27 mai 2022

Mais aimons-nous ceux que nous aimons ?

Cela faisait un bail que je cherchais à me procurer cet ouvrage de Henry de Montherlant (1895-1972), dont le seul titre exerçait sur moi une étrange fascination. L’Amour relève d’une telle évidence qu’il peut sembler incongru, voire insensé d’en questionner le fondement même, ou de chercher à en percer les arcanes. Mais à bien y réfléchir, n’y a-t-il pas là un vrai sujet dont la portée philosophique s’impose à l’entendement ?
J’avais vu autrefois le bouquin dans les rayonnages de la bibliothèque de mon père. Pourtant, si l’interrogation sur laquelle il se fonde avait pénétré mon esprit, je n’avais jamais tenté de le lire, ni d’ailleurs quoi que ce soit d’autre de l’écrivain. Était-ce l’allure sévère, empreinte d’un stoïcisme hautain de l’homme qui m’effrayait, ou bien était-ce sa réputation sulfureuse et sa moralité ambigüe qui m’avaient rebuté, je ne saurais trop dire…
Toujours est-il que, taraudé par la question, je décidai, longtemps après avoir laissé filé le livre dans les limbes du temps, de revenir à lui, de me mettre en quête d’un nouvel exemplaire, puis de me plonger enfin dedans avec délectation.
Après avoir ingurgité le dernier Houellebecq, je dis dire que le contraste est des plus frappants. Même s’il ne s’agit sans doute pas d’un fleuron dans une œuvre très dense, il s’agit ici sans aucun doute de littérature. Le style, la fantaisie, l’originalité, les ellipses, les images, l’esthétique, l’assise culturelle, tout y est, même la tragédie qui affleure de manière poignante sous la légèreté du propos. Et tant pis si l’accès à un tel texte est sans doute moins aisé que celui qui mène à l'anéantissement houellebecquien…

Ce récit fut achevé en juillet 1972, quelques semaines à peine avant la fin tragique du romancier survenue le 21 septembre. A l’instar de l’illustre torero Belmonte qui se suicida parce qu’il ne voulait pas atteindre le seuil fatidique de la vieillesse fixé par lui à 70 ans, Montherlant, que l’âge avait rendu presque aveugle, choisit l’équinoxe d’automne, moment où le jour est égal à la nuit, pour faire le grand saut.
Juste avant la fin programmée de son existence, comme un astre revenu à son point de départ, il avait focalisé ses ultimes réflexions sur trois personnages, héros de ses tout premiers romans : Jacques Peyrony, modèle du jeune homme tonique et sain au profil musclé digne des athlètes de l’antiquité, Dominique S., l'incarnation féminine de la pureté du sport féminin, qui à la fois “imposait” et “attendrissait” l’écrivain, et Douce, dont on ne connaîtra que le surnom, qualifiant “une jeune fille aussi charmante qu’inconstante, l’archétype même de la femme.”

Pour ses trois personnages, Montherlant avait une vraie affection et sans doute davantage. Du moins le croyait-il…
Cherchant à percer le mystère de l'attachement qui le liait à eux, à comprendre pourquoi ils avaient disparu de sa vie, et afin de corriger les maladresses de style qui entachaient selon lui la description qu’il fit de leurs relations passées, il se fait un devoir de reprendre le fil de deux écrits de jeunesse, Le Songe et Les Olympiques. Au long d’un chemin littéraire déconcertant fait de digressions dispersées façon puzzle, il est ainsi amené tantôt à magnifier les qualités, ou bien au contraire à revoir à la baisse les mérites de ces êtres chers. En toile de fond de ces chassés croisés sentimentaux, se profilent tour à tour l’admiration de l’écrivain pour le sport, sa passion pour la corrida et enfin l’empreinte obsédante de la guerre, celle de 14 avant tout.

Mais c’est dans les derniers chapitres que l’histoire dévoile tout son potentiel dramatique. Car hélas dans ce récit où l’amour le dispute à l’amitié, chacun des trois personnages fera défaut : “Successivement Dominique, Peyrony, Douce tombaient de moi comme à un souffle plus fort tombent de l’arbre ses feuilles un peu mortes.”
A la tristesse que lui inspire cette finitude sentimentale, Montherlant tente bien d’opposer un échappatoire réconfortant, fait de pensées positives: “De Dominique je dirai qu’elle m’a fourni une héroïne intéressante, dont je n’ai pas su tirer parti. De Peyrony qu’il remplit Les Olympiques, qui ne seraient pas ce qu’elles sont sans lui…/…. De Douce que, pendant neuf ans, elle avait été avec moi une fille parfaite : volupté, simplicité, honnêteté.”
Mais au bout du compte, le constat de la vanité de ce qu’on appelle amour s’impose. Aimons-nous vraiment ceux que nous aimons ? Telle est la question.
A celle-ci, l’auteur répond sans détour : “Nous n’aimons que des moments”. Pire, ces instants eux-mêmes sont illusoires marqués par une exigence absurde: “nous demandons aux autres de nous donner un amour que nous ne leur donnons pas.” Tout est donc vain car “les objets eux aussi sont des moments…” ils finissent un jour ou l’autre par s’user et disparaître. En somme, il n’y a “rien à dire si on sait bien d’avance que tout est perdu, soi compris.”

En bon stoïcien, Montherlant fait toutefois un effort pour se reprendre. En ayant conscience de cette insignifiance, dit-il, c’est malgré tout, “une conscience que nous devons surmonter, car il faut aimer. Il faut vivre dans cette illusion et dans cette clairvoyance : elles sont l’une et l’autre à l’honneur de l’homme, et les juxtaposer est encore à son honneur…/…”
Mais alors qu’on croit la cause entendue, un post scriptum inopiné de l’auteur révèle qu’il fait régulièrement un rêve qualifié de “révélateur”. Dans celui-ci, l’évidence s’impose qu’une personne a indéfectiblement compté dans sa vie. L’amour existe donc mais “on n’aime qu’une fois”.
Qui était donc l’être dont le souvenir habitait ses rêves ? Appartenait-il seulement au monde réel ? S’agissait-il de Serge, tel qu’il est dépeint dans l’intrigante pièce de théâtre “la ville dont le prince est un enfant” ? Quelqu'un dont le nom ne peut être dit ou bien qui s'est effacé avec le temps ?
Loin de porter un quelconque espoir, cette pensée s’ouvre hélas “sur la désolation” car avec le temps, l’amour s’est de toute manière enfui. Terrible constat qui amène la déchirante conclusion : “Depuis ce matin, ce n’est pas le « Ouvrez-vous, portes éternelles » que j’écrivais dans un de mes Carnets. C’est « Fermez-vous, portes éternelles…. »

16 mai 2022

COVID-19, Santé Publique et Démocratie

Un peu plus de deux ans après le début de l’épidémie due au COVID-19 il semble opportun de revenir sur la chronologie des événements pour tenter d’en tirer quelque enseignement. Un benchmark international est tout aussi utile pour juger des stratégies mises en œuvre à travers le monde face à ce fléau planétaire.
C’est ce qu’ont fait François Alla et Barbara Steigler avec leur essai “Santé Publique Année Zéro”, récemment publié dans la collection Tracts de Gallimard.
L’une est philosophe, l’autre médecin spécialisé en épidémiologie et, comme le suggère le titre de leur ouvrage, leur analyse est hautement critique pour les gouvernants français.
Les mots sont en effet très durs pour qualifier l’attitude des pouvoirs publics, accusés d’avoir mis en place à cette occasion, des “mesures autoritaires de restriction” qui selon les auteurs “n’ont pas seulement abîmé nos libertés, notre modèle démocratique et le contrat social qui sous-tend notre république” mais qui ont aussi “transformé le champ de la santé publique en un champ de ruines.”
Si l’on peut partager, au moins en partie certaines prises de position, il en est d’autres beaucoup plus discutables.

Il est évident, comme le déplorent les auteurs, que l’Etat s’est montré très dirigiste en la circonstance. La déclaration “de guerre” au virus, annoncée non sans emphase par le Président de la République fut annonciatrice de mesures coercitives, certes exceptionnelles, mais souvent excessives voire absurdes eu égard à la nature du péril.
On peut en premier lieu discuter du bien fondé des confinements successifs assortis des ridicules auto-autorisations de sortie de chez soi et autres règles quasi ubuesques. Les effets pervers ont été légions, paralysie de l’économie, accroissement considérable de la dette de l’Etat, désorganisation psycho-sociale, et avec le recul, il est permis de se demander si ce jeu en valait la chandelle, sachant que la France se retrouve à ce jour, au quatrième rang mondial en nombre de patients contaminés ?
On peut également juger avec sévérité les retards itératifs de l’Etat français en matière d’action visant à juguler l’extension de l’épidémie. Contrôle des frontières, mise à disposition des tests destinés à permettre l’isolement précoce des malades et des cas contacts, généralisation du port du masque, développement de vaccins, à chaque fois la France fut à la traîne.
On peut enfin souligner l’incapacité qu’a montré notre pays de faire évoluer rapidement les capacités d’hospitalisation. Il paraît clair qu’une bonne partie des mesures autoritaires prises par le gouvernement pour tenter de juguler l’épidémie était justifiée avant tout par la crainte de voir les hôpitaux et les services de soins intensifs débordés. Force est de conclure que c’est toute la politique de santé depuis des décennies qu’il faut à cette occasion remettre en cause. Elle a conduit à ce résultat désastreux, à force d’une planification de plus en plus rigide, centralisatrice et bureaucratique, fondée sur des plans quinquennaux inopérants et des principes idéologiques occultant la réalité de terrain.

