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31 octobre 2011

Ô doux Blues...


Selah Sue
Elle a la voix craquante et pleine de fraîcheur de la jeunesse. Une jeunesse aussi effrontée et impétueuse qu'inspirée. C'est un mélange des plus instables, capable de se révéler effervescent jusqu'à l'extase ou bien explosif et porteur de dévastation. Dans tous les cas ça ne peut pas laisser indifférent.
La diablesse n'est pas sans rappeler la regrettée Amy Winehouse avec sa chevelure cascadant, "moutonnant jusque sur l'encolure", sa voix éraillée, décalée, son chant déstructuré, rattrapant en permanence par de stridentes modulations ses suaves dérives. Mais elle apporte d'emblée, du haut de ses quelques vingt-ans, incontestablement un son nouveau, avec de puissantes et originales sonorités mi-funky, mi-blues, agrémenté d'un zeste de soul, de reggae, voire d'un soupçon de rap. Elle est en équilibre précaire, et les pépites délicates de son lamento aérien virevoltent avec une intense vulnérabilité et une charmante pugnacité sur un torrent de basses qui fait vibrer le sol de son beat térébrant (Raggamuffin, Crazy Vibes). Les arrangements accompagnent en beauté cette envoûtante efflorescence vocale: Tantôt minimalistes (le déchirant Mommy, Explanations, Fyah Fyah), tantôt riches, mâtinés de cuivres, et de cordes, ils s'appuient en presque toute occasion sur de subtils synthés (le surprenant This World qui ouvre en majesté l'album, le ténébreux et luxuriant Black Part Love, ou le splendide et pulpeux Summertime)
En bref, une fille aussi douée, dotée d'autant de personnalité et de talents peut ébranler durablement le microcosme musical contemporain. L'avenir dira si cette éclosion surprenante de promesses mène à autre chose qu'une nuée éphémère de bulles affriolantes Ce ne serait de toute manière déjà pas si mal...

Johnny Winter

 J'avoue que j'avais les pires appréhensions avant d'écouter ce nouvel opus du bon vieil albinos, tant il semblait au bout du rouleau.
Comme par magie, le voilà remis en selle ! Certes, il est solidement et efficacement entouré (Sonny Landreth, Warren Haynes, Derek Trucks, Vince Gill...), mais la "patte" du hâve desperado est bien vivante. On reconnaît sa manière mordante et sacrément prégnante de tourner les riffs et il a encore de la voix. Sur une set-list très roots, ça le fait encore sacrément bien. Il y a du pur jus dans le fameux Dust My Broom d'Elmore James et un pulpeux shuffle dans Further On Up The Road. Et que dire de la rythmique endiablée du Got My Mojo Workin' (avec Franck Latorre à l'harmonica) ou du balancement voluptueux de Last night (avec John Popper cette fois à l'harmonica) ou de Bright Lights, Big City ? Une chose est sûre : l'aspiration aux grands espaces et l'ivresse de la liberté restent la dominante de ces blues superbes et bien calibrés qu'on écoute d'une traite avec délectation.

24 juillet 2011

Une voix perdue


Réédition du billet du 15/02/08


Ange vivant du Jazz, fine fleur du Blues, âme damnée de la Soul, Amy Winehouse est un peu tout cela en même temps.
Faisons le point : elle débarque d'un monde étrange, hallucinée, incertaine comme une comète inattendue, et des vapeurs black and blue flottent autour d'elle comme une aura scintillante.
Quel est ce mystère ? Elle est lumière et pourtant la lumière s'engloutit en elle.
De méchants papillons noirs se collent à sa peau imprimant sur ses bras décharnés, des tatouages bizarres.
Elle promène un peu hâbleuse, une dégaine improbable, à la fois très étudiée et très « laisser faire » : une silhouette efflanquée, presque titubante, enveloppée dans une robe en chiffon d'où sortent deux cannes fuselées, longues comme l'attente des jours heureux.
Ses cheveux sont un torrent dégringolant d'un obscur tumulus, et ses yeux tirés vers ce chignon catastrophique, forment en se prolongeant indéfiniment, des sortes d'hyperboles narquoises, outrancières.
Elle se déhanche sur scène avec une allure étrange, mariant le mauvais goût sublime à une grâce délicieusement obscène.
Mais quand elle se met à chanter, le regard perdu dans le vide, sa voix qui s'élève aiguë et déchirante, chaude comme une braise, agit sur la foule à la manière d'un baume souverain. Back to black. Le charme opère immédiatement, et la mélodie en retombant sur les têtes est comme une pluie brillante dont chacun cherche à s'imprégner goulûment.
Derrière elle, l'orchestre est un velours idéal. Sa rythmique limpide et cuivrée, noyée dans un écrin de couleurs chatoyantes, aplanit toute angoisse et se fond avec le chant pour transformer la souffrance en beauté pure. La réalité s'efface et cette indicible présence devient une évidence obsédante. On ne s'en détache qu'à grand peine.

Pauvre ange, tiendras-tu longtemps en équilibre, ainsi juchée si haut, dans de si périlleuses sphères ? Sauras-tu prolonger ces extases en dominant ton être qui paraît si fragile et instable ?
C'est l'espoir un peu fou qui s'insinue en soi dès que les feux de la rampe s'éteignent et qu'on se retrouve seul et stupide, face à la trivialité du monde...
DVD : Live in London. 2007

25 octobre 2010

John Mayall, un Croisé du Blues

Côtoyant avec une superbe indifférence le tumulte imbécile qui submerge en ce moment notre pays, le légendaire John Mayall termine tranquillement sa tournée française, avant de continuer son marathon d'automne en Hollande, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre et enfin aux USA, où il gagnera fin novembre, le petit paradis d'Hawaï, pour un repos bien mérité.
Par un magnifique hasard j'ai eu la chance de me trouver sur une des étapes de son chemin.
Le bonhomme est superbe. Ses presque 77 ans n'ont pas l'air de peser sur sa longue silhouette efflanquée, toute simple, qui bondit avec légèreté sur ses baskets. L'homme qui autrefois vivait quasi dans les arbres, n'a pas perdu une once de son charme aristocratique un peu déjanté. La longue chevelure est encore solide, bien serrée dans son catogan, et la petite barbiche en feuille d'artichaut qui s'est frotté à tant d'harmonicas, est toujours aussi drue. Certes, le poil a blanchi, mais dans les tripes, c'est manifestement la même ardeur juvénile qu'il y a 45 ans, lorsqu'il fit irruption dans le monde de la Pop britannique, comme un Don Quichotte un peu illuminé. La problématique de la retraite doit lui échapper, le malheureux...
Lorsqu'on arrive un peu en avance pour le concert, il faut le voir à l'entrée tranquillement installé à côté d'une pile de CD qu'il dédicace et vend en toute simplicité aux amateurs ! Pour un peu il contrôlerait aussi les billets...

