13 février 2012

Vive la croissance !


Dans le discours des principaux candidats à la présidentielle, un mot revient de manière obsédante : la croissance.
On ne parle que d'elle, et les programmes chantent à l'unisson le refrain de son retour. Un peu à la manière des Indiens qui se livraient à des incantations mystiques pour faire venir la pluie fécondante.
La croissance, non seulement nos grands chefs l'espèrent, mais ils anticipent joyeusement son embellie prochaine et misent tout ou quasi sur cette hypothèse... qui pourtant est une des plus improbables qui soient, à ce jour !
Par exemple le cher François Hollande, expert en trompe-l'oeil et artifices en tous genres, indique le bec enfariné (sans jeu de mot), qu'en se contentant de ne pas augmenter trop les dépenses publiques, celles-ci diminueront «en % du PIB », par la simple mécanique de la croissance, qu'il aura tôt fait de doper avec son gouvernement « de changement ». On se demande bien pourquoi on n'y avait pas pensé plus tôt !

Il n'échappe à personne que la croissance à l'instant présent est plus raplapla que jamais, et nul besoin de sortir d'une grande école pour supputer que ce n'est pas la substance des mesures annoncées qui sera de nature à la revigorer.
On a beau gratter, chercher, tenter de débusquer les mesures libératrices, on ne trouve que l'inverse : des taxes nouvelles, des impôts renforcés, des tombereaux de réglementations, et toujours plus de bureaucratie, toujours plus d'étatisme. Exactement comme si, faute d'avoir obtenu les résultats escomptés avec une thérapeutique dont on aurait progressivement augmenté les posologies, on en déduisait qu'il fallait doubler la dose ! Sans doute est-ce l'application de l'adage Nietzschéen qui affirme que ce qui ne tue pas rend plus fort...

D'ailleurs on s'interroge sur les raisons qui poussent aujourd'hui les politiciens à souhaiter que s'emballe la machine à produire des richesses. Les Socialistes n'ont que mépris pour ces dernières qu'ils veulent réduire et asservir par tous les moyens. Quant aux Ecologistes, ils vantaient carrément la décroissance, et leur programme actuel en garde encore les stigmates, puisqu'ils réclament à grands cris la fermeture accélérée des centrales nucléaires, source principale d'énergie dans notre pays, et la réduction du temps de travail à 32 heures par semaine !
Même le président de la République crut bon de s'insurger contre le moteur du capitalisme dont il fustigea la mécanique diabolique avec des accents empruntés à la Ligue Communiste Révolutionnaire ! Croit-il vraiment aujourd'hui lui donner un nouveau souffle en lui infligeant sa taxe Tobin et une nouvelle TVA ?

Bref, la France asphyxiée depuis des lustres par les taxes, engluée dans les régulations ubuesques, engourdie par les grèves incessantes, plombée par un ruineux et inefficace modèle social, affiche depuis des lustres un taux de croissance misérable. Et plus l'Etat accentue sa pression soi-disant bienfaitrice sur les forces vives de la Nation, plus la croissance s'anémie...
Cette situation n'est pas sans rappeler les diagnostics*  frappés au coin du bon sens que porta jadis l'économiste Jean-Baptiste Say (1767-1832)
A l'aube du XIXè siècle industriel, il s'amusait des Diafoirus qui prétendaient que les nations occidentales étaient « devenues riches et puissantes, parce qu’on avait surchargé d’entraves leur industrie, et parce qu’on avait grevé d’impôts les revenus des particuliers ». En réalité, il fallait trouver selon lui, les vraies raisons de cet essor avant tout dans le recul des croyances, dans les formidables progrès scientifiques, et dans ceux de la navigation. Ce qui l’amenait à conclure à l’inverse « que la prospérité de ces mêmes états serait bien plus grande s’ils avaient été assujettis à un régime plus éclairé... »
Illustrant sa théorie des débouchés, il prenait l’exemple navrant de l’accumulation dans les ports brésiliens de marchandises d’origine anglaise invendues. Il remarquait que: « le Brésil vaste et favorisé par la nature, pourrait absorber cent fois les marchandises anglaises qui s’y engorgent et ne s’y vendent pas ; mais il faudrait que le Brésil produisît tout ce qu’il peut produire ; et comment ce pauvre Brésil y réussirait-il ? Tous les efforts des citoyens y sont paralysés par l’administration. Une branche d’industrie promet-elle des bénéfices, le pouvoir s’en empare et la tue. Quelqu’un trouve-t-il une pierre précieuse, on lui la prend. Le bel encouragement pour en chercher d’autres, et s’en servir à acheter les marchandises d’Europe ! ».

Hélas, aujourd'hui que le progrès technique semble marquer le pas, que les impôts et entraves administratives ont atteint un poids vertigineux, mais que souffle comme jamais le vent de la pensée unique, comment faire entendre cela ?

* Jean-Baptiste SAY : traité d'Economie Politique
Illustration : interprétation personnelle de la France, prête pour la croissance...

07 février 2012

Intermède jazzistique


Au diable l'actualité, ses misères, ses polémiques, et ses usants rabâchages. Un peu de musique...
Voici du jazz et du bon ! 

