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18 mai 2025

Mémoricide

A la lecture du dernier ouvrage de Philippe de Villiers, on retrouve tout le panache du chevau-léger au service d'un souverainisme idéalisé et de traditions sacrées. C'est le combat de sa vie, la cause à laquelle il aura tout donné. Le meilleur de lui-même mais aussi quelques outrances destructrices.
Son dernier ouvrage* se lit sans déplaisir, quasi d'une traite, car sa plume est aussi ardente que brillante. Son érudition a l'accent de la sincérité. Il assène ses vérités à coups de massue mais jamais il n'est pédant.
Parfois il tient un peu de Don Quichotte lorsqu'il entre en guerre contre des moulins à vent, ou qu'il mène des combats perdus d'avance car ils sont d'un autre âge. C'est qu'il semble rétif à l'évolution des choses et plutôt que de tenter d'infléchir leur cours, il préfère les pourfendre à la hussarde.

Son lyrisme flamboyant donne le vertige tant il emporte tout sur son passage.
Avec son épée de preux chevalier, il est un peu Roland à Roncevaux. Il voudrait ouvrir une brèche dans la muraille des idées reçues, terrasser l'hydre des idéologies insanes. Mais cette tâche est titanesque, et il s'épuise à charger trop d'ennemis à la fois, confondant même, à certains moments, le bon grain et l'ivraie, les alliés et les adversaires..
S'il peut se targuer de belles réalisations concrètes (Le Puy du Fou, le Vendée Globe), son verbe héroïque semble hélas vain, à l'instar de son combat politique. Qui trop embrasse mal étreint en quelque sorte.

Bien sûr on peut le suivre lorsqu'il déplore les errances morales de l'époque, la perte des repères historiques, la déliquescence de l'esprit civique, la dissolution des valeurs sociétales dans un magma éthique illusoire, la dérive partisane de la justice, la faillite de l'éducation, et pour finir, le chaos migratoire auquel on fait face, non pas en l'endiguant mais en cassant les frontières.
Sa comparaison avec le Titanic est à ce dernier sujet pertinente. Le naufrage du paquebot fut expliqué par l'absence de tout cloisonnement de la coque sous la ligne de flottaison. Une seule brèche a suffi pour inonder rapidement l'ensemble du navire et l'entraîner vers l'abîme.

La protection de l'Union Européenne par ses seules frontières extérieures est une chimère.
L'Europe n'est pas un tout stable, uni, et cohérent. C'est un simple agrégat économique de pays aux intérêts souvent divergents. l'Europe n'est pas une nation, et c'est bien là que le bât blesse. Philippe de Villiers en fait le constat amer mais il va plus loin. Contrairement à Julien Benda, il répugne au concept d'une nation européenne.
Son discours est franco-centré sur un pays figé dans ses traditions ancestrales, et sur les souvenirs d’un passé glorieux, comme l'atteste l'angoisse qui hante ses nuits, dont il fait état au début du livre : “Que vont devenir les petits Français dans vingt ans ? Dans trente ans ? Seront-ils des étrangers dans un pays nominal qui n'aura plus de France que le nom, Sur une terre exotique ?”
La crainte est fondée mais il y a très peu d'ouverture au monde dans son esprit. Il faudrait en vérité que rien ne change pour que tout change... Et l'Europe est bien loin de représenter un espoir à ses yeux.
Comme D'Artagnan, le monde dont il est si nostalgique est mort à Maastricht.

Non seulement il ne croit pas au projet européen, mais il est convaincu qu'il repose sur une supercherie, voire un complot, ourdi par les Etats-Unis. Il l'affirme et le réaffirme à qui veut l'entendre. Rien ne l'en fera démordre. Jean Monnet, Robert Schuman, loin d'être des pères fondateurs ne furent selon lui que des boutiquiers cupides ou des félons au service de l'oncle Sam.
Philippe de Villiers n'est pas pro américain, c'est peu dire. Pire, il accuse les Etats-Unis d'avoir ouvert la porte à la marchandisation du monde. C’est quasi une idée fixe chez lui, répétée, livres après livres. Ainsi, il rappelle qu'avec Jimmy Goldsmith, il s'était fait le dénonciateur du capitalisme libéral qui avait “dénaturé le travail et réinventé un esclavagisme des plus faibles au XIXe siècle”. Il évoque, en sous entendant qu'il l'a fait sienne, l'opinion de son père qui “renvoyait dos à dos le socialisme collectiviste et le libéralisme individualiste” !