Depuis les sixties, beaucoup de décibels sont sortis des amplis, et John Mayall s'est imposé comme une sorte de commandeur. Un vrai croisé du Blues comme il aime à se qualifier lui même, avec son groupe inoxydable The Bluesbreakers. On sait quelle magnifique école il fut pour quantité d'artistes. Aujourd'hui encore les musiciens qui l'accompagnent mettent toute la gomme pour jouer une musique pleine de jus, d'énergie et d'émotion. Rocky Athas est à la Gibson. Bien que d'origine texane comme son prédécesseur immédiat Buddy Whittington, son style est très différent. Mais si les riffs sont plus rustiques, ils n'en sont pas moins solides et mordants. A la basse, Greg Rzab balance avec nonchalance de belles et térébrantes vibrations. Enfin Jay Davenport à la batterie assure un canevas rythmique solide à ces succulentes digressions.

Quant à John, il chante bien sûr. La voix de gorge, légèrement aigrelette n'a pas bougé. Elle est tantôt presque gutturale tantôt d'une exquise suavité. Et lorsqu'elle monte dans les aigus, elle sait trouver le chemin des âmes les plus insensibles, en feulant par exemple la complainte indicible de la mort de J.B. Lenoir, un des ses bluesmen chéris.
A l'harmonica bien sûr il reste une référence incontournable, même lorsqu'il se met à improviser avec le minuscule joujou qu'il garde accroché comme un fétiche à son cou. Sans oublier naturellement que l'artiste est un homme orchestre à lui tout seul : claviers, synthé, guitare, rien ne l'arrête, avec une manière unique de faire alterner avec bonheur les sonorités "pure blues", avec celles du jazz, du boogie, du rock...
Ce soir on a eu droit à un sympathique échantillon de sa carrière allant du Parchman Farm de ses débuts, aux compositions très blues-rock de son dernier album Tough. Et entre ces extrêmes, la part belle est faite à Sonny Boy Williamson et à Otis Rush qu'il porte dans son cœur.
Il n'y a rien à faire, cette musique a définitivement marqué l'histoire du blues de son empreinte originale. Du Blues transcendantal en quelque sorte...

18 septembre 2010

Extase et dévastation

Il y a quarante ans s'estompait brutalement le panache aveuglant de Jimi Hendrix (1942-1970). Avec lui, s'évanouissait une bonne partie de la magie des années soixante.
Pour lui rendre une sorte d'hommage, qu'il soit permis d'évoquer une des plus étonnantes prestations scéniques de ce génie turbulent mais si attachant, lors du festival de Monterey en 1967 (immortalisé par la caméra de D. A. Pennebaker).
Avant ce spectacle, Hendrix était quasi inconnu. Après, il était devenu à tout jamais une légende...

Ce soir là, au milieu d'un feu d'artifice dionysiaque, il donna notamment une interprétation inoubliable et définitive du fameux "Like A Rolling Stone" de Bob Dylan.


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Jamais on ne vit pareil moment sacrificiel, fusionnant aussi parfaitement l'incandescence musicale avec le feu de l'enfer, pour finir en une bouleversante apothéose barbare...
Jimi entouré, bardé, nimbé de falbalas, agitait fébrilement son corps nerveux, à la manière d'un serpent captif, cherchant par de furieuses reptations, à retrouver la liberté.
Alentour, la pénombre dévorait des pans entiers de sa silhouette irisée, où le rouge des lumières déteignait comme le sang du Christ. De cette cruelle extase, jaillissait un flot de souffrances passées et d'anciens chagrins, sublimés par la crépitation d'espérances insensées. La guitare en tournoyant, zébrait l'obscurité d'éclairs fulgurants, ponctués par le tonnerre de la batterie et les stridences des cordes suppliciées.
Les profondeurs vertes et bleues de la mer, les infinis scintillements de la voûte céleste ne donnent qu'une faible idée de ces pâmoisons indicibles, où l'âme se débat aux portes d'abimes insondables. 
Dans cette transe illuminée, que baignait un torrent mélodique idéal, se jetaient pêle-mêle et sans retenue, à travers la brume violette*, des avalanches de pierres roulantes**, une aïeule de Bob Dylan, l'ombre de Joe***, les coeurs et les oreilles de la foule subjuguée, les hymnes de pays vainqueurs mais déchirés****, et au dessus de tout, le vent chuchotant comme une caresse, le doux nom de Marie*****...
Jamais, oh non jamais, on ne vit plus splendide et plus terrifiante célébration du Blues...
(*Purple Haze, **Like A Rolling Stone, ***Hey Joe, ****Wild Thing, *****The Wind Cries Mary)
Film disponible en DVD, Jimi Hendrix guitare, Noel Redding basse, Mitch Mitchell batterie)