Malheureusement, sur tous ces points, les auteurs ne s'appesantissent guère. Ils se placent dans la position d’imprécateurs, mais leurs arguments s’apparentent trop souvent à des slogans. Leur thématique principale est centrée sur la critique des restrictions de liberté imposées par le gouvernement, ce qui les amènent à insinuer un peu trop explicitement qu’il s’est agi d’une stratégie délibérée, anti-démocratique, dont le COVID fut le catalyseur, voire l’alibi. C’est un tantinet malhonnête car si beaucoup de libertés reculent dans notre monde de plus en plus réglementé, de plus en plus contraignant en matière d’expression publique, ce n’est vraiment pas le cas dans le domaine de la santé, très ouvert et permissif. Comment du reste s’insurger qu’on prenne des mesures quelque peu coercitives, mais temporaires, pour contrer la propagation d’une maladie potentiellement mortelle et au surplus hautement contagieuse ?
S’agissant du pass, il est par exemple impossible d’adhérer à l’affirmation selon laquelle “le schème ami/ennemi sans cesse réactivé par le dispositif était en train de liquider les principes fondamentaux de notre république”. C’est en effet extravagant. Bien plus que d’avoir pesé sur les libertés fondamentales, ce qu’on peut reprocher au pass sanitaire et plus encore au pass vaccinal, c’est le retard avec lequel ils furent mis en œuvre et somme toute, leur relative inefficacité. Pire, ces laissez-passer furent faussement rassurants. Il valait en définitive mieux croiser une personne non vaccinée mais testée négative qu’une autre vaccinée mais porteuse du virus sans le savoir.
Si l’on peut rejoindre les auteurs lorsqu’ils écrivent que “présenter le vaccin comme une valeur absolue et l’élire comme l’unique moyen de sortir de la crise était une erreur», ils se montrent encore une fois excessifs lorsqu’ils qualifient cette erreur de «massive». Il faut se rappeler qu’il n’y avait guère d’alternative (surtout lorsqu’on s’oppose au confinement). Il faut également insister sur l’efficacité de l’immunisation qui permit entre autres d’enrayer la décimation des résidents en EHPAD.
Les réserves pourraient porter sur le jusqu’au-boutisme vaccinal des pouvoirs publics, notamment face aux nouveaux variants, répondant de moins en moins à l’immunisation. On peut s’interroger également sur les mesures astreignantes visant les jeunes. Sans doute sur le confinement, qui est présenté comme un expédient destiné à faire baisser le taux de contamination sans “stigmatiser les plus âgés ». A la décharge des pouvoirs publics, il était difficile d’imaginer un confinement à géométrie variable dans notre république égalitaire... Plus critiquable fut la campagne vaccinale intensive faisant appel en début d’épidémie à des produits grevés d’effets indésirables sévères. Des décès iatrogènes furent à déplorer avec le vaccin Astra-Zeneca parmi la population la plus jeune, la moins à risque de faire des formes graves de COVID. Pareil reproche pourrait être fait à la promotion de médicaments très onéreux, comme le Remdesivir, aussi toxiques qu’inefficaces, tandis qu’on vouait aux gémonies la fameuse association azythromycine-hydroxychloroquine du Professeur Raoult…

Le plus navrant est de voir les auteurs s'enferrer à maintes reprises, dans une argumentation relevant de l’idéologie pure, surtout lorsqu’elle véhicule erreurs et contresens. Comment expliquer autrement que par un parti pris très subjectif et hautement contestable l’affirmation selon laquelle “les inégalités ont été décuplées à la faveur des confinements, de l’accélération de la digitalisation de toutes les activités humaines et des profits faramineux de l’économie numérique et du capitalisme financier”. Comment penser sérieusement que “les quartiers populaires ont continué à être abandonnés à leur sort par les pouvoirs publics”?
L’esprit de contestation flirte parfois même avec la mauvaise foi. Par exemple lorsqu’il est affirmé que parallèlement à la politique du “quoi qu’il en coûte”, “ la gestion austéritaire du système de soin fut non seulement confirmée mais aggravée” et qu’ils incriminent à cette occasion la fameuse T2A (tarification à l’activité) “aujourd’hui décriée par tous.”
La première assertion en forme d’aporie est tout simplement fausse au vu des dépenses de santé astronomiques déversées sur le système de santé et notamment les hôpitaux depuis des décennies et plus généreusement encore durant l’épidémie. La seconde relève d’une opinion mais n’a aucun fondement objectif. On peut certes émettre des réserves sur les biais inflationnistes et la complexité croissante de la tarification à l’activité, mais sûrement pas sur son principe, allouant les ressources en fonction des prestations réalisées, qui s’avère à l’évidence le moins mauvais et surtout le plus équitable des systèmes.

Pire que tout enfin, est l’accusation, violente mais pas très originale, que les auteurs portent au libéralisme, qualifié ici, par une paradoxe cocasse, de “libéralisme autoritaire”. Refrain classique, et délicieux oxymore qui permet sans se fatiguer à réfléchir, d’attaquer la politique gouvernementale en soutenant sans rire que "l'État social est systématiquement démantelé”, et “les institutions publiques de soin continûment affaiblies”.
Sous prétexte qu’on a invité les citoyens à être « acteurs de leur santé », les auteurs prétendent ainsi le plus sérieusement du monde qu’on serait passé des droits des malades inscrits dans la loi de 2002 “à la définition de tout un ensemble de devoirs (auto-repérage des symptômes, auto-médication, activation des systèmes de traçage, auto-isolement, stratégie de dépistage et choix du vaccin laissés à l’appréciation du patient) !” Ils peuvent donc à la fois s’insurger contre l’interventionnisme excessif de l’État et réclamer qu’il encadre plus étroitement le comportement de chacun. C’est un pur non sens, et pour le coup c’est le degré zéro d’une politique de santé publique !

En conclusion, cette réflexion, pour intéressante qu’elle soit a priori, ne répond pas à son objectif, et ne fait au bout du compte qu’apporter de l’eau au moulin des anti-vax et des anti-libéraux en tous genres qui pullulent dans notre pays. Le principe de réalité et le sens pratique sont une fois encore sacrifiés au profit d’une vision utopique de la santé, déresponsabilisante, inconsidérément dépensière et terriblement démagogique.
C’est dommage, car le sujet valait beaucoup mieux que cela…

06 mai 2022

Grenouillages

Après l’élection présidentielle et les belles déclarations d’intention, les invocations rituelles à l’esprit de la république et à la vertu citoyenne, les tripatouillages politiques reprennent de plus belle à la perspective du renouvellement prochain de l’Assemblée Nationale.

On assiste au jeu des alliances incongrues dont le principal dessein est de préserver les petits intérêts particuliers. Le spectacle le plus consternant pour ne pas dire abject est celui offert par la coalition insane des gauches, recroquevillée derrière l’étendard miteux des prétendus Insoumis. Foin d’écologie, d’Europe, de laïcité, de justice sociale et autres fariboles nébuleuses destinées à abuser le bon peuple. On s’en moque désormais car il faut sauver les meubles quitte à laisser s'abîmer le bâtiment dans le chaos aux accents révolutionnaires d’un autre âge. Cette armée mexicaine se range piteusement derrière l’électorat racolé à force de démagogie par Mélenchon auprès des musulmans, des aigris, des excités de tout poil, et des factions appelant à la destruction du capitalisme, de la liberté, de la démocratie auxquels ils ne pigent que couic, si ce n’est les richesses sur lesquelles ils espèrent faire main basse.

A droite, la situation n’est guère plus reluisante. Les rats quittent le navire en perdition des Républicains, dont il ne restera bientôt plus qu’un souvenir. La plupart s'égayent vers le grand ventre mou du centre présidentiel, rebaptisé à la va-vite Renaissance (tu parles d’une résurrection, sans programme, sans direction, sans volonté…) Aucun pour l’heure ne fait mine de se tourner en direction du Rassemblement National, plus pestiféré que jamais. Comme à l’accoutumé, son score se réduira comme peau de chagrin à l’épreuve des Législatives. Reproduisant curieusement le procès en sorcellerie dont il s’estimait victime, le RN refuse quant à lui tout rapprochement avec son seul allié potentiel, à savoir le nouveau parti Reconquête! On peut se demander si le scrutin à venir ne sera pas fatal à ce dernier, fondé dans l’ivresse de lendemains qui chantent par Eric Zemmour mais déjà devenu intouchable, faute d’avoir manifesté sans langue de bois des convictions trop abruptes. Malheur au vaincu…

04 mai 2022

Procès en Absurdie

Les poursuites entamées à l’encontre du professeur Raoult et de l’Institut Hospitalo-Universitaire qu’il dirige à Marseille tiennent davantage du procès en sorcellerie que d’une procédure régulière, objective et indépendante.
Il s’agit en effet d’une enquête à charge, entreprise sur dénonciation de médias politisés, et conduite par un organisme d'état, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), si peu fiable qu’elle dut changer de nom il y a quelques années pour restaurer un peu de sa crédibilité perdue après nombre de fiascos dont celui, retentissant, du Mediator (AFSSAPS).
Selon les termes employés par les inspecteurs chargés du contrôle, M. Raoult aurait violé les protocoles régissant la recherche clinique, relatifs notamment à l’avis préalable d’un comité d’éthique et à l’obtention du consentement éclairé des patients.
A ce stade, il n’est évidemment pas possible pour le péquin moyen de savoir quels sont les torts réels du sulfureux professeur. Mais, considérant les hautes qualités scientifiques de la plupart de ses travaux, on peut dès à présent faire preuve d’une certaine mansuétude à son égard. Ajoutons également que si la loi est la loi, il existe plus qu’un doute quant au bien fondé de cette dernière, lorsqu’elle se perd en exigences aussi tatillonnes et complexes que paralysantes. Les lois inutiles ne font que fabriquer de manière absurde des hors la loi, dont la désobéissance n’est pas toujours illégitime et surtout ne relève pas nécessairement de négligence ni même d’un acte volontaire. Les réglementations sont devenues si absconses, tordues, voire contradictoires, qu’il est de nos jours souvent difficile pour le chercheur de savoir si, avec la meilleure volonté du monde, il les respecte stricto sensu ou bien s’il y contrevient.
Le drame est que l'application de ces règles ubuesques est placée sous la tutelle inquisitrice de petits potentats irresponsables, supposés veiller à la protection des personnes, mais régulièrement pris en défaut dans leur mission, en raison de leur inertie, de leur myopie, ou bien tout simplement de leur inefficacité.
Le fait est que depuis la pandémie due au COVID et les prétendues frasques du professeur Raoult, il est devenu la bête noire de l'administration parisienne, l’homme à abattre à tout prix. Même si son attitude a pu paraître discutable sur certains points, il s’est pourtant illustré dès le début de l’épidémie par une conduite exemplaire, rigoureuse et innovante. Est-ce donc cela qu’on ne lui pardonne pas ?
Avec le carcan réglementaire actuel, rappelons que jamais Pasteur n'aurait pu mener ses travaux, plus que discutables au plan éthique, pour aboutir à la mise au point du vaccin contre la rage…