A la fin de la seconde guerre mondiale, l'objectif des USA aurait donc été de faire de l'Europe une fédération vassale, calquée sur le modèle américain.
C'est évidemment du pur fantasme, et si par extraordinaire cela s'était produit, il y aurait tout lieu de s'en féliciter. On imagine sans peine la force que représenterait l'alliance de deux fédérations unies par un même objectif de démocratie et de liberté. Faut-il rappeler que la logique s'inscrivait dans un vrai projet européen, celui défini par Kant dans son merveilleux petit ouvrage traitant de la Paix Perpétuelle.
L'Amérique nous a offert une liberté dont nous n’avons pas su faire grand chose. L’arrogance gaullienne et le retour au vieil ordre féodal ont éteint toute velléité fédérative et le concert cacophonique des Etats-Nations a accouché d'une bien fade et peu efficiente Communauté Européenne.

Philippe de Villiers reste donc accroché à son morceau de France comme un naufragé s'agrippe à une épave.
Comme il le reconnaît lui-même, il a peur du vide. Mais il est plus effrayé encore par les grands espaces et les vastes perspectives. S'il faut bien reconnaître que l'idée européenne a fait fiasco, il y a bien peu à espérer d'une France souveraine ayant retrouvé sa grandeur d'antan, une parousie selon lui.
Ainsi, une fois encore, le fondateur du météorique Mouvement Pour la France (MPF), nous embarque sur une voie qui fait fausse route, malgré son beau tracé, ses nobles ambitions et sa rectitude morale.
Elle est dans un monde auquel on peut rêver avec nostalgie mais elle ne s'inscrit pas dans une vision pragmatique de la réalité présente et des temps à venir…


* Mémoricide. Fayard 2024

17 avril 2016

Philippe de Villiers, l'imprécateur

Le récent livre de Philippe de Villiers a ceci de particulier, qu’il échappe à la retape pré-électorale dans laquelle s’inscrivent nombre d’insipides opuscules politiciens. Il relève bien davantage à l’évidence du pamphlet qui fut un genre prisé lorsque les opinions n’étaient pas encore devenues de vains mots.

Quoique un peu désabusé, car témoignant d’une destinée quasi révolue, le propos fait souvent mouche car il a du style et du panache. Philippe de Villiers écrit bien et cette qualité mérite à elle seule des éloges.
On retrouve la classe, la fougue et la sincérité du chouan, vibrant plus que jamais de toutes ses racines aristocratiques et de son tempérament rebelle. Mais on trouve également beaucoup d’excès, de convictions à l’emporte-pièce, et toutes les œillères idéologiques qui bridèrent son parcours en dents de scie, dont on retient avant tout le beau succès du Puy-du-Fou, et pas mal de ratages plus ou moins magnifiques.

Il est difficile de situer Philippe de Villiers sur l’échiquier politique. Ni vraiment à droite, sa famille naturelle, mais de laquelle il a souvent fait sécession, ni à gauche, qu’il exècre, mais avec laquelle il est prêt à certains compromis dès qu’elle exalte le concept de la nation souveraine. Pour la même raison, il côtoya souvent de très près le Front National sans jamais s’y associer… Enfin, comme cet ouvrage le démontre, il n’a pas grand chose d’un libéral.
En réalité Philippe de Villiers peine à se départir de ses gènes, qui le conduisent tantôt à se montrer sous un jour chevaleresque et quelque peu “vieille France”, et tantôt à se comporter de manière méprisante, si entière, si rentre-dedans, qu’il décourage toute sympathie durable.

