23 février 2009

La crise de la crise...


C'est curieux cette crise tout de même. Ce qu'elle peut susciter de tohu bohu médiatique et d'explications contradictoires.

Pas un jour sans qu'un expert ne vienne ajouter de nouvelles théories et prévisions au fatras monumental déjà déversé sur nos têtes affligées. Une chose est sûre, la crise a du bon assurément, pour ceux à qui elle donne l'occasion de pérorer sous l'oeil complaisant des caméras, tout en faisant la promotion de leurs petits bouquins bricolés à la hâte pour profiter de l'aubaine...

Mais pour le reste, quelle pagaille ! Les politiciens incorrigibles ressortent les rodomontades idéologiques les plus éculées, les économistes s'emberlificotent dans des théories de plus en plus fumeuses, et les historiens et philosophes s'efforcent, envers et contre toute nécessité, et au prix de raccourcis grossiers ou d'assimilations hasardeuses, d'expliquer le présent par le passé... Même dans les plus hautes sphères, le cours erratique des évènements tend à faire manger son chapeau.

Pour le Président de la République, qui chantait pourtant les louanges du modèle capitaliste anglo-saxon il y a quelques mois à peine, c'est sa faillite à laquelle on assiste, et il faut d'urgence le refonder en le moralisant. Mais la France est-elle la mieux placée pour l'exercice, elle qui est en crise structurelle depuis des décennies ?
J'entendais il y a quelques jours M. Strauss-Kahn, président du FMI, livrer de son côté son analyse. Reprenant une antienne largement utilisée par d'autres, il expliquait l'origine de la crise actuelle par l'excès de crédit : « Trop de crédits distribués sans faire assez attention... » D'où selon lui, une «accumulation de dettes devant laquelle tout le monde a eu peur ».
Pourquoi pas, mais dans ce cas, pourquoi dénoncer dans le même temps, la pusillanimité actuelle des banques qui rechignent à prêter ? Il faudrait savoir si elles font trop ou pas assez crédit tout de même... Et surtout, pourquoi préconiser comme la plupart des tenants de cette théorie, de gigantesques plans de relance, faisant appel précisément… au Crédit ! Qui plus est, mis en oeuvre par des Etats le plus souvent déjà lourdement débiteurs... Redécouvrirait-on les vertus de la méthode consistant à soigner le mal par le mal ?
Peu de jours auparavant, c'était le soi disant « politologue, démographe, historien, sociologue et essayiste » Emmanuel Todd qui incriminait le libre échange. L'accusant d'avoir mené le monde là où il est, il préconisait doctement de renverser la vapeur et réclamait d'urgence des mesures protectionnistes, seules capables de « doper la demande » asphyxiée selon lui par le libéralisme.
Mais comment diable le protectionnisme pourrait-il augmenter la demande, lui qui commence invariablement par raréfier l'offre, tout en provoquant à coup sûr une hausse des prix ?

Un peu de bon sens suffit pourtant pour s'accorder avec nombre de constats faits par ces brillants spécialistes, tout en rejetant les extrapolations qu'ils en font. Il n'est pas besoin d'être grand clerc par exemple pour comprendre les méfaits engendrés par la surabondance du crédit, depuis des lustres, ou encore pour voir l'inadéquation actuelle entre l'offre et la demande.
Le plus difficile à réaliser toutefois, est que l'endettement ait été si largement encouragé (et pratiqué) par les Pouvoirs Publics, pour permettre notamment au cycle offre/demande de tourner à plein. Car force est de constater hélas qu'à force de tourner si fort, ce moteur a épuisé tout son carburant et usé ses ressorts.
Le crédit n'est propice que s'il répond à un objectif pragmatique, s'il fait espérer un vrai retour sur investissement et s'il est gagé par des risques raisonnables. La surconsommation et le productivisme auxquels on a assisté ces derniers temps étaient de plus en plus dépourvus de ces qualités. Ce fut une vraie fuite en avant, poussant à aller de plus en plus vite et de plus en plus fort, attisée d'un côté par l'exigence de tout avoir et de tout payer au moindre prix, et de l'autre par une productivité effrénée assurant une offre sans cesse renouvelée et une rentabilité maximale. Lequel entraîna l'autre c'est bien difficile à dire, toujours est-il qu'aujourd'hui, si la balance est cassée c'est au moins autant par excès d'offre que par défaut de demande et les responsabilités paraissent à tout le moins très largement partagées.
Et l'impression qu'on retire avant tout à la vue des accumulations considérables de biens de consommation attendant en vain une clientèle, est que le fameux marché est parvenu au moins temporairement à saturation.

Le plus fort est que ce résultat devrait plutôt satisfaire les anti-libéraux, alter-mondialistes, écologistes et Malthusiens de tout poil. Aujourd'hui le règne de la bagnole semble sérieusement mis à mal, on consomme moins de pétrole et de matières premières, la société paraît mettre un frein à sa frénésie compulsive de consommation, et la croissance tend vers zéro. Au surplus, par la force des choses, les patrons sont contraints de faire profil bas, et les maudits actionnaires boivent le bouillon...
Pourtant, par un paradoxe étonnant ce sont les plus acharnés anti-capitalistes qu'on entend le plus crier au scandale et réclamer une relance « par la consommation », pour revenir au bon vieux temps en somme...
Evidemment, ils n'avaient sans doute pas pensé que le coup de frein sur l'économie se traduirait aussi par quelques turbulences sur le marché de l'emploi...


En définitive, cette crise est peut-être le séisme annonçant l'entrée dans un nouveau monde, plus sage, plus raisonnable, plus équitable et en définitive, plus intelligent. A condition que chacun prenne ses responsabilités, qu'on n'attende pas tout de l'Etat, et qu'on ne bride surtout pas la Liberté d'entreprendre... Ce n'est pas vraiment le chemin qu'on prend...

12 février 2009

The Union must be preserved...


Un prénom de prophète pour un destin de patriarche.
Abraham Lincoln (1809-1865) dont on fête le 12 février l'anniversaire, et cette année le bicentenaire de la naissance, fut en quelque sorte le père de la Nation Américaine. Il fut celui qui parvint à vraiment sceller, au prix d'une guerre civile et de sa propre vie, ce projet titanesque, élaboré par quelques colonies anglaises en mal d'indépendance, 20 ans avant sa naissance (George Washington fut élu premier président le 4 mars 1789), et qui faillit s'effondrer faute de fondations suffisamment cohérentes.
Élu en 1861, avec 40% des voix seulement, à la faveur des divisions régnant dans le Parti Démocrate, il avait acquis une stature nationale quoique nettement minoritaire, avec des positions clairement anti-esclavagistes. En 1858, il se désolait en effet : «Une maison divisée contre elle-même ne peut rester debout. Je crois que ce régime ne peut se prolonger de façon permanente, mi-esclavage, mi-liberté.»
Précisons que jusqu'à cette date, le délicat problème de l'esclavage avait été solutionné de manière plutôt hypocrite : le compromis étonnant du Missouri en 1820, avait en effet circonscrit à la latitude de 36°30, la limite des états autorisés à le pratiquer !
A l'époque, les USA en pleine expansion, voyaient régulièrement leur territoire s'agrandir grâce à de nouveaux états gagnés vers l'Ouest. Tant qu'ils rentraient dans la Fédération par couple, l’un au dessus, l’autre au dessous de la ligne ainsi définie, l’accord, bien que boiteux, fonctionnait tant bien que mal. Mais l’acquisition de nouvelles terres en Floride, puis surtout de celles achetées au Mexique, principalement situées au dessous du tracé fatidique, entraîna un déséquilibre croissant et fit craindre que s’affirma tôt ou tard la suprématie d’un modèle sur l’autre.
L'élection de Lincoln précipita quasi instantanément le cours tragique du destin. Avant même la prise de fonctions du nouveau président, la Caroline faisait sécession, le 20 décembre 1860. Ce furent bientôt 12 Etats confédérés qui affirmèrent leur volonté de divorce, se regroupant sous la houlette d'un président élu par leurs soins, Jefferson Davis, et avec une nouvelle capitale, Richmond en Virginie.
La quasi totalité du mandat de Lincoln fut consacrée à ses efforts pour gagner l'effroyable guerre civile qui s'ensuivit. Il y mit tant d'énergie qu'il est bien difficile de trouver la trace de quelque autre action significative dans les diverses biographies et récits historiques de cette époque. Même l'abolition de l'esclavage passa au second plan, puisqu'il ne l'entérina qu'en 1863, quelques mois avant la bataille de Gettysburg qui marqua le tournant décisif du conflit.
Il faut dire que l'affaire semblait de prime abord mal engagée pour les Etats loyalistes. L'intrépidité des troupes sudistes et leur détermination faillit vraiment mettre à mal l'Union, et les Yankees ne parvinrent à s'imposer qu'au terme d'effroyables combats faisant plus 600.000 morts (sur une population de quelques trente millions d'âmes).
Le premier mérite de Lincoln fut d'avoir poursuivi contre vents et marées un seul et même but : préserver l'Union à tout prix. Le second fut d'adopter lors de la victoire, une attitude magnanime, refusant notamment de juger pour trahison le général sudiste Lee et accordant aux vaincus meurtris la même attention qu'aux vainqueurs harassés : « Sans malveillance envers personne ; avec compassion pour tous ; avec fermeté dans la poursuite du bien, tel que Dieu nous donne de le voir, efforçons-nous de mener à terme l’œuvre que nous avons entreprise ; de panser les plaies de la nation ; de veiller sur celui qui a porté le poids de la bataille, sur sa veuve et sur son orphelin… de faire tout pour défendre une paix juste et durable, parmi nous et avec toutes les nations. »
Hélas cette grandeur d'âme n'empêcha pas le Sudiste aigri John Wilkes Booth de l'assassiner lâchement d'une balle dans la nuque, alors qu'il assistait à une représentation théâtrale, quelques jours après le début de son second mandat, le 14 avril 1865.
En quatre petites mais terribles années, Lincoln avait toutefois atteint son but : sceller solidement l'Union Américaine. Sa mort tragique ne fit que renforcer cet acquis en illuminant l'homme d'une aura quasi surnaturelle.

