25 juin 2022

Déboussolé

Avec un score de plus de 58% des voix, Emmanuel Macron a été réélu quasi triomphalement à la présidence de la république.
Pourtant ce résultat, obtenu à la faveur de l’inepte “barrage républicain”, n’est qu’un mirage qui ne lui donne qu'une légitimité fragile si ce n’est illusoire. Alors que la constitution de la cinquième république et la réforme du quinquennat donnent habituellement les pleins pouvoirs durant 5 ans au chef de l’État, l’échec inattendu auquel il est confronté à l'issue des élections législatives, le déchoit de facto de l’essentiel de cette puissance.

Sans véritable programme, sans majorité, et sans avoir su anticiper quelque nouvelle alliance, il se trouve en situation particulièrement instable. Curieusement, il semble ne pas en avoir conscience.
Son allocution post-électorale, supposée clarifier la situation s’est réduite à ne strictement rien dire, hormis à confirmer la stratégie erratique du “en même temps”. Mais pour faire des compromis, dont il se dit friand, encore eut-il fallu nouer des liens reposant sur des choix clairs et mettre en place un gouvernement représentatif d'une ligne politique cohérente. M. Macron a beau tenter de renvoyer la balle vers les bancs de l’opposition, elle fera forcément faux bond eu égard à la radicalisation des deux bords politiques qui prennent désormais en tenaille sa “majorité relative”. Les divergences d’approche sont majeures concernant la quasi-totalité des thématiques sur lesquelles sont attendus sans délai des projets de lois audacieux. Santé, social, éducation, sécurité, immigration, tout oppose frontalement Droite et Gauche, et rien ne serait pire que de naviguer à vue, en donnant tantôt un coup de barre à bâbord, tantôt un autre à tribord.
Il n’y a pas grand chose à espérer de la recherche d’une majorité au cas par cas. A chaque instant le risque est de déboucher sur un blocage ou bien le consensus mou, synonyme d’inaction ou d’injonctions contradictoires. On voit déjà s’exprimer le rejet massif de la première des ministres alors qu’elle n’a encore rien proposé…

Pire que tout, ce sont les pré-requis édictés par le Président, à savoir, ne pas alourdir le poids de la dette et ne pas augmenter la pression fiscale. Lui-même n’est jamais parvenu à s’y tenir. La crise des Gilets Jaunes puis celle liée au COVID l’ont conduit à laissé filer les déficits “quoi qu’il en coûte”. Avec la loi annoncée sur le Pouvoir d’Achat, les chèques énergie et inflation, les boucliers tarifaires en trompe-l'œil limitant les prix des carburants, il continue joyeusement à enfreindre sa propre règle…
Comment tenir un cap dans de telles circonstances ? Et comment espérer rester maître à bord longtemps ?

22 juin 2022

Moutarde et charbon en folie

Il n’y a guère de rapport a priori entre les graines de moutarde et les mines de charbon. Pourtant, toutes deux peuvent être impactées par la même folie humaine.

Comme maints gourmets amateurs d’épices l’ont sûrement remarqué, une pénurie aiguë de moutarde sévit depuis plusieurs semaines en France. Elle laisse désespérément vides les rayons ad hoc des supermarchés, mais on n’en parle très peu au chapitre des actualités.
Sans doute est-ce un sujet mineur au regard des menaces qui pèsent sur le monde, mais elle ne laisse pas d’interroger. Comment une telle disette a-t-elle pu survenir ?
Comme souvent, le réchauffement climatique fait figure de coupable idéal. A l'appui de cette thèse on martèle que le Canada, principal exportateur mondial, a souffert en 2021 d'un épisode exceptionnel de chaleur et de sécheresse qui a causé une baisse des rendements. Mais cela n'explique pas tout. La guerre en Ukraine a bon dos également et certains ne manquent pas de souligner que ce pays était le 5ème producteur. Mais la pénurie était annoncée avant le début du conflit et quid des autres nombreuses provenances possibles, dont la France elle-même ?
Lorsqu'on creuse un peu la question, on apprend que notre pays a besoin d’environ 32000 tonnes de graines par an. Or elle n'en produit que 12000. Problème, elle était capable d'en fournir au moins 4 fois plus, donc d’être largement autosuffisante, avant l'interdiction des insecticides, promulguée en 2019. Depuis cette date, grâce aux écologistes bourrés de principes de précaution et de bonnes intentions, l'altise, principal prédateur des cultures, peut s'en donner à cœur joie pour ravager les exploitations. La production s'est effondrée et, dégoûtés, nombre d'exploitants ont purement et simplement abandonné le secteur pour se tourner vers d'autres plus profitables (colza, tournesol). Voilà donc la principale raison au manque du précieux condiment.
Le cher Blaise avait raison. L’homme n’est ni ange ni bête et à trop vouloir faire l’ange, on fait la bête…

