En visite à Dunkerque, le président Sarkozy a « préconisé de réformer l'hôpital » (Figaro 22/05/07).
N'est-il pas au courant qu'il meurt précisément sous le poids de toutes celles qui lui sont tombées dessus depuis des années ? Sait-il seulement que les dernières en date sont loin d'être achevées, tant leur complexité est grande, leur utilité discutable et leur objectif imprécis ?
Est-ce donc l'annonce d'une nouvelle couche sur ce magma asphyxiant, est-ce un voeu pieux inscrit dans le rite du « changement dans la continuité », ou bien, est-ce enfin l'arrivée du printemps des élagueurs dans ce maquis impénétrable ?
J'aime à croire à la dernière hypothèse, sans me faire trop d'illusions toutefois. Chat échaudé craint l'eau froide.
Voici le tableau que je proposais à ce sujet pour la revue DH Magazine, et au Quotidien du Médecin, en Avril :
La France c'est un peu Venise : une ville musée qui s'enfonce irrésistiblement dans les miasmes tandis qu'on tente à grands frais d'en sauvegarder les dômes et les palais rutilants. Un chef d'oeuvre fragile et dépourvu d'utilité, bâti sur des fondations aléatoires qui se dérobent sous le poids d'un passé décomposé. Telle était la Sérénissime sous la plume de Paul Morand : « une vieille sur ses béquilles, qui s'appuie sur une forêt de pieux; il en a fallu un million rien que pour soutenir la Salute; et c'est insuffisant. » Telle est la France dans un Monde qu'elle ne comprend pas : en équilibre instable entre le passé et l'avenir; entre la théorie et la réalité.
Et les habitants de ce microcosme précieux mais à la dérive ? Ils semblent parfois se jouer de cette ambiance exquise de désastre imminent. A l'image des Vénitiens jouant la comédie derrière des masques où le grotesque le dispute à l'hilarant, ils s'enivrent de vérités travesties et de fantasmes extravagants, et tournent tantôt en riant, tantôt en grimaçant, leur sort en dérision.
Mais cet air virevoltant cache un mal rampant plus profond, car « tout en chantant sur le mode mineur l'amour vainqueur et la vie opportune, ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur. »
Sous la verve drolatique surgit par instant le spectre blafard d'une réalité trop longtemps refoulée. Car la France, tient un peu également de ce vieil écrivain égaré dans une Venise en proie à la peste, qui cède avec une délectation morbide aux délices émollients d'un amour ébloui mais sans issue, pendant que la ville se meurt autour de lui. La France ressemble à cet artiste déclinant, hypnotisé par la beauté angélique d'un éphèbe insaisissable, et qui se laisse envahir par d'indicibles visions, en semblant ignorer son propre enlisement.
Et lorsque le maquillage s'efface peu à peu, et que le rimmel en dégoulinant souligne les rides qu'il était censé faire oublier, les traînées et les coulures noirâtres sur des joues décaties sont comme une sorte de signature tragique au bas d'une destinée qui n'en finit pas de mourir dans les larmes et la frustration.
La France au moment de faire de grands choix politiques, est une nouvelle fois à la croisée de chemins opposés. Continuera-t-elle de croire aux mirages plutôt qu'aux choses tangibles ? Continuera-t-elle d'imaginer que l'avalanche de lois représente une alternative acceptable à l'action, et que la bureaucratie constitue l'encadrement indispensable à tout désir d'entreprendre ? Continuera-t-elle de faire de la planification étatique l'alpha et l'oméga des stratégies en matière de santé publique ? Préférera-t-elle en un mot continuer de se leurrer doucement en préférant l'immobilisme égotiste de Narcisse à l'aventure difficile mais sublime des défricheurs de Liberté ?
L'hôpital souffre de cette mortelle irrésolution. Faute de décisions claires et d'objectifs pragmatiques, il attend inquiet ce qu'il adviendra de lui, suspendu un peu stupidement au milieu d'une confusion délirante. Il est pris en tenaille entre les mâchoires de l'ARH et celles de L'Assurance Maladie, il patine de plus en plus laborieusement entre Tarification à l'Activité (T2A) et budget global, tergiverse sur ses perspectives existentielles sous la pression d'absurdes objectifs quinquennaux d'activité émanant de SROS bornés, et convulse mollement au rythme d'une Nouvelle Gouvernance si complexe et alambiquée qu'elle le vide de son énergie et l'oblige à détourner des tâches de base, l'essentiel de ses précieuses « ressources humaines ».
