A l'heure où l'on apprend que l'agence Moody's dégrade à son tour la note de la France, le récent ouvrage de Nicolas Baverez, "Réveillez-vous !" trouve un nouvel écho, si cela était nécessaire.
Son diagnostic sur la situation de notre pays est tranchant comme une lame. Les saillies aiguës comme
des dagues. Et le tableau, sombre comme un abîme...
Nicolas
Baverez n'est certes pas un optimiste de nature. La période n'y incite pas de
toute manière, et la solidité de son argumentation, la cohérence
des analyses impressionnent. Mais il persiste dans le titre de
l'ouvrage une once d'espoir, sous conditions.
Même s'il paraît bien
mince au regard du constat quasi désespéré, sur quoi repose-t-il ? Avant tout du bon sens, et du réalisme, ce qui n'exclut pas à certains endroits quelques menues contradictions...
Relativiser la mondialisation
Au
rythme où vont les choses, Nicolas Baverez annonce que « La
France quittera les dix premières puissances du monde à l'horizon
2030 ».
Sans doute cela pourrait paraître excessif. Pourtant, contrairement
à ce qu'on entend seriner lorsque est évoqué le modèle social
français, rien n'est jamais acquis. L'Argentine figurait parmi les
10 premières puissances économiques du monde dans les années 1930,
avant de faire faillite au début des années 2000.
A
l'inverse, la Corée était un des pays les plus pauvres de la
planète dans les années cinquante. Aujourd'hui sa seule partition
du sud, soumise à l'horrible capitalisme, est dans ce peloton de
tête !
En
définitive, on peut s'étonner de voir la mondialisation si décriée,
alors qu'elle lève les blocages, ouvre les frontières et abat les
murailles. Elle laisse en somme sa chance à tous. A chacun de s'en
saisir.
En
attendant le point d'équilibre, on assiste évidemment à un
gigantesque et un peu inquiétant tourbillon, un vaste système de
vases communicants. Qu'en sortira-t-il ? D'ici 2050 la part de la
Chine dans les échanges mondiaux pourrait progresser de 8,2 % 20,2,
celle de l'Inde de 2,1% à 9,3%, celle de l'Afrique de 2,6 à 13%,
celle de l'Amérique Latine de 7,7 à 7,9% tandis que celle de
l'Europe passerait de 25 à 8,6% et celle des Etats-Unis de 26,5 à
10,3%...
Dans un monde libre, les cartes sont rebattues sans cesse. Rien n'est jamais perdu, rien n'est jamais acquis. Après avoir été détruite par la guerre, divisée par
l'impérialisme socialiste, l'Allemagne réunifiée et modernisée
au terme d'énormes efforts, assume désormais seule le leadership de l'Europe...
La zone euro en danger
D'une
manière générale, le constat fait par Nicolas Baverez dépasse
largement le cadre de notre pays. Il concerne l'ensemble européen.
Selon lui, « la
zone Euro, extrêmement fragilisée, est devenue une menace majeure
pour l'économie mondiale. Son éclatement pourrait conduire à une
grande dépression, comparable à celle des années 1930.
»
Plusieurs
nations sont au bord du gouffre à l'heure actuelle, mais la France
s'en rapproche dangereusement, et pourrait-on dire inéluctablement,
eu égard à l'insouciance apparente des politiques menées par les
dirigeants. En la matière, ils se suivent et se ressemblent...
La sottise des rengaines anti-capitalistes
Le
fond du problème est que « La
France et les Français se mentent à eux-mêmes
». Qu'elles soient de droite ou de gauche, les stratégies mises en
œuvre par les Pouvoirs Publics, communient dans un même credo
anti-libéral et anti-capitaliste: « A
force de s'enivrer d'antilibéralisme, la France a perdu le goût et
le sens de la liberté. La devise de la République a été
pervertie. La liberté, que la France a contribué à inventer en
1789 est dénoncée comme contraire à l'égalité et ne cesse d'être
laminée par l'étatisme.
