Passons sur les premières. Elles font couler beaucoup d'encre mais, pour paraphraser le chef de l'Etat*, s'avèrent souvent « parfaitement déplacées » tant elles se bornent à exploiter l'émotion suscitée par des drames conjoncturels qui ne disent pas grand chose du malaise profond des hôpitaux.
Visant une fois encore à réorganiser et à restructurer, cette nouvelle réforme est-elle meilleure que les autres ?
Comme on pouvait le craindre à la lecture de la kyrielle de rapports qui l'ont précédée, la loi « Hôpitaux Patients, Santé, Territoires » (HPST) s'inscrit dans le grand mouvement concentrationnaire amorcé il y a plusieurs années, et dont elle constitue en quelque sorte le point d'orgue.
Les « Communautés Hospitalières de Territoire » annoncées aboutissent ni plus ni moins à la fusion des hôpitaux en énormes structures tentaculaires desservant des territoires parfois grands comme des départements.
Au mépris du simple bon sens qui veut que les difficultés de gestion et la tendance à accumuler les déficits budgétaires, soient en règle intimement corrélées à la taille des établissements (tous les CHU sont lourdement endettés).
Au mépris également des enseignements de la crise économique actuelle, qui démontre la perversité d'entreprises géantes, ramifiées, opaques et quasi monopolistiques.
En ce sens, poussé par le productivisme, le capitalisme outrancier et le planisme technocratique se rejoignent en une sorte d'étrange oméga kolkhozien...
Et leur puissance tutélaire répond comme auparavant, au principe désastreux des plans quinquennaux : Schémas Régionaux d'Organisation Sanitaire (SROS), Contrats Pluriannuels d'Objectifs et de Moyens (CPOM)...
Sous cette emprise, la marge de manœuvre des établissements est plus que réduite et leur capacité à démontrer la légitimité de leur existence est laminée par des contraintes assassines. Si la carte sanitaire réglementant le nombre de lits d'hospitalisation a disparu, la moindre activité médicale est désormais soumise à autorisation ministérielle, et doit répondre à des normes de fonctionnement parfois absurdes tant elles contiennent d'exigences.
L'évaluation de la qualité des soins, en dépit d'une très lourde et très onéreuse procédure d'Accréditation mise en œuvre il y a 5 ans par l'Etat, est évaluée « à la louche », au vu de seuils, quotas, et objectifs quantifiés arides et très aléatoires. On a décrété par exemple qu'une maternité réalisant moins de 300 accouchements ou un Bloc Opératoire moins de 2000 interventions par an, étaient forcément nuisibles.
Or rien ne dit que la qualité soit assimilable à la quantité, et dans bien des cas ce principe a des conséquences économiques fâcheuses. Plus une structure est importante plus ses frais de fonctionnement sont élevés, et plus les soins ont tendance à être sophistiqués, donc coûteux. Par exemple, alors que les progrès techniques permettent d'anticiper avec une très grande précision les complications potentielles d'un accouchement, nombre de futures mamans sans problème sont obligées de parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour accoucher au centre hospitalier « de référence ». A titre comparatif, en Hollande, plus d'un tiers des accouchements se déroulent tout simplement... à domicile !
Malheureusement, il semble impossible d'enrayer cette spirale centralisatrice qui agit comme un vertigineux trou noir, et engloutit une à une toutes les structures déclarées par postulat, indésirables.
Et le Président de la République qui souhaite que les directeurs soient de « vrais patrons » pour leurs hôpitaux, entérine étrangement un schéma organisationnel dantesque, où les instances administratives toujours plus nombreuses s'enchevêtrent dans un amas inextricable. Un énarque y perdrait son jargon tant les dénominations et les attributions sont changeantes et imprécises : Conseil de Surveillance, Directoire, Conseils Exécutifs, Commission Médicale d'Etablissement, Comité Technique...