Avec tout d'abord un album qui en dépit de son titre - For Real ! - vaut tous les plus beaux rêves ...
Frotté dans un premier temps aux rythmiques haletantes et syncopales du bop parkerien, le pianiste Hampton Hawes développa un style très personnel, n'ayant pas son pareil pour nimber d'un feeling aérien les pulsations sauvages du Be Bop. De fait, si ses racines remontent loin aux sources du beat, son inspiration emprunte également aux suaves influences cool ainsi qu'au chant tragique d'un blues humble et profond. A mi chemin entre Bud Powell et Bill Evans, non loin parfois de Monk...
Dans ce disque daté de 1958 l'artiste exprime ce style dans toute sa plénitude.
Wrap your troubles in dreams, second titre de cet album, est la pierre de touche de cette philosophie ensorcelante...
Mais il n'est pas question de s'avachir !
On est sur le point de s'engloutir dans cette mélodie sublime quand surgissent les énergiques trépidations de Crazeology, du bop pur jus. De belles et puissantes compositions originales s'ajoutent aux standards (Hip, et For Real, notamment, qui distillent à n'en plus finir leurs pulpeuses et aromatiques digressions).
Pour accompagner le pianiste, difficile de rêver meilleur entourage. Le contrebassiste Scott La Faro, est plus troublant, plus extatique que jamais, superbement soutenu par Frank Butler à la batterie. Et le saxophoniste Harold Land, en équilibre parfait sur la corde que lui tendent ses compères...
Et last but not least, le son si détaillé, si velouté, si enveloppant des fameuses sessions Contemporary Records, qui n'a vraiment rien perdu de sa fraîcheur. Les instruments ont une présence à peine croyable pour l'époque. Plaignons ceux qui ne connaîtront jamais ce bonheur....


Comme un bonheur n'arrive jamais seul, encore une délicieuse pépite Contemporary Records, produite par l'ineffable Lester Koenig, qui permet de se délecter encore un peu de ce son chaud, pulpeux, inégalable, éminemment jazzy qui caractérise tant de sessions magiques de la fin des années 50. Les ingénieurs du son savaient diablement bien poser leurs microphones, lesquels avaient une sensibilité à fleur de membrane si je puis dire... Quel relief, quelle élégance !
Grâce à ces conditions exceptionnelles, le piano de Hampton Hawes a plus que jamais ce ravissant velouté swinguant et désinvolte qui « bope » avec aisance et légèreté. Barney Kessel lui répond avec toute sa verve à la guitare, et on ne perd rien des prouesses d'une section rythmique idyllique associant le facétieux mais si sensible contrebassiste Red Mitchell au puissant et sensuel Shelly Manne à la batterie. Yardbird suite, composition du Bird, ouvre en majesté le bal et se poursuit d'un seul tenant avec There will never be another you. Ensuite une digression pleine d'humour signée Mitchell (Bow Jest) qui s'en donne à cœur joie à l'archet. Suivent deux prises très enjouées (Sweet Sue et Up Blues) puis un émouvant et languide Like Someone In Love.
Avec le titre suivant, joyeux et bondissant, Love Is Just Around The Corner, c'est une envie irrépressible de faire des sauts cabri qui vous prend...
Et pour terminer, deux charmants petits bonus (Thou Swell, The Awful Truth) et le tour est joué.
Mon Dieu quelle joie de s'abandonner à tant de suavité sentimentale. Au chapitre des regrets : que l'extase se dissipe si vite, et plus encore, que soit révolue cette époque bénie...

Enfin, pour terminer, une petite session intimiste, enregistrée dans le cadre cozy d'une bibliothèque cossue, en Suède, un froid jour de novembre 1984, et ressortie fort opportunément en DVD, qui distille un subtil ravissement.
Elle met en scène le saxophoniste Zoot Sims, émacié, très fatigué, au bout du rouleau même (il allait disparaître quatre mois plus tard), libérant ses dernières pensées musicales, son dernier message, plus mélodieux, plus troublant et fragile que jamais.

Juste entouré, superbement, de Red Mitchell à la contrebasse et Rune Gustafsson à la guitare, il s'abandonne à d'exquises divagations sur des thèmes éprouvés (In a sentimental mood, Gone with the wind, 'Tis autumn, Autumn leaves...). Chaque instant est magique et on retient son souffle pour n'en rien perdre tant ici vibre avec douceur l'alchimie cool du jazz...  
 

29 janvier 2012

Pincemi et Pincemoi sont en bateau...


Quelle étrange époque où malgré la tourmente qui sévit, malgré les défis qui s'imposent à notre pays, aucun vrai leader ne fait surface, à quelques 100 jours de l'élection présidentielle ! Aucune vraie « pointure », aucun projet d'envergure, n'émerge du marasme où pullulent les démagogues et les impuissants.

C'est un fait, Nicolas Sarkozy, eu égard à l'état du pays et de l'opinion publique, a largement échoué dans son ambition (« je ne vous décevrai pas, je ne vous trahirai pas » martelait-il pourtant le soir de son élection, il y a presque 5 ans...)
A sa décharge, il eut à affronter « la crise ». Il a donc des circonstances atténuantes. Mais cela n'excuse pas les incroyables erreurs de communication qu'il fit à plusieurs reprises, dans un pays où il était payé pour savoir qu'on est sourcilleux sur le formalisme, qu'on cultive à la fois le mythe de la révolution permanente et la pompe des circonstances...
Mais là n'est pas le plus grave.
Il a trop changé de discours, trop louvoyé dans l'action, trop voué aux gémonies ce qu'il présentait hier comme désirable ou simplement comme nécessaire. Ces pirouettes et ces volte-faces n'ont converti personne chez ceux qui semblent n'éprouver que détestation à son égard, mais elles l'ont conduit à mener une politique chaotique, et à déstabiliser nombre de personnes qui avaient de la sympathie pour lui et pour l'énergie qu'il est capable de déployer.
Enfin, à l'approche d'un scrutin essentiel, il semble ne pas avoir résolu le problème récurrent du Front National qui empoisonne le débat politique en France depuis des années, et qui revient plus fort que jamais en travers de ses ambitions. Même s'il n'est pas seul en cause, l'ostracisme manifesté à l'encontre d'un parti qui représente qu'on le veuille ou non 15 à 20% de l'électorat, est une faute qui traduit le peu de maturité de notre démocratie. Et l'exercice auquel lui et ses proches se livrent, consistant à tenter de séduire par des paroles les sympathisants de l'extrême droite tout en vilipendant ceux qui les représentent est périlleux, si ce n'est absurde.