La mise en accusation du policier auteur d’une fusillade mortelle sur le Pont Neuf le soir de l’élection présidentielle, relève a priori du même procédé. Ce fonctionnaire est l’objet non pas d’une simple enquête mais d’une mise en examen au motif qu’il a tiré sur des contrevenants pris en flagrant délit et qui n’avaient pas hésité après avoir refusé d’obtempérer, à foncer avec leur véhicule sur les policiers. Dans l’attente de sa comparution, il fait l’objet de mesures très contraignantes. Il a en effet interdiction de quitter le territoire, de porter une arme et de côtoyer l’ensemble des effectifs de son service. S’il peut continuer d’exercer, il doit le faire sans entrer en contact avec le public. Fait encore plus ahurissant, ces mesures ont été assorties d’une obligation de soins.
Contrairement à ce que l’on rabâche sur la présomption d’innocence, il s’agit pour reprendre la terminologie judiciaire classique, d’une inculpation, donc d’une présomption de culpabilité. L’hypocrisie de notre époque est telle qu’on va jusqu’à changer les mots et les appellations pour édulcorer ce qu’on ne veut plus nommer. Résultat, on ajoute au malheur du monde…
Le policier est donc accusé d’homicides volontaires, ce qui l’expose à être condamné en assise à une peine de prison pouvant aller jusqu’à 30 ans.
La partialité des juges et l’inversion des valeurs sont devenues telles que rien n’est dit en revanche sur les malfrats et le ténébreux trafic auquel ils se livraient selon toute vraisemblance ce soir-là, à deux pas de la préfecture de police, comme en de nombreuses occasions antérieures au drame, qui leur avait valu d’être “connus défavorablement par les services de police”… Le jeu du gendarme et du voleur n’est décidément plus ce qu’il était...

Pendant ce temps, M. Macron savourait sa victoire sans péril ni gloire, lui qui dénonçait il y a quelques mois “les violences policières”, et qui affirmait il y a quelques jours à peine qu’il était contre la légitime défense. Bien que le cas de figure d’un policier amené à faire usage de son arme contre des individus faisant courir un risque jugé majeur pour la sécurité publique échappe a priori à ce contexte, la déclaration du chef de l’Etat révèle un état d’esprit inquiétant dans une société en voie de délitement social et de perte rapide de repères. Au rythme actuel, y aura-t-il encore des policiers pour faire régner un tant soit peu d’ordre public ? Comble du ridicule et de l’hypocrisie, M. Mélenchon, chantre de l’ultra-gauche, apôtre de la violence révolutionnaire, qui ne perd jamais une occasion de fustiger la brutalité des forces de l’ordre, s’insurgeait à l’occasion des dégradations et des pillages observés le 1er mai à Paris, critiquant non pas les voyous mais l’incapacité du préfet à garantir le droit de manifester tranquillement…

25 avril 2022

Rien

Rien, cette écume vierge vers
A ne désigner que la coupe
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l’envers…

J’aime ces vers de Stéphane Mallarmé*, à l'élégance parnassienne. Ils sont beaux et hermétiques, comme les nébuleux discours et les brillantes promesses d’Emmanuel Macron, réélu hier soir, sans aucune surprise par un pays en voie de fossilisation.

Mais si l’art pour l’art se conçoit dans le champ poétique, il en est autrement du débat politique, tombé lui dans l'abîme de l’absurdité.
Si une fois encore, l'épouvantail du fascisme a fonctionné auprès du bon peuple, que peut-on attendre d'un président artificiellement confirmé dans ses fonctions à la manière de Jacques Chirac en 2002 ?

Sans réel programme hormis un catalogue de bonnes intentions et des flopées de paroles lénifiantes, fera-t-il mieux que ce qui reste de son premier mandat, c’est à dire quasi rien ?
Il dut affronter des crises dit-on, mais la première, celle des Gilets Jaunes, c’est lui qui l’avait provoquée en taxant inconsidérément les produits pétroliers et en sur-réglementant la vitesse sur les routes. La deuxième, celle du COVID, à laquelle il fut confronté malgré lui, il la géra fort mal, se montrant excessivement dirigiste dans l’action, mais en retard à chaque étape, à la manière des carabiniers. S’agissant de la troisième, la vraie guerre en Ukraine, dans laquelle il n’est pas plus impliqué que n’importe quel chef d’Etat, le moins que l’on puisse dire est que son rôle se borne à un dialogue de sourds avec Vladimir Poutine.

En politique intérieure, son action s’est révélée aussi inefficace qu'incohérente. Il fut dans l’incapacité de mener à bien la seule grande réforme du quinquennat, celle des retraites. Pire, après avoir fustigé le “pognon de dingue” des dépenses publiques, il s’est mis à jouer au Père Noël en distribuant tant et plus l’argent que l’Etat ne possédait plus depuis longtemps, apportant ainsi sa peu glorieuse contribution à l’endettement massif du pays.
En matière de prélèvements, il diminua certes un peu les charges pesant sur les salaires. Mais ce fut au prix d'une folle croissance de la taxe carbone, et d'une sévère augmentation de la CSG (+1,7 point, soit 22,6% !). Il feignit de supprimer l’ISF et la taxe d’habitation, mais le premier changea simplement d'assiette et de nom, devenant IFI, la seconde fut juste centralisée à Bercy. En somme, la prétendue baisse de la fiscalité ne fut qu'un trompe-l'œil se résumant à de simples transferts de charges.
Le chômage reflua certes, mais moins qu'ailleurs.
Face aux problèmes récurrents de l'immigration clandestine,  de l'insécurité, il opposa des flots de paroles martiales mais se borna à l'attentisme sur le terrain.
S'agissant du système de santé, 4 plans successifs n'ont rien changé au désastre, hormis le saupoudrage de quelques primes ici ou là.
Sur la nation plus que jamais asservie à l’État Providence, la gangue bureaucratique continue de s'étendre ainsi que la marée des législations inutiles, redondantes, contradictoires ou tout simplement liberticides.
En politique internationale enfin, ses hardies gesticulations n'aboutirent en général qu'à des fiascos (Brexit, Liban, Mali, Ukraine...).
Bref, un bilan peu reluisant.

À l'issue du scrutin, son discours célébra une victoire qui selon ses propres mots “l’oblige” envers ceux qui ont voté pour lui, pour “faire barrage à l’extrême-droite”. Il indique de ce fait qu’il tiendra davantage compte de la clique haineuse de Mélenchon (en donnant un probable coup de barre à gauche) et de l’armée mexicaine des coco-bobo-écolos (en annonçant un nouveau rouage administratif de "planification énergétique"), que de la marée montante des 41% d’électeurs lassés de l'absence de détermination et de stratégie des dirigeants depuis des décennies. Tout porte à croire que ce quinquennat sera donc un coup pour rien, “comme d'habitude”, comme dit la chanson...

* Salut, par Stéphane Mallarmé. Poésies/Gallimard

21 avril 2022

The Beatles Get Back !

Alors que le monde semble s’égarer dans de sombres perspectives, que la guerre ramène ses menaçants nuages au dessus de nos têtes, et qu’un peu partout les libertés semblent s’enfuir comme des oiseaux craignant les rigueurs de l'hiver, rien de plus revigorant que le retour opportun des Beatles !

The Beatles Get Back, c’est le titre de la mini-série compilant les dizaines d’heures de film enregistrés sur le vif lors de l’élaboration du dernier album du légendaire groupe de pop music britannique. Un premier montage avait abouti en 1970 à un film raté, tombé bien vite dans les oubliettes. Aujourd’hui, c’est à un joyeux bain de jouvence auquel le réalisateur Peter Jackson nous convie. Certes il y a des séquences répétitives, puisqu’il s’agit de capter l’esprit de répétitions.. Elles lasseront peut-être un peu les béotiens, mais sûrement pas les fans, avides de la moindre révélation.
Il s’agissait hélas du chant du cygne puisqu’on était tout près du split final, mais quelle apothéose ! Et quelle joie de retrouver ces quatre garçons au meilleur de leur inspiration, dans l’ambiance de liberté débridée de la fin des sixties et d’épanouissement artistique. Quelques petites querelles naissent bien, ici ou là, mais la magie opère plus que jamais. Tout ce que ces gars touchaient se transformait en or et on reste bouche bée devant l’apparente simplicité avec laquelle ils se délestaient de mélodies devenues universelles et indémodables. On croirait les sessions tournées la semaine dernière tant elles gardent de fraîcheur, et tant la musique a conservé de jeunesse, d’originalité et de vigueur. Au surplus, les images sont superbes et la prise de son épatante.
On voit ainsi littéralement naître sous nos yeux les chansons Get Back, Let It Be, Don’t let me Down, The long And Winding Road… fruits d’une alchimie confondante de naturel et d’évidence.

