Les
lecteurs de ce blog connaissent mon aversion pour le socialisme, et
d'une manière générale, pour l'idéologie dite « de
gauche ». C'est bien simple, à mes yeux, il s'agit au plan
conceptuel, de la plus grande supercherie de tous les temps, et au
plan pratique de la pire calamité dont les hommes aient eu à
souffrir ! Rien moins...
Cela
ne m'empêche pas d'avoir une certaine fascination pour les gens qui
en défendent les thèses. Sans doute un peu par esprit de
contradiction. Il est tellement stimulant de débattre avec des
personnes d'avis contraire au sien...
Sans
doute également par souci de roder ma conception du monde à
l'épreuve de leurs théories. Sans doute enfin, parce que voir des
gens que j'estime, et dont je suis certain de la probité,
s'enferrer, par pur principe, dans cette voie si étroitement
délimitée, relève pour moi d'un grand mystère.
« Je
suis de gauche, c'est dans mes fibres » me rétorque-t-on
souvent lorsque j'exprime mon incompréhension angoissée... Je ne parviens à me
satisfaire de cette réponse. C'est une vraie souffrance et une
source continue de désarroi. Comment peut-on accepter en toute
conscience, de mettre ainsi en berne sa liberté, et s'assujettir à
ce point à une idéologie ? N'y a-t-il donc rien à faire pour
faire sortir ces gens de ce tunnel intellectuel, pour détourner
leurs yeux de cet horizon irréfragable ?
Mais après
tout, peut-être me trompé-je moi aussi, qui juge tout à l'aune du
principe de liberté. Cet état d'esprit n'est-il pas paradoxalement, assimilable à un
enfermement comparable ? M'empêche-t-il de voir certaines
réalités ?
« Ne
recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse
évidemment être telle »
professait Descartes...
En
lisant récemment une interview donnée par Jean-Claude Michéa
sur le très intéressant site pédagogique Bios
Politikos, puis en écoutant récemment sur
France Culture (6/3/13), le philosophe, réputé incarner
« une autre gauche », j'avoue avoir été un peu
émoustillé... et une fois encore plutôt déçu.
Il
est difficile au demeurant, de mettre en cause l'honnêteté
intellectuelle de Jean-Claude Michéa, dont l'humilité est la marque
des vrais philosophes. Au surplus, enseigner la philosophie pour des
étudiants qui seront tout sauf des philosophes, voilà un challenge
plus que méritant !
Mais
certains de ses propos peuvent toutefois susciter la controverse, car
ils font du libéralisme et du capitalisme une critique quelque peu
biaisée... Au surplus, ils témoignent, quoiqu'il s'en défende,
d'une vision socialiste pas vraiment émancipée du dogme.
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Passons
sur le dilemme classique proposant de « vivre ma liberté sans
nuire à autrui » que M. Michéa illustre en évoquant
l'opposition frontale entre les conceptions de Lady Gaga et celles
des Musulmans indonésiens sur le mariage gay. La première, étant évidemment frénétiquement « pour », les seconds,
fanatiquement « contre ». Il aurait pu trouver plus
pertinent car ici se font face, d'un côté l'inconsistance versatile
et niaise du showbiz, et de l'autre l'intolérance religieuse, tout
ça pour juger d'un texte où l'on cherche à déconstruire par la
loi ce que la loi avait érigé en repère social, et ce, par pur
dévoiement « progressiste » pseudo « égalitariste ».
Ubu serait ravi...
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Plus
sérieusement, on peut reprocher à M. Michéa une certaine
propension à assimiler le libéralisme au capitalisme marchand, tel
que les marxistes l'entendaient. Cela lui fait dire des
contre-vérités flagrantes, où malheureusement, l'idéologie
affleure, bien davantage que le bon sens.