10 février 2009

The Paul Butterfield Era


Comment ai-je pu passer si longtemps à côté du Paul Butterfield Blues Band ? C'est une question que je me pose tout à coup en écoutant un disque déniché au petit bonheur : The Elektra Years.

Une vraie claque tellement ce blues urbain me va droit au coeur et avec lui tout le parfum capiteux des années soixante. Un genre de Chicago Blues mâtiné d'accents rock et d'une lampée de langueur hippie. Où des petits blancs rêveurs s'emparent indécemment du beat souverain des cueilleurs de coton, et lui donnent des prolongements inattendus en extrayant de son jus, d'acides saveurs électriques. Des complaintes poignantes noyées dans les riffs stridulants des guitares, mais adoucies par le baume ensorcelant de l'harmonica. Un bonheur indicible. Walkin' by myself...

Une sorte de modernité teintée de solitude erratique, dans un monde à peine sorti des affres des grandes guerres et saisi du vertige enivrant mais un peu vain du progrès technique. De nouveaux Musset en proie à un nouveau mal du siècle en quelques sorte; le pendant musical des pérégrinations éblouies et un peu désespérées des Beatniks.


Hélas, ce désordre de l'âme a été payé très cher. Combien de ces bluesmen échevelés furent emportés au cours de leur quête trompeuse des paradis artificiels ? Après une carrière météorique, Paul Butterfield est mort d'overdose en pleine décrépitude à 45 ans en 1987, Mike Bloomfield en 81 avant même la quarantaine... Reste encore le bon vieux Elvin Bishop qui perpétue ces instants magiques.

Rêvons encore un peu, c'est si bon.

25 janvier 2009

En finir avec l'Idéologie


Beaucoup de gens croient connaître Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne (1918-2008). En réalité, sa pensée fut infiniment plus complexe que l'anti-communisme primaire auquel certains ont voulu le réduire. Il ne fut pas non plus le moujik arriéré et quelque peu illuminé, refusant en bloc le progrès matériel et l'idéal démocratique du monde occidental.
C'est ce qu'explique avec brio Daniel J. Mahoney dans un ouvrage très pénétrant. En montrant qu'avant tout, Soljenitsyne fut l'ennemi juré de l'Idéologie.
Ce maitre mot derrière lequel les totalitarismes cachent habituellement leur nature perverse représente pour l'écrivain russe la plus grande calamité à laquelle les hommes puissent se trouver asservis. Car l'idéologie après avoir tué tout esprit critique, ouvre la porte au fanatisme. Pour la servir en effet, tout est permis, en premier lieu le mensonge et la certitude immanente d'avoir raison, rien ne pouvant s'opposer au progrès de « la cause », définie ex abrupto. La raison n'a pas plus de place que les états d'âme dans cet infernal engrenage. Ainsi « le régime soviétique a détruit les choses et souillé le pays avec la même insouciance absolue qu'il a tué des personnes... »
En définitive, « l'idéologie est la théorie sociale qui aide le scélérat à blanchir ses actes à ses propres yeux et à ceux d'autrui, pour s'entendre adresser non pas des reproches ni des malédictions mais des louanges et des témoignages de respect. C'est ainsi que les Inquisiteurs s'appuyèrent sur le christianisme, les conquérants sur l'exaltation de la patrie, les colonisateurs sur la civilisation, les Nazis sur la race, les Jacobins d'hier et d'aujourd'hui sur l'égalité, la fraternité, le bonheur des générations futures. »
Fait capital, pour Soljenitsyne les crimes commis par les serviteurs zélés de l'idéologie ne peuvent être détachés de l'idéologie même. Ainsi, « il est impossible de répéter le sophisme insidieux mais courant, selon lequel le communisme est bon en théorie mais un échec en pratique ». C'est pour cette raison qu'en dépit de l'effondrement de ce système auquel l'écrivain ne contribua pas peu, il resta jusqu'à la fin de sa vie dubitatif sur l'avenir : « Le communisme est peut-être mort mais l'inclination ou l'élan utopique ou idéologique demeure. »
Sauf bien sûr si les êtres humains tirent enfin les leçons du passé. Car comme le rappelait Raymond Aron : « ce que nous enseigne notre siècle, c'est le piège mortel de l'idéologie, l'illusion de transformer d'un coup le sort des hommes et l'organisation des sociétés par la violence. »
Soljenitsyne ne s'arrête toutefois pas au seul combat contre l'idéologie. Aux dogmes inhumains qu'elle impose d'en haut, il oppose un modèle réaliste, humble et ascendant, fondé sur la liberté et la responsabilité des individus. Pour lui, « la démocratie doit peu à peu patiemment et solidement, se construire par en bas. »
En l'occurrence, Daniel Mahoney analyse en détail la dilection de l'écrivain pour le modèle de self-government fondé sur la participation et l'engagement direct des citoyens au sein d'assemblées communales comme en Suisse, ou de Town-meetings comme aux USA. Il rappelle également la sympathie qu'il éprouva pour Stolypine qui tenta d'installer en Russie, avant que survienne la révolution, une république de petits propriétaires terriens.
Dans cet exercice local, « de terrain », de la liberté, l'auteur de l'Archipel, ressentit toutefois comme essentiel, le recours à l'auto-limitation : « Si nous ne voulons pas nous retrouver déracinés par un pouvoir contraignant, chacun doit se mettre à lui-même un frein .../... La liberté humaine va jusqu'à l'auto-limitation volontaire pour le bien d'autrui ». Cette conception relève d'un libéralisme très pur, assez proche en somme de celui de Tocqueville. Teinté parfois d'une touche de malthusianisme, tant il craignait qu'en l'absence d'auto-limitation, le monde finisse par encourir de grandes catastrophes notamment écologiques.
Dernier élément caractérisant de manière très forte la pensée de Soljenitsyne, c'est bien sûr une foi immense, basée sans ambiguïté sur le sentiment religieux et l'espoir en Dieu. De son propre aveu, Soljenistyne trouva la force incroyable qu'il manifesta pour résister aussi opiniâtrement à un destin implacable, dans la foi chrétienne et dans les secours exceptionnels qu'il estima avoir reçus d'en Haut. C'est sans nul doute cette profonde aspiration qui le poussait à ne pas confondre progrès moral et progrès technique. C'est aussi cette foi qui lui faisait attacher autant de valeur au repentir : « le repentir est un don à la portée de tous les êtres humains qui sont parvenus à se connaître eux-mêmes. Il offre une opportunité de concorde civile et de développement spirituel à laquelle, hélas, les hommes sont trop disposés à résister. » Soljenitsyne déplorait notamment que jamais ne soit exprimé le moindre repentir faces aux abominations du communisme.