On ne peut que ressentir une profonde mais chaude nostalgie en voyant le groupe faire une ultime prestation publique sur le toit de leur maison d’enregistrement, en plein mois de janvier ! Face au miracle de la création et devant l'évidence du génie, me revient la question d'un enfant à un sculpteur en train de terminer une statue équestre: “Mais comment savais-tu qu’il y avait un si beau cheval à l'intérieur de la pierre ?”

NB: à voir sur Disney+ en 3 épisodes de plus de deux heures chacun. Une sortie en Blu-ray est annoncée, mais pas avant plusieurs mois.

13 avril 2022

Un pays fossilisé

Eric Zemmour n’a pas su convaincre assez pour bouleverser le scrutin de ce premier tour, mais ses diagnostics politiques étaient les bons. Valérie Pécresse s'est donc ralliée, sans arme ni bagage dès 20h02 à Emmanuel Macron et en dépit de sa monstrueuse déculottée, la Droite dite républicaine continue avec acharnement de faire tout pour achever de se suicider. Elle reste soumise au leitmotiv grégaire du “tout sauf Le Pen” qui consacre le succès du piège tendu il y a plusieurs décennies par l’homme de Jarnac.
Force est de constater que les partis politiques traditionnels sont arrivés au bout de leur logique destructrice. Se retrouvant tous sous la barre des 5% des suffrages, ils feraient presque pitié, ruinés qu’ils sont, et misérablement retranchés dans la dernière tour de leurs châteaux en miettes, d’où ils ne voient plus rien du pays depuis bien longtemps.

Comme l’avait prédit Zemmour, Marine Le Pen sera battue dimanche prochain. On nous refait pour la nième fois le coup de la République en danger et de l’exhortation à l’union sacrée contre la peste brune. Macron lui-même, feint d’avoir peur, mais en réalité chacun et lui le premier, sait que les jeux sont faits.
De toute manière, il semble évident que l’égérie du Rassemblement National concourt pour la beauté du geste, mais qu'elle n’a guère envie de se retrouver à l’Élysée. Reprenant à son compte l’antienne de la diabolisation, elle trouve même le moyen de bouder le seul soutien qui ait osé s'exprimer en sa faveur et a poussé la rancune jusqu'à préciser qu’elle ne ferait pas de place à Marion Maréchal dans un éventuel gouvernement. Elle aurait, au demeurant, bien du mal à le constituer, si tant est qu’elle obtienne une majorité à l’Assemblée Nationale !

Le débat politique reste donc durablement congelé en France. Emmanuel Macron peut surfer dans la mousse vaporeuse de ses belles déclarations d’intention. Sans parti, sans conviction, sans détermination, il n’a, comme le joueur de flute de Hameln, besoin de rien d’autre que son pouvoir de séduction personnel.

Il est paradoxal que l’opposition soit à ce jour représentée par deux leaders en fin de carrière, l’une tirant sa légitimité d'un bon tiers de l’électorat qu'elle s'avère incapable de faire sortir de l’impasse politique, l’autre véhiculant une idéologie démagogique et revancharde, aux relents nauséabonds de Grand Soir. On frémit quand on pense qu’il aurait pu atteindre le second tour si la vieille garde révolutionnaire trotsko-lénino-marxiste s’était jointe à lui. Heureusement, le collectivisme n’empêche pas l’individualisme égotique…

Si toute personne dotée de bon sens et de pragmatisme peut caresser l’espoir de voir la Gauche se disperser, en même temps que ses illusions mortifères, il est souhaitable qu’on puisse assister à une recomposition du paysage politique après cette élection et qu’un vrai débat soit en mesure enfin de s’instaurer. Cela pourra peut-être s’opérer sur les ruines fumantes du vieux monde politique. On peut en douter tant la raison dans notre pays semble réduite à l’état de fossile…

09 avril 2022

Adieu Doux Commerce

Le déclenchement du conflit russo-ukrainien fait ressortir de vieux démons qu’on croyait à tout jamais terrassés. Outre les souffrances directes subies dans leur chair par les populations en proie à ce fléau si terriblement humain qu’est la guerre, on voit surgir nombre d'effets collatéraux désastreux.
Le premier d’entre eux est sans doute le coup d’arrêt porté aux échanges internationaux en raison des sanctions économiques de plus en plus nombreuses et sévères qui s’abattent sur Moscou. Elles sont en train de refroidir si ce n’est de geler durablement les relations avec nombre de pays, pour la plupart occidentaux.
Quelle que soit l’issue du conflit sur le terrain, comment et quand pourra-t-on revenir sur ces contraintes, après avoir traité Vladimir Poutine, de “tueur”, de “dictateur”, coupable de “génocides”, de “crimes de guerre atroces”, voire de “crimes contre l’humanité” ?

Pour l’heure, ces actions punitives semblent n’avoir que peu d’effet sur la détermination des Russes à poursuivre leurs menées guerrières. L’Histoire est d’ailleurs là pour apprendre qu’elles n’ont jamais été très efficaces. Le fameux blocus continental organisé du temps de Napoléon Ier pour asphyxier l’Angleterre n’a pas empêché cette dernière de perdurer et même de mettre en échec l’empereur. Plus près de nous, les sanctions qui frappent depuis des lustres Cuba, la Corée du Nord ou l’Iran n’ont en rien atténué l’horreur des régimes visés et les tyrans se sont maintenus envers et contre tout. L’absurdité de ces pénalités infligées au nom de la morale va jusqu’à empêcher nos entreprises de vendre leurs produits au peuple russe, avec lequel on affirme pourtant ne pas être en guerre, et faute de pouvoir atteindre directement le chef du Kremlin, à cibler par malsaine et inutile vengeance son entourage familial. Cette ardeur répressive a même conduit l’Union Européenne à sanctionner ses propres membres comme la Pologne, au motif de “manquement à l’indépendance de la justice”, ou la Hongrie pour “violation des valeurs européennes”... On se demande jusqu’où ira l’escalade accusatrice des censeurs défendant un “Etat de Droit”, aux contours des plus discutables.

En attendant, la guerre continue car on se refuse à prendre les seules mesures capables de l’arrêter, à savoir établir des lignes rouges vraiment infranchissables sous peine de recourir à des représailles militaires proportionnées à celles employées par l’ennemi désigné. Sans une telle détermination, l’Ukraine, parée soudainement de toutes les vertus, et dont on nous dit qu’elle résiste vaillamment au répugnant Goliath russe, risque d’être saignée à blanc. Et l’inaction de ses amis, qui s’agitent en paroles, mais qui restent contemplatifs, sera regrettée et critiquée sans doute avec raison par les juges qui regarderont ces évènements avec le recul.

Contraints de continuer à acheter le gaz russe, faute d’alternative (à l’exception notable de la Lituanie), et quelque peu gênés dans les entournures, les politiciens affirment, après avoir fait le contraire, qu’il faut impérativement diminuer notre dépendance à l'égard de la Russie et d’une manière générale vis-à-vis d’autres pays en matière énergétique et pareillement pour quantité de biens matériels. Après la Russie, la Chine, premier commerçant de la planète, est visée par ces ambitieux objectifs. La réindustrialisation est devenue la chanson à la mode, qui permet à certains discoureurs de faire de belles promesses. D’autres se font les chantres du protectionnisme qui ferme les frontières au commerce, tue la concurrence et l’innovation et fait monter les prix. Dans le même temps, ils se veulent les protecteurs du pouvoir d’achat !

Comme en un rêve, les mots de Montesquieu viennent à l’esprit, rappelant les bienfaits du “doux commerce” : “Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes: si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels…/… C’est presque une règle générale, que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce, et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces” (in L’Esprit des Lois)...

Illustration: Gérard de Lairesse (1641-1711), Allégorie de la liberté du commerce, 1672, Plafond du Palais de la Paix, La Haye

07 avril 2022

L'Affaire McKinsey

Le scandale des cabinets de conseils privés, travaillant au service de l’État, qui éclate en toute fin de campagne électorale, pèse comme un boulet aux pieds du président de la république, que tout le monde donnait déjà pour réélu.
C’est du pain béni pour ses opposants même s’il est peu probable que cela soit suffisant pour enrayer la machinerie macronienne, ce d’autant qu’une bonne partie du problème relève de la pléthore et de l'irresponsabilité étatiques, fléaux pas vraiment nouveaux dans notre cher vieux pays.

Le sujet n’en est pas moins croustillant, car en fait d’affaire, il y en a trois en une.
Il y a d’abord le fait que ce cabinet dont les conseils sont rémunérés à prix d’or par l’État ne paierait paraît-il pas d’impôts en France depuis une bonne décennie. C’est sans doute plus qu’une rumeur car on apprenait le 6 avril que le Parquet National Financier venait d’ouvrir une enquête pour "blanchiment aggravé de fraude fiscale”. Rien que ça !
Deuxième source d’embarras, il y aurait eu selon une commission d’enquête du Sénat, délit de favoritisme, voire de corruption, de la part de l’État, ledit cabinet ayant été maintes fois sollicité, sans que soient respectées stricto sensu les normes draconiennes des appels d’offres des marchés publics, par la seule grâce des liens d'amitié anciens noués avec le président de la république et son entourage.
Enfin le dernier et véritable souci se trouve dans les dépenses astronomiques supportées par l’État pour obtenir les précieux conseils et les mirobolants audits de ces modernes diseurs de bonne aventure. Le montant s’élèverait en effet à près d’un milliard d’euros, pour la seule année 2021. Il aurait doublé en trois ans et serait d’ailleurs largement supérieur si l’on y ajoute les débours de nombreux organismes publics faisant également appel à ces entreprises (Pôle Emploi, Caisse des Dépôts et Consignations, Assurance Maladie, Hôpitaux…).

