24 mars 2018

Vers les étoiles

Il est difficile lorsqu’on est bien portant, d’imaginer le supplice consistant à se retrouver progressivement et inéluctablement paralysé, jusqu’à ne plus pouvoir bouger que les yeux et les paupières.
C’est le destin atroce qui fut celui de Stephen Hawking (1942-2018) devenu malgré cette infortune, le célèbre astrophysicien que chacun connaît. 

Il vient de s’éteindre, à 76 ans, après plus d'un demi-siècle d’impotence et de délabrement physique. Sort particulièrement cruel pour cet esprit avide d’infini, que de se retrouver totalement enfermé à l’intérieur d’un corps inerte, désespérément cloué à un siège et totalement dépendant pour tous les actes de la vie quotidienne.

Il avait à peine plus de 20 ans lorsque les premiers signes de cette sclérose latérale amyotrophique se manifestèrent. On lui avait prédit à l’époque une mort rapide dans un délai de 2 ou 3 années.
Mais il aimait la vie sans nul doute. A force de volonté, des bons soins prodigués par son entourage, et peut-être en raison de la progression relativement lente de sa maladie, il parvint à s’accrocher à ce monde cruel, et fit même une carrière scientifique éblouissante. Un vrai pied de nez aux partisans de l’euthanasie...
Il disait qu’il devait sa célébrité avant tout à son handicap. Peut-être en partie...


Peu de gens peuvent mesurer objectivement ce qu’il apporta à la Science. Son talent de vulgarisateur fit beaucoup pour sa gloire. Sa "Brève Histoire du Temps" fut vendue à plus de 10 millions d’exemplaires à travers le monde et permit à beaucoup de gens d’appréhender les mystères de l’univers, de la physique et de la relativité à la lumière des connaissances actuelles.

Il travailla beaucoup sur les trous noirs, qui sont parmi les entités les plus énigmatiques du cosmos. Dans ces concrétions vertigineuses, résultat de l’effondrement de la matière sur elle-même, tout s’arrête. Même la lumière qui passe à proximité s’y engloutit sans retour et le temps se fige. On parle de l’horizon des évènements…
Selon Hawking les trous noirs ne seraient “pas si noirs que ça”. Ils pourraient être le siège d’émissions particulaires voire d’un genre d’évaporation énergétique. Surtout, ils pourraient être des portes ouvertes sur d’autres univers, via d’hypothétiques analogues inversés que certains appellent “trous blancs”...

Hélas, toutes ces notions sont tellement nébuleuses qu’il n’existe à ce jour pas la moindre ébauche de preuve de leur réalité. Et quand bien même cela serait, on se demande quels débouchés pratiques pourraient être imaginés.
D’une manière générale, le dessein d’Hawking était insensé : il voulait mettre au point une théorie donnant une explication universelle de l’univers (ou “des” univers), unifiant toutes les lois physiques et les forces qui régissent le monde, de la mécanique quantique à la relativité de l’espace-temps, en passant par la gravité. Qui trop embrasse, mal étreint, il ne put hélas concrétiser ce projet fou.

Il est permis également d’émettre quelques doutes sur ses dernières prises de position, concernant l’intelligence artificielle. Il manifesta un curieux pessimisme à ce propos en prédisant qu’elle serait capable un jour de dépasser l’Homme et qu’elle risquait de l’asservir, pour son plus grand malheur. Rejoignant les visions apocalyptiques de Bill Gates et Elon Musk, il affirma que ces techniques informatiques menaçaient l’humanité dont il alla jusqu’à prédire l’extinction avant l’an 2600 !
Il n’y a en l’occurrence que des supputations gratuites et l’on s’étonne qu’un savant aussi rigoureux et avide de preuve scientifique puisse se laisser aller à tant de subjectivité.
S’il existe un vrai danger, il réside dans l’utilisation par les hommes des machines soi-disant intelligentes, et non en elles-mêmes. Un fusil peut occasionner des ravages mais jamais de son propre chef !
Dans beaucoup de domaines, les techniques informatiques dépassent dores et déjà et de loin les capacités humaines. Une simple calculette est bien plus performante en calcul mental que la plupart des êtres humains “normaux”. Elle n’est pas intelligente pour autant. Elle reste un outil merveilleux mais irresponsable dont les erreurs éventuelles ne peuvent être imputées qu’à celui qui s’en sert ou à celui qui l’a fabriquée… En l’occurrence des êtres humains...