Face à ces faiblesses désespérantes, l'adversaire principal ne vaut certes pas mieux. François Hollande a plusieurs avantages sur le président de la république. Il est dans la posture confortable d'opposant, il peut se permettre sans vergogne de s'acoquiner avec les extrêmes, et surtout, ayant compris, lui, que la forme primait sur le fond, il a tout misé sur la présentation. Les gens y sont manifestement sensibles, si l'on en croit les sondages flatteurs qui pour l'heure propulsent sa molle silhouette de bourgeois pommadé, au firmament médiatique.
Le discours quant à lui, reste des plus convenus, des plus archaïques, des plus contradictoires, obéissant à tous les canons de la démagogie et s'accrochant aux vieilles lunes idéologiques au mépris de la réalité. A cela il ajoute l'indécrottable cuistrerie des gens de gauche. Ce petit air supérieur avec lequel on dénigre l'autre, tout en lui infligeant des leçons mal placées de morale. Mitterrand était maître dans cet art et le petit François est un apprenti assez doué.
Même s'il n'a pas la rhétorique aussi machiavélique que son modèle, il ne manque pas de sournoiserie. Foin des turpitudes qui gangrènent son propre parti, foin de l'échec constant du socialisme, foin des slogans éculés auxquels il reste accroché, le nouvel ersatz de petit père des peuples, se targue d'incarner « le changement », assure qu'il va réenchanter la société, et vend du rêve à tous vents...
Avec cette incorrigible suffisance des socialistes, et au mépris des règles élémentaires de la démocratie, il se croit déjà arrivé, et se refuse à évoquer ne serait-ce que le nom du chef de l'Etat en exercice, le qualifiant de « président sortant », faisant table rase du passé qu'il représente selon lui, et ironisant stupidement sur le fait que face à l'actuel locataire de l'Elysée, lui serait normal...
Le sommet du ridicule est représenté par la nuée d'artistes enrichis dans le commerce des bluettes et de l'humour suppôt, qui plastronnent en affichant leur « engagement » aux côtés des diafoirus de la politique politicienne. Le champion toute catégorie de ces tartufes à bouche d'or, est le chanteur « exilé » Yannick Noah, qui refuse obstinément de payer les quelques 580000 euros d'impôts que lui réclame le fisc, et qui parade sans gêne aucune dans des meetings où l'on réclame à grand cris « plus de taxation pour les riches ».

Evidemment, même si d'aucuns veulent déjà croire le contraire, rien n'est encore joué. Les scrutins révèlent parfois des surprises. Le plus beau jour politique de ma vie fut en 2004 lors de la réélection de George W. Bush. Quelle joie ce fut, non pas tant que soit renouvelé dans ses fonctions le candidat républicain, que de voir refluer les hordes de charognards qui glapissaient depuis des années leur haine irrationnelle, et qui, tellement sûr des effets de leur propagande incessante, avaient déjà vendu la peau de l'ours !

De toute manière hélas, le vrai malheur aujourd'hui, est que quelque puisse être le résultat des prochaines élections, rien ne semble pouvoir s'opposer au lent déclin de notre pays. Tout porte au pessimisme : esprit moutonnier, culte des lubies, démission citoyenne, inflation désastreuse de l'Etat soi-disant providence et irrémédiable descente le long de la spirale du déficit, de l'endettement, de la précarité, du chômage, de la désagrégation sociale... Quant à la Finance et au Capitalisme, pointés du doigt de manière hystérique par les imbéciles à courte vue, ils continueront d'avoir de beaux jours... même si c'est ailleurs qu'en France !
En dépit de son prétendu modèle social, la France est le pays parait-il, où l'on est le plus pessimiste. Davantage même qu'en Irak ou en Afghanistan ! Ceci explique peut-être cela...

Illustration: d'après Morchoisne

23 janvier 2012

A la recherche d'un monde meilleur

Quel plus bel objectif en ces temps troublés, que ce titre, donné à un ouvrage récemment réédité, de Karl Popper (1902-1994) ?
Il s'agit d'un recueil d'essais et de conférences, qui couvrent l'univers intellectuel luxuriant  de ce philosophe si attachant, résolument optimiste, et l'un des plus inspirés défenseurs du modèle de la « Société Ouverte ».
Pour celles et ceux qui craignent l'avenir, qui manifestent une certaine défiance à l'encontre du libéralisme (compris comme l'extension du domaine de la liberté) et qui doutent des vertus du modèle démocratique dans lequel nous vivons, l'enseignement de Popper est vivifiant.
Il est avant tout chose, humble. Par voie de conséquence, il est profond.