On arguera que les dépenses de certains pays (Allemagne, Royaume Uni) sont encore plus importantes que celles de la France, mais le vrai scandale ici est qu’elles viennent en plus du budget faramineux consacré à la technostructure, dotée de brillants fonctionnaires, aptes en théorie à fournir le même accompagnement. Ayant travaillé pour l’administration hospitalière, je fus le témoin consterné de ces redondances absurdes.
Cette gabegie rejoint en quelque sorte celle consistant à multiplier les agences, hauts comités, commissions et autres succursales de l'État supposées le conseiller, l’aider, l’accompagner et le contrôler. Selon une enquête récente, la France ne compte pas moins de 1200 organismes publics de cette nature qui pèsent autour de 80 milliards €/an !

Pour animer ces structures, près d’un demi-million de fonctionnaires s’activent, trop souvent en pure perte. Parmi les exemples les plus récents et flagrants de cette incurie, citons les Agences Régionales de Santé (ARS), qui malgré leur fonction tutélaire, s’avèrent incapables d'organiser le bon fonctionnement des hôpitaux, qui ont montré une inertie criante face au COVID, et qui en dépit de leur mission de contrôle, furent indifférentes aux déviances de certaines sociétés de gestion d’EHPAD.
On pourrait évoquer également la Cour des Comptes. Contrairement aux ARS, elle fournit un travail remarquable et ses rapports sont très souvent pertinents, mais à quoi bon s’échiner à épingler les mauvais comportements de l’Etat, puisque personne n’en tient jamais compte, surtout pas les cabinets ministériels !

Moralité : malgré le tintamarre médiatique de ces derniers jours, il y a peu d'espoir que les choses changent avant longtemps dans notre pays de cocagne, et sans doute continuera-t-on à payer des gens pour qu’ils vous donnent l’heure qui s’affiche à votre propre montre, que vous ne voulez pas voir…

30 mars 2022

Anéantir, mais quoi ?

Michel Houellebecq avait révélé il y a quelques années, qu’il souhaitait écrire un “gros livre”. C’est chose faite avec "Anéantir*", ce pavé de 730 pages en forme d’assommoir, au titre désespérant si ce n'est franchement nihiliste.
Disons tout de suite que sa lecture n’impose paradoxalement pas un effort considérable. Non pas qu’il soit palpitant pour l’esprit, mais pas plus désagréable non plus qu’un flux d’eau tiède sur la peau… Ça s’écoule sans joie ni déplaisir.
Si l’on s’en tient à la forme, elle s’inscrit dans le style auquel nous a habitué l’auteur, fait d’une écriture plate et atone remplie de lourdeurs, de trivialités et de banalités stylistiques. La ponctuation est parfois erratique, la narration n’évite pas la vulgarité, mais tout ça est inodore, sans saveur, sans truculence (n'est pas Céline qui veut). Le récit, linéaire mais sans but, se perd en digressions interminables de peu d’intérêt : les rêves insensés du personnage principal, la description caricaturale de l’organisation des maisons de retraites qu’on appelle de nos jours Établissements D'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD), les moyens insensés auxquels il faudrait paraît-il recourir pour s'en échapper, les méandres cabalistiques dans lesquels se perdent des menées terroristes un peu ridicules, le microcosme doré de la haute fonction publique incarné par un ministre de l’Économie sans chair ni épaisseur, quoiqu’il soit qualifié de génie à l’égal de Colbert (ce qui est pour celui qui en est l’objet, un compliment à double tranchant). Et pour finir, une pesante réflexion sur la mort et sur vanité de l'existence empreinte de réminiscences freudiennes (la tumeur pharyngée qui dévore l'être...), mais ici encore, on reste étranger au drame narré de manière insipide...
Tout cela est donc très “techno” et jamais on n’éprouve le moindre frisson, ni la moindre émotion pour les êtres de papier dont l’auteur nous narre avec application et force platitudes la vie monotone, bourrée de stéréotypes et de clichés. Est-ce l’expression du spleen romantique si bien mis en vers par Baudelaire, ou Musset (dont un des personnages se plaît à scander les vers de Rolla) ? J’en doute tant l’art est ici absent.
J’ai plusieurs fois tenté d’entrer dans l’univers houellebecquien, mais à chaque fois mon impression fut dominée par la déception et je m’interroge sur les raisons qui font de cet écrivain somme toute médiocre, un champion des best-sellers en librairie. Peut-être par sa faculté étonnante à épouser avec une molle servilité les remous de l’actualité de son époque et à en décrire de manière insipide tous les poncifs sociétaux. Il ne les approuve ni ne les critique, ni même ne les commente, tout au plus, se contente-t-il de surfer dans la mousse des vanités contemporaines. Spectacle insignifiant mais qui plaît à l’évidence, dans un monde abandonnant un à un ses repères et qui donne à l'écrivain la stature de visionnaire aux yeux de certains …

Je reprends à cette occasion, le commentaire que m’avait inspiré en 2011, la lecture d’un précédent bouquin, lui aussi, “acclamé par la critique” : La Carte et le Territoire.
Le plus navrant concernant cet ouvrage, est qu'il soit parvenu à rafler le prix Goncourt.
On subodorait que ce dernier récompensait davantage l'aura médiatique et le potentiel marchand que les qualités littéraires intrinsèques. On en a ici, la confirmation éclatante.
Car il s'agit d'une bien médiocre prose, mais si conforme aux mornes standards du moment... Le genre de produit qu'on met dans son caddie au super-marché sans même y penser...
Il n'y a pas de style dans ce collage insignifiant de fragments desséchés, d'un puzzle sociétal situé dans les sphères branchées du snobisme bobo. On y trouve quelques pesants truismes sur le monde surfait des "people", un aperçu peu reluisant du "marché" de l'art contemporain, une louche assez écœurante d'autobiographie prétentieuse et grinçante, et un grotesque ersatz de polar dans le genre gore. Le tout est assaisonné de quelques annotations inutiles sur les cartes routières, les chauffe-eaux, les radiateurs, les automobiles de marque Audi ou les appareils photo numériques, et surtout de laborieuses et vaines digressions néo-déconstructivistes sur le devenir de la société post-industrielle.
L'ensemble est débité comme une sorte de jambon pâle, inodore et sans saveur. A l'image de la découpe au sens propre de la chair humaine, dépeinte dans une mise en scène atrocement banale. Il y a de la viande froide, mais où sont les tripes ? Les personnages sont absolument inconsistants et en général très antipathiques. Il s'agit de stéréotypes inexpressifs errant dans l'existence, sans but, sans passion, sans aspiration. Bref, ce bouquin sinistre est à la littérature ce que les fleurs de cimetières sont à celles de Giverny...
 
* Michel Houellebecq. Anéantir Flammarion 2022

25 mars 2022

Rêves Perdus de Fédérations

Dans son petit mais puissant appel à la paix perpétuelle, le philosophe Immanuel Kant (1724-1804) évoquait la nécessité pour les pays désirant tendre vers cette issue idyllique, de se rassembler derrière le modèle fédératif.
On connaît effectivement la force de cette organisation qui préserve les intérêts de chacun tout en forgeant une solide unité basée sur un dessein commun, lui-même fondé sur la liberté, la responsabilité, la solidarité et le respect mutuel.
L'Amérique a fait la preuve de l'efficacité et de la stabilité de ce type d'alliance, saluée et magnifiée par Tocqueville. D’autres nations sont régies par des systèmes comparables au sein même de l'Europe, telles l'Allemagne et la Suisse qui ont démontré que le principe était applicable quelle que soit la taille de l'ensemble fédéré, du plus petit au plus gigantesque. A la fin des fins, Kant allait jusqu’à imaginer une gouvernance mondiale reposant sur une fédération de fédérations.
Malheureusement, l’actualité internationale est venue sérieusement doucher les espoirs que faisait entrevoir le sage de Königsberg et les perspectives d’extension du modèle paraissent à l’heure actuelle bien compromises.

Depuis que ses troupes ont envahi l’Ukraine, l’auto-proclamée Fédération de Russie semble plus que jamais éloignée de l’idéal kantien. Né sur les décombres de l’Union Soviétique, cet ensemble en apparence monolithique n’a jamais répondu au schéma fondé sur le libre choix de ses adhérents et le recours à la coercition et même à la guerre pour étendre sa domination fait éclater au grand jour les malfaçons de ses fondations. La crise actuelle anéantit les perspectives d’unité paisible du monde slave. Au surplus, elle menace gravement la paix du reste de la planète.

La Communauté Européenne donne à cette occasion l’impression d’un renforcement de sa cohésion mais les quelques décennies passées ont démontré qu’elle restait hélas elle aussi très loin de ressembler aux états-unis établis outre-atlantique. En dépit d’une convergence économique et d’une monnaie commune, les politiques nationales priment trop souvent sur celles de l’Union. Le Brexit a détaché le Royaume-Uni et le moins qu’on puisse dire est qu’il n’existe guère de grand dessein partagé par les nations restantes. Hormis les belles déclarations d’intention, peu de pays sont désireux d’abandonner une part de leur souveraineté. Emmanuel Macron, qui peut être considéré, au moins en parole, comme un des plus pro-européens des chefs d’État actuels de ce conglomérat peu inspiré n’a jamais osé prononcer le terme de fédération et reste pour son propre pays, très attaché au principe centralisateur, n’accordant aux régions qu’une autonomie symbolique. Il faut reconnaître que d’une manière générale, la doctrine des principaux partis politiques français n’a guère évolué sur le sujet. Elle est cramponnée à la centralisation bureaucratique étatique, et s’arrête au mieux au concept d’Europe des nations, mais sûrement pas à une entité supranationale. Pire, le mythe de "l’indépendance nationale", brandi régulièrement comme un totem, n’a fait qu’isoler la France et la tenir avec arrogance à l’écart des grandes alliances internationales et des échanges commerciaux.