L'hôpital est-il amené à se transformer en un gigantesque kolkhoze anonyme, assujetti à une planification rigide des soins et une maîtrise égalitariste des dépenses ? Va-t-on au contraire le propulser avec son infrastructure brinquebalante, ses appendices gestionnaires tarabiscotés et ses boulets organisationnels « de service public » dans une logique de production concurrentielle à laquelle il n'est aucunement préparé ?
Ces questions sont au coeur du débat qui agite le pays à l'occasion des grands scrutins nationaux de ce printemps 2007. Hélas les programmes politiques, plus riches en promesses générales qu'en mesures pratiques ne donnent guère de clés pour imaginer ne serait-ce qu'une esquisse de réponse à ces interrogations. Il faut dire aussi que depuis plus de deux décennies, les réformes n'ont pas manqué dans le monde de la santé.
Mais quels que fussent les dirigeants en place, ils ont surtout procédé par replâtrages approximatifs, empilant des strates les unes sur les autres sans vraie détermination, et sans autre ligne directrice qu'un vague canevas pétri de bonnes intentions. Bien que soit annoncée à chaque fois la « mère de toutes les réformes », en même temps qu'une « simplification » et une « modernisation » des procédures, force est de constater que l'hôpital comme la France dans son ensemble, reste à ce jour englué dans un amalgame toujours plus confus et pléthorique de règles contradictoires ou superflues.
Le Budget Global était à bien des égards pervers, mais la T2A, insuffisamment préparée, plonge la gestion des établissements de santé dans des abîmes de perplexité et d'incertitude. Les Pouvoirs Publics eux mêmes sont aux abois. Le torchon brûle entre les instances ministérielles et l'Assurance Maladie.
D'un côté, les ARH3 sont mises sur la sellette par l'IGAS4 et l'IGF5 pour leur incapacité à piloter les hôpitaux6 : le comble vu qu'elles furent créées spécialement à cet effet en 1997 ! De l'autre, le dynamitage soudain de l'hospitalisation de jour par une Sécurité Sociale incapable de contenir ses propres gabegies, constitue la preuve flagrante d'un grand désordre en même temps qu'il révèle une stratégie de panique. On condamne aujourd'hui ce dont on avait à grand peine fait la promotion hier, en jetant des anathèmes déshonorants sur la quasi totalité des établissements « visités ». Le plus étonnant dans un pays par nature si rebelle, est l'acceptation docile de procédés carrément vicieux : utilisation rétroactive de textes de lois confus, méthodologie bâclée, interprétation grossière et mécaniquement à charge, application de tarifs inadéquats. Tout est réfutable dans ce simulacre de contrôle.
L'absence de lisibilité est devenue plus que jamais la règle en matière de gestion. Le bazar inextricable et inexplicable de la Nouvelle Gouvernance est le dernier avatar de la décomposition grandiose d'un système en proie à la déraison administrative. La cité dorée croule sous le poids de ses contradictions et de ses redondances.
Ces boursouflures absurdes n'ont hélas rien de la grâce et des mystères qui émanent des chefs d'oeuvres en péril. Faut-il donc renforcer une fois encore au nom de principes dépassés l'édifice monstrueux qui craque de toute part ou bien au contraire tenter de l'élaguer une bonne fois pour lui donner enfin un peu de bon sens et de cohésion ?
Nous le saurons sûrement bientôt...
2 : SROS Schéma Régional D'organisation Sanitaire
3 : ARH Agence Régionale de l'Hospitalisation
4 : IGAS Inspection Générale des Affaires Sociales
5 : IGF Inspection Générale des Finances
6 : Rapport 2007 sur les ARH et le pilotage des dépenses hospitalières, Igas/IGF
DH Magazine No 112 Avril 2007
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