Popper qui fut un épistémologue distingué, fut sa vie durant, hanté par la difficulté qu'il y a de prétendre à l'objectivité, en matière scientifique. Car s'il est possible de démontrer qu'une proposition est fausse, il s'avère impossible de faire de même pour affirmer la véracité d'une autre. La vérité ne peut être établie avec certitude en ce bas monde. « Même nos théories physiques les mieux vérifiées et les mieux confirmées ne sont que des conjectures, des hypothèses fécondes, et elles sont condamnées à jamais à demeurer des conjectures ou des hypothèses. »
Ce simple constat montre combien, en dépit des progrès de la connaissance humaine, reste grande notre ignorance, d'où il découle que « la recherche scientifique est de fait la meilleure méthode pour nous éclairer sur nous-mêmes et sur notre ignorance. »
Cette méthode devrait s'appliquer au domaine philosophique et plus généralement au champ des idées, surtout lorsqu'elles ont pour but de régir nos existences et l'organisation de la société. On éviterait bien des calamités, bien des errements, bien des retards...

Parmi les nombreux sujets abordés dans cet ouvrage, évoquons l'interprétation que donne Popper du darwinisme. Selon lui, deux conceptions s'opposent. L'une est pessimiste. Inspirée par Malthus, elle définit le principe de la sélection naturelle, comme l'expression « d'une Nature rouge sang, tous crocs dehors et griffes dehors (Nature, red, in tooth and claw) ». Selon cette conception déterministe et fermée, qu'on entend souvent par les temps qui courent, la croissance démographique, liée à la rareté progressive des ressources alimentaires, mène à une impitoyable sélection des plus forts. Dans ce processus, même les plus forts subissent la pression de la concurrence et sont contraints de bander toutes leurs forces, jusqu'à l'épuisement. Au terme de cette interprétation, la concurrence débouche donc sur une restriction de la liberté.

Il y a toutefois une seconde vision des choses beaucoup plus optimiste, basée sur le fait que les hommes cherchent par nature à accroître leur liberté.
Par voie de conséquence, ils utilisent la concurrence non pas exclusivement pour se détruire mutuellement, mais "pour développer des initiatives conduisant à de nouvelles possibilités vitales, de nouvelles libertés, et cette pression endogène peut s'avérer plus efficace que la pression exogène qui mène à l'élimination des individus les plus faibles et à la restriction de la liberté même des plus forts."
Cette conception, qui conduit à l'extension de la liberté, est à l'évidence préférable à la première, et constitue la pierre de touche de la philosophie popperienne. Le philosophe voit dans « le franc succès connu par la société de concurrence et l'extension considérable de la liberté à laquelle elle a mené » la vérification expérimentale de son bien fondé.
L'idée fondamentale de cette interprétation, est d'introduire dans la mécanique darwinienne, la notion d'initiative, indissociable celle de liberté. De ce point de vue, l'évolution n'est plus un phénomène passif, subi par les individus. Elle n'est que le moteur sur lequel leur volonté agit librement, en vue du progrès.
Dans cette perspective, à l'inverse de la thèse historiciste hégélienne, l'histoire des hommes devient quelque chose d'ouvert. Et c'est par des conjectures et des réfutations, des essais prudents et des erreurs acceptées et corrigées, que l'avenir s'écrit.

Il y aurait des foules de choses à dire encore à propos du message popperien, tel qu'il apparaît dans ces pages lumineuses et passionnantes, et qui montreraient qu'il se situe résolument à la convergence des grandes philosophies pragmatiques, de Socrate à William James en passant par Locke, Hume, Kant...
Pour conclure cet aperçu, je me contenterai d'évoquer la division schématique, a priori étrange, que fait Popper du monde, en distinguant trois catégories :
Le Monde 1, celui des choses, des objets, des êtres de la Nature
Le Monde 2, celui des concepts, des pensées, de l'intellect aussi bien scientifique, philosophique, artistique. Le monde de la conscience en quelque sorte.
Le Monde 3 enfin, qui définit les objets créés par le génie humain. On y trouve aussi bien les livres, que les maisons, les usines ou les bombes nucléaires, les ordinateurs...

Tout cela procède du même univers naturellement, mais il y a un lien entre le monde 1 et le monde 3. Ce lien qui se situe dans le Monde 2, est la clé de voûte de l'ensemble. Le troisième monde découle du premier par l'interaction du second. Et c'est lui qui donne tout son sens au darwinisme, sa signification au Monde, à la destinée humaine, et in fine à l'espoir...
Si l'expression n'avait pas déjà été usitée bien mal à propos dans un autre contexte, on serait tenté de faire de l'approche poppérienne, un libéralisme à visage humain. Le plus raisonnable est de la qualifier d'humanisme...

Karl Popper : A la recherche d'un monde meilleur, Les Belles Lettres 2011
A voir également, un précédent billet

13 janvier 2012

Paris


Paris n'en finit pas de révéler ses charmes
Et le long de la Seine, à pied, en rêvassant
On devine que l'eau qui doucement descend
Est bien plus qu'un liquide affleurant les vacarmes.

Le fleuve a eu raison de la fureur des armes
Il s'écoule éternel et sans bruit en glissant
Sous plus de trente ponts. Il est la vie, le sang
Et la ville en extrait vigueur ivresse et larmes.

Dans les grands parcs on songe à un passé glorieux
Que les beaux monuments bordant les avenues
Remplissent du profil solennel des statues.

On entre à deux amis dans un café très vieux
On siffle bien au chaud quelques moelleuses bières
En parlant d'Amérique et d'émois littéraires...