En Asie, la sortie progressive de nombre de pays du communisme pouvait faire rêver à la montée en puissance de l'idée démocratique, à la convergence progressive des systèmes et à l'éclosion du libre échange. La ratification récente par l’Australie et la Nouvelle-Zélande du Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP) avec les pays de l’Asie du Sud Est (ASEAN) et la Chine pouvait préfigurer cette aventure. On caressait l’espoir qu’un jour se produise la réunification, dans la paix, des deux Chines (Pékin et Taipeh) ainsi que des deux Corées. Force est de constater que la tendance n’est hélas pas celle-là, la tension ne cessant de croître dans cette partie du monde.

Ailleurs enfin, point d’espérance précise, ni en Afrique, ni en Amérique du Sud hormis quelques accords économiques (ALEAC, ZLEA, MERCOSUR), ni au Proche-Orient. Du côté des deux géants que sont l’Inde et le Pakistan, l’hostilité reste palpable. Même en Amérique du Nord, la montée des communautarismes et l’exacerbation des passions politiques fait craindre que ne se fissure le merveilleux prototype élaboré par les Pères Fondateurs de la République Américaine.

Plus de deux siècles après la mort de Kant, rien ne permet de remettre en cause la beauté et la justesse de sa théorie, même si nombre de peuples n’ont à l’évidence toujours pas acquis la maturité nécessaire pour la mettre en pratique. Est-il encore possible d’imaginer que la fameuse et apodictique devise E Pluribus Unum soit l’avenir de l’humanité ?

14 mars 2022

Guerre des mots, guerre des images

Puisqu’il est affirmé et répété que ni l’OTAN ni aucun pays occidental n’interviendra militairement en aucun cas en Ukraine, il ne reste plus que les ripostes verbales, les sanctions économiques, et autres vœux pieux.
En France, ça commence par les postures présidentielles et avant toute chose, par l’art subtil de manier le langage et les concepts. Pour notre jeune mais jupitérien chef de l’État qui avait avec emphase déclaré la guerre au COVID-19, il ne s’agit plus du tout de cela face à la déferlante armée ravageant l’Ukraine. Le président prend un air martial pour condamner cette invasion et annoncer de terribles sanctions, mais de guerre avec la Russie il n’est surtout pas question !

Le ton est donné. L’Ukraine est devenue le sujet numéro un du moment, mais propice à toutes les interprétations, à toutes les hypothèses et à toutes les manipulations. Le COVID, même en recrudescence, n’intéresse plus guère. La campagne électorale, déjà anémique, est reléguée au rang des faits divers dont l’issue est réglée comme une partition sur du papier à musique. A la télévision les émissions spéciales se succèdent au rythme des combats et à la lumière des analyses d’experts en géostratégie et en poutinologie. Nourris d’informations parcellaires, répétitives jusqu’à l’écœurement, et de provenance souvent douteuse, tout nous porte à prendre position face à ce conflit mettant en scène de manière indiscutable un agresseur et un agressé. S’il n’est évidemment pas question de mettre en doute l’évidence de l’incursion armée moscovite, l’objet est ici de s’interroger sur l’interprétation qu’on en fait.

De réunions au sommet, et d’allocutions solennelles en entretiens plus ou moins confidentiels, on assiste au ballet ininterrompu des chefs d’États, des ministres et des plénipotentiaires et les sanctions et représailles vont bon train. Chaque jour un wagon de nouvelles mesures s’ajoute à celles d’hier, sans que pour l’heure, cela n’entame en rien la froide détermination des troupes russes. Dans le même temps, la charge punitive commence à peser économiquement sur les pays qui en sont les organisateurs, et fait l’objet de débordements discutables jetant le discrédit sur tout ce qui est russe, notamment les chefs d’entreprises, les artistes, les sportifs, et les médias. Au surplus, elle achoppe sur la délicate problématique du pétrole et du gaz. Hormis pour les États-Unis qui ont décrété un embargo symbolique sur leurs dérisoires importations, les affaires continuent envers et contre tout principe moral avec Moscou. Pire, dans le but bassement matériel de diversifier l’offre, le marchandage s'engage avec les réprouvés d’hier, l'Iran, le Qatar, l'Algérie et même avec le Venezuela. Les besoins énergétiques pressants amènent à relativiser le bien et le mal.

Dans ce contexte de tension internationale, la bonne vieille dialectique du bouc émissaire reprend vigueur. Les Russes sont devenus clairement les méchants et la honte échoit à toute personne qui aurait pu se compromettre avec Vladimir Poutine avant le conflit. La chasse aux sorcières est ouverte, très opportune pour le candidat-président de plus en plus largement en tête des sondages.
La thématique des réfugiés fait l’objet d’une récupération politique éhontée, afin de déconsidérer ceux qui réclamaient une maîtrise de l'immigration. L'exode des malheureux fuyant la guerre, dans l’espoir qu’on leur apporte un peu d’aide en attendant de pouvoir retourner chez eux, est assimilé à l'afflux ininterrompu et grandissant des migrants arrivant depuis des décennies en France pour des raisons économiques et sociales, sans projet de retour, et sans aucun souci de troquer leur culture, leurs coutumes ou leur religion pour celle du pays qui les accueille (mal au demeurant). Tout se passe comme si l'on pouvait comparer les malheurs d’une guerre aussi soudaine qu’imprévue avec le basculement civilisationnel qui s’opère sous nos yeux en raison de mouvements migratoires incontrôlés. La bien-pensance est plus sensible hélas au manichéisme qu’aux nuances…
La crise ukrainienne est aussi l’occasion inespérée de faire endosser au dictateur russe tous les maux de la terre. Ainsi, Poutine devient le seul et unique responsable de l’augmentation du prix du gaz et du pétrole, de la flambée des cours des céréales, des difficultés économiques en tous genres, de l’inflation, de l’endettement, de la dégradation du pouvoir d'achat, tous fléaux qui étaient apparus bien avant la conflagration ukrainienne. l’Inénarrable ministre de l'économie en profite même pour annoncer d’un ton grave que les choses vont s’aggraver, qu’il va falloir faire des efforts, que les temps seront de plus en plus durs…
Même si l’État continue de dépenser tant est plus, et réaffirme par la voix d’Emmanuel Macron sa volonté de “protéger les Français”, on ne parle plus du “quoi qu'il en coûte”. A la place, ce dernier propose un “plan de résilience”, en se gargarisant d’un mot-valise insupportable, qui attrape tout mais ne résout rien.
On ressort enfin la rengaine de l’indépendance et de la souveraineté nationales. Comme à leur détestable habitude, les politiciens n’hésitent pas à brûler aujourd’hui ce qu’ils ont adoré hier. On nous avait fait le coup des relocalisations lors de la pénurie de masques au début de la pandémie. Cette fois c’est l’enjeu énergétique qui s’impose. Alors qu’on vient de fermer la centrale de Fessenheim dans le cadre d’un vaste plan de réduction du nucléaire, le Président de la République fait part de sa volonté subite de semer des centrales un peu partout. Comprenne qui pourra... Des programmes s’étalant sur des dizaines d’années et occasionnant des restructurations et des coûts colossaux évoluent ainsi au gré de l’émotion. Aujourd’hui c’est la guerre qui commande, hier c’était l’utopie écologique et le principe de précaution. Va petit mousse où le vent te pousse…

Ce conflit au sein même de l’Europe est l’objet de beaucoup de propagande ou de non dits. Avant tout du côté russe sans nul doute, mais chez nous qu'en est-il ?
On nous montre les désastres occasionnés par les bombardements et l’infortune des populations civiles ne sachant que faire ni où aller, mais comment se faire une idée précise de ce qui se passe ? Durant des jours on nous a montré la fameuse colonne de chars russes s’étalant sur plus de 60 kilomètres sur la route menant à Kiev. On nous a répété que la ville était en passe d'être assiégée, sur le point d’être assaillie, mais on entend également que les troupes de Poutine seraient à l’arrêt forcé par manque du carburant, de nourriture et prises au piège des Ukrainiens qui leur auraient coupé le chemin en faisant sauter les ponts enjambant le Dniepr. Qu’en est-il réellement ?
S’agissant des pertes, le Pentagone les chiffre entre 2 et 4000 hommes au sein des troupes russes. Certaines sources anglaises parlent de 7000 tandis que les Ukrainiens évoquent le nombre de 11000 ennemis tués, chiffrant leurs propres pertes à 1300. Où est la vérité ?
On se révolte naturellement en apprenant qu’une maternité soit l’objet d’un bombardement, mais la nature et le nombre des victimes restent incertains et le Kremlin prétend qu’il s’agissait d’un repaire de nationalistes anti-russes. Qui croire ?
Quant aux objectifs de Vladimir Poutine, ils suscitent supputations et controverses. Lui affirme qu’il n’a aucune ambition territoriale en dehors de l’annexion de la Crimée et aucun projet de renverser le gouvernement en place, mais qu’il veut la démilitarisation de l’Ukraine, sa neutralité, et la reconnaissance de l’indépendance des républiques de Donetsk et de Lougansk. Peu de gens le croient et sont persuadés qu’il nourrit au contraire une ambition beaucoup plus vaste, ouverte à toutes les suppositions. L’alternative est cruciale. S’il dit vrai, il y a fort à parier qu’il ne démordra pas de ses exigences tant qu’elles ne seront pas satisfaites et le conflit est susceptible de perdurer de manière absurde jusqu'à l'asphyxie de l'Ukraine. Ce qu’il demande était en effet quasi acquis de facto avant même le début des hostilités, et aurait pu être ratifié dans le cadre d’une négociation. S’il ment, il est hélas probable que la guerre gagne en violence et s’étende quoi qu'on entreprenne au plan diplomatique. Dans ce cas, l’inertie occidentale, l’absence de détermination et de véritable ligne rouge, risquent comme en 1938 de conduire tôt ou tard à un désastre de grande ampleur.
On a beaucoup glosé sur le terme de dénazification employé par Poutine pour expliquer en partie les motifs de "l’intervention spéciale" en Ukraine. Cette rhétorique est évidemment choquante eu égard aux drames d’un passé pas si lointain, mais dans le même temps on apprend l’existence du bataillon Azov, rattaché à l’armée ukrainienne, qui revendique un féroce ultra-nationalisme anti-russe, arborant des blasons très proches de ceux des horribles cohortes SS. Imagine-t-on en France, un tel bataillon, intégré à la Garde Républicaine ?
Dernière interrogation, si le conflit actuel fait la une ininterrompue de l’actualité depuis plus de 15 jours, pourquoi ne vit-on quasi rien de la guerre dite du Donbass, qui n’est sûrement pas pour rien dans les hostilités actuelles et qui en 2014 fit 13000 victimes, occasionnant le déplacement de 1,5 millions de personnes ?
La manipulation des concepts et des images est telle qu’aujourd’hui même, le parlement ukrainien, qui réclame vainement une zone d’exclusion aérienne et cherche à provoquer une plus grande implication de l’OTAN, se croit autorisé à diffuser via Twitter un photo-montage de Paris sous les bombardements. Elle se termine par ces mots du président Zelensky: "si nous tombons, vous tombez aussi" !
Jusqu’où ira l’intoxication ? Jusqu’où ira cette guerre ?