09 août 2010

Jerry Day


Déjà quinze ans que l'ineffable Jerry Garcia (1942-1995) est parti sur la grande route ! Nombre d'aficionados continueront longtemps à se sentir orphelins de ce bon papa du rock and roll, qui savait si bien "faire des miracles comme on fait des chansons" (pour reprendre une belle expression d'Alain Gerber).
Là bas, en Californie, où avaient blanchi prématurément sa tignasse de hippie et sa barbe de philosophe, certains auraient rampé sur le ventre pour assister à l'une de ses séances de sortilèges. Lui, en dépit d'une tendance à l'embonpoint, n'avait rien d'une star boursouflée. C'était un gars tout ce qu'il y a de simple et d'aimable, un genre de plouc génial, dévoué corps et âme à la musique.
Let It Rock. Grâce à Dieu sans doute, des bandes, semble-t-il récemment exhumées par la famille, redonnent un peu le goût de ces enchantements, par le truchement d'un concert enregistré en 1975. Le père du Grateful Dead, était juste entouré de quelques musiciens avec lesquels il tournait, en marge du vaisseau amiral. On trouve le subtil pianiste Nicky Hopkins trop tôt disparu, et un duo rythmique associant John Kahn à la basse et Ron Tutt à la batterie.
C'est une magnifique occasion de se remettre dans l'oreille les moelleux soli à la guitare du Pape des DeadHeads, et son chant si doucement écorché; cette musique qui sait si bien susciter des rêves de soirées d'été ensoleillées, et envahir l'esprit songeur de douce sensualité, et d'un brin de mélancolie...
On peut dire qu'on en a pour son argent. Pas un morceau de moins de 5 minutes (et encore, c'est un solo de piano), le sommet étant une reprise du grand classique stonien Let's Spend A Night Together qui étire sur plus de 18 minutes ses chaudes et envoûtantes digressions. Parmi les trésors sortis de l'obscurité, on trouve évidemment quelques perles bien rondes et suaves du tandem Garcia/Hunter, tirées du répertoire du Dead (Friend Of The Devil) ou bien de la carrière solo de Jerry (Sugaree, They Love Each Other), mais aussi plein d'autres choses passionnantes (Let It Rock de Chuck Berry, ou le sublime I'll Take A Melody, d'Allen Toussaint...). La prise de son est comme toujours soignée aux petits oignons et donne aujourd'hui encore très un beau résultat (HDCD s'il vous plait). Bref un bijou à posséder quand on est fan, et franchement, comment ne pas l'être ?
Depuis 8 ans, aux USA, on a pris l'habitude de commémorer la date anniversaire de sa naissance, le 1er août, qu'on appelle désormais Jerry Day. Quant au 9, c'est le jour de sa mort...

26 juillet 2010

Le Blues est dans la rue


Samedi, la ville est en fête, c'est jour de braderie. La rue piétonne est encombrée d'éventaires, d'étals, de barnums en tous genres, auxquels sont accrochés fripes, colifichets, et babioles diverses, cherchant à accrocher l'oeil du chaland. Ça sent vaguement le graillon, curieux mélange d'odeur grasse de chair à saucisse grillée, et d'effluves sucrés de brioches. La foule rendue compacte par l'exiguïté occasionnelle de la voie se presse le long de ces stands racoleurs, chargés des invendus de l'année. Les hauts-parleurs accrochés un peu partout déversent une musique d'ambiance à la fois criarde et insipide.
Mais couvrant ce tumulte confus, on peut percevoir au loin une rythmique régulière, qui détone sur le bruit de fond. A mesure qu'on progresse, se dessine une mélodie portée par le chant aigu d'un harmonica. On dirait du blues...
Sur une petite placette est installé un trio de musiciens. L'harmoniciste se déhanche sous l'effet du beat imperturbable et carré du batteur. Le chanteur, assis, aussi chauve que la cantatrice de Ionesco, égrène de solides riffs à la guitare, tandis que de sa voix à la fois claire et rauque, il évacue énergiquement les paroles d'un standard de Slim Harpo : Shake your hips.
Incroyable ! Pour un peu, on se croirait dans  un Juke Joint du Sud des States. Ils ont une pêche, un mordant, une authenticité, à se mordre la joue !
Face à cette rencontre inattendue, je regrette de n'avoir pas pris comme d'habitude mon appareil photo, mais j'ai mes yeux et mes oreilles et je profite de ce petit instant de bonheur. Il n'y a pas à dire, le blues, quand c'est bon, ça tourne avec la gentille et rassurante régularité d'un moulin parfaitement réglé. Ça donne un sentiment indicible de plénitude joyeuse.
A la fin du petit show, je m'approche voyant quelques disques dans des valises au pied de la grosse caisse. L'harmoniciste s'amène lui aussi. Après l'avoir chaudement félicité pour sa prestation endiablée, je discute un moment avec lui. Il est originaire de Quimper ! La formation qu'il anime avec son frère à la guitare (Elmore et Jimmy Jazz !) s'appelle The Honeymen. Ils sillonnent le pays et seront à Cognac le 1er Août.
Résultat je repars avec deux cd aux pochettes ornées d'illustrations délicieusement kitsch, qui sur la platine où je m'empresse de les introduire sitôt revenu chez moi, vont confirmer la qualité du jus qui sort de la musique de ces gars là.
Si vous les voyez sur votre chemin, surtout, arrêtez vous et écoutez. Vous ne le regretterez pas !

14 juin 2010

Un été dans les caves de l'Eden

Ça s'est passé à une époque ou les grosses fortunes et les stars accouraient en France pour échapper aux rigueurs du fisc de leur pays !
Deux effets bénéfiques de ce genre d'exil doré ont été démontrés à l'occasion du débarquement en fanfare des Rolling Stones sur la Côte d'Azur lors de l'été 1971 : de belles rentrées financières pour les commerçants du coin, et surtout, une aventure musicale inouie dans les caves de la villa Nellcôte.
Autrefois propriété paraît-il de la célèbre famille Bordes, qui arma bon nombre des cap-horniers du temps de la marine à voile, ce splendide édifice d'architecture néo-héllénique, qui surplombe la rade de Villefranche est en soi un paradis terrestre. Les bandes enregistrées dans ses entrailles pour l'album Exile on Main Street, qui ressortent en CD après un complet relooking technique, témoignent qu'il s'agit aussi d'une puissante source d'inspiration artistique.
Après la réédition des disques des Beatles, après le revival de Jimi Hendrix, les aficionados des sixties peuvent retrouver dans cette compilation rénovée et enrichie, les mélodies ensorcelantes portées par des riffs mordants, et le parfum vénéneux qui sont la marque du fameux spleen stonien.

Au fond des caves chaudes et humides de la superbe villa patricienne, plongée au coeur de l'été méditerranéen, au sein des fumées délétères et des vapeurs alcooliques, dans une sorte de vertige lascif, s'établit une alchimie improbable mais parfaite entre la plainte suave du blues et les divagations hallucinées du rock'n roll.
Ça démarre en vrombissant sur la basse térébrante de Rocks Off, vite rejointe par la scansion nerveuse de Jagger, sur une rythmique d'enfer et un tonnerre étincelant de cuivres. Tout de suite le trip est engagé, impossible de renverser la vapeur.
On décolle franchement avec Rip That Joint. Crénom, c'est certain, ça ne redescendra plus. Pulsation qui nait de l'échine et parcourt en les déchirant délicieusement, les chairs jusqu'en bas des reins...
Le beat enjôleur de Shake Your Hips, emprunté à Slim Harpo fait se lever les dernières réticences.
Puis c'est dans une pâmoison continue, que s'enchainent une nuée de titres, liés par une force harmonique et une logique apodictiques : Casino Boogie, Tumbling Dice, Sweet Virginia, Loving Cup, Happy, Shine A Light... ça coule de source dans les oreilles éblouies et ça se fait parfois doux comme le miel (Let It Loose, ou le capiteux Following The River, inédit et totalement retravaillé pour la circonstance).
A certains moments, on croirait presque entendre les cigales dans l'arrière plan (Sweet Black Angel) ou le rythme régulier et lent des pales d'un ventilo géant, remuant nonchalamment l'air de ces sessions torrides (ventilator blues). Puis ça repart de plus belle en tournoyant, en éructant, en jappant, en feulant, en criant à perdre haleine.
Indicible distorsion du temps dans ce torrent idéal de musique, montée extatique de pulsions amoureuses, moiteur rubescente des nuits azuréennes, Tout se conjugue pour donner à cet ensemble le goût de plaisirs séraphiques, où l'incandescence du rêve agit comme un baume souverain, qui sublime et prolonge les sensations éphémères tirées du réel...