18 mars 2018

Noa Noa

Lorsqu’en 1891, Paul Gauguin (1848-1903) arrive à Tahiti, après « soixante-trois jours de fiévreuse attente, d’impatientes rêveries vers la terre désirée », ses premières impressions ne sont pas très joyeuses.
Il avait pourtant chanté par avance le paradis auquel il se livrait corps et âme:
« J’arrive en ce lieu où la terre est inconnue sous mes pieds.
J’arrive en ce lieu où le ciel est nouveau par-dessus ma tête.
J’arrive en cette terre qui sera ma demeure…
Ô Esprit de la terre, l’Étranger t’offre son cœur, en aliment pour toi... »

Mais le spectacle qui s’offre à ses yeux à l’arrivée « n’a rien de féerique », de son propre aveu, « rien de comparable par exemple à la magnifique baie de Rio de Janeiro. »
Débarqué à Papeete, seconde déception, il trouvera la ville bien trop civilisée à son goût : « C’était l’Europe – l’Europe dont j’avais cru m’affranchir ! – sous les espèces aggravantes encore du snobisme colonial, l’imitation, grotesque jusqu’à la caricature, de nos mœurs, modes, vices et ridicules civilisés. » 

Après quelques semaines, il se met en quête d’un endroit plus sauvage, qu’il trouvera dans le district de Mataiea : « D’un côté, la mer et de l’autre, la montagne, – la montagne béante, crevasse formidable que bouchait, adossé au roc, un groupe énorme de manguiers. »
Dès lors, il n’aura de cesse de relater son expérience dans un journal qu’il intitulera Noa-Noa et qu’il tiendra durant 3 ans, tantôt écrivant, tantôt dessinant.
Le résultat est un ouvrage poétique étonnant qui dit beaucoup de la personnalité du peintre, de l’île qu’il habite, de ses couleurs, de ses parfums, de ses habitants, de leur mythologie et parfois qui s’abandonne à quelques réflexions philosophiques. Ce carnet illustré sera complété ultérieurement par des poèmes en prose ou en vers composés par son ami Charles Morice, mais en si grand nombre, qu’ils alourdiront le texte, le dévoyant quelque peu le but de l’artiste.


Malgré sa bonne volonté, Gauguin aura du mal à se défaire de sa culture européenne, de ses habitudes de pensées, de ses conceptions esthétiques.
Ainsi, peu de temps après son arrivée, contemplant une Tahitienne, pourtant de haut rang, il la décrit de manière quelque peu méprisante : « Elle avait cette majestueuse forme sculpturale de là-bas, ample à la fois et gracieuse, avec ces bras qui sont les deux colonnes d’un temple, simples, droits et le haut vaste, se terminant en pointe…/… Je ne vis un instant que sa mâchoire d’anthropophage, ses dents prêtes à déchirer, son regard fuyant de rusé animal, et malgré un très beau front noble, je la trouvai tout à fait laide. »
L’instant d’après, après réflexion, il se reprend toutefois, comme sous l’effet d’une révélation : « Comme l’homme est changeant ! voilà que je la trouvai belle, très belle... »
Il s’agissait en fait de l’épouse du roi Pomaré qui venait de mourir et dont il avait suivi l’enterrement, submergé par une noire nostalgie : « Avec lui la tradition maorie était morte. C’était bien fini. La civilisation, hélas ! Triomphait – soldatesque, négoce et fonctionnarisme... »

L’acclimatation aux us et coutumes de son nouveau pays fut donc délicate. Après quelques mois se lamente-t-il « je me sentais là bien seul. De part et d’autre, les habitants du district et moi, nous nous observions, et la distance entre nous restait entière.»

