29 novembre 2017

Désherbage intellectuel

L’actualité est riche de ces sujets qu’on appelle parfois marronniers.
Il s’agit de thèmes en général mineurs mais dont le caractère répétitif paraît destiné à masquer soit l’absence de vrai scoop, soit l'existence de réalités plus effrayantes.
Le glyphosate est assurément un exemple assez représentatif de ces idées reçues lancinantes que Gustave Flaubert colligea avec mépris dans son fameux dictionnaire hélas inachevé.

On connaît les nombreuses péripéties insignifiantes, montées en épingle depuis quelques années par les sympathiques hordes soi-disant écologistes (cf illustration de ce billet), tendant à discréditer ce désherbant fabriqué par un des diables de notre époque, l’entreprise MONSANTO.
On sait la virulence insensée des accusations portées contre ce produit que d’aucuns voudraient absolument interdire, comme d’autres (parfois les mêmes….) voudraient proscrire le chômage, les licenciements, le mauvais temps, les tremblements de terres et autres calamités plus ou moins naturelles !

Hélas pour eux la Communauté européenne vient d’autoriser une fois encore pour une durée de cinq ans, l’usage du prétendu poison par les agriculteurs !
Comme le révélait le journal Le Monde le 27 novembre, “Dix-huit Etats membres ont accepté la proposition remise sur la table par la Commission européenne lors de la réunion d’un comité d’appel qui a statué sur le sort de l’herbicide controversé.”

Il se trouve que trois semaines à peine avant cette décision, une vaste étude avait fait l’objet d’une publication dans la revue scientifique américaine du National Cancer Institute, “semant le trouble”, comme le titrait en choeur plusieurs médias (les Echos, Libé).
Selon les experts qui ont suivi pendant une vingtaine d’années près de 60.000 personnes directement exposées au glyphosate, “aucun lien n'est apparu entre cette substance et toute tumeur solide ou lymphome”. Un vrai pavé dans la mare en somme, qui contredit notamment le bien nommé CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer), lequel avait classé le glyphosate comme probablement cancérigène pour les êtres humains, sur la foi d’observations faites chez l’animal.

Le caractère prospectif de cette nouvelle étude, le fait qu’elle concerne des êtres humains, le nombre important de sujets, la durée longue de leur suivi, l’indépendance des experts signataires, et la rigueur de l’analyse statistique, tout plaide pour accorder à ses conclusions l’attention qu’elle mérite.
Pourtant, elle fut loin d’avoir le retentissement médiatique qu’on aurait pu attendre eu égard au caractère brûlant et très actuel du sujet.
Surtout, elle ne fit pas taire les enragés anti-Monsanto et encore moins changer d’avis. Pas l’ombre d’un doute ne s’insinua dans leurs cervelles comme l’attestent les manifestations de mécontentement à l’issue du vote des pays européens.
Bien qu’il s’inscrivit dans le jeu normal de la démocratie et qu’une majorité claire se soit dégagée de ce scrutin, la France par la voix de son président de la république n’hésita pas à le remettre en cause de manière éhontée.
Comme si rien ne s’était passé, et comme s’il n’avait pas eu connaissance de l’étude du NCI, dès le lendemain du vote, M. Macron crut bon d’annoncer par tweet interposé, qu'il avait "demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans"
Naïveté, démagogie, mauvaise foi, dans tous les cas on peut imaginer que le malheureux Flaubert tourne et se retourne en tous sens dans sa tombe...

27 novembre 2017

Entre culte et culture

Au détour d’un entretien opposant le journaliste Jean-Jacques Bourdin et le “Républicain” Eric Ciotti (BFM 14/11), me sont venues quelques réflexions sur les liens entre la religion et la culture.
Comme souvent, cette interview s'apparentait davantage à un face à face tendu qu’à un échange cordial. Tandis que le journaliste tentait par ses questions perfides de faire trébucher le politicien, ce dernier fournissait des efforts désespérés pour s’accrocher à une argumentation politiquement correcte mais intellectuellement bancale.
Un des sujets du jour portait sur les problèmes liés aux manifestations de l’islam dans notre pays, notamment les prières de rues, sujettes actuellement à une vive polémique. Bourdin cherchait manifestement à enfermer Ciotti dans une alternative diabolique, le contraignant à choisir, soit l’interdiction pure et simple, en les assimilant de facto au terrorisme, soit au contraire l’acceptation, au motif que la loi n’empêche pas les processions chrétiennes.
Pour échapper à ce dilemme quelque peu réducteur, voire absurde, Eric Ciotti brandit l’argument culturel pour préserver la légitimité de l’expression du culte chrétien, relevant selon lui de la coutume, tout en rejetant celle des musulmans, étrangère à nos moeurs, et portant atteinte à l’ordre public.