Les exemples de cette inconséquence des Pouvoirs Publics asservis à l’idéologie bien plus qu’à la réalité, sont hélas légions. Dernier en date, le scandale du charbon. On savait que l’Allemagne, sous la pression du lobby des promoteurs du développement durable, avait adopté un programme absurde de fermeture de ses centrales nucléaires. Faute de solution de remplacement, elle dut revenir à l’exploitation de l’antique charbon (le plus polluant, la lignite…) pour satisfaire ses besoins en électricité. Résultat, elle est devenue le plus gros producteur aérien de CO2 d’Europe ! Pire, pour avoir imposé de lourdes sanctions économiques à la Russie (restées à ce jour sans le moindre effet) elle est la cible de représailles de cette dernière qui lui a coupé tout approvisionnement en gaz. Elle est donc contrainte, ainsi que l’Autriche et les Pays-Bas, d’accroître encore plus le recours au charbon pour la production énergétique ! On n’arrête plus le progrès…

20 juin 2022

A bout de souffle

Jamais sans doute au cours de la cinquième république, on n’avait connu pareille situation: un Président de la République largement élu, qui se trouve dans l’incapacité de mobiliser dans la foulée une majorité à l’Assemblée Nationale.
C’est peu dire qu’il s’agit d’un échec cuisant pour Emmanuel Macron dont le second quinquennat s’ouvre sous les pires augures. Sa coalition gouvernementale perd près de cent sièges et se trouve désormais dans l’impossibilité de faire voter les lois sans recourir à des compromis, si ce n’est des compromissions, avec les différents courants d’opposition. De surcroît, elle sera exposée au risque permanent de voir s’abattre le couperet de la motion de censure.

Cette évolution apparemment inattendue était pourtant prévisible depuis de nombreuses années. A force de vouloir ostraciser toute opposition qualifiée “d’extrême-droite” ou de “non républicaine”, à force d’exclure un flot croissant de citoyens du débat politique, les digues ont fini par se rompre.
Foin de proportionnelle, foin de barrage aux extrêmes, le paysage démocratique (si tant est qu’on puisse encore lui donner ce nom) se trouve submergé de toute part. A l'exception du Rassemblement National qui fait une entrée triomphale, les partis se retrouvent morcelés, lorsqu’ils n’ont pas été regroupés sous forme de magmas nauséabonds, formés à la va-vite à seule fin d’engranger le maximum de postes.
A ceci s’ajoute l’absence durable de ligne directrice, de programme clair, de pragmatisme et de détermination manifestée par les Pouvoirs Publics, ce qui a progressivement conduit à faire monter une abstention devenue massive (moins d’un citoyen sur deux s’est déplacé pour voter). C’est aujourd’hui la question de la légitimité même de l’Assemblée Nationale qui se pose.

Comment gouverner le pays dans un tel contexte, c’est une autre question à laquelle devra s’atteler sans délai le chef de l’État. La dissolution et le référendum sont des armes redoutables qui se retournent souvent contre celui qui les emploie. Sera-t-il tenté une fois encore par la stratégie du “en même temps” qui consisterait à chercher ici ou là un soutien occasionnel en fonction des circonstances ? Il y a de grandes chances que cela s'avère infructueux voire carrément incohérent, au regard de la radicalisation croissante des esprits, et le risque est d’aboutir très vite à un vrai fiasco si l’on songe à la première des réformes promises, des plus délicates, à savoir celle des retraites…