C’est par la peinture qu’il va progressivement prendre possession de l’esprit polynésien et s’émanciper du carcan de sa vie passée: « le paysage, avec ses couleurs franches, ardentes, m’éblouissait, m’aveuglait. Jadis toujours incertain, je cherchais de midi à quatorze heures… Cela était si simple pourtant de peindre comme je voyais, de mettre sur ma toile, sans tant de calculs, un rouge, un bleu ! Dans les ruisseaux, des formes dorées m’enchantaient ; pourquoi hésitais-je à faire couler sur ma toile tout cet or et toute cette joie du soleil ? – Vieilles routines d’Europe, timidités d’expression de races dégénérées !… »

Peu à peu, il va apprendre à connaître « le silence d’une nuit tahitienne ». Progressivement, il se mêle à la population : « Mes voisins sont devenus pour moi presque des amis. Je m’habille, je mange comme eux ; quand je ne travaille pas, je partage leur vie d’indolence et de joie, avec de brusques passages de gravité. »

Il se sent même inspiré par la relation intime qu'ont ces gens avec la nature ambiante : « Les tons mats de leur corps font une belle harmonie avec le velours du feuillage, et de leurs poitrines cuivrées sortent de vibrantes mélodies qui s’atténuent en s’y heurtant au tronc rugueux des cocotiers »
Il se laisse doucement envahir par l’ensauvagement à la mode rousseauiste : « La civilisation s’en va petit à petit de moi. Je commence à penser simplement, à n’avoir que peu de haine pour mon prochain – mieux, à l’aimer. J’ai toutes les jouissances de la vie libre, animale et humaine. J’échappe au factice, j’entre dans la nature : avec la certitude d’un lendemain pareil au jour présent, aussi libre, aussi beau, la paix descend en moi ; je me développe normalement et je n’ai plus de vains soucis…. »

Son regard sur les femmes reste toutefois ambigu. Il se met vite à rechercher leur compagnie, tout en gardant sur elles des sentiments non dénués de condescendance. Par exemple d’une voisine venue le saluer : « Elle était peu jolie, en somme, selon les règles européennes de l’esthétique. Mais elle était belle. Tous ses traits offraient une harmonie raphaélique dans la rencontre des courbes, et sa bouche avait été modelée par un sculpteur qui parle toutes les langues de la pensée et du baiser, de la joie et de la souffrance. Et je lisais en elle la peur de l’inconnu, la mélancolie de l’amertume mêlée au plaisir, et ce don de la passivité qui cède apparemment et, somme toute, reste dominatrice. »
La vie sauvage contribue 
selon lui à l’égalité des sexes : « À Tahiti, l’air de la forêt ou de la mer fortifie tous les poumons, élargit toutes les épaules, toutes les hanches, et les graviers de la plage ainsi que les rayons de soleil n’épargnent pas plus les femmes que les hommes. Elles font les mêmes travaux que ceux-ci, ils ont l’indolence de celles-là : quelque chose de viril est en elles, et en eux quelque chose de féminin.../… Cette ressemblance des deux sexes facilite leurs relations, que laisse parfaitement pures la nudité perpétuelle, en éliminant des moeurs toute idée d’inconnu, de privilèges mystérieux, de hasards ou de larcins heureux – toute cette livrée sadique, toutes ces couleurs honteuses et furtives de l’amour chez les civilisés. »

Lorsqu'il aborde la sexualité, ses impressions pourraient choquer nombre d’oreilles prudes de nos jours. Pour lui en effet, « toutes veulent être prises, prises à la mode maorie (mau, saisir) sans un mot, brutalement ; toutes ont en quelque sorte le désir du viol... »

Il ne voit donc rien de mal lorsqu’une Tahitienne de son entourage, s’inquiétant de le voir sans compagne lui fait une proposition très directe: « Si tu veux, je vais t’en donner une. C’est ma fille... »
Apprenant la jeunesse de celle-ci, il éprouve certes quelques réticences, mais bien vite surmontées : « cette jeune fille, cette enfant d’environ treize années, me charmait et m’épouvantait. Que se passait il dans cette âme ? Et c’était moi, moi si vieux pour elle, qui hésitais au moment de signer un contrat si hâtivement conçu et conclu... »

