine tendance à la sinistrose font tache d'huile, attisées par des médias irresponsables. Une bonne partie de la population rechigne à voir fondre certains avantages que des politiciens sans scrupule leur ont présenté depuis des années comme définitifs.
Résultat, tandis que les plus fortunés, mais aussi les jeunes les plus hardis et déterminés préfèrent s'enfuir vers des contrées plus porteuses de perspectives d'avenir, on continue d'entretenir les mythes bien intentionnés des bienfaits d'une immigration incontrôlée, de la retraite à 60 ans, des 35 heures, de l'interdiction de licencier...
De ce point de vue, selon Friedman, les USA gardent encore quelques atouts (jugés paradoxalement avec sévérité en Europe), notamment le fait "qu'aucun pays ne protège mieux la propriété intellectuelle", et "qu'ils disposent d'une des législations les plus souples en matière de droit du travail. Plus il est facile de licencier dans un secteur en déclin, plus il est facile d'embaucher dans un secteur en plein essor..."
Face à la montée des périls Friedman soutient que le discours politique devrait vanter l'effort et le courage plutôt que les remèdes lénifiants et se référer à l'esprit pratique plutôt qu'au catalogue des vœux pieux.
Bien que son pays soit pour l'heure moins touché par les effets indésirables des mesures de "justice sociale" que la plupart des nations européennes, il constate toutefois avec amertume "qu'il y a bien longtemps que les dirigeants américains ne demandent plus aucun sacrifice à la population".
Pire, L'Amérique lui rappelle "le parcours classique de ces familles riches qui commencent à gaspiller leur fortune à la troisième génération" et il la compare à "un homme endormi sur un matelas gonflable qui se vide lentement de son air..."
Au sujet de l'Europe, il évoque le diagnostic inquiétant fait par Steven Pearlstein dans le Washington Post, sur le rideau du capitalisme qui la divise aujourd'hui : "d'un côté, l'espoir, l'optimisme, la liberté et la perspective d'une vie meilleure, de l'autre, la crainte, le pessimisme, une réglementation étouffante et l'impression que le bon vieux temps ne reviendra plus..."
A ceux qui croient encore à l'idéal socialiste, Friedman rappelle au passage que "le communisme excellait dans l'art de rendre tous les hommes également pauvres, alors que le capitalisme rend les hommes inégalement riches".
Il rappelle au passage quelques principes que n'auraient pas désavoués son homonyme Milton Friedman :
Par exemple au sujet des bulles spéculatives, il évoque Bill Gates qui faisait remarquer, que lors de la ruée vers l'or, "la vente de pics, de pioches, de jeans, et de chambres d'hôtel aux chercheurs a rapporté plus que l'or dégagé du sol." D'où il déduit que "les booms et les bulles peuvent être économiquement dangereux, ils peuvent entraîner la ruine de beaucoup de gens, mais ils peuvent aussi accélérer l'innovation." CQFD
Évoquant le pouvoir et la responsabilité souvent sous estimés des citoyens dans les régimes démocratiques, il avertit que "les partisans de la compassion doivent apprendre aux consommateurs que leur pouvoir d'achat est une force politique". Car toujours selon son opinion, "un chef d'entreprise pas plus qu'un délégué syndical ne peut promettre un emploi. Seul le client peut le faire..." Simple réminiscence en somme, du vieil adage qui stipule que "le Client est roi."
Toujours à propos de la responsabilité citoyenne, il introduit assez opportunément la notion de téléchargement vers l'amont qui constitue selon lui une vraie révolution, notamment sur Internet. Souvent négligé ou méprisé par les Pouvoirs Publics ou les Médias classiques usant et abusant de leur position dominante, il rassemble un nombre croissant d'initiatives dont les caractéristiques sont l'ouverture, la liberté et le partage d'informations et de connaissances. On peut citer entre autres, l'encyclopédie Wikipedia, le système d'exploitation Linux, le serveur Apache, les logiciels dits opensource comme la célèbre suite logicielle OpenOffice, et plus généralement les Blogs, les communautés de chercheurs, et bien sûr les réseaux sociaux, qui désormais, "permettent aux gens d'avoir leur mot à dire" et constituent "une sorte de cinquième pouvoir."
Ces outils évoluent à la vitesse de l'éclair et font que de plus en plus souvent, "les amateurs deviennent plus performants que des professionnels". Bien qu'ils ne soient évidemment pas dénués de danger, les bénéfices l'emportent largement notamment en matière de démocratie locale ou "participative", surtout si les responsables politiques parviennent à en tirer profit : "si un maire demandait à ses administrés de photographier chaque nid de poule, vous seriez étonnés par le résultat".
Fustigeant le mouvement anti-mondialisation, Friedman analyse avec justesse les causes qui mènent à cette rancœur destructrice, dont les anathèmes fleurissent un peu partout et dont on entend monter en un concert assourdissant la clameur revancharde.
Il cite notamment la mauvaise conscience suicidaire des sociétés occidentales, la poussée d'arrière-garde de la vieille gauche espérant ressusciter une certaine forme de socialisme, la protestation devant la vitesse des transformations et enfin last but not least, l'anti-américanisme.
Il affirme, à l'inverse des rengaines cent fois rabâchées, que "les pauvres du monde ne détestent pas les riches, contrairement à ce que voudraient faire croire les partis de gauche du monde développé. Ce qu'ils détestent c'est de ne pas pouvoir accéder à la richesse, de ne pas pouvoir rejoindre le monde plat et la classe moyenne."
Dommage qu'en terminant son ouvrage, comme pour rappeler son appartenance à la mouvance progressiste du New York Times, il se croit obligé de se délester d'un couplet puisé au même tonneau de remords et de mauvaise conscience que celui dont il s'est appliqué à dénoncer les effets pervers.
Ainsi, faisant une sorte de clin d'oeil à notre pays, il affirme benoîtement que "la Sécurité Sociale c'est de la bonne graisse à garder".
De même, après avoir vanté le rôle bénéfique des échanges marchands en matière de prospérité et de niveau de vie, il fait le constat désabusé que "le commerce crée des gagnants et des perdants" et qu'il faut donc chercher à mettre en œuvre "des mécanismes de compensation". Il propose même, sans préciser comment la financer, l'instauration d'une étrange "assurance salaire" destinée à combler le manque à gagner enduré lorsque, après avoir perdu son emploi (pour cause de délocalisation, restructuration...) on en retrouve un autre moins lucratif...
Au plan purement politique, bien que s'exprimant la plupart du temps comme un sympathisant du parti républicain, il donne à ses concitoyens le curieux conseil suivant : "Si vous voulez vivre comme un Républicain, votez comme un Démocrate".
Et pis que tout, il se laisse aller à la traditionnelle diatribe anti-Bush.
Après avoir consacré un chapitre aux dangers de l'islamo-fascisme, dénoncé la nature irrationnelle des rumeurs et prétendus complots propagés par l'internet, approuvé l'intervention en Irak en 2003, il prétend tout à coup que les "les USA ont cessé d'exporter l'espoir pour exporter la peur".
Et bien qu'il préconise in fine un programme politique proche de celui de George W. Bush, il lui donne le coup de pied de l'âne en affirmant "qu'il s'est servi des émotions du 11/09 pour imposer son programme concernant la fiscalité, l'environnement, les questions sociales... et divisé les américains entre eux, les a séparés du reste du monde, et coupé l'Amérique de sa propre identité..."
La Terre est Plate, qui part donc d'observations perspicaces pour en déduire un postulat douteux, s'achève en grotesque palinodie. Décidément rien n'est vraiment simple...