05 janvier 2012

Happy New Year Mr Taxman !

Ainsi le Chef de l'Etat pour ses vœux à la Nation s'est fait plus déterminé dans l'action et plus protecteur en matière sociale que jamais.
Soulignant à maintes reprises la gravité « inouïe » de la crise, il a repris l'antienne bien éprouvée consistant à en rejeter la faute sur nombre d'acteurs, mais jamais sur l'Etat ! Selon lui, « elle sanctionne trente années de désordre planétaire dans l'économie, le commerce, la finance, la monnaie... », mais apparemment pas l'abyssal endettement public !
Avec un brin d'autosatisfaction, il affirma même benoîtement que son gouvernement avait fait ce qu'il fallait pour apurer les finances publiques et donc, que le problème actuel n'était pas de proposer « un nouveau train de réduction des dépenses ».

En revanche, il a annoncé au titre de la relance de l'emploi et de la croissance,  une déferlante de nouveaux impôts, et de nouvelles taxes, tous mieux intentionnés les uns que les autres...
Rien de bien nouveau en somme.
La fameuse TVA sociale apparaît en filigrane de son discours, au chapitre des mesures destinées à «alléger la pression sur le travail et à faire contribuer financièrement les importations qui font concurrence à nos produits avec de la main d’œuvre à bon marché». Et de manière plus explicite, est réaffirmée sa détermination à mettre en place la fameuse taxe sur les transactions censée « faire participer la finance à la réparation des dégâts qu'elle a provoqués ».

Décidément les politiciens, quelque soit leur tendance politique, semblent toujours aussi enclins à se délester de leurs responsabilités et  de moins en moins aptes à laisser courir leur imagination en dehors du consensus lénifiant mais frelaté et cloisonné des idées reçues. Surtout, la ponction du contribuable, reste à l'évidence leur thérapeutique préférée...
Par quelle magie, dans un pays endetté jusqu'au cou et croulant sous les prélèvements obligatoires, des taxes supplémentaires pourraient libérer les forces vives de la nation et doper l'emploi et la croissance ?
Comment peut-on laisser entendre que l'Etat soit parvenu à enrayer ses dépenses, à l'heure où le déficit budgétaire prévu pour 2011 reste proche de 6% du PIB ! Au moment où l'on apprend qu'il faudra emprunter 180 milliards d'euros pour tenter de boucler le budget 2012 !               

Quant à cette inénarrable TVA sociale, par quel sortilège serait-elle en mesure de combler les folles espérances qu'on place en elle ? Qui peut imaginer qu'il suffise d'ajouter le mot « social » pour transformer une taxe en panacée ?
Une chose est sûre, elle commencera par s'ajouter aux prix des biens que devront débourser les consommateurs-contribuables. On fait bien miroiter une baisse concomitante des charges sociales sur les entreprises implantées en France, mais comment être certain que cet allègement sera effectif et automatiquement traduit en baisse des prix, hors taxes. Qui dit que les syndicats n'argueront pas de ce « cadeau fiscal » fait aux entreprises pour exiger des hausses salariales et donc engendrer de l'inflation ?
Ce dispositif de vase communicant promet de toute manière d'être très compliqué à mettre en oeuvre, rappelant quelque peu l'usine à gaz du bouclier fiscal. A l'instar des gros contribuables expatriés, doutant à juste titre des mérites et de la pérennité de ce dernier, il est assez peu probable que les entreprises prennent le risque de rapatrier beaucoup d'emplois délocalisés. Surtout en sachant que les Socialistes, opposés à la mesure pourraient l'abroger, et qu'ils lorgnent sur une augmentation de la CSG, et quantité d'autres prélèvements...
L'accroissement de la compétitivité des produits français sur le marché international paraît lui aussi illusoire, car il n'est pas démontré que la faiblesse de nos exportations tienne principalement aux prix des biens. L'exemple de l'Allemagne, et la bonne santé de l'industrie du luxe prouveraient plutôt le contraire...
En revanche, la hausse de la TVA frappera de plein fouet les produits fabriqués à l'étranger, qui seront quant à eux plus chers, diminuant d'autant le pouvoir d'achat de marchandises courantes, pour lesquelles il n'existe guère d'alternative sur le marché intérieur.

Au total cette TVA sociale reste avant tout une taxe, avec tous ses vices. Ni au Danemark, ni en Allemagne où elle a été plus ou moins expérimentée, ses résultats ne furent probants, notamment en terme d'emploi. S'agissant de l'Allemagne, il faut se souvenir au surplus, que même après une hausse conséquente, la TVA est restée à un taux inférieur au nôtre (19% vs 19,6%). On peut également rappeler que la dernière hausse de la TVA en France date de 1995, juste après l'élection de Jacques Chirac, qui avait fait une bonne partie de sa campagne sur le slogan « Trop d'impôts tue l'impôt ». A l'époque, il avait toutefois « promis » que cette hausse serait temporaire. Seize ans après on attend toujours...

Comme le chantaient les Beatles qui dans les années soixante, après avoir fait fortune, découvraient les bienfaits de l'impôt :
If you drive a car I'll tax the street
Si tu conduis une voiture je taxe la rue
If you try to sit I'll tax your seat
Si tu essaies de t'asseoir je taxe ta chaise
If you get too cold I'll tax the heat
Si tu as trop froid je taxe ton chauffage
If you take a walk I'll tax your feet
Si tu marches je taxe tes pieds...

Bonne Année !