De cette belle réflexion, on retient la profonde humanité de ce géant des lettres que fut Alexandre Soljenitsyne et sa propension extraordinaire à ne jamais désespérer. Le Monde saura-t-il se souvenir de son grand exemple ? Saura-t-il éviter que se referment à nouveau les pièges qu'il a si magistralement ouverts ? Saura-t-il enfin comprendre que la morale est avant tout individuelle et qu'il est vain de vouer aux gémonies tel ou tel groupe humain au seul motif qu'il dévie des canons de telle ou telle idéologie ? : « Ah si les choses étaient si simples, s'il y avait quelque part des hommes à l'âme noire se livrant perfidement à de noires actions, et s'il s'agissait seulement de les distinguer des autres et de les supprimer ! Mais la ligne de partage entre le bien et le mal passe par le cœur de chaque homme. Et qui ira détruire un morceau de son propre cœur ? Au fil de cette vie, cette ligne se déplace à l'intérieur du cœur, tantôt repoussée par la joie du mal, tantôt faisant place à l'éclosion du bien. Un seul être et même homme peut se montrer très différent selon son âge et les situations où la vie le place. Tantôt il est plus près du diable, tantôt des saints.»

"Alexandre Soljenitsyne. En finir avec l'idéologie" par Daniel J. Mahoney, Fayard/Commentaire 2008

23 janvier 2009

Foules sentimentales


Deux jours après l'évènement « historique », je relis à tête reposée le discours prononcé par Barack H. Obama, lors de son investiture, qui a fait pleurer Miss France, et mis en liesse les foules sentimentales. Certes il est remarquablement écrit, clair, vigoureux et parfaitement adapté à la situation.
Mais je ne peux m'empêcher d'essayer d'imaginer ce qu'on aurait dit si certains de ses termes avaient été prononcés par George W. Bush.
D'emblée il s'inscrit en effet dans le ton le plus conservateur qui soit : « Nous le Peuple, sommes demeurés fidèles aux idéaux de nos ancêtres et à notre constitution ».
Il est empreint de la magnificence de l'Amérique : «
Nous réaffirmons la grandeur de notre nation en sachant que la grandeur n'est jamais donnée mais se mérite. Dans notre périple nous n'avons jamais emprunté de raccourcis et ne nous sommes jamais contentés de peu. Cela n'a jamais été un parcours pour les craintifs, ceux qui préfèrent les loisirs au travail ou ne recherchent que la richesse ou la célébrité. »
Au sujet de son pays, le nouveau président manie d'ailleurs sans complexe les superlatifs : «
Nous demeurons la nation la plus prospère, la plus puissante de la Terre. »
S'agissant de la marchandisation de la société, il est on ne peut plus clair : «
La question n'est pas non plus de savoir si le marché est une force du bien ou du mal. Sa capacité à générer de la richesse et à étendre la liberté est sans égale. »
En terme de politique étrangère, il s'exprime comme un conquérant : « A tous les peuples et les gouvernants qui nous regardent aujourd'hui.../... sachez que nous sommes prêts à nouveau à jouer notre rôle dirigeant. » Et de ce point de vue, le Boss tient à faire savoir qu'il n'aura ni état d'âme, ni faiblesse : « Nous n'allons pas nous excuser pour notre façon de vivre, ni hésiter à la défendre, et pour ceux qui veulent faire avancer leurs objectifs en créant la terreur et en massacrant des innocents, nous vous disons maintenant que notre résolution est plus forte et ne peut pas être brisée; vous ne pouvez pas nous survivre et nous vous vaincrons. »
Même s'il est moins explicite en termes de bien et de mal que son prédécesseur, sa conception est à l'évidence inspirée des mêmes principes : « A ceux parmi les dirigeants du monde qui cherchent à semer la guerre, ou faire reposer la faute des maux de leur société sur l'Occident, sachez que vos peuples vous jugeront sur ce que vous pouvez construire, pas détruire. »
Enfin pour Barack Obama, la force de l'Amérique vient de la ferveur de ses habitants et nul doute, pour lui c'est Dieu qui les inspire : « Quoi qu'un gouvernement puisse et doive faire, c'est en définitive de la foi et la détermination des Américains que ce pays dépend. » et « C'est la source de notre confiance, savoir que Dieu nous appelle pour forger un destin incertain. »
Et il termine en véritable apothéose messianique: « Et avec les yeux fixés sur l'horizon et la grâce de Dieu, nous avons continué à porter ce formidable cadeau de la liberté et l'avons donné aux générations futures. »


Il faudra juger le nouveau président à ses actes naturellement, mais il est fascinant encore une fois, de constater la versatilité des foules, prêtes à couvrir d'opprobre les uns et encenser les autres en fonction de critères si aléatoires ou insignifiants. Hier tout était laid, aujourd'hui tout est beau. .. Pourquoi tant d'excès et tant d'esprit moutonnier, à une époque où toute l'information est accessible à chacun, et où l'on pourrait enfin espérer accéder à la Raison ? Mais c'est vrai, le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas...
Photos: New York times et Usa today

19 janvier 2009

S'il n'en reste qu'un...


De la belle brochette de présidents rassemblés à la Maison Blanche lors d'un déjeuner organisé avant son départ par l'actuel occupant des lieux, combien laisseront une réelle empreinte dans l'histoire ?

S'il ne devait en rester qu'un, pas grand monde aujourd'hui ne parierait sur la personne de George W. Bush assurément. A peine plus d'un quart des Américains conservent paraît-il, une image favorable de lui. En France, je n'ose imaginer être quasi le seul à en dire encore du bien. Qu'importe après tout, quitte à passer pour le dernier des Mohicans, je persiste et signe, à l'instar de Maurice G. Dantec, qui dans Le Point n'est guère embarrassé de donner une opinion tranchant avec le consensus généralisé.

Un fait est certain : au moment de quitter la Maison Blanche, M. Bush peut se lamenter sur au moins un échec : il n'aura pas réussi à endiguer le flot des idées reçues qui l'ont assailli et poursuivi depuis le tout début de son mandat, et jusqu'à son terme.
Il partait avec un lourd handicap. Au moment de prendre ses fonctions en 2000, l'opinion publique le considérait comme l'héritier idiot et inculte d'une famille détestable, enrichie dans le commerce du pétrole. Il était qualifié par les mêmes, de « boucher texan » au motif que l'Etat dont il était gouverneur (élu et réélu), était celui qui comptait le plus grand nombre de condamnations à mort.
Huit ans après, les critères de jugement ne se sont guère affinés. M. Bush est désormais aux yeux de ces censeurs sans nuance, le « plus mauvais président de l'histoire des Etats-Unis ». Son bilan est rituellement présenté comme désastreux, catastrophique, et toutes ses actions résumées d'un seul qualificatif : épouvantable gâchis.

Au bout du compte, ce qui frappe le plus dans le destin étonnant de cet homme, c'est la haine féroce qui s'est sans cesse acharnée sur lui. Rien n'y a fait. Quelque action qu'il fit, elle l'a accompagné avec une incroyable constance.
Fait au moins aussi étonnant elle ne l'a jamais empêché d'agir « comme si de rien n'était », ni même de recueillir, envers et contre tout, de beaux succès populaires. Deux ans après son élection, qu'une foule déchainée qualifiait de « volée », il était solidement et sans ambiguïté légitimé par le scrutin de mid-term en 2002. En 2004, à l'issue d'une campagne marquée par un des plus formidables déferlements d'hostilité primaire jamais vus, au moment où l'aventure irakienne tournait à l'enlisement, il était réélu brillamment.

Sans refaire l'histoire de ce double mandat, plusieurs caractéristiques qui en font un épisode à nul autre pareil, méritent d'être soulignées :
Présenté comme un personnage plutôt falot et sans envergure, M. Bush aura été confronté à des circonstances extrêmement difficiles. Il prit ses fonctions dans le contexte d'une crise économique sévère, hérita du problème irakien qui n'en finissait pas d'empoisonner la Communauté internationale depuis dix années, reçut de plein fouet le choc du terrorisme islamique qui avait prospéré à l'abri de l'angélisme clintonien et onusien. A peine eut-il le loisir d'enregistrer quelques succès sur ces fronts qu'une nouvelle crise financière venait assombrir l'horizon.

A côté du parcours semé d'embûches de George Bush, celui de Bill Clinton pourrait passer pour une vraie sinécure : porté par une vague de prospérité à laquelle il n'était pour rien, il ne connut de vraie crise interne que celle engendrée par ses frasques extra-conjugales avec Monica Lewinsky, et à l'extérieur, celle de l'ex Yougoslavie, qu'il solutionna, non sans une certaine efficacité, à coup de bombardements. Certes il eut au moins la sagesse de ne rien entreprendre qui put compromettre le cours favorable des évènements, mais cela le conduisit à une sorte d'inaction qui l'amena entre autre, à minimiser la menace représentée par Al Qaeda et à renier l'essentiel de son programme, notamment toutes les mesures sociales qui font d'habitude vibrer si fort le puissant lobby intellectuel des bobos gauchisants.