Les modalités de financement des hôpitaux sont elles-mêmes de plus en plus complexes. Loin d'avoir simplifié la gestion des hôpitaux, la Tarification à l'Activité (T2A) en vigueur depuis 2004, est venue la compliquer encore. Elle n'est qu'une strate supplémentaire sur le mille-feuilles insondable de la Comptabilité Analytique. Et il faut y inscrire chaque année de nouvelles modalités gestionnaires toujours plus tarabiscotées. Parmi les dernières en date, celle des Missions d'Intérêt Général (MIG) financée de manière illisible, ou des Groupements de Coopération Sanitaires (GCS) aux contours juridiques nébuleux, qui cherchent à marier des statuts inconciliables, notamment public et privé.
Or tout a un coût, et la France s'inscrit dans les 4 pays les plus dépensiers au monde en la matière. Sauf erreur elle ne dispose pas encore d'une corne d'abondance déversant ses bienfaits sans limite.
On a vu que les frais de fonctionnement du système de santé hospitalier, de plus en plus administré, réglementé et planifié ne cessent d'augmenter.
De leur côté, les médecins rechignent trop souvent à participer à la nécessaire évaluation du rapport coût-efficacité des soins. A force de refuser comme on l'entend souvent, de considérer la santé comme une marchandise, ils risquent de précipiter l'avènement d'une maîtrise purement comptable qui serait la pire des solutions. Rien de précis hélas n'est entrepris pour faire comprendre au corps médical qu'il faut adapter les soins avec bon sens en fonction de l'état des patients et des finances disponibles. hélas, les fameuses délégations de gestion et la contractualisation interne, annoncées depuis la réforme hospitalière de 1991, restent plus que jamais dans les limbes de la technostructure. En bref, elles n'ont d'existence que théorique...
Les patients ne sont pas davantage responsabilisés. Au contraire, dans le souci démagogique d'éviter l'augmentation des cotisations à la Sécurité Sociale, le gouvernement a décidé de taxer les mutuelles privées pour renflouer le gouffre financier du régime obligatoire. Il y a beaucoup d'hypocrisie dans ces mesures qui n'agissent de toute manière que comme expédients. Rien n'y fait. Ni le ticket modérateur, ni les franchises, ni le déremboursement d'un nombre croissant de médicaments, ni l'obligation de recourir aux génériques, ni l'obscur et inextricable « parcours de soins coordonné » ne permettent de solutionner le problème, faute d'oser dire la vérité : un système d'assurance ne fonctionne de manière optimale que lorsque les assurés ne recourent pas trop souvent à ses prestations. C'est tout le contraire à quoi on assiste, avec la montée irrésistible du consumérisme médical. Et la position monopolistique de la Sécurité Sociale n'arrange rien...
La Télémédecine qui devrait éviter à nombre de patients d'être transférés loin de chez eux, est en France très sous-exploitée. Il y a peu de chance que la concentration qui s'annonce soit propice à son développement. Aujourd'hui, la plupart des hôpitaux ne parviennent toujours pas à communiquer entre eux ou avec les médecins installés en ville, par le biais d'outils électroniques. On en est encore à adresser les documents médicaux par courrier, mis sous pli et affranchis « à l'ancienne »... Toutes les expérimentations pilotées par l'Etat ont été dans le domaine des échecs cinglants: Réseau Santé Social (RSS), Dossier Médical Personnel (DMP)...
Paralysée par une crainte sans fondement, la France a renâclé à déléguer certaines tâches de soins au personnel paramédical, comme l'ont fait beaucoup de pays développés. Résultat, les délais d'attente s'allongent vertigineusement dans certaines spécialités et on s'aperçoit qu'il n'y a pas assez de médecins, ou qu'ils sont mal répartis sur l'ensemble du territoire.
Confronté à ce problème, l'Etat s'apprête à mettre en oeuvre un effrayant système contraignant les jeunes médecins à s'installer selon les règles d'une planification nationalisée. Tout porte hélas à croire que cette attitude dirigiste sera inefficace et contribuera à faire grandir la démotivation des praticiens.