24 décembre 2011

Hivernale


Je me souviens enfant, de l'odeur de la neige
J'avais une casquette et un pardessus beige
Et j'allais respirer le parfum des flocons
Tandis que mes doigts gourds devenaient rubiconds.

Ils cherchaient à saisir ces grains de porcelaine
Glissant sans bruit du ciel. Je soufflais mon haleine
Qui les auréolait d'une tiède vapeur
Et le monde alentour se figeait de stupeur.

L'air frais faisait l'effet d'une suave ivresse
Et les cristaux cinglants celui d'une caresse.
J'adorais folâtrer dans ce pulpeux velours
Et j'étais si léger malgré mes pas si lourds !

Ces souvenirs ouatés ont encore une grâce
Étrange et familière où le froid ni la glace
N'ont de réalité. Seule est dans mon esprit
L'empreinte du bien-être et ça n'a pas de prix...

22 décembre 2011

No expectations


A quelques mois de l'élection présidentielle, la valse des sondages, le ballet des candidatures, a de quoi interroger. Face à l'ampleur de la crise qui aspire peu à peu en le fragmentant, le fragile et baroque édifice européen, le spectacle qui est donné s'apparente à une sorte de farce rococo dont l'outrance et la poudre farderaient la vanité.
Malheureusement c'est infiniment plus tragique que comique.

Des enquêtes d'opinion, il n'y a pas grand chose à dire. Il est évident que la situation tangue tellement que tout peut être revu du jour au lendemain.
Mais des projets de tous les prétendants, c'est la vacuité qui frappe, car elle atteint une profondeur vertigineuse.
Passons sur les misérables pantomimes égo-centrées de M. Villepin, Morin, Bayrou et consorts. Le numéro a déjà été fait un peu trop souvent pour embabouiner, ni même émouvoir. D'une manière générale, la multiplication indécente des candidats auto-déclarés est à l'image de l'effritement des perspectives.
Quant au ramassis informe qui avance dans un désordre indescriptible derrière les étendards fripés d'une Gauche plus ringarde et prétentieuse que jamais, il vaut en revanche son pesant de cacahuètes. Je ne sais si le pays se laissera aller une fois encore, par dépit, à choisir cette voie plus qu'hasardeuse, mais il y a des moments où en viendrait presque à se désintéresser de la question tant devient fort le sentiment que l'époque a perdu tout bon sens, et tant le caractère irrémédiable de la déchéance s'impose avec fatalité.

A commencer par les dérives innombrables dans lesquelles semblent patouiller avec délectation les hordes bruyantes de sycophantes bavant la générosité, l'égalité, la solidarité. Il faudrait être bien myope ou inconséquent pour se risquer à leur confier sous peu tous les leviers de commande (ce dont eux-mêmes ne devraient pas vouloir, tant ils se prétendent sourcilleux sur l'équilibre des pouvoirs).
La dérive idéologique est naturellement la plus grave. Ces chantres du socialisme "à visage humain", tous peu ou prou passés sur les fonds baptismaux du marxiste-léninisme, ont quelque peu édulcoré leur propos. Des refrains révolutionnaires du passé, ils n'ont retenu que celui de "la justice sociale" et de la "taxation des riches". Ils se raccrochent de manière pathétique à ces lubies comme des naufragés à des débris dérisoires. Espèrent-ils vraiment "ré-enchanter le monde" avec ces ersatz faisandés de la lutte des Classes, alors que moins de 20% des ouvriers désormais jugent utile de voter pour eux ?
Malgré les dénégations, les vieux idéaux tombent un à un en lambeaux. Déstabilisés par d'autres populismes plus percutants, certains tentent bien de mêler à leur potion rance des ingrédients nouveaux mais ils ne parviennent ainsi qu'à concevoir une sorte de resucée nauséabonde de National Socialisme... Protectionnisme, dé-mondialisation, souverainisme, autant de calamiteux miroirs aux alouettes...

S'il n'y avait que l'absence d'idée ce serait déjà pitoyable, mais hélas, où qu'on tourne son regard ce n'est que marigot.
On a vu les dérives morales, certes pas nouvelles, mais si longtemps tues, qui caractérisent ces infatigables donneurs de leçons de vertu, qui ont paraît-il "le cœur à gauche". Malchanceux nigauds qui espèrent encore en eux ! Leur candidat putatif, si emblématique, si "intelligent", si "gagnant d'avance", s'est abîmé définitivement dans le stupre. Les "amis" ont bien tenté de minimiser la débauche, où même de la dissimuler derrière une histoire grotesque de complot, mais maintenant que l'abcès s'est répandu au grand jour, chacun préfère s'écarter discrètement des remugles asphyxiants.

Les dérives mafieuses sont quant à elles devenues si courantes que même au sein "du Parti", certains les dénoncent désormais ouvertement, préférant sans doute risquer de discréditer tout le clan pour préserver leur propre avenir. Même si les Saint-Just ont un petit air d'opérette, on comprend qu'il y a sans doute du grain à moudre... Et que les pestilences débordent largement le cadre du seul PS ! On fait grand bruit et assommant rabâchage sur les affaires impliquant la Droite, mais chaque jour voit son lot de poursuites judiciaires maculer ce qui reste de la parure emblématique de Gauche "progressiste".
Si nombre de politiciens apparaissent englués dans les scandales, dès qu'on lève un peu le voile sur les syndicats, mangeant tous ou quasi au râtelier du socialisme, on est pris de hauts-le-cœur. Mais que le bon peuple se rassure. A peine le couvercle de la marmite s'entrouvre par le biais d'un rapport, qu'il faut par correction politique, le refermer bien vite. La soi-disant "paix sociale" a un prix. Ainsi nous n'aurons qu'entrevu les ripailles, les bombances, les orgies, et la vie de château des satrapes censés représenter les "travailleurs". Il est vrai qu'avec 4 milliards d'euros redistribués par une législation prodigue et attentionnée, ils ont de quoi combler le manque à gagner dû à une piteuse emprise, atteignant à peine 8% des salariés !
Et comme pour détourner l'attention, ils profitent de manière jubilatoire de la période des vacances, pour paralyser le pays autant que leur pouvoir de nuisance – qu'ils appellent "Service Public" – le permet encore...