Un
libéral peut s'interroger lorsqu'il lit par exemple, que « le
défaut du libéralisme, est cette volonté de privatiser les valeurs
morales et la philosophie comme on privatise l’eau, l’électricité
ou l’école » ? Ne serait-ce pas a contrario son mérite,
que de s'opposer au socialisme qui prétend lui, les régenter de
manière étatisée, collective, irresponsable ?
Plus
grave, lorsque M. Michéa affirme qu'il va falloir « choisir
entre le marché ou le peuple », ou lorsqu'il s'écrie « qu'il
est clair que le développement du libéralisme rend de moins en
moins acceptable pour les élites l’intervention du peuple »,
il fait tout simplement fausse route.
La
pluie de bienfaits du capitalisme a tellement bénéficié au peuple,
qu'on pourrait désormais affirmer que les deux ont partie liée, en
dépit de ce qu'on cherche à faire croire, et qu'il n'y a pas de
marché sans peuple et réciproquement...
Aussi,
considérer la croissance comme un « simple accroissement de
capital », comme il le fait régulièrement, apparaît un
tantinet réducteur. A l'évidence, c'est de richesses qu'il s'agit
avant tout. Et en régime capitaliste, lorsque les richesses
s'accroissent, tout le monde en profite, même si certains plus que
d'autres. Dans cette optique, l'endettement, qu'il a tendance a
fustiger, n'est donc pas tant « un moteur » pour la spéculation, qu'un outil.
Il permet sans être immensément riche, d'acquérir des biens, avant
d'en avoir les moyens, ce qui ne saurait a priori déplaire à un
vrai ami du peuple. Chacun ou presque, a pu en faire l'expérience au
moins une fois dans sa vie. Il s'agit d'une chance, à n'en pas
douter, sous réserve de ne pas en abuser bien sûr...
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Souvent
évoquée par les médias, et à ranger dans les lubies de la théorie
du complot, « l'obsolescence programmée » des produits
manufacturés, est reprise par M. Michéa comme un dévoiement du
commerce libre, un procédé éhonté des fabricants, destiné à doper la consommation. C'est pourtant un mythe qui attend toujours
confirmation, même si la camelote a indéniablement tendance à proliférer dans les
rayons des supermarchés. L'explication la plus simple quoique très
prosaïque et pas très politiquement correcte, est qu'on ne peut
vouloir acheter aux prix les plus bas, et dans le même temps exiger
une qualité à toute épreuve...
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Pour
terminer, qu'il soit permis enfin de douter du bien fondé de cette
affirmation trop connue prétendant que « les comportements
altruistes restent massivement plus répandus dans les quartiers
populaires que dans les quartiers résidentiels ». Le moins que
l'on puisse dire est que M. Michéa, comme beaucoup de gens de
gauche, prend un peu ses désirs pour des réalités, et en
l'occurrence, fait preuve dune certaine dose de subjectivité.
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Au
total, la conception défendue par M. Michéa, est certes éloignée
de celle des sycophantes Hollande, Mitterrand ou Mélenchon, mais elle l'est
encore plus du libéralisme. Elle reste surtout ancrée dans le socialisme, dont il n'a hélas pas éliminé nombre d'archaïsmes. Sa réaction au récent décès d'Hugo
Chavez en témoigne une fois encore : « En
Amérique Latine, contrairement à la gauche occidentale, les
différentes gauches ont su conserver un rapport minimal avec la
vieille tradition socialiste, dans laquelle la notion de patrie joue
un rôle central. »
On
peut retenir toutefois comme positive, sa reconnaissance de
l'universalité des valeurs marchandes : « C’est le
marché qui va réunir des gens que tout divise par ailleurs ».
Peut-être dans sa bouche s'agissait-il d'ironie, à moins que
finalement, il rejoigne de manière inattendue Montesquieu, ce grand
défenseur du commerce, dans lequel il voyait un vecteur de paix et
de prospérité ?
Une
autre gauche est-elle toutefois possible ? Décidément, je ne le
crois pas...