Au dessous, le paysage par contraste, semble inchangé depuis des siècles. La nature est paisiblement assoupie dans la chaleur de l'été. Les vaches paissent comme si elles faisaient partie d'un tableau de Constable. Le Monde s'agite certes, mais très loin, si loin qu'on peut en douter.
Dans ces moments de détente j'ai parfois l'esprit qui se met à flotter. Il vibre doucement dans la moiteur de l'air, au gré du vol aléatoire des papillons et du crissement chaud des grillons.
Je me demande en premier lieu pourquoi l'Homme serait le seul assujetti à la Logique dans un monde qui en serait totalement dénué ? Comment aurait-il seul le privilège d'avoir un sens si tout autour de lui rien n'en a ?
Car l'Humanité a un sens c'est certain, tous ses représentants, même les simples d'esprit et les fous en sont persuadés. Seuls les anarchistes les plus fanatiques et les athées les plus résolus prétendent le contraire. Encore faut-il souligner qu'ils mettent en général un grand empressement à s'inscrire tout entier dans un fatum froidement déterminé, dont le sens irrémédiable et tragique paraît pourtant totalement leur échapper !
Et la preuve que l'Homme est doué de sens, c'est qu'il le sait et le conçoit. Cogito ergo sum. Non seulement cette conscience le touche, mais elle transfigure le Monde autour de lui. En son absence en effet, comment déterminer par exemple, si l'organisation d'une société de fourmis a un sens, puisque personne et pas même elles ne serait à même de le percevoir ?
Et pour preuve que ce qu'on nomme sens, a du sens, c'est qu'il n'y a qu'en s'appuyant dessus que nous faisons de belles et grandes choses. Celles qui nous procurent les plus intenses et durables satisfactions. La plus indicible, la plus empreinte de certitude, est la création d'oeuvres d'art. Car elle ne répond à aucun objectif pragmatique, n'a aucune utilité évidente, mais possède un sens immanent. Je suis même enclin à penser que celui-ci est d'autant plus prégnant qu'il émane de sociétés qui en sont elles-mêmes largement pourvues... Autrement dit, une société incapable de production artistique digne de ce nom, a-t-elle encore un sens ?
A propos de sens de l'Art, une des meilleures illustrations en est la musique de Jean-Sébastien Bach. Après avoir savouré l'excellent DVD que l'Ostrogoth du violon Nigel Kennedy lui a consacré, j'en suis plus que jamais convaincu. Bach est universel, et quelque soit l'angle sous lequel on le considère il est empli de signification. Dans ce disque Nigel Kennedy confirme que sous ses aspects savamment débraillé et fantasque, il est un violoniste hors pair, tout en nuances et en finesse. Au delà des merveilleux concertos, j'ai été submergé par l'infinie tendresse des inventions à deux voix, qu'il a transcrites avec la violoncelliste Juliet Welchman et dont il interprète quelques extraits.