Au sein de ces turpitudes en tous genres, les dérives magouilleuses ne sont pas en reste. Passons sur le cumul des mandats contre lequel on ne compte d'adversaires que parmi ceux qui ne parviennent pas à se faire élire plusieurs fois ! Le scandale est dans toutes ces compromissions, tous ces marchandages politiciens, ces parachutages qui s'étalent au grand jour, sans vergogne. Ces alliances de circonstance, ces accords vite torchés, sacrifiant par exemple du jour au lendemain, pour quelques soutiens écolos, tout le programme énergétique du pays ! Ces lâchetés démagogiques, ces rodomontades inconséquentes, à propos des mirobolantes promesses de recrutements dans la fonction publique, du retour à la retraite à 60 ans, de la renégociation des traités européens, et pourquoi pas des 32 heures écologiques...
Il faudrait évoquer les accusations malséantes à propos du déficit causé selon eux par la politique de Nicolas Sarkozy. Malgré tout le mal qu'on peut penser de ce dernier, sans doute faut-il le considérer comme plutôt modeste eu égard à celui qu'auraient occasionné les Socialistes qui préconisaient un plan de relance encore plus gigantesque que celui du gouvernement actuel (et qui même en période de croissance parvenaient à creuser les déficits et faire enfler la dette).
Il faudrait encore évoquer la polémique insane relative au droit de vote des étrangers "qui paient des impôts", totalement hors de propos, remise sur le devant de la scène par des Socialistes en mal d'inspiration et d'opposition. Ou l'initiative encore plus ubuesque et anachronique, consistant à légiférer sur le génocide arménien ! Et pourquoi pas sur la Corée du Nord, tiens donc ?

Tout cela donne la mesure de l'absence de vision politique régnant en notre vieux pays. D'autant que dans les rangs de la majorité ce n'est guère plus brillant.
On a vu le président de la république, au motif de la crise, manger son chapeau sur la quasi totalité des réformes les plus emblématiques de son mandat, tandis que les autres sont restées le plus souvent inabouties voire contradictoires entre elles. Face à la débâcle, le discours se veut ferme dans la forme mais reste erratique sur le fond, sacrifiant trop souvent le pays aux postulats d'une religion aussi bien intentionnée qu'elle est peu pragmatique.
C'est peu de dire qu'on est mal barrés...

18 décembre 2011

Entre Grâce et Nature, un grand vertige...


Il est bien difficile d'aborder d'un œil critique le cinéma de Terrence Malick. Il ouvre parfois des portes magnifiques, mais pour les passer, il faut être initié et si patient, si attentif, qu'on craint toujours de manquer ce qui se cache derrière...
Ses trois premiers longs métrages s'inscrivent dans une superbe ascension. La Balade sauvage affirmait d'emblée mais dans un style assez brut, le conflit farouche dans lequel devait s'inscrire toute la carrière du cinéaste : à savoir, l'affrontement terrible entre la cruauté, parfois la violence de la destinée humaine, et la beauté sublime et mystérieuse de la nature. Les Moissons du Ciel donnait à ce questionnement un lyrisme et une ampleur époustouflants, qui devait culminer avec le chef d’œuvre de la Ligne Rouge. Sur la toile de fond infernale de la guerre, vibraient avec une prégnance lumineuse, aérienne, ces interrogations existentielles, voire métaphysiques.
Malheureusement après ce coup de maître, la suite devenait problématique. Le Nouveau Monde fut une sorte de douche froide. La grâce subtile du propos devenait tout à coup artificieuse. Le discours lumineux s'abîmait dans la niaiserie et les somptueuses images n'étaient plus que l'illustration fade et maniérée d'un récit trop empreint de mièvrerie.
C'est dire l'appréhension qui pouvait étreindre le spectateur avant de voir le dernier opus de cet artiste si singulier.
Autant le dire tout de suite : en dépit de beaucoup d'efforts, Malick ne parvient pas dans ce Tree Of Life, à renouer avec la magie de la Ligne Rouge. On retrouve bien sa patte si particulière : prises de vues très travaillées, angles inhabituels, plans statiques ou d'une lenteur extatique, nature omniprésente, scènes aquatiques, voix off interrogeant l'indicible, personnages un peu étrangers à leur propre destinée, ou porteurs d'une symbolique envahissante...
Ici s'intercalent en plus, et de manière pour le moins incongrue, des séquences censées sublimer le spectacle sauvage et inouï de la nature. Elles sont certes magnifiques, mais la résonance de ces visions lyriques avec le destin simple d'une famille "sans histoire", perdue au fin fond du Texas, paraît quelque peu décalée. C'est peu dire qu'on passe du coq à l'âne. On se croirait soudain plongé dans un documentaire à prétention écologique et les scènes de début du monde, notamment celles intégrant des dinosaures, semblent franchement hors sujet, et diluent singulièrement la force du récit.
D'autant que les personnages auxquels le scénario nous ramène par épisodes, errent dans un continuum spatio-temporel plus que fluctuant. Le présent, le futur, le passé s'entremêlent, parfois dans la même scène, et l'attention se disperse à force de chercher à recoller les morceaux de ce puzzle éthéré, ou d'essayer de comprendre la symbolique des rôles, supposés incarner tantôt "la voie de la grâce", tantôt celle "de la nature..."
Jessica Chastain, la mère de famille, qui personnifie délicieusement la première, déploie un charme indéniable mais un peu lointain et inconsistant. Ses robes très fifties sont toutefois d'une grande élégance (on songe parfois à Maggie Cheung dans In The Mood For Love). Brad Pitt, le père, guindé dans un froid stoïcisme, quant à lui se cantonne à un registre très conventionnel, voire parfois caricatural. De leur côté, les enfants que Malick cherche à montrer au plus près de leurs jeux, de leurs émotions, manquent de naturel et de spontanéité. Incarnant l'un d'eux devenu adulte, Sean Penn est parfaitement absent. C'est le problème majeur de ce film : les êtres humains semblent n'être que des mirages. Ils n'ont pas de substance. On dirait même qu'il n'ont pas de chair...
Au total, ce film reste à côté de ses gigantesques ambitions. Certaines scènes familiales ne manquent pas de poésie, les images sont toujours splendides, mais l'ensemble est trop décousu, trop hermétique, trop boursouflé pour que l'objectif soit atteint. Gardons toutefois espoir : Terrence Malick n'a peut-être pas dit son dernier mot...