» Au plan de la politique économique, ce n'est pas mieux : «
convertie au modèle du tax and spend qui a ruiné la Suède dans les
années 80, elle s'achemine vers une faillite de grande ampleur. »
Face
aux enjeux majeurs auxquels est confronté le pays, «
La campagne présidentielle de 2012 n'a produit ni idée nouvelles,
ni stratégie de sortie de crise
». Or en démocratie, on a les dirigeants qu'on mérite. C'est au
peuple français dans son ensemble, que revient la faute « d'avoir
congédié le réel pour mieux s'enfermer dans l'utopie et les mythes
du passé
»
Les
médias y participent largement en colportant complaisamment des
niaiseries qui semblent faire hélas consensus. On trouve dans
l'ouvrage quelques exemple de cette désinformation plus ou moins
consciente.
On
nous dit souvent que les grandes entreprises, coupables de faire
d'énormes bénéfices et de choyer leurs actionnaires, ne paieraient pas, ou quasi, d'impôts. Or, «
en 2011, les groupes du CAC40 ont versé 40 milliards d'euros
d'impôts contre 36 milliards de dividendes !
»
Combien
de fois entend-on le couplet rabâchant que dans le monde cruel du
capitalisme, les pauvres ne cessent de s'appauvrir tandis que les
riches continuent de s'enrichir. Un seul exemple met à mal cette
antienne fumeuse : «
La Chine représente le quart de la croissance mondiale et a vu le
niveau de vie de sa population passer de 278 à 6200 dollars par
habitant depuis 1980.
»
Mais
comment faire sortir de leur surdité ceux qui ne veulent pas
entendre et qui cherchent par pure idéologie, «à
ranimer la lutte des classes.../... et miment les très riches heures
des révolutions passées en s'inventant de nouveaux aristocrates à
pendre à leurs lanternes ?»
L'ombre d'un doute
Le
propos de Nicolas Baverez n'est toutefois pas exempt de cette
curieuse tendance à la rétractation, lorsqu'il s'agit de plaider
pour le modèle libéral, capitaliste. Il y comme une réticence à affirmer les thèses.
Alors
que l'essentiel du discours consiste à flétrir l'Etat-Providence,
notamment dans sa tendance à la bureaucratie et à la réglementation
à tout va, l'auteur ne peut s'empêcher de fustiger dans le même
temps « les
mythes de l'auto-régulation du capitalisme, de la toute puissance
des marchés...
»
Au
sujet des Etats-Unis, il s'attaque principalement à la « politique
néo-conservatiste » qui aux yeux de quantité d'observateurs
incarne justement le modèle capitaliste, et qui selon lui, aurait «
sapé leur puissance au fil de 2 longs conflits enlisés, affaibli
leur économie, miné la confiance des citoyens dans la Constitution
et déligitimé leur leadership
». outre la contradiction, c'est faire peu de cas du mouvement des
Tea Parties, réclamant justement le retour à l'esprit des Pères
Fondateurs de cette constitution.
Perspectives
A
la fin de son ouvrage, Nicolas Baverez esquisse quelques perspectives
d'actions susceptibles d'inverser la tendance qu'il déplore. Il les
décline selon trois axes qu'il qualifie de pactes.
Au
titre du pacte
productif, il
réaffirme la nécessité pour la France de « faire
le choix du capitalisme, car l'entreprise est la clé de la
croissance, de l'emploi et de l'innovation, et donc de la puissance
de l'Etat et de la souveraineté de la nation »
Au passage, il enterre « le
schéma keynésien d'une croissance tirée par des dépenses
publiques financées par la dette
»
Il
insiste sur l'importance qu'il y a de maîtriser le coût du travail,
donc de limiter le poids des charges sociales qui le plombe. Il
considère notamment que le financement des allocations devrait
relever de l'impôt (TVA ou CSG) et non des charges pesant sur
l'entreprise. Le hic est qu'il ne s'appesantit guère sur
l'accroissement des impôts que cela impliquerait pour les citoyens. Il n'y a pas non
plus de réelle réflexion sur la nature de ces charges ni sur
l'utilité réelle de ce qu'elle couvrent.
S'agissant
du pacte
social,
où cet aspect des choses pourrait être évoqué, Baverez en reste à
des principes très généraux. Il s'alarme de la centralisation et
de la bureaucratisation extrêmes de l'Education Nationale, il remet
même en cause l'autonomie des universités mise en œuvre par
Nicolas Sarkozy car il la juge « fictive ». Mais il ne précise pas
comment avancer (privatisation?)