Hélas, cette problématique s’inscrit bel et bien dans le registre du culte et de la foi, et c’est précisément pour cela que les prières de rues apparaissent choquantes aux yeux de nombre de personnes. Ce n’est pas tant le rejet de la culture musulmane qui se manifeste en l’occurrence, que l’agacement face à l’étalage religieux auquel se livrent les fidèles sur voie publique.

Le drame de nos sociétés confrontées à l’islam conquérant naît d’une triple problématique dans laquelle se conjuguent le poids des traditions, la fracture laïque et la permissivité démocratique.
S’agissant des traditions, qu’on le veuille ou non, l’histoire de France est marquée profondément par la religion chrétienne. Depuis Clovis, tous nos rois ont inscrit leur pouvoir sous la protection tutélaire de celui, supérieur à tous, du Christ. Toutes nos villes et nos villages portent l’empreinte de cette religion, et les clochers sont les symboles les plus évidents de ce règne transcendant les monarchies terrestres. Chateaubriand a illustré cette domination spirituelle dans un de ses ouvrages le plus ambitieux, “Le génie du christianisme.”
Avec la Révolution et le passage à la république, la rémanence de cette tradition s'efface dans les esprits. Sans doute en partie parce que les grandes révolutions modernes d’inspiration socialiste se sont déclarées anti-religieuses, mais également et tout particulièrement en France, parce que la notion de laïcité a émergé, pour être en définitive inscrite dans la loi en 1905.
C’est elle qui engendre de nos jours une sorte de contradiction douloureuse. Si la laïcité permet en théorie de limiter l’expression de l’islam, elle conduit dans le même temps à faire pareil avec d'autres dont celles qui forment le socle de notre culture et donc de nos traditions. Bien que notre monde soit devenu très matérialiste et de moins en moins adepte du christianisme, il éprouve encore une certaine réticence à en éradiquer les symboles ancestraux. Le problème des crèches dans les mairies, ou bien l’affaire de la croix de Ploërmel témoignent de ce malaise. Jusqu’où ira-t-on dans l’épuration égalitaire des signes extérieurs de la religion chrétienne au nom de la laïcité ?

Cette question est d’autant plus angoissante qu’en face, l’islam monte en puissance et commence à entamer sérieusement le principe laïque en érigeant ses préceptes au nom de la liberté d’expression. Nos républiques démocratiques se trouvent doublement piégées. D’un côté elles sont confrontées à la barbarie islamiste face à laquelle elles font assaut de lamentations mais qu’elles ne veulent pas nommer, et de l’autre elles sont confrontées au mouvement de fond de l’islam réputé modéré, mais qui mine peu à peu les grands principes de la république. Partout se multiplient les dilemmes portant sur des questions rituelles : sur l’alimentation, les tenues vestimentaires, la mixité...

La religion ne vit que par la foi qu’on lui porte. Tandis que la religion chrétienne décline peu à peu, force est de constater que l’islam progresse irrésistiblement, accompagné plus que jamais de ses dogmes, de ses rites et de son rigorisme de plus de plus intransigeant. Devant cette montée des périls, la société démocratique semble résignée et la tentation est forte de céder devant les plus forts.
Face à cette déferlante, le monde occidental gavé de richesses et d’acquis sociaux, n’oppose en effet plus guère de foi, et pas davantage de conviction pour ses valeurs traditionnelles, notamment spirituelles. Le Pape lui-même a perdu une grande partie du charisme liée à sa fonction et semble plus enclin à lutter contre le capitalisme et le libéralisme qu’à travailler au rayonnement du christianisme et à la défense des chrétiens malmenés de par le monde.
Quant aux gouvernants, par nature démagogues et peu audacieux, ils consacrent tous leurs efforts à faire émerger un impossible consensus, se laissant parfois aller à de dangereuses compromissions. Ils rechignent également à faire comprendre aux musulmans qu’ils doivent se plier aux règles des pays dans lesquels ils vivent, au moins autant que les prétendus infidèles doivent le faire dans les pays où leurs coreligionnaires font la loi…

Bien sûr la vraie solution serait sans doute de revivifier la foi chrétienne, et de lui redonner l’aura décomplexée qu’elle a su étonnamment conserver dans d’autres pays pourtant résolument et sans vergogne capitalistes, comme les Etats-Unis, mais c’est une autre histoire...