12 décembre 2011

L'Europe dans la tempête


Que de circonlocutions, que de manœuvres dilatoires, que de vœux pieux dans les résolutions qui émanent des sommets à répétition au chevet de l'Europe !
Le dernier en date promet un nouveau train de mesures visant à restaurer la confiance et à renforcer la cohérence budgétaire de l'Union. Mais malgré les évidentes bonnes volontés, et la détermination affichée, les contours des résolutions restent toujours des plus flous.
On est encore bien loin d'une vraie logique fédérale sans laquelle il paraît illusoire d'espérer enfin une véritable cohésion. Bon nombre d'états "souverains" doivent présenter les nouvelles dispositions à leur parlement. Et en dehors des incantations à la fameuse règle d'or, il est bien difficile en lisant la presse, de savoir concrètement de quelle nature sont les avancées du nouvel "accord inter-gouvernemental", dont on ne voit pas très bien en définitive, s'il amende, complète, ou invalide le traité de Lisbonne. En tout état de cause, on est encore loin d'un gouvernement européen, et encore plus d'une Nation Européenne avec un vrai dessein commun et une ambition partagée...
Dans ce capharnaüm, on ne peut que rester sceptique sur les missions et prérogatives conférées à la BCE, et on imagine mal par quel biais elle pourrait trouver de nouvelles ressources pour colmater les déficits monstrueux que beaucoup de pays, dont la France, continuent de faire. On ne comprend pas mieux l'intérêt des allers et retours de centaines de milliards d'euros – virtuels – entre l'Europe, le FMI, puis à nouveau l'Europe...
Bref, cette dernière s'effrite de plus en plus, l'euro est de plus en plus fragilisé, et malgré le duo solide que paraît constituer l'Allemagne et la France, les dérapages continuent.
Le nouvel accord instaure des "sanctions automatiques" applicables aux pays qui laisseraient filer leur déficit au delà de 3% du PIB. Mais sans dire quand elles seront susceptibles d'entrer en vigueur ni de quelle manière. D'ailleurs à peine revenu de Bruxelles, le président français a annoncé que chez lui, la règle d'or attendra l'élection présidentielle... Heureusement, puisque le déficit sera au mieux de 5% du PIB en 2011 et probablement encore supérieur à 4% en 2012 ! Ces chiffres ne donnent pas vraiment la mesure de la dérive. Rien que pour cette année, 100 milliards d'euros de déficit, c'est 33% des dépenses publiques qui ne sont pas financées...
Comment accorder dans ce contexte, quelque crédit à la parole donnée ? Il y aurait de toute façon beaucoup à dire sur ce carcan réglementaire, qui faisait déjà partie du traité de Maastricht et qui n'a pas vraiment été respecté. En l'occurrence, si une situation déficitaire prolongée est une calamité, son encadrement rigide peut s'avérer inutilement contraignant en période d'investissements, et nettement insuffisant en période de grand endettement. Pour l'heure, ce n'est pas 3%, mais 0% de déficit qu'il faudrait atteindre au plus vite. Encore resterait-il le fameux service de la dette, à savoir les intérêts des emprunts contractés. Chacun peut comprendre la gravité d'une situation qui contraint à emprunter pour rembourser les intérêts de prêts en cours !
Mais pour s'en extraire, il faudrait proposer de sévères mesures d'économie, ce qui est pour le moins délicat en période préélectorale. D'autant que pas un homme politique ne semble disposé à changer les credo idéologiques sur lesquels repose notre modèle en perdition. Si Nicolas Sarkozy paraît sur le sujet assez timoré, aucun de ses adversaires politiques ne risque de lui faire de l'ombre tant ils se cantonnent tous à des pis-aller démagogiques ou à des balivernes rétrogrades...

Illustration : Claude Joseph Vernet. tempête et épaves (détail)