George Bush, lui, fit tout son programme et bien au delà.
Pour enrayer les effets du krach de 2001, il procéda aux réductions massives des prélèvements obligatoires qu'il avait annoncées. Les amis de l'impôt hurlèrent comme toujours qu'il favorisait les riches. N'empêche, des emplois furent créés par millions et la croissance américaine resta bien au dessus de celle de nombreux pays européens dont la France. Certes les Etats-Unis sont aujourd'hui lourdement endettés, et à nouveau en crise, mais ils ont gardé une réactivité qui leur permet d'être relativement optimistes. Le taux de chômage qui avoisine les 7,5% est pour eux catastrophique mais il serait qualifié de succès en France...
S'agissant du terrorisme, il est incontestable que l'Administration Bush a accompli une oeuvre considérable. Aucun attentat ne s'est reproduit sur le sol américain depuis celui, effroyable, de 2001, et surtout, la cohésion des organismes chargés de lutter contre ce fléau a été considérablement renforcée. Grâce aux liens internationaux que son administration a également contribué à resserrer, l'information circule beaucoup plus vite et beaucoup de machinations ont même pu être annihilées dans l'oeuf, principalement en Europe.

On glosera encore longtemps sur l'intervention militaire en Afghanistan et encore plus sur celle en Irak. Mais même si les motifs et les explications donnés étaient quelque peu galvaudés, même si des erreurs ont été commises (la bannière prématurée et plutôt niaise « Mission Accomplie !», et surtout la gestion de l'après-guerre), il s'est agi dans les 2 cas de campagnes militaires brillantes. Surtout, elles ont permis à deux pays tyrannisés d'accéder au statut de nation libre. Leur avenir dépend désormais avant tout d'elles-mêmes, mais aussi de l'aide que voudra bien leur apporter la communauté internationale. Rien ne serait pire que d'abandonner la partie. Même s'il persiste des menaces, et si l'islamisme reste un danger inquiétant, le Moyen Orient change. La Libye et la Syrie ont édulcoré leur dictature. Beaucoup de pays et d'émirats du Golfe entrent de manière éclatante dans le XXIè siècle, convertissant la manne pétrolière en fascinants projets architecturaux, touristiques et culturels.

En matière sociale, contrairement au dogme qui fait de M. Bush un chantre de l'ultra-libéralisme marchand, un certain nombre d'actions significatives furent menées à bien. Celle dont il est le plus fier est le vaste programme de lutte anti-SIDA et anti-paludisme en Afrique. Jamais l'Etat américain n'avait lancé d'opération de si grande envergure financière. Peu de gens le reconnaissent mais les témoignages de personnalités peu suspectes de connivence, telles que Bob Geldof et le chanteur du groupe U2, Bono sont éloquents.
On pourrait également évoquer dans son pays, les mesures prises en matière de Santé, pour améliorer la prise en charge des médicaments (Medicare), et celles destinées à améliorer le niveau éducatif des enfants par le programme No child left behind.

Au total, le bilan de George Bush est loin d'être aussi calamiteux qu'on le présente habituellement. Au surplus, ce président qui a été copieusement insulté, calomnié et accusé à tort des pires turpitudes, a toujours conservé dans toutes les situations, un remarquable fair play. L'épisode récent du lancer de chaussures en Irak a permis une nouvelle fois d'en attester. Il n'a jamais pratiqué l'injure ou le mépris, n'a guère eu recours à la démagogie, et n'a notamment jamais renié ses convictions au risque d'être impopulaire. Son parler a toujours été simple et franc. Face à la crise actuelle par exemple, contrairement au président français faisant de grands moulinets moralisateurs et accusateurs à l'encontre du libéralisme et du capitalisme, il a réaffirmé lui, son attachement à la liberté d'entreprendre et a justifié l'aide de l'Etat par le seul souci pragmatique et l'urgence de la situation, en se gardant de brandir la moindre considération idéologique.
En matière d'entourage professionnel ses choix plutôt avisés, ont toujours répondu à un souci d'efficacité plus que d'épate. A ce titre, il restera celui qui a offert à une femme exceptionnelle, Condoleeza Rice les hautes responsabilités qu'elle méritait, de la manière la plus naturelle qui soit. Sans doute Barack Obama doit-il un peu de son ascension historique à cette manière décomplexée et sans tabou d'agir.
George Bush laissera également à ses proches l'image d'un dirigeant accessible, aux manières dénuées d'artifice ou de clinquant. Les témoignages de son tailleur et de son cuisinier (des Français installés aux Etats-Unis), qu'on a pu voir sur M6 il y a quelque temps, étaient de ce point de vue révélateurs. Il se comportait avec eux comme un simple citoyen, attentif aux moindres détails de leur travail et soucieux de leur famille.

George Bush a très certainement commis des erreurs. Il a démontré des lacunes et s'est rendu coupable de graves maladresses. A cause d'un tempérament à l'emporte pièce, il a sous estimé ou négligé un certain nombre de problèmes; Il a peu contribué à enrayer l'infernale inflation bureaucratique qui menace tous les pays développés. Il serait injuste toutefois de ne pas lui accorder quelques circonstances atténuantes, eu égard à la complexité de la tâche. Si l'histoire lui rend justice en admettant qu'il a fait son devoir honnêtement et qu'il ne s'est pas rendu indigne de sa fonction ça ne serait déjà pas si mal.
Sa plus grave responsabilité fut celle d'avoir engagé les troupes américaines en Irak et donc causé la mort de plus de 4000 d'entre eux. S'il s'avère qu'ils sont tombés pour procurer une vraie émancipation aux Irakiens, personne ne pourra dire que les Etats-Unis ont fait autre chose que poursuivre leur mission de toujours, à savoir faire rayonner la liberté sur le Monde. Et ce ne sera que justice rendue à la mémoire des soldats...

14 janvier 2009

Blue Angel

Dans la morosité d'une époque blasée, épuisée de confort matériel et jamais contente, il y a encore des petits gars qui se démènent et qui croient qu'on peut atteindre l'extase à force d'effort et de foi. John Mayer est de ceux là. Quand sa bouche tordue par un rictus pathétique mâche le blues (my stupid mouth...), et que ses doigts extirpent de la guitare avec une intense gravité (gravity...) des bends déchirants, le public se sent manifestement parcouru de bonnes vibrations. Et lorsque son regard d'ange languissant s'envole vers les hautes sphères, c'est comme si la foule était sous le charme d'une indicible incantation (belief).

Ce jeune homme, à peine trentenaire a déjà une respectable carrière derrière lui. Trois magnifiques albums en studio et une belle palette de sonorités. Se réclamant par sa musique, d'augustes défunts tels Stevie Ray Vaughan et Jimi Hendrix, mais fils spirituel du bien vivant Eric Clapton, il tient assurément des trois.

Très à l'aise en solo avec une simple guitare acoustique, il s'épanouit avec la même apparente et indécente facilité en trio, ou bien encore au sein de jams plus étoffées. Compositeur original il est l'auteur de quelques chansons empreintes d'une touche personnelle très émouvante. Il paraît totalement sincère et d'un naturel confondant, bien en phase avec l'idéal rustique et illuminé du Blues. Si simple et candide est-il sans doute, qu'il a cru bon de se faire tatouer pour se donner une allure, de grosses inscriptions poissardes sur les bras...

Mais la musique est son milieu naturel. Il s'y pâme avec délectation. Il sait merveilleusement jouer de sa voix suave, un rien éraillée, pour faire naître l'émotion, et son toucher de corde est quasi divin. Chaque note, attaquée avec une tranquille certitude, laisse dans l'oreille de subtiles rémanences qui s'évanouissent lentement à la manière d'un délicieux goût de reviens-y...

John Mayer en CD : Room for squares (2001), Heavier Things (2003), Continuum (2008) et un superbe DVD/BluRay enregistré fin 2007 à Los Angeles : Where The Light is.

12 janvier 2009

Hôpital mon amour...