S'agissant
du système de santé, il en reste à un quasi statu quo : « La
santé doit mêler une assurance obligatoire financée par les
entreprises et des assurances complémentaires individuelles
». Quel est le changement avec la situation actuelle ? Quid d'une réforme de la Sécurité Sociale ?
Même
constat au sujet du système des retraites pour lequel il envisage de
manière évasive «une
part obligatoire financée par les charges sur les salaires, et une
retraite par point
»
Enfin,
il regrette la balkanisation de la société (5,2 millions d'immigrés et l'éclosion des cimmunautarismes : un défi qu'il juge comparable à la réunification allemande),
mais il n'est pas très précis lorsqu'il s'agit de repenser les
politiques de solidarité...
Enfin,
le pacte
citoyen
et le
pacte européen
n'apparaissent pas beaucoup plus décisifs.
L'auteur
insiste sur le rôle essentiel du citoyen, en prenant les exemples de
la mobilisation de la nation allemande lors de la réunification, ou
du peuple japonais après la catastrophe de Fukushima.
Mais
lorsqu'il s'agit de la mise en œuvre, ce sont soit des mesures
ponctuelles abruptes, soit des principes dénués de logique
pratique. Il faut dire que la tâche est immense vu l'interprétation
très particulière, presque intégralement étatisée, qu'ont les
Français de la responsabilité citoyenne.
Faute
de mieux, il propose ainsi en matière d'organisation territoriale, «
la suppression des départements » qui à ses yeux « n'est plus une
option mais une obligation ».
Hélas, il n'inscrit pas cette mesure dans une vision plus générale,
qui lui eut donné une vrai sens et une vraie cohérence.
Lorsqu'il
en arrive à l'échelon européen, bien qu'il alerte sur le danger et
le paradoxe d'une déconstruction de l'union européenne, il se borne
à nous redire que « l'euro
est confronté au choix entre le fédéralisme et l'éclatement
.» Le sujet aurait pourtant mérité de plus amples
développements...
J'ai
noté à cette occasion, deux autres exemples du syndrome de
Pénélope, consistant à défaire la nuit ce qu'on tisse le jour.
Mais autant il est aisé de comprendre ce qui poussait l'épouse
d'Ulysse, autant il paraît difficile de suivre ceux qui se livrent à
l'exercice lorsqu'il s'agit de démonstration intellectuelle.
Ainsi
Nicolas Baverez, qui fustige le caractère massif des prélèvements
obligatoires, accepte tout à coup en matière de fiscalité « des
niveaux confiscatoires
», à condition « que
la situation soit provisoire et que la totalité des nouveaux
prélèvements soit affectée au désendettement.
» Serait-il naïf ou bien inconséquent ?
Autre
incongruité, il revendique « une
conception de la liberté modérée et pluraliste, mais qui soit
différente du modèle américain, régulièrement menacé par la
démesure
». Encore faudrait-il qu'il précise comment on peut concilier la
modération et le pluralisme, en quoi la liberté qui règne en
Amérique s'apparente à de la démesure, et en quoi cette démesure
est néfaste...
En
bref, si un ardent défenseur du libéralisme peut rester un peu sur
sa faim, il n'empêche que cet ouvrage qui se veut davantage analyse
que pamphlet, a de quoi ébranler. Et à défaut de proposer des
solutions très concrètes, il suggère qu'on se tourne enfin vers
d'autres perspectives que celles éculées, suivies depuis des
décennies. De ce point de vue, le propos relève plus de l'optimisme
que du désespoir. Son titre le dit mieux qu'un long discours. Rien
n'est sans doute définitivement perdu mais le temps presse !
Parmi
les citations qui viennent le plus naturellement à l'appui de la
thèse, qu'il soit permis de terminer avec celle de Benjamin
Franklin, recommandant à qui veut l'entendre, de ne pas galvauder la
liberté et qui reste parfaitement d'actualité :« Celui
qui sacrifie une liberté essentielle à une sécurité aléatoire et
éphémère ne mérite ni la liberté, ni la sécurité...
» Espérons qu'elle ne résonne pas comme un glas étant donné
l'état des mentalités.