09 mars 2022

Le Sentiment d'Impuissance

Quoi de plus désespérant que la lugubre litanie ressassant chaque jour en boucle sur toutes les chaînes télévisées, les bombardements et destructions qui frappent l’Ukraine ?
Quoi de plus désespérant que ce concert tragique des nations réunies dans la même impuissance à s’opposer vraiment à la guerre qui fait rage au cœur de l’Europe ?
Quoi de plus désespérant que cette léthargie dans laquelle s’enlisent tous ces peuples, révoltés par la brutalité de l’intervention militaire russe, mais qui n’ont d’autre choix que d’imaginer d'inopérantes et très coûteuses sanctions, tout en reculant devant un embargo sur le pétrole et le gaz, dont beaucoup sont devenus dépendants ?
Quoi de plus désespérant enfin, que cet affrontement fratricide, dont on perçoit de moins en moins les objectifs à mesure que le temps passe ?

Plus le conflit dure, plus il donne l’impression d’une absurde descente aux enfers. Que peut bien espérer Vladimir Poutine au terme d’un conflit de plus en plus meurtrier et dévastateur ? Ruine et désolation seront selon toute probabilité les piteuses conséquences de cette entreprise insensée, même si les troupes russes finissent gagnantes sur le terrain.

Les Ukrainiens se battent avec l’énergie du désespoir, et le drame est qu’en résistant héroïquement, ils poussent leurs adversaires à accroître la violence de leurs coups. Et les appels à l’aide militaire du président Zelensky restent sans réponse. Après Kharkiv, Kherson, Marioupol, verra-t-on Kiev s’effondrer sous les bombes ? Verra-t-on Odessa détruite ? Et puis quoi donc après ? Où peut s’arrêter cette fuite en avant ?
Au point où nous sommes rendus, aucune issue favorable ne paraît envisageable et les Russes ont désormais rassemblé la quasi-totalité du monde contre eux. A défaut de rayonner, la Grande Fédération s’isole de plus en plus, et sera placée durablement au ban des nations, sauf versatilité des opinions et des intérêts...
La question qui risque de se poser de plus en plus est : combien faudra-t-il d’horreurs pour qu’enfin une vraie détermination se fasse jour pour tenter de mettre un coup d’arrêt à ce qui devient de plus en plus intolérable ?
Échéance terrible qu’on voudrait conjurer tant elle fait peser de menaces sur le fragile équilibre de la paix du monde. On sait trop bien que l’homme, dans sa folie guerrière et idéologique, peut faire largement pire que les virus, les catastrophes naturelles et autres calamités climatiques…

Illustration: La chute de Phaéton par Jan Carel Van Eyck

28 février 2022

Que veut Poutine ?

S’agissant de l’issue de la crise ukrainienne actuelle, les supputations vont bon train, mais qui peut vraiment prévoir comment tout cela finira ?
En France, on se gausse de la complaisance manifestée par le passé par certains candidats à l’élection présidentielle, à l’égard du chef du Kremlin. On se moque du pari perdu d'Eric Zemmour qui jugeait il y a peu de temps, une intervention militaire russe improbable. Mais a-t-on oublié le cynisme avec lequel Emmanuel Macron disqualifiait il y a quelques mois l’OTAN, la décrivant comme étant en “état de mort cérébrale” ? Se souvient-on comme il faisait ami-ami avec le président russe lors d’entretiens très détendus à Brégançon ? Aujourd’hui il prétend qu’il ne s’agit plus du même homme, mais a-t-il vraiment sondé le secret de son âme ?

Le fait est que tout le monde s’est trompé à un moment ou à un autre sur Vladimir Poutine. On le voyait avec une belle unanimité comme un autocrate, mais qui en imposait par son calme, sa détermination, la justesse de beaucoup de ces vues, et qui était capable de surprendre nombre d’interlocuteurs par son humour caustique. Seul Joe Biden a pu paraître lucide, lui qui l’avait qualifié de “tueur” et qui avait crié au loup les jours précédents la conflagration, bien inutilement au demeurant. Clairvoyance étonnante pour une personne qui donne si souvent l’impression d’être à côté de la plaque. Les liens troubles que le président américain entretient depuis des années avec l’Ukraine sont peut-être la toile de fond d’une haine recuite et réciproque entre les deux hommes…

Pour l’heure, on loue la résistance inattendue et inespérée des forces ukrainiennes, qui freinerait paraît-il l’avancée des troupes russes. Peut-être est-ce vrai et cela contraste avec les images d’exode massif de la population, et la préparation d’assez dérisoires cocktails Molotov par des groupes d’hommes plutôt isolés. Les images sont si parcellaires et trompeuses qu’on peut tout imaginer.
Il est donc possible à l'inverse, de supposer que M. Poutine soit proche d’avoir atteint ses objectifs.
Sur les cartes, ses troupes se sont rendues maîtresses de presque tout l’Est de l’Ukraine, notamment la région du Donbass, faisant quasiment la jonction avec la Crimée via Marioupol. Et force est de penser que les frappes intensives qui se sont multipliées tous azimuts depuis le début de la guerre, épargnant le cœur des villes, ont ciblé avant tout les installations militaires et stratégiques essentielles du pays.
Tandis que l’Occident s’agite pour mettre en œuvre des sanctions massives et inédites, que la France étudie la saisie "des biens immobiliers, des voitures de luxe et des yachts", et que M. Lemaire, ministre de l’économie français, annonce avec une emphase un peu ridicule qu’il va dégainer “l’arme nucléaire financière”, M. Poutine peaufine peut-être la fin d’une opération qui pourrait mener de fait à la démilitarisation de l’Ukraine, au contrôle de la région du Donbass jusqu'à la Crimée, et in fine à dissuader définitivement Kiev d’entrer dans l’OTAN, pour adopter le statut de neutralité réclamé en vain par la diplomatie…
Hélas,  cette perspective est des plus incertaines. Elle repose sur l'hypothèse que l'esprit de M. Poutine soit encore accessible à la raison et qu'il ait gardé le sens des réalités. Au surplus, elle suppose que ses adversaires, de plus en plus nombreux et déterminés à en découdre, acceptent une telle issue. Si tel n'était pas le cas, on peut craindre que le point de non retour soit proche et qu'à tout moment les évènements puissent basculer vers l'horreur à grande échelle. A moins qu'une opposition interne au Pouvoir ou bien qu'une révolte populaire d'ampleur brise l'élan et le destin d'un dirigeant de plus en plus isolé, dont l'ambitieux fait d'armes sera le coup de trop...
Une lueur d’espoir s’allume toutefois avec la tenue de pourparlers entre délégations russes et ukrainiennes. Puisqu’il y a peu d'alternatives raisonnablement envisageables, fasse le ciel que cela soit enfin le signe du début d’une désescalade…

26 février 2022

Orages d'Acier

Une fois encore Vladimir Poutine a surpris son monde, et notamment l’Occident. Ni les chefs d'États ni les experts autorisés n’avaient semblé pressentir le vicieux coup de billard à trois bandes que le président russe réalisa le lundi 21 février en reconnaissant tout à trac l’indépendance des républiques de Donetsk et de Lougansk.
Depuis quelques semaines la pression était à son comble. On s’attendait à voir déferler l’armada bardée de chars, de missiles, d’avions et de fantassins qu’il avait massée le long de la frontière ukrainienne et dont le pauvre vieux Joe Biden annonçait l’offensive imminente tous les deux jours, sans rien proposer pour l'empêcher. Au lieu de cela on assista à la discrète infiltration de colonnes blindées supposées garantir la paix à ces régions nouvellement “libérées”...
Hélas, au moment même où l’on pensait le pire passé, car on veut toujours croire que la guerre sera évitée grâce à la diplomatie de la dernière minute, le diable d’homme lançait une attaque de grande ampleur, trois jours plus tard, à l’aube du 24 février.

Tout le monde est donc pris de court et personne ne sait plus trop comment réagir. Étant entendu, comme le président américain l’a révélé à plusieurs reprises, qu’il est hors de question de menacer la Russie d’une quelconque riposte militaire, il ne reste d’autre arme que les discours martiaux et quelques sanctions économiques. Le fait est que M. Poutine paraît s'en moquer comme d’une guigne. Il avance donc ses pions avec sang froid et méthode, donnant l’impression de parfaitement maîtriser sa stratégie de conquête, si bien réussie avec l’annexion de la Crimée il y a quelques années.
A cette occasion il se déleste de sa voix calme et monocorde d’un pensum historique rappelant que l’Ukraine n’est qu’une construction théorique, égratignant au passage Lénine et les bolcheviks, responsables selon lui d’avoir cédé en 1920 toute la région du Donbass à la nouvelle république socialiste soviétique ukrainienne. Il néglige de préciser qu’en fait de cadeau, il était virtuel puisqu’à peine créée, cette entité fut elle-même annexée sans ménagement à l’URSS et même affamée par Staline lors de la collectivisation insensée des terres agricoles. Ce qu’on appela Holodomor fut une abomination conduisant à la mort de faim de plusieurs millions de personnes.
Si l’on remonte le cours de l’histoire, on doit bien reconnaître toutefois que l’Ukraine faisait peu ou prou partie intégrante de l’empire russe du temps de sa splendeur. Au surplus, force est de constater qu’en matière de population, on a affaire à un meltingpot à dominance slave dont l’unité fut longtemps la langue russe. M. Poutine n’a donc pas totalement tort dans ses analyses.