Il se mettra en ménage avec Teura et cherchera à travers elle à comprendre l’âme maorie. Exercice délicat, car « elle ne se livre pas de suite ; il faut beaucoup de patience.../… Elle vous échappe d’abord et vous déconcerte de mille manières, enveloppée de rire et de changement ; et pendant que vous vous laissez prendre à ces apparences, comme à des manifestations de sa vérité intime, sans penser à jouer un personnage, elle vous examine avec une tranquille certitude, du fond de sa rieuse insouciance, de sa puérile légèreté... » 
Cette communion ne sera pas que spirituelle. Doté d’un appétit charnel débordant, Gauguin multipliera pendant ses deux séjours polynésiens les conquêtes de très jeunes filles, dont deux enfanteront de lui. Il serait pourtant excessif de voir dans ces relations quelque peu libertines une inclination perverse à la pédophilie. Elles conduisent plutôt à relativiser les règles qui pèsent sur ce qu’il est convenu d’appeler moralité. Tout au plus peut-on dire que Gauguin abusa des mœurs très libres qui régnaient dans les îles...

Le fait est que pendant les dernières années de sa vie, tout en concrétisant ses ambitions artistiques il donna de lui une image ombrageuse, voire déplaisante, empreinte d’égoïsme et d’indifférence. Victor Segalen arrivé à Tahiti en 1903, quelques semaines après le décès du peintre, décrivit en quelques lignes ce parcours illuminé mais désespéré : « Ce décor fut somptueux et funéraire, ainsi qu’il convenait à une telle agonie ; il fut splendide et triste, paradoxal un peu, et entoura de tonalités justes le dernier acte lointain d’une vie vagabonde qui s’en éclaire et s’en commente.../.. Gauguin fut un monstre. C’est-à-dire qu’on ne peut le faire entrer dans aucune des catégories morales, intellectuelles ou sociales, qui suffisent à définir la plupart des individualités.../… Il apparut dans ses dernières années comme un être ambigu et douloureux, plein de cœur et ingrat ; serviable aux faibles, même à leur encontre... »


Les amours versatiles et la débauche ne sont assurément pas à l’honneur de Gauguin, mais elles furent la source d’une inspiration qui se traduisit par une floraison de toiles enchanteresses. Lui-même exprimera cette renaissance artistique avec une béatitude non feinte : « Je m’étais remis au travail et le bonheur habitait dans ma maison : il se levait avec le soleil, radieux comme lui. L’or du visage de Teura inondait de joie et de clarté l’intérieur du logis et le paysage alentour. Et nous étions tous les deux si parfaitement simples ! Qu’il était bon le matin, d’aller ensemble nous rafraîchir dans le ruisseau voisin, comme au paradis allaient sans doute le premier homme et la première femme... »
En plus des soins et de l’attention qu’elle lui prodiguait, Teura initia l’artiste à la symbolique foisonnante du pays et de ses ancêtres, à la mythologie féconde dont il peupla ses tableaux, confondant à plaisir les allégories animistes, mystiques et religieuses.


Une chose est sûre, même s’il ne parvint à retrouver l’état sauvage idéalisé, auquel il aspirait, Gauguin aima sincèrement Teura dans laquelle se confondaient tous les effluves enivrants du paradis perdu qu’il chanta sans vergogne : « dans cette fête tahitienne, aux fumets des mets, aux odeurs des fleurs de l’Île, elle ajoutait, me semblait-il, un parfum plus fort que les autres et qui les résumait tous – Noa Noa ! »

10 mars 2018

Gauguin, ou l'impériosité de l'Art

Quelle mouche a piqué Paul Gauguin (1848-1903), paisible et prospère agent de change parisien, mari comblé et père de cinq enfants, pour tout quitter à l’âge de 34 ans, au profit de la destinée très aléatoire d’artiste-peintre ?

Nul ne peut expliquer cette nécessité subite passant avant toute autre considération. C’est la force étrange de la vocation, qui s’impose à celui sur lequel elle s’exerce. Gauguin est entré en peinture comme d’autres entrent en religion, lorsque la foi les saisit.
Cette rupture ira au delà du métier, de la famille et des conventions. Elle concerne la société, et in fine toute la civilisation sur laquelle elle repose. Dès lors, il ne s’agira plus tant d’une échappatoire que d’un nouvel enfermement, ce sera le drame de Gauguin.

