Le verdict du procès en appel concernant l'affaire dite de l'hormone de croissance est tombé il y a quelques jours : relaxe générale !
A ce jour, 120 enfants sont pourtant morts des conséquences directes des injections destinées à les faire grandir dans les années 70 et 80 (la France à elle seule totalise près de 60% de tous les cas enregistrés dans le monde!).
A chaque fois, ce fut un calvaire effroyable pour les petits malades et leurs familles, caractérisé par l'installation d'une démence d'évolution rapide et constamment mortelle.
Malheureusement, le bilan n'est sans doute pas définitif. Le temps d'incubation de la maladie étant parfois très long, le nombre de victimes potentielles de cette calamité est susceptible de s'accroître.
Entre autres contributions à charge, un reportage diffusé sur France 3 en 2005 (Pièces à Conviction), mettait en évidence les graves négligences qui émaillèrent ce triste épisode. Jusqu'en 1988, faute de pouvoir la synthétiser, l'hormone était prélevée sur des hypophyses de patients décédés. Or, pour satisfaire les espérances qu'on avait fait naître chez de nombreux parents, l'association France-Hypophyse, avec le soutien de l'Etat, alla prélever ces organes jusque dans des hôpitaux psychiatriques de Bulgarie et de Hongrie à raison de plusieurs milliers de glandes par an ! Le risque de contamination à partir de tissus provenant du système nerveux prélevés post-mortem, par des agents à l'origine de graves démences (Creutzfeldt-Jakob, Kuru), était pourtant parfaitement établi à l'époque...
Comment s'empêcher de faire le parallèle avec le scandale du Mediator qui agite depuis plusieurs mois le landerneau...
Sous la loupe grossissante des médias, il paraîtrait à première vue bien pire.
Avant même d'avoir donné lieu à un quelconque procès, l'histoire est d'ailleurs quasi jugée. Songez-donc : les experts parlent déjà de 500 à 2000 morts ! Plus grave que le sang contaminé selon les accusations du Dr Gérard Bapt, cardiologue et député socialiste, et celles du Dr Hélène Frachon, la femme par laquelle le scandale est arrivé.
En réalité face aux cas certains liés à l'hormone de croissance, ces chiffres ne constituent pour l'heure, que des extrapolations.
Jusqu'en 2009, la toxicité rapportée aux molécules de la famille du Mediator (benfluorex) concernait avant tout l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Ce risque était connu mais avait été considéré comme négligeable avec le benfluorex. C'était d'ailleurs tout l'intérêt de la molécule.
Il fallut d'ailleurs attendre 1999 pour voir le premier cas relié avec certitude au produit.
Il fallut d'ailleurs attendre 1999 pour voir le premier cas relié avec certitude au produit.
S'agissant des valvulopathies cardiaques, les premières descriptions furent encore plus tardives, puisqu'elles datent de 2006 et l'imputabilité au benfluorex ne fut établie qu'en 2009 (tout comme la réversibilité possible de la maladie à l'arrêt du traitement).
Rappelons que la molécule fut commercialisée en 1976 et qu'en plus de 30 ans, environ 3 millions de personnes reçurent le traitement durant au moins 3 mois.
Précisons également que les deux pathologies en cause étaient connues bien avant le médicament, et qu'elles relevaient souvent de causes multi-factorielles, voire idiopathiques. Leur évolution est d'ailleurs loin d'être constamment mortelle. La chirurgie constitue notamment un traitement très efficace des valvulopathies.
En Janvier 2011, dans un rapport resté plutôt confidentiel par comparaison au tintamarre de l'accusation, le professeur de cardiologie Jean Acar se montrait plutôt circonspect à propos des premiers cas mortels rapportés au Mediator : "Sur les 64 décès, 7 observations manquent de tout diagnostic cardiologique, 11 fois le benfluorex ne paraît pas vraiment en cause et 46 fois il pourrait être mis en cause au même titre qu’une autre étiologie..."
Dans de telles circonstances, entachées d'évidentes négligences et légèretés, il est bien rare que les torts et les mérites soient répartis de manière manichéenne. Et l'accusation a posteriori est toujours plus facile que la clairvoyance a priori. L'excès de précaution peut s'avérer aussi nuisible que l'insouciance vis à vis des risques.
A quelle aune peser la gravité d'une affaire par rapport à une autre ? Comment juger en toute sérénité ?
La toxicité brute d'un médicament est certes un problème. Aucun produit efficace n'en est exempt. L'aspirine elle-même est concernée, et nul doute que des patients en sont morts.
Mais plus grave est le fait que dès sa mise sur le marché, le Mediator ne pouvait être crédité que d'un médiocre rapport bénéfice/risque. Plus grave est le fait que tout le monde savait cela. Le Laboratoire Servier bien sûr. Mais aussi les autorités compétentes en matière de régulation, de contrôle et d'autorisation. L'Assurance Maladie également.
Aucun médecin digne de ce nom ne pouvait davantage l'ignorer, pas plus qu'il ne pouvait ignorer que le médicament n'avait reçu d'autorisation que comme traitement adjuvant du diabète "avec surcharge pondérale", et de certaines hyperlipidémies, jamais comme anorexigène, qui fut pourtant le motif de la plupart des prescriptions.
Dans ce jeu complexe et pervers, dans ce cercle vicieux, chacun s'est senti protégé sinon couvert par l'échelon supérieur. Pour aboutir à l'Etat, représenté par ses innombrables officines, par nature omnipotentes et irresponsables.
Aujourd'hui, après avoir exonéré les Pouvoirs Publics de toute vraie sanction concernant les affaires du sang contaminé puis de l'hormone de croissance, il y a donc beaucoup d'hypocrisie à jeter l'anathème de toutes parts sur le seul laboratoire Servier. Les responsabilités sont à l'évidence multiples et un peu d'humilité ne nuirait pas. Une chose est sûre : une fois encore, les instances de régulation étatiques s'avèrent particulièrement peu efficaces et leur irresponsabilité, consubstantielle à leur nature même, fait froid dans le dos...