La problématique de la Santé en France, et plus particulièrement celle des hôpitaux est riche de polémiques autant que de réformes.
Passons sur les premières. Elles font couler beaucoup d'encre mais, pour paraphraser le chef de l'Etat*, s'avèrent souvent «
parfaitement déplacées » tant elles se bornent à exploiter l'émotion suscitée par des drames conjoncturels qui ne disent pas grand chose du malaise profond des hôpitaux.
Quant aux réformes, et en s'inspirant encore des récents propos du Président de la République, pas plus que d'argent l'Hôpital n'en a manqué. Mais si les piliers du « meilleur système de santé au monde », sont la proie d'un grand désarroi, ce qui frappe au sein des vastes programmes dits « de modernisation » ou « de simplification » qui ont fleuri depuis des décennies, c'est avant tout l'incapacité chronique à concrétiser de manière pragmatique des solutions. Le dernier n'est d'ailleurs pas achevé, que le gouvernement en propose déjà un nouveau !
Visant une fois encore à réorganiser et à restructurer, cette nouvelle réforme est-elle meilleure que les autres ?
Mauvais augure, le texte commence comme toujours par un incipit ronflant faisant référence obligée aux sempiternels mais creux principes de « simplification », de « modernisation », et « d'égal accès aux soins ». Plus grave, il ne paraît pas s'attaquer aux principaux maux dont souffre le système de santé, à savoir, la centralisation, la bureaucratie et l'irresponsabilité.
La centralisation atteint désormais un point extrême. Elle se traduit par une emprise étatique de plus en plus étouffante, qui bien que théoriquement déconcentrée au niveau régional, s'exprime plus que jamais dans la nouvelle loi.
Comme on pouvait le craindre à la lecture de la kyrielle de rapports qui l'ont précédée, la loi « Hôpitaux Patients, Santé, Territoires » (HPST) s'inscrit dans le grand mouvement concentrationnaire amorcé il y a plusieurs années, et dont elle constitue en quelque sorte le point d'orgue.
Les « Communautés Hospitalières de Territoire » annoncées aboutissent ni plus ni moins à la fusion des hôpitaux en énormes structures tentaculaires desservant des territoires parfois grands comme des départements.
Au mépris du simple bon sens qui veut que les difficultés de gestion et la tendance à accumuler les déficits budgétaires, soient en règle intimement corrélées à la taille des établissements (tous les CHU sont lourdement endettés).
Au mépris également des enseignements de la crise économique actuelle, qui démontre la perversité d'entreprises géantes, ramifiées, opaques et quasi monopolistiques.
En ce sens, poussé par le productivisme, le capitalisme outrancier et le planisme technocratique se rejoignent en une sorte d'étrange oméga kolkhozien...
Dans la nouvelle loi, les Agences Régionales de l'Hospitalisation (ARH) nées en 1996 du funeste plan Juppé, souvent critiquées par Nicolas Sarkozy, sont certes supprimées... Mais elles sont remplacées par de nouveaux monstres: les Agences Régionales de Santé (ARS), qui concentrent encore plus de pouvoir !
Et leur puissance tutélaire répond comme auparavant, au principe désastreux des plans quinquennaux : Schémas Régionaux d'Organisation Sanitaire (SROS), Contrats Pluriannuels d'Objectifs et de Moyens (CPOM)...
Sous cette emprise, la marge de manœuvre des établissements est plus que réduite et leur capacité à démontrer la légitimité de leur existence est laminée par des contraintes assassines. Si la carte sanitaire réglementant le nombre de lits d'hospitalisation a disparu, la moindre activité médicale est désormais soumise à autorisation ministérielle, et doit répondre à des normes de fonctionnement parfois absurdes tant elles contiennent d'exigences.
L'évaluation de la qualité des soins, en dépit d'une très lourde et très onéreuse procédure d'Accréditation mise en œuvre il y a 5 ans par l'Etat, est évaluée « à la louche », au vu de seuils, quotas, et objectifs quantifiés arides et très aléatoires. On a décrété par exemple qu'une maternité réalisant moins de 300 accouchements ou un Bloc Opératoire moins de 2000 interventions par an, étaient forcément nuisibles.
Or rien ne dit que la qualité soit assimilable à la quantité, et dans bien des cas ce principe a des conséquences économiques fâcheuses. Plus une structure est importante plus ses frais de fonctionnement sont élevés, et plus les soins ont tendance à être sophistiqués, donc coûteux. Par exemple, alors que les progrès techniques permettent d'anticiper avec une très grande précision les complications potentielles d'un accouchement, nombre de futures mamans sans problème sont obligées de parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour accoucher au centre hospitalier « de référence ». A titre comparatif, en Hollande, plus d'un tiers des accouchements se déroulent tout simplement... à domicile !
Malheureusement, il semble impossible d'enrayer cette spirale centralisatrice qui agit comme un vertigineux trou noir, et engloutit une à une toutes les structures déclarées par postulat, indésirables.
Seconde plaie, la bureaucratie ne semble en rien réduite par le projet de loi. Au contraire. La gestion hospitalière n'a jamais été aussi ténébreuse, et son organisation interne continue de faire l'objet d'incessants remaniements. Les services médicaux sont en voie de démantèlement. Encouragés successivement mais sans succès à se fondre en Départements ou en Fédérations ils sont aujourd'hui autoritairement regroupés en entités hétéroclites qu'on appelle « Pôles ». Il devient de plus en plus difficile de se repérer au sein de cette machinerie fumante qui découpe en tous sens l'hôpital sans but concret, et sans vraie logique médicale ni économique.
Et le Président de la République qui souhaite que les directeurs soient de « vrais patrons » pour leurs hôpitaux, entérine étrangement un schéma organisationnel dantesque, où les instances administratives toujours plus nombreuses s'enchevêtrent dans un amas inextricable. Un énarque y perdrait son jargon tant les dénominations et les attributions sont changeantes et imprécises : Conseil de Surveillance, Directoire, Conseils Exécutifs, Commission Médicale d'Etablissement, Comité Technique...
Les modalités de financement des hôpitaux sont elles-mêmes de plus en plus complexes. Loin d'avoir simplifié la gestion des hôpitaux, la Tarification à l'Activité (T2A) en vigueur depuis 2004, est venue la compliquer encore. Elle n'est qu'une strate supplémentaire sur le mille-feuilles insondable de la Comptabilité Analytique. Et il faut y inscrire chaque année de nouvelles modalités gestionnaires toujours plus tarabiscotées. Parmi les dernières en date, celle des Missions d'Intérêt Général (MIG) financée de manière illisible, ou des Groupements de Coopération Sanitaires (GCS) aux contours juridiques nébuleux, qui cherchent à marier des statuts inconciliables, notamment public et privé.
Enfin, notre système de santé souffre d'un fléau qui lui est quasi consubstantiel, tant il perdure : l'irresponsabilité. A son origine, sans doute avant tout la croyance solidement ancrée, que la santé comme l'éducation sont gratuites.
Or tout a un coût, et la France s'inscrit dans les 4 pays les plus dépensiers au monde en la matière. Sauf erreur elle ne dispose pas encore d'une corne d'abondance déversant ses bienfaits sans limite.
On a vu que les frais de fonctionnement du système de santé hospitalier, de plus en plus administré, réglementé et planifié ne cessent d'augmenter.
De leur côté, les médecins rechignent trop souvent à participer à la nécessaire évaluation du rapport coût-efficacité des soins. A force de refuser comme on l'entend souvent, de considérer la santé comme une marchandise, ils risquent de précipiter l'avènement d'une maîtrise purement comptable qui serait la pire des solutions. Rien de précis hélas n'est entrepris pour faire comprendre au corps médical qu'il faut adapter les soins avec bon sens en fonction de l'état des patients et des finances disponibles. hélas, les fameuses délégations de gestion et la contractualisation interne, annoncées depuis la réforme hospitalière de 1991, restent plus que jamais dans les limbes de la technostructure. En bref, elles n'ont d'existence que théorique...
Les patients ne sont pas davantage responsabilisés. Au contraire, dans le souci démagogique d'éviter l'augmentation des cotisations à la Sécurité Sociale, le gouvernement a décidé de taxer les mutuelles privées pour renflouer le gouffre financier du régime obligatoire. Il y a beaucoup d'hypocrisie dans ces mesures qui n'agissent de toute manière que comme expédients. Rien n'y fait. Ni le ticket modérateur, ni les franchises, ni le déremboursement d'un nombre croissant de médicaments, ni l'obligation de recourir aux génériques, ni l'obscur et inextricable « parcours de soins coordonné » ne permettent de solutionner le problème, faute d'oser dire la vérité : un système d'assurance ne fonctionne de manière optimale que lorsque les assurés ne recourent pas trop souvent à ses prestations. C'est tout le contraire à quoi on assiste, avec la montée irrésistible du consumérisme médical. Et la position monopolistique de la Sécurité Sociale n'arrange rien...
Enfin la tutelle rigide de l'État, l'obsession sécuritaire, et la manie de légiférer à tout bout de champ, ont considérablement freiné le développement de quantité de dispositions qui auraient permis de dynamiser la politique de santé.
La Télémédecine qui devrait éviter à nombre de patients d'être transférés loin de chez eux, est en France très sous-exploitée. Il y a peu de chance que la concentration qui s'annonce soit propice à son développement. Aujourd'hui, la plupart des hôpitaux ne parviennent toujours pas à communiquer entre eux ou avec les médecins installés en ville, par le biais d'outils électroniques. On en est encore à adresser les documents médicaux par courrier, mis sous pli et affranchis « à l'ancienne »... Toutes les expérimentations pilotées par l'Etat ont été dans le domaine des échecs cinglants: Réseau Santé Social (RSS), Dossier Médical Personnel (DMP)...
Paralysée par une crainte sans fondement, la France a renâclé à déléguer certaines tâches de soins au personnel paramédical, comme l'ont fait beaucoup de pays développés. Résultat, les délais d'attente s'allongent vertigineusement dans certaines spécialités et on s'aperçoit qu'il n'y a pas assez de médecins, ou qu'ils sont mal répartis sur l'ensemble du territoire.
Confronté à ce problème, l'Etat s'apprête à mettre en oeuvre un effrayant système contraignant les jeunes médecins à s'installer selon les règles d'une planification nationalisée. Tout porte hélas à croire que cette attitude dirigiste sera inefficace et contribuera à faire grandir la démotivation des praticiens.