Illustrations : visions personnelles des nuits de Nellcôte... 

22 octobre 2009

Autumn Blues

L'automne qui dépouille les arbres de leurs doux limbes verts, l'automne qui rouille les feuilles avant de les précipiter dans la fange humide, en chutes erratiques, l'automne qui découvre la dureté ligneuse des troncs comme on le ferait cruellement d'une blessure jamais cicatrisée, l'automne me met au supplice en imprégnant l'air, les jours, et l'existence, de ses miasmes languides. A celui qui ne peut repousser ce déclin navrant, qui ne peut espérer comme les ours pouvoir s'endormir au creux des dernières chaleurs en attendant le retour des beaux jours, ou bien la concrétisation de quelque suave espérance, il reste la consolation du Blues.

Celui de Lester Young (1909-1959) par exemple qui aurait cent ans cette année et qui s'est éteint il y en a tout juste cinquante. Son regard perdu dans l'indicible, son élégante et nonchalante dégaine, et son apparent détachement des choses matérielles continuent d'imprégner l'idée même du jazz. Sa gentille ombre tutélaire nimbe d'un voile discret d'émotion toute musique nourrie de son inextinguible génie. Les disques qui retiennent pour l'éternité les fragiles volutes de son saxophone sont autant de trésors opportuns pour les jours où l'âme se sent affligée. Avec Count Basie, Teddy Wilson, Roy Eldridge, Harry Edison, Oscar Peterson et tant d'autres il sema tant de pépites au long de sa vie chaotique mais illuminée...

Evidemment les plus émouvantes traces sont celles qu'il laissa en chansons avec son délicieux double féminin, celle qu'il surnomma Lady Day tant elle sublima la noirceur et l'obscurité du Monde. Billie Holiday (1915-1959) n'est jamais loin quand on évoque Pres, qui fut son si cher ami, son tendre complice en spleen. Si proches étaient-ils que par un hasard étrange, elle le suivit quasi instantanément sur le chemin de l'éternité, et que leurs souvenirs sont désormais indissociables dans l'esprit de tous ceux qui sont familiers de cet étrange sentiment qu'on appelle le blues. Last Recording enregistré au moment même ou Lester Young disparaissait, reste un des plus poignants témoignages de cette épopée.

Tant que je suis à la nostalgie, s'imposent à moi à l'occasion de l'achat de leurs derniers disques, les noms de deux artistes trop tôt disparus. Dans l'histoire du rock, peu de voix resteront aussi touchantes que celle de Rick Danko (1942-1999), bassiste du groupe The Band, qui accompagna jadis Bob Dylan et continua sous son propre nom une belle carrière ponctuée entre autres par la session légendaire The Last Waltz. Personnage discret, d'une gentillesse proverbiale, Rick fut malgré son grand talent un éternel insatisfait, et pour échapper aux angoisses de l'existence, parsema hélas comme beaucoup d'autres, sa vie d'excès désastreux. Autant dire qu'il se suicida à petit feu. L'album Times like these réalisé en 1999 l'année de sa disparition, est un peu son chant du cygne. Réalisé en collaboration avec de nombreux amis, il contient un lot de ballades attachantes parfois composées par lui-même parfois en association (Tom Pacheco, Bob Dylan, Jerry Garcia...) et toujours interprétées avec de vibrantes intonations, révélatrices d'une grande profondeur d'âme et d'inspiration (Times Like These, Sip The Wine, You Can Go Home...). Remarquablement mis en musique cet opus est empreint d'une chaude nostalgie. Un vrai petit trésor, rare, humble mais à coup sûr durable, comme la voix douce d'un ami qui s'épanche et tente de conjurer les misères de la vie...

Enfin, last but not least, le tout dernier enregistrement de Jeff Healey (1966-2008) : Mess of Blues Aveugle quasi de naissance, la faute à une affreuse tumeur de la rétine, il sublima sa malédiction en devenant guitariste et en mettant au point une technique extrêmement personnelle consistant à coucher l'instrument sur ses genoux comme une lap-steel guitar et à effleurer les cordes du bout de ses doigts. Cela lui permit de s'élever au plus haut de cet art ô combien difficile même pour un individu doté de tous ses sens. Il donna la réplique entre autres à Stevie Ray Vaughan sans avoir rien à lui envier. Hélas malgré une énergie hors du commun et un optimisme à toute épreuve il fut rattrapé par la maladie dans laquelle son existence était décidément tragiquement enfermée. Ce disque émouvant, car réalisé au seuil d'une mort prématurée, donne la mesure de son exceptionnel talent et sa grande sensibilité. Faisant alterner rocks haletants (Mess of Blues, It's only money, Shake, Rattle and Roll), ballades country (The Weight repris du Band, et Like a hurricane de Neil Young) voire cajun (Jambalaya de Hank Williams), et de beaux blues pulpeux (I'm torn down, How blue can you get, Sittin' on the top of the world), il témoigne d'un art parfaitement maitrisé. Il est accompagné par une section rythmique très pêchue et aux claviers, Dave Murphy particulièrement en verve. Un vrai chef d'œuvre de style et d'émotion.

Autumn : A Dirge Percy Bysshe SHELLEY (1792-1822)

The warm sun is falling, the bleak wind is wailing, The bare boughs are sighing, the pale flowers are dying, And the Year On the earth is her death-bed, in a shroud of leaves dead, Is lying. Come, Months, come away, From November to May, In your saddest array; Follow the bier Of the dead cold Year, And like dim shadows watch by her sepulchre.