De fait, si sa vie et son art recèlent des trésors incomparables il y a également des lacunes, des faiblesses, des échecs. Parmi ceux-ci, le premier est d’être resté largement incompris de ses contemporains. Car tout comme Van Gogh, Gauguin déroute, voire décourage ceux qui manifestent la volonté de s’intéresser à lui. Plus il se détache de la civilisation, plus elle “s’en va petit à petit de lui”, plus il devient étranger au monde qui l’entoure, lequel le lui rend bien. Entre autres exemples, avant d’embarquer pour Tahiti en 1895, une vente publique de ses œuvres ne voit partir que 9 des 47 tableaux proposés (deux seront achetés par Degas). Même dans son dernier éden polynésien il choqua nombre d’autochtones. Bien qu’il chercha sincèrement à aider les populations locales contre les rigueurs de l’administration métropolitaine, ses mœurs très libres, au relents de rébellion, d’addictions, de débauche, voire de pédophilie, ont laissé une empreinte déplaisante. De fait, il finira sa vie tragiquement seul.

Il y eut une première fuite en Bretagne, terre dont il tomba amoureux car elle lui parut sauvage, à l’image disait-il, de “ce ton sourd, mat et puissant que je cherche en peinture.”
Il y fit preuve d’audace picturale, et à la fois de mysticisme comme le révèle le très fort et symbolique “combat de l’ange”. De l’impressionnisme il passe ainsi au symbolisme puis au synthétisme.

Son périple le fit passer par la Provence où il rencontra de manière orageuse et inaboutie Van Gogh, autre solitaire invétéré. On retient entre autres, l’énigmatique perspective des Alyscamps.


Ce sera ensuite le grand départ vers Tahiti dont il s’était forgé une image ivre de liberté, de bonheur et d'inspiration artistique, un vrai retour aux sources qui conduira son art vers le primitivisme. Des couleurs à la fois tendres et profondes au service d’une vision éthérée de la vie au plus près de la nature. 
Mais malgré ses efforts, Gauguin ne deviendra jamais un polynésien au sens premier du terme, car il y a en définitive beaucoup d’artifices dans les tentatives qu’il fera pour retrouver l’esprit ancestral des tribus locales. Ses sculptures par exemple, sont des curiosités mais elles ne possèdent pas l’âme originelle empreinte de naïveté et de foi. Il n’a en lui ni l’une ni l’autre, même s’il affirme que le ridicule ne peut l’atteindre car il est “à la fois un enfant et un sauvage.”


Tout au plus parviendra-t-il à capter de manière très personnelle l’atmosphère des îles, ce qui n’est déjà pas si mal. Parti d’Europe pour échapper à une société trop technique et trop administrée, qu'il maudissait, et ne faire selon ses propres mots, “que de l’art simple”, il concevra une œuvre extrêmement originale, peut-être justement parce qu’elle n’est pas totalement libérée du génie de la civilisation  occidentale dont ses fibres étaient imprégnées.
En somme, contrairement à une opinion répandue, mais assez galvaudée, Gauguin n’est pas un peintre révolutionnaire. Il paraît excessif de prétendre comme on le fait parfois, qu’il ouvrit la voie à l’expressionnisme, au symbolisme, ou au cubisme. Il reste comme une île dans l’océan pictural.
En dépit de sa contribution au mouvement des peintres de Pont-Aven, il n’a pas vraiment fait école, peut-être parce que tout disciple aurait risqué de tomber dans l’imitation ou la parodie. Il a sans nul doute créé un monde à part, mais il en a tout dit, ne laissant quasi rien à ajouter pour d’éventuels suiveurs...


