14 juin 2010

Un été dans les caves de l'Eden

Ça s'est passé à une époque ou les grosses fortunes et les stars accouraient en France pour échapper aux rigueurs du fisc de leur pays !
Deux effets bénéfiques de ce genre d'exil doré ont été démontrés à l'occasion du débarquement en fanfare des Rolling Stones sur la Côte d'Azur lors de l'été 1971 : de belles rentrées financières pour les commerçants du coin, et surtout, une aventure musicale inouie dans les caves de la villa Nellcôte.
Autrefois propriété paraît-il de la célèbre famille Bordes, qui arma bon nombre des cap-horniers du temps de la marine à voile, ce splendide édifice d'architecture néo-héllénique, qui surplombe la rade de Villefranche est en soi un paradis terrestre. Les bandes enregistrées dans ses entrailles pour l'album Exile on Main Street, qui ressortent en CD après un complet relooking technique, témoignent qu'il s'agit aussi d'une puissante source d'inspiration artistique.
Après la réédition des disques des Beatles, après le revival de Jimi Hendrix, les aficionados des sixties peuvent retrouver dans cette compilation rénovée et enrichie, les mélodies ensorcelantes portées par des riffs mordants, et le parfum vénéneux qui sont la marque du fameux spleen stonien.

Au fond des caves chaudes et humides de la superbe villa patricienne, plongée au coeur de l'été méditerranéen, au sein des fumées délétères et des vapeurs alcooliques, dans une sorte de vertige lascif, s'établit une alchimie improbable mais parfaite entre la plainte suave du blues et les divagations hallucinées du rock'n roll.
Ça démarre en vrombissant sur la basse térébrante de Rocks Off, vite rejointe par la scansion nerveuse de Jagger, sur une rythmique d'enfer et un tonnerre étincelant de cuivres. Tout de suite le trip est engagé, impossible de renverser la vapeur.
On décolle franchement avec Rip That Joint. Crénom, c'est certain, ça ne redescendra plus. Pulsation qui nait de l'échine et parcourt en les déchirant délicieusement, les chairs jusqu'en bas des reins...
Le beat enjôleur de Shake Your Hips, emprunté à Slim Harpo fait se lever les dernières réticences.
Puis c'est dans une pâmoison continue, que s'enchainent une nuée de titres, liés par une force harmonique et une logique apodictiques : Casino Boogie, Tumbling Dice, Sweet Virginia, Loving Cup, Happy, Shine A Light... ça coule de source dans les oreilles éblouies et ça se fait parfois doux comme le miel (Let It Loose, ou le capiteux Following The River, inédit et totalement retravaillé pour la circonstance).
A certains moments, on croirait presque entendre les cigales dans l'arrière plan (Sweet Black Angel) ou le rythme régulier et lent des pales d'un ventilo géant, remuant nonchalamment l'air de ces sessions torrides (ventilator blues). Puis ça repart de plus belle en tournoyant, en éructant, en jappant, en feulant, en criant à perdre haleine.
Indicible distorsion du temps dans ce torrent idéal de musique, montée extatique de pulsions amoureuses, moiteur rubescente des nuits azuréennes, Tout se conjugue pour donner à cet ensemble le goût de plaisirs séraphiques, où l'incandescence du rêve agit comme un baume souverain, qui sublime et prolonge les sensations éphémères tirées du réel...

Illustrations : visions personnelles des nuits de Nellcôte... 

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