The chill rain is falling, the nipped worm is crawling, The rivers are swelling, the thunder is knelling For the Year; The blithe swallows are flown, and the lizards each gone To his dwelling. Come, Months, come away; Put on white, black and gray; Let your light sisters play-- Ye, follow the bier Of the dead cold Year, And make her grave green with tear on tear.

31 juillet 2009

Blues d'été


A emporter en vacances quand on aime le blues et les sonorités pas trop formatées, stéréotypées, calibrées...
Tout d'abord le nouvel opus de Madeleine Peyroux , Bare Bones : Du jazz qui déploie sa douce musique à la manière de la caresse languide et chaude du soleil à travers les persiennes au coeur de l'été... C'est tamisé, distillé, retenu mais ça irradie le bonheur discret d'exister, lorsque les soucis sont comme par magie évaporés. Madeleine Peyroux joue avec volupté des subtiles intonations de sa voix ensorcelante. Elle se promène sur les délicieuses mélodies et un quatuor idéal l'accompagne dans cette infinitésimale odyssée. On retrouve notamment Vinnie Colaiuta qui du bout de ses balais effleure le rythme avec sensualité. De leur côté Jim Beard au piano et Dean Parks à la guitare libèrent avec tendresse tout le jus de leur instrument. O temps suspends ton vol...

Ensuite l'éternel compagnon des âmes errantes, Bob Dylan qui invite toujours au voyage, Together Through Life. C'est un vrai bonheur de constater qu'avec l'âge, il ne perd manifestement pas sa verve créatrice. Elle prend au contraire une saveur de plus en plus troublante et attachante. Comme celle d'alcools délicatement imprégnés des parfums du chêne dans lequel ils vieillissent, et qui grâce à une mystérieuse alchimie révèlent une infinité d'arômes subtils. Ce nouvel album est assurément de la même veine que ceux qui le précèdent. Comme le magnifique Modern Times il cache ses trésors derrière une modeste pochette illustrée d'une très suggestive photo noir et blanc. Cette fois-ci un bref moment de tendresse au fond d'une auto filant sur le bitume, capturé par Bruce Davidson, donne l'atmosphère.



La musique quant à elle, s'inscrit dans cet univers fugace du temps qui passe, avec une indicible prégnance. Comme souvent avec Dylan, elle n'a l'air de rien au premier abord, mais elle imprime profondément son sillon. Sur des rythmiques tendues ou chaloupées, admirablement servies par des musiciens épatants, le chanteur pose tranquillement sa poésie si particulière, en jouant à merveille de sa voix enjôleuse, à la fois nasale et pointue, écorchée mais un peu grasseyante, trainante, lointaine et si proche...
Les chansons sont toutes simples. Elles tiennent parfois du blues (life is hard, my wife's home town) mais aussi plus souvent de la ballade amoureuse (Beyond here lies nothin, Jolene, the dream of you). On y trouve aussi des réminiscences de rêves passés : I feel a change comin' on... L'ambiance est un rien feutrée, avec ce qu'il faut d'acidité. Quelques beaux riffs de guitare électrique, une pincée de douceur apportée par la pedal steel, les volutes ensorcelantes du banjo, de la mandoline et surtout d'un accordéon qui rappelle parfois les bonnes vieilles sonorités du Band...
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Un rescapé des sixties ensuite, qui semble renaître de ses cendres depuis quelque temps, Jeff Beck. L'homme n'a jamais été attiré par les feux de la rampe, mais il a fait une exception il y a quelques mois, pour une parenthèse enchantée dans un petit club londonien le Ronnie Scott's.
Guitariste éphémère des Yardbirds pendant les sixties, c'est un artiste plus que discret. Les aficionados de Brit Blues et de Jazz Rock connaissent son nom mais sont sans doute peu nombreux à mesurer vraiment ce dont il est capable. Avec cette prestation extatique, il faut espérer qu'il gagne enfin la place qui lui revient de toute évidence au panthéon des rock stars : celle d'un géant !
C'est tout simplement une révélation. Ce qu'il fait sur scène est diablement sioux. Pas à cause du collier plus ou moins indien qu'il arbore modestement, mais parce qu'il fait preuve d'un toucher de guitare absolument unique, quasi indicible. Il n'a pas son pareil en effet pour pincer, tirer, marteler, pousser, griffer, effleurer les cordes afin d'en extraire un jus incroyable. Tantôt ce sont des stridulations qui vrillent l'air comme les fusées d'un festival pyrotechnique, tantôt c'est une plainte qui meurt en feulant sous la caresse du bottleneck. Et tout ça totalement maitrisé, pétri avec amour par des doigts nerveux et agiles qui n'ont que faire d'un médiator mais semblent faire corps avec le bras du vibrato.
Dans le cadre de ce fameux petit club de jazz de Londres, quoi de plus naturel à entendre que du jazz ? Mâtiné de blues, de rock et de rythmes funky c'est bien du jazz en quelque sorte qu'on entend. Jazz rock avant tout, sous tendu par les arpèges d'une jeune bassiste prodige Tal Wilkenfeld. Elle a la pêche de Jaco Pastorius ou de Stanley Clarke, avec en plus un air malicieux de ne pas y toucher, qui fait manifestement l'admiration attendrie de son mentor. A la batterie Vinnie Colaiuta assure le tempo comme une horloge suisse, tandis que Jason Rebello tient sans faiblir les claviers comme un chef ses fourneaux.

Comme Jeff ne chante pas, les mauvaise langues pourraient dire qu'il ne lui manque que la parole... C'est vrai mais à la place, il a l'heureuse idée de donner la vedette à des artistes bourrées de charme et de talent : Joss Stone, et Imogen Heap. La première revisite de manière très convaincante un titre de Curtis Mayfield (People get ready), et la seconde sur une composition personnelle, se lance avec Jeff à la strat, dans un duo irradiant qui est un des sommets du concert (Blanket), puis donne une version décapante du fameux Rollin' and Tumblin'. Sans oublier Eric Clapton en personne qui vient faire le boeuf sur deux blues bien juteux à la fin du concert.
En, prime on a même droit en intersession, à une savoureuse séquence typiquement rockabilly avec les Big Town Playboys.
Au total, ce DVD/Blu ray est un enchantement. Signalons enfin qu'il est remarquablement filmé et doté d'une prise de son impeccable, chaude, précise, détaillée. Bref, une belle euphorie...