En définitive, ce nouveau projet de loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoires », suscite une immense déception. Quand on aime l'hôpital, qu'on a fait le choix d'y faire carrière parce qu'il représentait l'excellence, on ne peut que souffrir de le voir ainsi vitrifié sous une chape administrative aussi désespérante. Plus de 100 pages de dispositions pour ne faire in fine, que conforter la logique responsable des inquiétantes convulsions qui le parcourent depuis tant d'années !
Contrairement aux annonces rassurantes du président de la république, on ne voit pas bien comment les hôpitaux auront « davantage de liberté pour s'organiser». Et l'espoir s'éloigne de voir émerger un système décloisonné, déconcentré laissant à chacun l'initiative de mener à bien ses projets, sous la seule réserve d'être efficient et viable économiquement. Tout comme s'enfuit la perspective d'une répartition équilibrée, graduée des soins, basée sur l'exploitation avisée de la télématique, et reliant des structures de taille moyenne, obéissant à des modalités de gestion souples, fondées sur l'autonomie et l'émulation. Enfin, s'évanouit l'idée d'une offre en matière d'assurance maladie diversifiée, responsable, et aiguillonnée par une concurrence non faussée...
* le 9/1/09 lors de l'inauguration du nouvel hôpital civil de Strasbourg

06 janvier 2009

Itinéraires maritimes


Une belle exposition parisienne, sise dans les murs du Musée de la Marine, célèbre pour quelques semaines encore (jusqu'au 2 février), un peintre étonnant : Albert Marquet (1875-1947)

Héritier des Impressionnistes, compagnon de route des Fauves, à cheval sur deux siècles, ce peintre a en définitive laissé une empreinte très personnelle.
Identifiable entre mille en dépit de son apparente simplicité, elle est faite d'une subtile combinaison de rusticité et d'élégance.

Simple, Marquet le fut dans toutes les acceptions du terme. Petit père binoclard, à la vie bien rangée, il ne payait pas de mine. Peu soucieux de la gloire, il n'était pas difficile, ne demandant selon le témoignage de son épouse Marcelle, « que de la tranquillité et de la vie ».

Les quelques 77 tableaux exposés au Palais de Chaillot retracent les « itinéraires maritimes » de cet artiste natif de Bordeaux, amateur de liberté et de mouvement, et qui tout naturellement avait une prédilection pour les voyages et pour l'eau.
De Rotterdam à Alger, des Sables d'Olonne à Saint-Tropez, du Havre à Venise, il parcourut nombre de littorals, cherchant peut-être à vérifier « sur le motif », la formule merveilleuse de Bachelard : « L'eau est un destin essentiel qui métamorphose sans cesse la substance de l'être ».

Ce qui fascine c'est la sûreté du trait et un art consommé du contraste. Devant des lointains brumeux, au dessus de vastes étendues liquides, Marquet n'a pas son pareil pour donner un relief saisissant aux objets qui font la réalité triviale et pesante du monde terrestre : un quai, un pont, un entrepôt, des docks, une digue deviennent les piliers de ces audacieuses constructions picturales. Et même noyés dans des camaïeux de gris ces mornes reliefs ne sont jamais tristes. Il suffit de quelques silhouettes posées ici ou là, évoquant des promeneurs, d'un drapeau flottant au vent, ou du feuillage d'un palmier, pour leur donner vie.

Les bateaux, machines humaines si complexes, sont croqués de quelques coups de pinceau parfaitement maitrisés. Bien enchâssés dans l'eau, ils sont à la fois grossiers et gracieux. Ils glissent avec volupté sur la mer, sur laquelle ils impriment doucement le froissement de leur sillage, donnant profondeur et gaieté au paysage.

Il n'y a pas d'enluminure, pas d'allégorie, pas d'artifice, et ni symbole, ni decorum dans la peinture de Marquet. Seul, le doux et prégnant mystère de la vie qui bouge paisiblement au gré des formes et des couleurs...

31 décembre 2008

Pour finir en beauté...


Juste avant d'aborder la fin de l'année, au moment où souvent virevolte immaculée, la neige dans l'air hivernal, un clin d'oeil à un peintre qui sut comme nul autre transcender la réalité, en lui donnant les ailes de la liberté et l'éclat de la beauté.

A travers la danse, Edgar Degas (1834-1917) ouvre une brèche dans le mur froid et laid qui donne parfois l'impression de cerner l'existence.
Dans la représentation qu'il en donne, le maitre de ballets est gris comme la banalité du quotidien. Cloué au sol, il évoque la pesanteur d'une vie médiocre et routinière, coincée entre habitudes, chagrins et désillusions. Mais c'est par lui qu'émane toute la grâce, l'élégance et la légèreté qui animent ces tutus vaporeux, suspendus en poses éthérées, comme en apesanteur. C'est au rythme de son bâton, plus froid et sévère que le tic-tac d'une vieille horloge, que s'exprime l'indicible chant de l'être, une jouissance intense faite à la fois de chair et d'esprit.
Comme par un effet de la magie, si la danse sous sa férule obéit à des règles strictes, on ne les voit pas, on n'en ressent aucune contrainte en voyant le spectacle des ballerines. Il paraît libre et impalpable comme l'air !

Le peintre est un peu comme le vieux professeur de danse. Ses pinceaux capturent une partie de la magnificence invisible du monde, qui vient se poser délicatement sur la toile comme une transfiguration subtilement colorée, que chacun tout à coup peut commencer de comprendre.

Edgar Degas fut l'auteur d'un voeu magnifique, l'un des plus beaux qu'on puisse oser émettre si l'on espère donner un sens à sa vie : « Je voudrais être illustre et inconnu ». Fasse que ce voeu, plein d'orgueil et d'humilité, de désir et de retenue, donne au seuil d'une nouvelle année, une espérance à tous les gens de bonne volonté...

27 décembre 2008

L'argent brouille


Un petit film d'animation (52 min quand même...), fait le buzz depuis quelques semaines sur le web. Réalisé en 2006 par Paul Grignon, un graphiste et vidéaste canadien, il profite pleinement de la crise économique et de l'effet démultiplicateur de l'internet pour conquérir facilement une vaste audience. Très séduisant au premier abord, il donne en effet au spectateur, sur un ton qui se veut à la fois ludique et pédagogique, l'impression de comprendre comme par enchantement les ressorts réputés complexes de l'économie, les arcanes du fonctionnement des banques, et in fine la crise actuelle, en même temps qu'il désigne certains responsables à la vindicte populaire et propose des solutions innovantes.

Cette emballage aguichant cache toutefois un imbroglio de pièges, et d'illusions en tous genres qui le réduisent plutôt à une caricature partisane dangereuse.
Le propos, récité benoitement par une charmante voix féminine, ne relève ni de la pédagogie, ni de la vulgarisation :
- Il fourmille d'erreurs ou d'approximations historiques, à commencer par l'origine de l'argent , attribuée aux orfèvres vénitiens ! (lesquels orfèvres sont rapidement assimilés à des banquiers aux méthodes douteuses - flanqués de garde du corps patibulaires - qui s'enrichissent grâce à l'exploitation frauduleuse des richesses entreposées chez eux).
-il tire une bonne partie de son argumentation d'insinuations grotesques, relatives au secret dont « on » couvrirait sciemment la théorie monétaire : « elle n'est presque jamais mentionnée dans les écoles », « n'a jamais inspiré de film à grand succès» ce qui d'après l'auteur, « n'a rien d'étonnant ».
-il décrit la réalité en terme de schémas fallacieux, réduisant notamment l'argent aux seules dettes contractées par ceux qui empruntent aux banques, ce qui lui donne d'ailleurs son titre suggestif :
l'argent-dette.
-Tout ça pour finir comme par hasard, dans une sorte d'apothéose à la gloire d'une gestion étatique monopolistique des richesses, conduisant à créer l'argent en fonction des besoins, à permettre la souscription de prêts sans intérêt, à faire disparaître purement et simplement la notion même de dette et à projeter le monde dans un idéal de croissance économique plate. En bref, comme il est stipulé : « pour fonder une économie sur de l'argent permanent et libre d'intérêt, il suffirait que le gouvernement crée de l'argent et le dépense dans l'économie, de préférence dans des infrastructures durables : routes, chemins de fer, ponts, ports et marchés publics. Ce serait de l'argent valeur et non de l'argent dette. »

Pour être juste, une chose est à peu près exacte dans ce galimatias racoleur, à savoir l'observation attribuée au cerveau génial du « vieil orfèvre » : « Les déposants retirent rarement leur argent de la banque et ils ne le retirent jamais tous ensemble » (au passage, on confond tout de même déposants et épargnants...). C'est précisément ce principe fondamental qui permet de faire travailler les biens pour l'économie générale et de catalyser la fabrication de nouvelles richesses, tout en rémunérant les prêteurs qui y contribuent. Il faut rappeler qu'un principe analogue régit les assurances : les clients déclarent rarement un sinistre, et en règle jamais tous ensemble, ce qui permet de mutualiser les risques, au moyen d'une cotisation individuelle modique et la prise en charge intégrale ou quasi, des frais occasionnés en cas d'accident.