Est-ce une raison pour assujettir à nouveau ce pays devenu libre, indépendant, et démocratique depuis l’écroulement de l’immonde machine soviétique ?
Certainement pas, et les condamnations morales ont fusé de toutes parts (à l’exception de Maduro au Venezuela, d’Assad en Syrie, et de Xi Jinping en Chine…)
Pour autant, puisque la communauté internationale se révèle une fois encore bien impuissante, et qu’en la circonstance l’ONU est tout simplement inopérante, il est permis de s’interroger sur les raisons de cette attaque. Est-elle aussi insensée qu’il y paraît ? Est-elle l’expression d’une volonté paranoïaque incarnée par un autocrate en plein délire, comme on présente habituellement Vladimir Poutine ? A-t-on encore des raisons d’espérer que le conflit se termine avant de causer d'atroces massacres ou qu’il ne s’égare dans une fuite en avant désastreuse ?

Un froid pragmatisme impose de prendre en compte les convulsions qui secouent la fragile démocratie ukrainienne depuis sa naissance. La corruption y est hélas endémique, et l’efficacité des gouvernements qui se sont succédé jusqu’à ce jour est plus que douteuse, tout comme la cohérence des partis politiques.
Leonid Koutchma, ancien dignitaire soviétique fut le premier président (1994-2005). A l'instar de Gorbatchev, il ouvrit le pays à l’économie de marché mais s’embourba dans les malversations financières et la restriction de la liberté d’expression. Pour lui succéder, son premier ministre Viktor Ianoukovytch tenta même de truquer l’élection à son avantage, ce qui conduisit à une révolte populaire qu’on appela la Révolution Orange. De nouvelles élections s’ensuivirent dont sortit vainqueur Viktor Iouchtchenko (2005-2010). Ce dernier voulut moderniser et libéraliser le pays mais son mandat entamé dans la liesse, s’acheva dans l’impopularité, occasionnée par l'irrépressible montée des difficultés sociales et il fut même prétendument empoisonné par ses opposants. A ses côtés la très charismatique Ioulia Tymochenko donna l’illusion du renouveau démocratique mais elle échoua à se faire élire et finit déchue et emprisonnée pour corruption. Viktor Ianoukovytch considéré comme étant l’homme de Moscou, revint alors sur le devant de la scène et fut cette fois élu démocratiquement en 2010, mais sa politique mena à la déroute économique et aux dérives autoritaires. Il s’opposa à tout rapprochement avec la communauté européenne et son mandat se termina piteusement dans les émeutes dites du Maïdan pendant lesquelles plusieurs dizaines de manifestants furent tués par les forces de l’ordre. A la même époque le Donbass s’embrasa et en quelques mois la guerre civile fit plus de 10.000 morts qui ne firent guère l'actualité des médias du monde libre. Contraint à la démission et à l’exil, Ianoukovytch laissa la place à l'homme d'affaires Petro Porochenko (2014-2019). Plutôt populaire à ses débuts car il avait soutenu la révolte, il tenta de ramener la paix au Donbass, mais il fut lui accusé de corruption et fut lourdement battu en 2019 par l’actuel président Volodymyr Zelensky. Celui-ci avait émergé sur l'échiquier politique du jour au lendemain. Issu du monde du spectacle, où il jouait le rôle d’humoriste, il fut élu de manière rocambolesque, avec un score de plus de 73%, à l’issue d’une campagne populiste, animée quasi exclusivement sur les réseaux sociaux. A la manière de Trump, il avait construit son personnage sur un show télévisé très prisé dont il reprit le nom, "Serviteur du Peuple", pour baptiser son parti, nouvellement créé. Mais son inexpérience et le flot insensé de promesses dont il s’était fait le garant le conduisirent rapidement dans une impasse. Sa politique s’est révélée incohérente, émaillée de ratages et de maladresses. Il fut accusé d’être le jouet d’oligarques plus ou moins mafieux, et fut pris en tenaille entre des factions ultra-nationalistes, pro-russes ou au contraire pro-occidentales, réclamant à corps et à cris l’adhésion à l’OTAN. Enfin le jeune président qui avait juré de lutter contre la corruption et d’être transparent, fit l’objet de forts soupçons de malversations (Pandora Papers). Pour couronner le tout il n’évita pas les dérives autoritaires et rogna comme certains de ses prédécesseurs la liberté de la presse en interdisant notamment plusieurs médias internet…

C’est dans ce contexte de dépérissement et d’incertitude que s’est installé un climat de tension croissante entre l’Ukraine et la Russie. Si l’intervention déclenchée par Vladimir Poutine doit être jugée comme illégitime, abusive, voire infâme, risquant de dégénérer à tout moment vers un cataclysme international, elle s’inscrit clairement dans un vaste dessein de reconstruction de la Grande Russie. La réintégration de l’Ukraine dans le giron moscovite relève d’une logique implacable. Qu’elle se fasse dans la violence est effrayant mais l’Occident semble découvrir cette stratégie pourtant maintes fois affirmée, et son impuissance est pathétique. Non seulement on a refusé de voir la réalité, mais on a systématiquement rejeté comme irrecevables, les exhortations répétées du président russe à mettre en œuvre un plan global de sécurité du continent européen, “de l’Atlantique à l’Oural”, pour reprendre l’expression du Général de Gaulle. Peut-être relevaient-elles de la supercherie, mais sans doute eut-il été opportun de s’y intéresser de plus près.
Il y a beaucoup d’hypocrisie à se prétendre aujourd’hui aux côtés du peuple ukrainien et à menacer la Russie de sanctions impitoyables, tout en clamant qu’on ne bougera pas d’un iota au plan militaire. Si Poutine est à ranger au rang des dictateurs conquérants et sanguinaires comme on entend souvent l’affirmer, cette inaction est aussi fautive et inconséquente que celle qui mena à l’abandon de tant de peuples par le passé. La fameuse déclaration en forme de serment qui émana du concert des nations après Nuremberg : “Plus jamais ça” semble décidément dérisoire.
Sans doute serait-il périlleux de s'engager aujourd'hui dans une contre-attaque armée, mais il eut peut-être été envisageable de mieux anticiper l'intervention russe, et par voie de conséquence de l'éviter, en fixant avec une détermination et une démonstration de force crédibles, une ligne rouge infranchissable à Poutine. Si vis pacem, para bellum...
Il ne reste donc plus qu’à espérer que ce dernier ne soit pas aussi fou que certains le prétendent et qu’il saura s’arrêter avant de commettre l’irréparable. Rien n’est moins sûr hélas…

NB : le titre de ce billet reprend celui d'un ouvrage d'Ernst Jünger

18 février 2022

Un sage en terre d'islam

C’est en regardant un documentaire retraçant la vie de Charlie Parker, passionnant au demeurant, que j’ai fait la connaissance du poète mystique Omar Khayyam, dont le saxophoniste était paraît-il un grand admirateur.
Ce personnage étonnant vécut probablement à la charnière entre les XIè et le XIIè siècle en Perse mais sa vie reste nimbée de mystère, faute d’informations précises. On peut donc rêver, à partir de quelques traces épargnées par le temps, autour d’une figure empreinte de liberté en pays d’islam.
Mathématicien, astronome, philosophe et poète, il incarna toutes les qualités qu’on prête à l’humanisme.
L’originalité de son approche spirituelle fut de s’inscrire dans le soufisme, version éclairée de l’islam, bien moins préoccupée par le dogme et les rites que par la nécessité d’établir un lien direct, purement intellectuel, avec Dieu. On trouve pareil cheminement dans la gnose, dans la kabbale ou encore dans le zen. Malheureusement cette belle aspiration est restée très minoritaire en terre musulmane et fut souvent condamnée par les autorités religieuses. Aujourd’hui encore elle est victime de la violence des plus radicaux, salafistes et wahhabites notamment.
Khayyam se qualifiait lui-même de “croyant mais infidèle”, ce qui lui valut semble-t-il d’être tombé en disgrâce à la mort du sultan de l’époque, qui l’avait pris en sympathie et auprès duquel il avait travaillé à l’élaboration d’un calendrier solaire.
Il reste de ce penseur un peu mythique quelques fragments poétiques, tournés sous forme de quatrains (cf quelques exemples ci-dessous), exprimant un certain scepticisme et beaucoup d’humilité, mais également une irréfragable aspiration à la liberté portée par l’ivresse de Dieu. “Enivrez-vous, envolez-vous sur les grands chemins”, comme on fait dire au poète dans le bel hommage au bopper de génie que fut Charlie Parker.
Comme quoi le jazz mène à tout !

Les cieux sont ils meilleurs de m’avoir mis au monde
Mon départ rendra-t-il leur majesté plus grande
Je n’ai jamais appris de personne pourquoi
Je suis venu, pourquoi je dois quitter ce monde

Toi qui de l’univers en marche ne sais rien
Tu es bâti de vent: par suite tu n’es rien.
Ta vie est comme un pont jeté entre deux vides
Tu n’as pas de limite, au milieu tu n’es rien.

Si je pouvais être le maître comme Dieu
Je saurais démonter le ciel au milieu.
Et je ferais alors au sein des étoiles
Un autre ciel où l’homme atteindrait tous ses voeux...