26 mars 2009

L'Esprit du Blues










Au cœur de la nuit bleue monte l'esprit du Blues
Comme une longue plainte à la puissance douze.
Plainte mélancolique avançant d'un pas lourd
Elle écorche en douceur le silence alentour.
Sa stridence cuisante avive les blessures,
Mais le feu jaillissant de ces pures morsures
Emplit l'âme ébahie d'une onde ivre d'amour
Qui s'imprègne du noir pour monter vers le jour...
Mimant d'un vieux Delta le cours des eaux trainantes
Elle descend amère au bord de tristes pentes
Et sa chanson suave engloutit dans son flux,
Des diables ténébreux gavés d'espoirs déçus.
Mais en elle le spleen se mélange à la joie,
Jamais elle ne trahit celui qu'elle côtoie.
Sa caresse brûlante en traversant le corps
Fait monter le chagrin tout en rendant plus fort.

Les malheurs de la vie, l'échec, l'humeur jalouse
Ou bien les trahisons d'une infidèle épouse
Toutes ces vilénies, ce cafard, ce remords
Sont peu de chose en somme en face de la mort.
Et lorsque fatigué de penser au tragique
L'esprit se livre entier à cette âpre musique
Il comprend par magie son sens en un éclair
Et pour lui dans la nuit, tout enfin devient clair.

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Hommage à l'esprit vivace du Blues, deux disques récents :


The Mannish Boys, Lowdown Feelin' superbe compilation de standards peu connus mais interprétés par une joyeuse bande, sous la houlette inspirée de Randy Chortkoff qui ne contribue pas peu au chant et à l'harmonica (une très belle et puissante composition à son actif Rude Groove). Tout ce petit monde est absolument excellent et produit un Blues aux intonations incroyablement authentiques, variées et savoureuses : du vrai Delta Groove comme dit la pochette. Au chant on retient Bobby Jones, Finis Tasby et Johnny Dyer. A la guitare le remarquable Kid Ramos. Parmi les invités Little Sammy Davis notamment dans une ballade très émouvante : When I leave. Une fontaine de Jouvence pour surmonter la morosité ambiante.

Alain Bashung : Bleu Pétrole. Après que soient envolées les dernières fleurs tombées par milliers sur l'artiste au moment où un destin cruel l'arrachait à la vie, reste pour l'éternité ce superbe album. On y compte bon nombre de compositions originales envoûtantes auxquelles la patte de Gaétan Roussel n'est pas pour rien (Je t'ai manqué, Résidents de la République, Hier à Sousse, Sur un trapèze). Elles sont magnifiées par la voix de stentor, plus belle et profonde que jamais, du desperado chanteur un peu ténébreux, et pour parfaire l'ouvrage par des arrangements musicaux touchant au sublime, à la fois puissants et intimes (dans le poignant Tant de nuits, par exemple). L'hommage à Gérard Manset est également de toute beauté (comme un lego, Il voyage en solitaire), ainsi que celui à Léonard Cohen (Suzanne). La maladie était hélas déjà dans sa chair mais Alain Bashung lui donne une vraie gifle avec cet enregistrement parfait qui lui procure une stature de commandeur bien méritée.

10 février 2009

The Paul Butterfield Era


Comment ai-je pu passer si longtemps à côté du Paul Butterfield Blues Band ? C'est une question que je me pose tout à coup en écoutant un disque déniché au petit bonheur : The Elektra Years.

Une vraie claque tellement ce blues urbain me va droit au coeur et avec lui tout le parfum capiteux des années soixante. Un genre de Chicago Blues mâtiné d'accents rock et d'une lampée de langueur hippie. Où des petits blancs rêveurs s'emparent indécemment du beat souverain des cueilleurs de coton, et lui donnent des prolongements inattendus en extrayant de son jus, d'acides saveurs électriques. Des complaintes poignantes noyées dans les riffs stridulants des guitares, mais adoucies par le baume ensorcelant de l'harmonica. Un bonheur indicible. Walkin' by myself...

Une sorte de modernité teintée de solitude erratique, dans un monde à peine sorti des affres des grandes guerres et saisi du vertige enivrant mais un peu vain du progrès technique. De nouveaux Musset en proie à un nouveau mal du siècle en quelques sorte; le pendant musical des pérégrinations éblouies et un peu désespérées des Beatniks.


Hélas, ce désordre de l'âme a été payé très cher. Combien de ces bluesmen échevelés furent emportés au cours de leur quête trompeuse des paradis artificiels ? Après une carrière météorique, Paul Butterfield est mort d'overdose en pleine décrépitude à 45 ans en 1987, Mike Bloomfield en 81 avant même la quarantaine... Reste encore le bon vieux Elvin Bishop qui perpétue ces instants magiques.

Rêvons encore un peu, c'est si bon.

14 janvier 2009

Blue Angel

Dans la morosité d'une époque blasée, épuisée de confort matériel et jamais contente, il y a encore des petits gars qui se démènent et qui croient qu'on peut atteindre l'extase à force d'effort et de foi. John Mayer est de ceux là. Quand sa bouche tordue par un rictus pathétique mâche le blues (my stupid mouth...), et que ses doigts extirpent de la guitare avec une intense gravité (gravity...) des bends déchirants, le public se sent manifestement parcouru de bonnes vibrations. Et lorsque son regard d'ange languissant s'envole vers les hautes sphères, c'est comme si la foule était sous le charme d'une indicible incantation (belief).

Ce jeune homme, à peine trentenaire a déjà une respectable carrière derrière lui. Trois magnifiques albums en studio et une belle palette de sonorités. Se réclamant par sa musique, d'augustes défunts tels Stevie Ray Vaughan et Jimi Hendrix, mais fils spirituel du bien vivant Eric Clapton, il tient assurément des trois.

Très à l'aise en solo avec une simple guitare acoustique, il s'épanouit avec la même apparente et indécente facilité en trio, ou bien encore au sein de jams plus étoffées. Compositeur original il est l'auteur de quelques chansons empreintes d'une touche personnelle très émouvante. Il paraît totalement sincère et d'un naturel confondant, bien en phase avec l'idéal rustique et illuminé du Blues. Si simple et candide est-il sans doute, qu'il a cru bon de se faire tatouer pour se donner une allure, de grosses inscriptions poissardes sur les bras...

Mais la musique est son milieu naturel. Il s'y pâme avec délectation. Il sait merveilleusement jouer de sa voix suave, un rien éraillée, pour faire naître l'émotion, et son toucher de corde est quasi divin. Chaque note, attaquée avec une tranquille certitude, laisse dans l'oreille de subtiles rémanences qui s'évanouissent lentement à la manière d'un délicieux goût de reviens-y...