L'ennui, est qu'à partir de ce constat, Mr Grignon se livre hélas à toutes sortes de déductions hasardeuses, et surtout, qu'il en fasse la source de turpitudes occultes destinées à enrichir les seuls banquiers au détriment de l'ensemble de la société !
Il décrète par exemple, qu'en accordant un prêt, une banque crée ex-nihilo la somme requise par des dispositions qui s'apparentent à un tour de passe-passe.
Même si on peut parfois mettre en cause la rigueur des banquiers et la pertinence de leurs simulations, même si l'on peut effectivement douter que les sommes prêtées existent réellement en espèces trébuchantes dans les caisses, il ne faut pas négliger le fait qu'elles sont normalement gagées par les actifs de l'emprunteur. Et ne pas occulter le but même du prêt qui est d'anticiper l'acquisition d'un bien, contre remboursement de mensualités, conduisant de fait à l'extinction progressive de la dette, donc à la disparition de ce fameux argent-dette...
Dans un système communicant, il n'est d'ailleurs pas nécessaire que les fonds empruntés soient disponibles précisément dans l'organisme auquel s'adresse l'emprunteur, la dette pouvant être convertie en titres, répartis sur plusieurs organismes. En mutualisant ainsi les richesses inactives possédées par un grand nombre de gens, le système bancaire peut consentir des prêts à d'autres, qui en ont besoin.
Et les intérêts, présentés dans le documentaire comme un système pervers, servent à couvrir les frais de fonctionnement du système, ainsi que ceux découlant de l'inflation, tout en rémunérant le risque encouru et l'immobilisation des capitaux prêtés.

Contrairement au propos du film, sans endettement ni les entreprises, ni les particuliers, ni même les gouvernements ne pourraient mener de grands projets d'investissement. Le seul vrai souci est de ne pas s'endetter trop et de ne pas prendre un risque inconsidéré menaçant l'engagement de remboursement en cas de difficulté imprévue.
Car si le volume global de l'argent prêté n'est plus en corrélation avec la valeur des biens ou s'il est prêté à des emprunteurs incapables de rembourser leur dette, le système tôt ou tard est condamné à la faillite. Tout comme une assurance dont les cotisants deviendraient de moins en moins nombreux à mesure que les risques couverts seraient de plus en plus souvent réalisés...

En définitive l'argent est une vue de l'esprit. Il s'agit d'un symbole permettant de standardiser la valeur des richesses pour en faciliter les échanges. Les richesses quant à elles dérivent toutes peu ou prou du travail. Tant qu'il y a adéquation entre les deux, le système tourne normalement et le crédit qui anticipe les richesses à venir est bénéfique puisqu'il agit comme catalyseur.
D'une manière générale, il y a problème lorsque les richesses existantes ou potentielles sont surévaluées par rapport à l'argent qui les représente, que la production d'argent croit plus vite que les biens eux-mêmes, ou encore lorsque l'endettement est disproportionné par rapport aux ressources et ne repose plus sur des garanties réelles. Le système des subprime cumulait plusieurs de ces tares.
On qualifie en l'occurrence de crise, ce qui n'est qu'un réajustement face à des dérives, pas forcément causées par la seule malhonnêteté ou la duplicité des banquiers.

En dépit de son imperfection, le système économique sur lequel repose la société, n'est pas comme le sous-entend bruyamment Mr Grignon un complot ourdi par une quelconque pieuvre bancaire maléfique. Et le recours systématique à l'Etat, tel qu'il est préconisé dans le film, n'offre aucune garantie supplémentaire.
Mr Grignon s'interroge gravement : « Pourquoi les gouvernements choisissent-ils d'emprunter de l'argent aux banques privées avec intérêt, quand ils pourraient créer tout l'argent qu'il leur faut, sans intérêt ? » Et sa réponse fait frémir : « Sans la concurrence des dettes privées, les gouvernements auraient le contrôle des réserves de l'argent de la nation. »

Si un gouvernement, s'affranchissant des règles économiques de base, s'avisait de créer de l'argent en fonction de ses besoins, nul doute qu'il en abuserait tôt ou tard tant ils sont immenses. Cela conduirait inévitablement à une dévalorisation de l'argent donc à un appauvrissement de tous ceux qui en possèdent un tant soit peu... La situation actuelle du Zimbabwé relève ni plus ni moins de cette logique.
Quant aux prêts consentis par l'Etat, ils ne sont pas plus sûrs que les autres lorsqu'on sait qu'il est lui-même fort endetté et qu'il fait reposer en toute impunité et liberté sa garantie sur les ressources des contribuables déjà passablement essorés ! Son propre endettement, qui notamment en France ne cesse de grandir, devient très dangereux lorsqu'il est causé par des dépenses structurelles, pérennes, souvent d'ordre social, ne laissant guère espérer de retour sur investissement...

Au total cette analyse brillante mais lacunaire, à partir de quelques idées vraies mais plus ou moins détournées ou déformées, farcie de raccourcis trompeurs, de citations tronquées ou sorties de leur contexte, fait fausse route. Plus grave, elle inscrit ses pseudo-démonstrations dans le bon vieux cadre de la théorie du complot, qui fait toujours florès dans l'Opinion Publique. Sa conclusion, évoquant un prétendu « Pouvoir Invisible », est de ce point de vue édifiante : « On nous a trompés : ce qu'on appelle démocratie et liberté sont devenus en réalité une forme ingénieuse et invisible de dictature économique. »
Au bout du compte, le commentaire lénifiant, ne préconise rien d'autre que la production et la répartition égale des richesses par le Gouvernement tout puissant, et un système malthusien rétrograde abolissant, au motif qu'elle est « incompatible avec une économie durable », la notion de croissance, c'est à dire renonçant tout simplement à ce qui fait la richesse des nations.

L'histoire ne dit pas qui est vraiment Paul Grignon. Un fait certain est qu'il n'a rien d'un économiste. Plutôt un artiste aux préoccupations un tantinet écologistes.
Plus troublant, il est l’auteur, avec William Thomas (un "journaliste alternatif"), de
Chemtrails - Mystery Lines in the Sky, un film qui dénonce un complot climatique mondial. Pour Thomas et Grignon, certaines chemtrails (ces trainées laissées par les avions dans le ciel) sont des produits plus ou moins toxiques lâchés par les pouvoirs politiques pour des raisons secrètes.... CQFD

PS : Curieusement je m'étais interrogé cet été sur ces chemtrails, sans connaître à l'époque les hypothèses qui les sous tendent. Suis-je naïf ?

20 décembre 2008

Une mécanique corrompue


La crise qui perdure et qui étend progressivement son spectre hideux sur le monde entier, suscite un sentiment désagréable, mélange d'impatience, de colère et d'écœurement. Quand donc, et comment tout cela finira-t-il ?

Chaque jour apporte son lot de nouvelles moroses, et tout le système est parcouru de craquements sinistres. La quasi faillite des géants américains de l'automobile et les difficultés de nombreux autres constructeurs à leur suite font frémir. Comment diable ces firmes qui paraît-il travaillaient à flux tendus ont-elles pu se laisser aller à accumuler autant de stocks sans réagir ? Toutes ces entreprises bourrées de statisticiens, et de consultants chargés de décortiquer « en temps réel » et sous tous les angles les tendances du marché ont donc été victimes d'une incroyable myopie.