Lassé de la politique et ayant abandonné toute ambition, il met à jour dans son dernier ouvrage, au titre un peu ronflant, quelques turpitudes du monde politique, mais qui les ignorait vraiment ?
Il dézingue à tout-va, insistant sur le caractère fluctuant, contradictoire et veule des convictions affichées par ses congénères, mais dans le tourbillon qu’il provoque c’est le bébé qui part avec l’eau du bain. Tout y passe. La classe politique dans son ensemble est qualifiée de “crapaudaille”, qui “a déclassé la France et l’a précipitée dans une impasse alors qu’elle avait mandat de la rétablir en sa grandeur…”
Même les gens avec lesquels il fit cause commune, furent de faux-amis. Ainsi son alliance avec Philippe Séguin et Charles Pasqua, fut de son propre aveu bien plus circonstancielle que sincère. La foi du premier s’évapora en respectueuses lâchetés devant Mitterrand lors du référendum sur le traité de Maastricht. Pire encore, après avoir fustigé l’Europe de Bruxelles, Séguin s’en accommoda fort bien lorsque son intérêt personnel l’exigea. Quant au second, il apparaît sous la plume du Vendéen sous les traits d’un homme sans foi ni loi, à part la sienne…
Cela dit, Philippe de Villiers a tendance à occulter le fait que lui aussi participa au jeu. Et s’il pourrait presque convaincre qu’il fut le seul à être honnête, doté de convictions et fidèle à ses principes, il ne fera pas oublier que ce fut au prix d’une intransigeance cassante, de ruptures navrantes, et d’un enfermement idéologique confinant parfois à l’absurde.

Tout au long de ce livre, la charge la plus violente, lancinante, qui revient sans cesse au fil des pages, c’est celle qui vise la Mondialisation, le Capitalisme, le Progrès, et in fine l’Amérique.
Outre son caractère désuet, imprégné d’un parfum d’ancien régime, et d’une nostalgie vaine de la France de jadis, cette vindicte participe hélas du tsunami morbide dans lequel se perd un pays refusant de voir la réalité, et incapable de s’adapter au nouveau monde. Par exemple, lorsque le chevau-léger s’attaque au libre-échange et à la mondialisation, il sombre dans la caricature. Ainsi, critiquant le traité ALENA et la perspective d’un éventuel accord trans-atlantique entre l’Europe et les Etats-Unis, il n’hésite pas à affirmer “qu’il nous faudra supprimer ce qu’il reste de nos protections et nous mettre à parité avec le moins disant social, écologique, sanitaire et culturel américain. Entreront chez nous librement la viande aux hormones, les farines animales, les volailles lavées à l’acide et à la chlorine, gorgés de pesticides interdits…”

Son aversion du progrès le fait condamner sans nuance toutes les techniques utilisées par l’agriculture moderne, responsables selon lui d’un “empoisonnement général”. “Depuis l’eau qu’on boit, l’air qu’on respire, où flottent de fines particules, la nourriture qu’on ingère et qui est chargée de molécules neurotoxiques…” Il éructe sa haine autant que son incompréhension de manière plutôt confuse face aux projets des nouveaux “technoprophètes” de la Silicon Valley. Sans doute hanté par le péché originel dont son éducation l’a empreint, il va jusqu’à voir dans le logo de la firme Apple “la pomme du Livre, croquée, rongée jusqu’au trognon même…”

Au total, Philippe de Villiers maîtrise mal sa fougue. Certaines de ses imprécations sonnent juste, notamment lorsqu’il vilipende le mercantilisme, le matérialisme, la cupidité du monde et la lâcheté, la versatilité des politiciens.
Mais ces vices ne sont pas d’aujourd’hui.
Surtout, cela ne le met pas à l’abri de certaines contradictions. Lorsqu’il rappelle qu’il fut soutenu financièrement par Jimmy Goldsmith, devenu milliardaire grâce au capitalisme, à l’industrie et à la mondialisation. Ou bien lorsqu’il ramena fièrement de Los Angeles en 2012 le Thea Classic Award, qu’un jury international décerna au “plus beau parc du monde”, en l’occurrence la cinéscénie du Puy du Fou, sans doute son plus beau titre de gloire...