John Mayer en CD : Room for squares (2001), Heavier Things (2003), Continuum (2008) et un superbe DVD/BluRay enregistré fin 2007 à Los Angeles : Where The Light is.

02 octobre 2008

When you got a good friend


Ce joli titre d'une chanson de Robert Johnson (1911-1938), donne à merveille à mon sens, la mesure de ce que représente dans le coeur de beaucoup d'amoureux du Blues, un musicien hors norme, d'une sensibilité exceptionnelle : Peter Green.

Natif de Londres, en 1946 pour être précis, il pinça ses premières cordes auprès de John Mayall, notamment au sein de son mythique groupe The Bluesbreakers. Sorti brillamment de cette excellente école, il fut le guitariste fondateur et compositeur de Fleetwood Mac à la fin des années soixante. On lui doit notamment les superbes Albatross et Black Magic Woman.
Mais, anti-star caractérisée, il ne supporta pas le succès fulgurant du groupe et sombra dans une sorte de terrible dépression arrosée de quantité de substances toxiques. Cette affreuse descente aux enfers le maintint hors des sunlights pendant de longues années. Alors qu'il errait dans un état second, Il fut en quelque sorte repêché par une bande de copains, musiciens chevronnés et amateurs invétérés de Blues. Bien décidés à le remettre en selle, ils formèrent autour de lui en 1996 le Splinter Group. Le résultat fut d'emblée éblouissant, donnant naissance à de merveilleux enregistrements, une ribambelle de nouvelles compositions, et une nouvelle vie sur la route des salles de concerts à travers le monde.


Peter Green est un remarquable représentant du blues anglais, courant très original, illustré par une pléiade de grands noms (qui outre Mayall, compte Mick Taylor, Eric Clapton, Alvin Lee, Jeff Beck et dans une certaine mesure Rory Gallagher, Gary Moore, Jimmy Page...) Comme beaucoup de ses compatriotes, il fut toutefois saisi par le charme ensorcelé des chansons de Robert Johnson.
Grâce à son jeu fluide, un peu décalé, superbement mélodique, et à la douceur nostalgique de sa voix écorchée, il parvient à donner une intonation sublime à cette musique au charme rustique mais à l'inspiration céleste.

L'histoire de cet artiste à nul autre pareil, est donc celle d'une chaude amitié. Celle avant tout qui le lie à travers l'éternité au grand pionnier du Delta, et lui fit consacrer un vibrant hommage en 1998 sous forme d'un CD avec le Splinter Group : The Robert Johnson Songbook, et un autre deux ans plus tard : Hot Foot Powder.
Bien sûr Peter Green revient de loin. Il est marqué, et sa voix est parfois un brin chevrotante. Mais ça fait vraiment chaud au coeur de voir sa bonne bouille ronde s'illuminer de joie lorsqu'il joue avec ses amis (dans un superbe DVD tiré de sa tournée 2003). En acoustique aussi bien qu'en électrique, on est littéralement sous le charme. Ses interventions à la guitare gardent un feeling incomparable et lorsqu'il chante on est envahi par l'émotion, malgré ou peut-être à cause du timbre usé de sa voix et de sa diction hésitante. De toute manière, Nigel Watson, qui lui prodigue manifestement une affection gigantesque, se révèle à ses côtés, un guitariste hors pair doublé d'un chanteur exceptionnel. Enfin Roger Cotton au piano et la section rythmique parfaitement réglée (Neil Murray, basse, Larry Tolfree batterie), complètent admirablement cet ensemble très homogène.

De vrais petits bijoux, à posséder si l'on est amateur de travail bien fait et d'émotion. Et qui donnent un deuxième sens à l'amitié : celui du lien mystérieux entre cet archange du blues et tous ceux qui éprouvent parfois la dureté de la vie et qui trouvent auprès de lui une intense et chaude consolation...

When you got a good friend, that will stay right by your side
When you got a good friend, that will stay right by your side

Give her all of your spare time, love and treat her right


I mistreated my baby, but I can’t see no reason why
I mistreated my baby, but I can’t see no reason why
Anytime I think about it, I just wring my hands and cry

Wonder, could I bear apologize, or would she sympathize with me
Mmm, or would she sympathize with me
She's a brownskin woman, just as sweet as a girlfriend can be

Mmm, baby I may be right or wrong
Tell me your feeling, I may be right or wrong
Watch your close friend, baby, then you enemies can't do you no harm

When you got a good friend that will stay right by your side
When you got a good friend that will stay right by your side
Give her all of your spare time, love and treat her right.....

17 juin 2008

De l'enfer au paradis avec le Blues

Dans deux mois cela fera vingt ans que Roy Buchanan aura quitté ce monde. Aujourd'hui un DVD ressuscite quelques instants de sa vie, filmés le 15 novembre 1976 au cours d'un concert à Austin, Texas. Occasion quasi unique de s'imprégner de la musique de cet extra-terrestre de la guitare de blues.

Avec son air d'aimable plouc rêveur, il n'avait pas son pareil pour se délester sans en avoir l'air, d'incroyables lignes mélodiques, mélange de bends montant jusqu'au ciel comme des gémissements idéals, et d'harmoniques stridulantes déchirant avec délectation les tripes, le tout dans un style aérien, foisonnant de frénétiques "chicken pickin" .
Dans sa fabuleuse reprise de Hey Joe, même après avoir entendu Jimi Hendrix, on ne peut qu'être subjugué par les sublimes envolées suraiguës, ponctuées de brutales descentes en vibrato, au sein desquelles il place quelques mots à peine chuchotés, sortis en ruminant de sa barbe nonchalante.

Hélas, il ne resta pas longtemps au meilleur de sa forme. L'alcool, les frustrations, la pression médiatique et commerciale instillèrent progressivement en lui un poison mortel, qui l'usa prématurément.
Il galvauda souvent son talent, erra dans d'obscures et sordides impasses, ternissant parfois même sa nature de gentil garçon.
Au cours d'une soirée trop arrosée, un peu trop d'excitation, et il finit au poste de police, en cellule de dégrisement. C'est là que le 14 août 1988, à l'issue d'un raptus inopiné, profitant d'un moment d'inattention de ses geôliers, il se pendit avec sa chemise... Il avait à peine 49 ans.