Dans un univers cerné par une armée de contrôleurs et par une nuée de plus en plus opaque de réglementations, les irrégularités qui éclatent soudain un peu partout, laissent pantois. Après les scandales des sub-prime et des titrisations de dettes, les tripatouillages hasardeux des traders façon Jérôme Kerviel, la gigantesque fraude « pyramidale » de Bernard Madoff, portant sur 50 milliards de dollars donne des sueurs froides. Comment donc de telles machinations ont-t-elles pu être ourdies en toute tranquillité, voire parfois encouragées par les Pouvoirs Publics ? Comment accepter l'idée que tous les organismes de contrôle, toutes le agences de notation , d'accréditation et d'évaluation, tous les spécialistes et experts aient pu se laisser berner de manière aussi vertigineuse ? A l'évidence, nous ne souffrons pas d'un manque de réglementations mais d'une pléthore, hélas inefficiente...

L'explication facile que s'empressent de donner de ces évènements dramatiques la noria revancharde de vieux archéo-marxistes et autres dévots nostalgiques de la bureaucratie étatique n'est à l'évidence qu'un trompeur pis-aller. Les catastrophes mortelles dans lesquelles se sont abimés leurs espoirs chimériques d'égalitarisme social en forme de holisme plus ou moins soviétoïde, pourrait les inciter à un minimum de modestie. Hélas, ces incurables agitent à nouveau le spectre du Grand Soir du Capitalisme !
En réalité, cette peste qu'on nomme crise, a des causes complexes et transcende largement les régimes politiques, touchant autant l'Amérique libérale que la Chine communiste, La Russie que le Japon, l'Islande que l'Afrique du Sud. Pour paraphraser la Fontaine, « ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient atteints.. »

Voilà des années que s'est installée insidieusement une sorte de maladie étrange, qui progressivement ronge la belle mécanique du Monde, tendant à la transformer en une sorte de spirale mécaniste aveugle et aléatoire. Cette monstruosité molle, bien intentionnée se répand comme une tache d'huile et imprègne tous les rouages de la société. Elle a commencé par dénaturer la substance du langage, changeant l'art de la sémantique en palilalie jargonnante. Pétri d'une syntaxe pédante et hermétique, cet embrouillamini quasi permanent interdit d'appeler les choses par leur nom et réduit l'expression comme une peau de chagrin, stérilisant par la même, l'esprit critique et le bon sens. Ses effets pervers tuent le débat et gangrènent les principes élémentaires d'une bonne gestion, amenant littéralement à prendre des vessies pour des lanternes, et confondant souvent la fin et les moyens.
Résultat on assiste à l'émergence de croyances irrationnelles, contredisant souvent des évidences criantes. Propulsées par les nouveaux ressorts de la communication, des opinions non fondées ou des rumeurs insanes se propagent à la vitesse de l'éclair contaminant des foules crédules qui se les approprient comme des faits acquis. Triste conséquence de la démocratie, le règne du consensus s'impose de manière imbécile, donnant trop systématiquement raison aux majorités et tort aux minorités. Le souci républicain d'égalité qui par retour de balancier contraint les pouvoirs Publics à des mesures de « discrimination positive » n'arrangent rien, bien au contraire. Surgissent un peu partout des seuils ou des quotas fondés sur des a priori bien intentionnés mais vains.

Plus grave, les dirigeants et décideurs semblent eux-mêmes avoir perdu la raison. Ils s'en remettent à de prétendus experts dont l'irresponsabilité n'a d'égale que l'arrogance pour les guider dans leur mission, et tâtonnent au gré du vent de l'actualité, prenant pour cap des principes dénués de vrais fondements. La dérive actuelle en matière de gestion, souvent sous l'influence de consultants irresponsables et de normes trop formalisées "de qualité", conduit les entreprises, privées comme publiques, à des évaluations fallacieuses ou approximatives des mérites de leur personnel, de la qualité réelle des prestations, et de la satisfaction de leur clientèle. La fameuse "écoute" n'entend rien et la dépersonnalisation devient la règle. Les êtres, dans cette logique déshumanisée, deviennent de simples ressources humaines, coincés entre le maketing et les produits...
Associées à l'appât du gain immédiat, et à la centralisation productiviste, ces tares d'essence technocratique expliquent probablement en grande partie la crise actuelle. Mais à l'image de la poule et de l'oeuf, il est impossible de déterminer qui des consommateurs ou des entreprises portent la lourde responsabilité de ce cercle infernal. Sont-ce les premiers qui ne voulant plus rien payer à sa juste valeur et s'entichant de médiocrité matérielle poussent à un productivisme effréné, ou bien les secondes qui aiguillonnées par une concurrence absurde et par l'obsession du profit, se livrent sans frein au racolage et à la démesure ?

Sous ces effets conjugués la société humaine s'essouffle, trébuche et perd à la fois ses repères et son sens. Les marchés saturés et exténués s'affaissent conduisant à la récession et son cortège de plaies sociales. La pensée unique pasteurisée insinue partout ses mornes credo, sa tolérance veule, et sa pseudo rationalité narcissique. Tout est interprété en terme de dividendes égoïstes, de gains potentiels, d'acquis corporatistes. Même la Charité devient un business racoleur dont l'avidité étouffe l'élan altruiste et masque le manque de pragmatisme.
Ce voile nébuleux de bonnes intentions et de vœux pieux se déchire parfois brutalement sous la griffe terrifiante du monstre terroriste. Son empreinte sanglante affole un court moment mais la chape de bien-pensance recouvre vite ces carnages odieux, minimisant leur portée. Pire, l'opinion publique est tellement pervertie qu'elle a tendance à confondre avec le mal, ceux qui tentent sans détour de s'y attaquer, les accusant parfois même de l'avoir provoqué !
La Liberté, défigurée par ses ennemis, qu'ils soient violents ou non, parfaitement clairvoyants ou amblyopes, initiés ou ignorants, perd peu à peu du terrain et se recroqueville en se desséchant comme une vieille enveloppe sans substance.

Une chose est certaine toutefois. Tous ces maux ne sont pas occasionnés par la Liberté bien sûr mais par le mauvais usage qu'on en fait... Fort heureusement la crise actuelle n'est pas la conséquence de guerres, de tyrannies, de massacres, d'épidémies, ou de famines comme celles qui décimaient périodiquement le monde autrefois.
Avec un peu de raison, nul doute qu'il devrait être possible de la surmonter à condition que chacun en soit convaincu, et use de sa citoyenneté de personne libre avec responsabilité. Il faut donner à la Liberté tout son sens et lui permettre notamment de se nourrir avant tout du principe d'humanité.

NB : Illustration de William Blake, pour l'Enfer de Dante

19 décembre 2008

Les chaussures comme le débat, volent bas


Épatant ce lancer de chaussures sur le président américain !

Tout d'abord il révèle d'excellents réflexes de la part de George Bush car les projectiles étaient parfaitement ajustés. Il donne également l'occasion de tester son sens de l'humour et de la répartie, intacts après huit années de critiques et d'insultes tous azimuts : « Je n'ai pas bien compris ce que ce gars disait, ce que je peux vous dire c'est que c'était du 43 ! » s'est-il exclamé sans perdre un instant son sang froid.

Enfin et surtout, il administre de manière spectaculaire la preuve que des progrès fabuleux ont été obtenus en Irak en matière de liberté d'expression;
On peut regretter qu'un certain nombre d'Irakiens, particulièrement de journalistes supposés enrichir le débat, ne trouvent rien de mieux à en faire que ce genre de pitreries. Il se peut que ce monsieur regrette le temps de Saddam où un tel geste si tant est qu'il ait eu l'occasion de le commettre, l'eut renvoyé
ad patres.

Globalement c'est tout de même assez navrant. Tout comme le sont les réactions des moutons de Panurge qui s'ensuivirent. La bêtise des hordes anti-Bush donne la mesure de celle qui caractérise nos sociétés occidentales décervelées. Plus le moindre esprit critique, toujours les mêmes poncifs ânonnés inlassablement, et surtout plus la moindre foi en la Liberté. Le lancer de chaussure devient le mode d'expression du débat, bravo ! On se croirait revenu au temps de Khrouchtchev.

En définitive, George Bush ne restera le plus mauvais président que pour les imbéciles confits dans la haine de l'Amérique. Pour l'Histoire, il sera quand même celui qui a permis à 2 peuples opprimés d'accéder au statut de nations libres. Charge à elles de donner un sens à ce résultat et à la Communauté Internationale de les aider à maintenir l'acquis. C'est bien le moindre hommage qu'on puisse rendre aux soldats qui l'ont payé avec leur chair...

Et pour finir sur un note légère, rien de mieux que de céder à nouveau la parole au président américain qui redonne à l'incident de justes proportions : "Ce type voulait passer à la télévision, il l'a fait. Je ne sais pas pourquoi il râle, mais quoi qu'il en soit, je suis sûr que quelqu'un l'entendra..."