Y a-t-il d’ailleurs des peintres révolutionnaires ? Si l’on regarde attentivement les plus grands, Rembrandt, Velasquez, Michel-Ange, Vermeer, jusqu’aux impressionnistes, et jusqu’à Gauguin, on s’aperçoit qu’ils s’inscrivent dans une continuité évolutive. Les vrais révolutionnaires sont peut-être ceux qui ont contribué à la déconstruction violente de l’art, sans avoir rien à proposer de réellement nouveau. Après les dynamitages du XXème siècle, l’art moderne semble s’être enlisé dans un magma informe et clinquant, à l’image des inutiles et vaines compressions et autres coulées résineuses de César, ou des babioles superfétatoires et grotesques des Jeff Koons, Damien Hirst, McCarthy, Kapoor, Murakami, Serrano & Co... Aujourd’hui, tout est dans la forme, rien dans le fond. On dirait que les artistes n’ont plus rien à dire.


Ce n’est pas ce qu’on peut reprocher à l’œuvre de Gauguin. Elle nous parle, elle nous interpelle, elle nous interroge à l’instar du titre de sa fresque intitulée “D'où venons nous, qui sommes nous, où allons nous ?”
Il y a des beautés indéniables dans ces panoramas tropicaux alanguis, dans ces odalisques exotiques, ces féeries du bout du monde, inondées de couleurs et nimbées de mystère. Dans ces somptueuses effusions, l’Art se confond plus que jamais avec la Liberté...

09 mars 2018

Fugit Irreparabile Socialismus

Ce matin, on apprenait que M. Le Drian, ci-devant ministre des Affaires Étrangères du gouvernement d’Emmanuel Macron, quittait le Parti Socialiste. Avec sa mine contrite de dépressif incurable, il vient en effet d’annoncer sur la chaîne d’information télévisées CNews, qu’il se retirait du PS, “avec beaucoup d'émotion après 44 ans”, ajoutant que c’était avec “beaucoup de fierté mais aussi avec déception.”
La belle affaire que voilà !

Il est permis de penser qu’il lui a fallu beaucoup de temps pour s’apercevoir que cet engagement ne menait à rien de bon. On pourrait même, en étant un peu plus méchant, souligner qu’il pourrait surtout avoir honte d’être resté accroché avec une telle opiniâtreté à cette idéologie insane qui s’en va en piteux lambeaux.
Le bonhomme a dû avaler beaucoup de couleuvres, dans le sillage des démagogues de tout poil qui lui permirent de faire une carrière quasi muette  mais dorée d’apparatchik zélé. Il se fit le complice de bien des mensonges et de bien des hypocrisies pour faire accroire au bon peuple que le socialisme était un idéal en devenir.

Mais n’allez pas croire qu’il soit touché par le remords d’avoir trempé dans tant de manigances, et contribué à propager tant de tromperies. Ne vous imaginez pas que ses yeux se soient enfin dessillés à force d’avoir été témoin de tant de turpitudes sous les lambris dorés des palais de la République.
Il n’en est rien. M. Le Drian garde à ce qu’il paraît ses chimères de jeunesse et son aveuglement de notable rassis. Simplement il prend acte du fait que les actuels satrapes du parti, ou plutôt de ce qu’il en reste, ne le considèrent plus comme étant des leurs.
Sa décision fait en effet suite à la récente déclaration du “coordinateur national du Parti socialiste”, Rachid Temal, affirmant “qu'il n’y a pas de Socialiste au gouvernement.”

Si M. Le Drian n’est plus socialiste, on ne sait pas trop ce qu’il est, car pour l’heure, il refuse de rejoindre “La République en marche” qui porta M. Macron au pouvoir et qui soutient son action. Il se borne simplement à se réclamer de la “Majorité Présidentielle”. Bel acte de bravoure et surtout signe d’un opportunisme à toute épreuve…
Une fois n'est pas coutume, remercions tout de même au passage M. Hollande pour avoir œuvré avec tant d’efficacité, même si ce fut involontaire, au sabordage de sa propre formation politique.
Un sondage réalisé immédiatement après le débat opposant les 4 candidats au poste de premier secrétaire du PS, révélait que 60% des personnes interrogées n’en avaient trouvé aucun convaincant, et que 77% avaient une très mauvaise opinion du Parti Socialiste.

Si les derniers rats quittent le navire en perdition, que restera-t-il donc à la fin des fins ? Sans doute rien hormis de mauvais souvenirs...