A porter à son crédit, il reste quelques bribes du Paradis qu'il crut peut-être entrevoir par instants.
Avec ces images ressurgies du passé, on pourrait presque les palper au bout de ses doigts, le long des cordes torturées de sa guitare : Roy's Bluz, Sweet Dreams, The Messiah...

28 mai 2008

Smooth Operator

De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare... Et dans le silence de la nuit profonde, les notes s'égrènent en chantant avec une douceur veloutée.
Comme une neige imperceptiblement parfumée, tombant moelleusement sur les grands arbres de Central Park, comme le bruit chuinté de patineurs qui s'élancent sur la glace en cabrioles joyeuses...
Mais dans la nuit, le jazz qui enrobe en réchauffant les âmes esseulées, s'évapore trop vite, avec les volutes suaves des fumées de cigarettes.
Maudite fumée qui sans doute causa la mort du musicien, foudroyé par une crise cardiaque à 45 ans.
Sa vie s'apparente à une trajectoire éphémère mais étincelante, qui cache dans sa clarté un nombre infini d'heures de travail, une énergie incroyable, pour donner le meilleur de lui-même, pour parvenir à capter et domestiquer cette grâce fragile et, last but not least, pour donner à sa famille un statut enviable...
Wes Montgomery (1923-1968) fut un autodidacte de génie, enragé de musique, qui transforma la médiocre banalité du destin auquel il paraissait condamné, en un parcours illuminé. Pendant des années, pour devenir un nouveau Charlie Christian, et surtout pour faire vivre sa femme et ses huit enfants, il cumula travail à l'usine 8 heures par jour, entrainement infatigable sur les cordes, et en plus, les prestations musicales, excitantes mais harassantes, en clubs et cabarets, de la soirée jusqu'à l'aube.

Il occupe toutefois une place de choix dans la nébuleuse noire et bleue du swing.
Inventeur paraît-il du Smooth Jazz, on retient avant tout son jeu inimitable au pouce, faisant voltiger avec une ineffable légèreté, les octaves et les accords feutrés, qui forment comme le contrepied sublime des épreuves de la vie, endurées avec une admirable et secrète détermination. Et toujours
, comme le fait remarquer Pat Metheny, admirateur inconditionnel, avec un sourire empli de gentillesse et de mansuétude...
Captées au cours de l'année 1965, dans l'intimité de répétitions en Hollande, et au cours de deux concerts magiques en Belgique et en Angleterre, ces images sont un vrai régal. S'il ne faut pas attendre ici, une qualité optimale d'enregistrement, l'ensemble est néanmoins très correct, bien restitué à partir de films d'époque.
On bénit les gens qui eurent l'idée géniale d'immortaliser ces instants précieux. Le guitariste, qui reste pour nombre d'amateurs comme l'un des plus fins et distingués de l'histoire du jazz, est au mieux de sa forme, très détendu. Avec des musiciens de rencontre qui l'accompagnent parfaitement, il se déleste de quelques bijoux magnifiques, indémodables, extraits d'un filon idéal : a love affair, twisted blues, full house, west coast blues. A ne manquer sous aucun prétexte.

Attention, d'autres productions semble-t-il de la même veine sont déjà disponibles dans cette collection bien nommée, Jazz Icons (chez Naxos ): Chet Baker, Louis Armstrong, John Coltrane, Count Basie, Duke Ellington, Dave Brubeck... Une avalanche black and white qui risque de faire beaucoup de bien !

28 avril 2008

Let There Be Blues

Moisson de blues pour se donner un peu de vigueur en ce printemps maussade. Du pur jus du Sud tout d'abord avec Smokin' Joe Kubek et Bnois King. A première vue on pourrait se demander ce qui peut bien faire point commun entre ce gros jojo tatoué, à casquette et barbichette blanches et ce petit piaf noir, chapeau et veste de cuir. Eh bien le Texas Blues bien sûr ! Et pas des moindres.
Dès les premiers accords de guitare on est dans le bain. Impossible de résister aux moelleuses cadences qui démarrent au quart de tour, acidulées juste ce qu'il faut par les riffs étincelants de Joe et le chant chaud et stridulant de Bnois. Pas de doute, ces deux là sont nés sous la même étoile.

La ligne rythmique est impeccable, soutenue par Paul Jenkins à la basse et Ralph Powers à la batterie, la prise de son quasi parfaite, et l'ambiance détendue en ce 31 décembre 2005, dans un petit club où le public s'enivre de cette musique en dansant, c'est le bonheur... Le titre ne ment pas : my heart's in Texas ! A ne pas louper enfin sur le DVD, en bonus, un excellent morceau en pur « acoustique » : tired of cryin' over you.


Même ambiance chaude et simple dans un club de Chicago en juillet 2005 cette fois, le Rosa's lounge, pour servir de toile de fond aux prouesses de Pierre Lacocque entouré de sa formation très « roots » dénommée Mississipi Heat avec la chanteuse Inetta Visor. Curieux itinéraire que celui de cet harmoniciste, né en Belgique, passé par Israël, la France et l'Allemagne et finalement converti à l'âge de 17 ans et des poussières, au Chicago Blues, et marchant depuis résolument sur les pas de Sonny Boy Williamson. Le moins qu'on puisse dire est qu'il en a parfaitement assimilé l'esprit. Bel exemple des bienfaits du melting pot. Et en l'occurrence belle prestation, magnifiée par la présence de l'excellent guitariste Lurrie Bell.

Le même Lurrie qu'on retrouve en 2006 toujours chez Rosa, à l'occasion de joutes musicales réunissant plus qu'opposant les Bell père et fils. Le premier, Carey, à peine remis d'une fracture du col du fémur, semble porter sur ses épaules quelque peu décaties toute l'histoire du blues, des ténèbres jusqu'à la lumière. Son visage émacié, édenté, meurtri par les années est illuminé par la douce et humble lumière de son regard un peu voilé. Quand il chante et joue de l'harmonica, c'est toute son âme qu'il met à nu. Quant au fiston Lurrie, qui lui donne la réplique à la guitare et au chant, il prend son rôle d'héritier très à coeur. L'ensemble est d'une rusticité de bonne aloi, chaleureuse et authentique.
Le même DVD permet de retrouver les mêmes musiciens, toujours empreints de la même verve et de la même spontanéité, dans le cadre du Buddy Guy's Legends (mention spéciale pour le pianiste très "boogie" Roosevelt Purifoy), et pour finir deux ou trois chansons chantées en duo, dans la maison familiale, devant les enfants mi étonnés, mi émerveillés. Let there be blues, vous dis-je...