13 juin 2022

Marchés de nupes

Il est des moments où l’on croit rêver. La réalité semble tellement absurde qu’elle décourage parfois le bon sens.
Au terme de scrutins électoraux de plus en plus farfelus, on voit ainsi ressurgir le spectre de la gauche dans sa version la plus ringarde qui soit, sous forme d’un attelage insane. Vertigineuse accumulation de mensonges et de démagogie auxquels la crédulité populaire semble hélas accorder quelque crédit. Tant qu’il y aura des yeux pour les voir, les mirages seront propres à les tromper.
Le résultat du scrutin entamé ce jour dira ce qu’il en est de notre démocratie réduite à l’état de vestige si tant est qu’elle fut un jour solide. Comme prévu, l'abstention est reine, car au fond du fond, beaucoup d’électeurs ont vraiment cessé de croire aux promesses. Le président tout fraîchement réélu risque de n’avoir derrière lui qu’une armée d’ombres, à l’image de ses étendards aussi diaphanes que son projet et sa détermination. Paradoxalement les seuls partis dont on attendrait qu’ils constituent une force alternative, se perdent en détestation réciproques.
Aujourd’hui les formations arrivant en tête en matière de suffrages ne parviennent à réunir qu’à peine plus de 10% des électeurs inscrits. Comment gouverner avec un tissu politique aussi effiloché ? Et de toute manière, quelle politique les citoyens veulent-ils vraiment ? Veulent-ils affronter sans détour inutile la dureté des faits ? On peut s’interroger tant le cours des choses est devenu erratique.
Au quotidien, l’inflation quant à elle gagne du terrain chaque jour, en grignotant le fameux pouvoir d’achat auquel le gouvernement fait mine d’attacher tant d’importance. Il n’était pas besoin d’être grand clerc pour supputer qu’à force de créer et de distribuer de la monnaie, “quoi qu’il en coûte”, depuis des années, l’argent perdrait de sa valeur. C’est désormais chose faite, et plutôt que de battre leur coulpe, ceux-là même qui nous ont précipité dans cet abîme, nous expliquent benoîtement que l’inflation va s’aggraver et durer. Ils voudraient faire croire qu'en distribuant des chèques en bois, et en bloquant artificiellement les prix des matières premières et des ressources énergétiques, ils vont “protéger” le bon peuple. Une fois encore les masques tomberont tôt ou tard car les pis allers ne sont jamais des solutions…
Partout, le désastre étend son emprise à l’image de l’incurie croissante des gouvernants. La société craque de toutes parts, l’insécurité et la violence progressent à mesure que les forces de l'ordre se découragent, tandis que les amortisseurs sociaux s’affaissent inexorablement. Le système de santé est en miettes et aucune perspective ne se fait jour pour remettre d’aplomb l’édifice en voie d’effondrement.
La politique étrangère est elle aussi à bout de souffle. En Ukraine, la guerre continue de faire rage, envenimée par des actions en forme de coups d’épées dans l’eau par les gouvernants occidentaux bien intentionnés mais impuissants. Ni les vœux pieux, ni les déclarations martiales, ni les livraisons d’armes, ni les blocus, ni les sanctions n’ont d’autre effet que de prolonger les hostilités. Ici encore pas la moindre détermination, et en guise de morale, on a des larmes de crocodiles. Celles de Biden par exemple devant une école massacrée par un dément, tandis qu’il multiplie les annonces de livraisons d’armes, toutes plus terribles les unes que les autres, aux malheureux ukrainiens…
Pendant ce temps, le carrousel fou des réglementations continue de tourner. Non contents d’avoir au nom de lubies prétendument écologiques, désorganisé la stratégie énergétique et avalisé de vastes programmes de démantèlement des centrales nucléaires, les députés européens viennent de voter l’interdiction de la vente de tout véhicule thermique à l’échéance 2035 (essence, diesel et même hybride). Tout cela sans aucune certitude de pouvoir se libérer de toute dépendance industrielle vis-à-vis de la Chine, sans souci de savoir comment mettre en œuvre le recyclage, et sans pouvoir affirmer que des bornes de recharge seront disponibles aux quatre coins du territoire.
Par un paradoxe cocasse, au même moment, l’agence européenne des produits chimiques (ECHA), après plusieurs autres organismes étatiques et au vu d’édifiantes études scientifiques, conclut que le glyphosate n’est pas cancérigène. Ce constat ouvre la voie à une levée des ukases limitant l’usage du fameux produit, par pur principe de précaution. Il est vraiment des moments où l’on croit rêver…
 
Illustration: charlatans et bonimenteurs d'autrefois. Gravure.

27 mai 2022

Mais aimons-nous ceux que nous aimons ?

Cela faisait un bail que je cherchais à me procurer cet ouvrage de Henry de Montherlant (1895-1972), dont le seul titre exerçait sur moi une étrange fascination. L’Amour relève d’une telle évidence qu’il peut sembler incongru, voire insensé d’en questionner le fondement même, ou de chercher à en percer les arcanes. Mais à bien y réfléchir, n’y a-t-il pas là un vrai sujet dont la portée philosophique s’impose à l’entendement ?
J’avais vu autrefois le bouquin dans les rayonnages de la bibliothèque de mon père. Pourtant, si l’interrogation sur laquelle il se fonde avait pénétré mon esprit, je n’avais jamais tenté de le lire, ni d’ailleurs quoi que ce soit d’autre de l’écrivain. Était-ce l’allure sévère, empreinte d’un stoïcisme hautain de l’homme qui m’effrayait, ou bien était-ce sa réputation sulfureuse et sa moralité ambigüe qui m’avaient rebuté, je ne saurais trop dire…
Toujours est-il que, taraudé par la question, je décidai, longtemps après avoir laissé filé le livre dans les limbes du temps, de revenir à lui, de me mettre en quête d’un nouvel exemplaire, puis de me plonger enfin dedans avec délectation.
Après avoir ingurgité le dernier Houellebecq, je dis dire que le contraste est des plus frappants. Même s’il ne s’agit sans doute pas d’un fleuron dans une œuvre très dense, il s’agit ici sans aucun doute de littérature. Le style, la fantaisie, l’originalité, les ellipses, les images, l’esthétique, l’assise culturelle, tout y est, même la tragédie qui affleure de manière poignante sous la légèreté du propos. Et tant pis si l’accès à un tel texte est sans doute moins aisé que celui qui mène à l'anéantissement houellebecquien…

Ce récit fut achevé en juillet 1972, quelques semaines à peine avant la fin tragique du romancier survenue le 21 septembre. A l’instar de l’illustre torero Belmonte qui se suicida parce qu’il ne voulait pas atteindre le seuil fatidique de la vieillesse fixé par lui à 70 ans, Montherlant, que l’âge avait rendu presque aveugle, choisit l’équinoxe d’automne, moment où le jour est égal à la nuit, pour faire le grand saut.
Juste avant la fin programmée de son existence, comme un astre revenu à son point de départ, il avait focalisé ses ultimes réflexions sur trois personnages, héros de ses tout premiers romans : Jacques Peyrony, modèle du jeune homme tonique et sain au profil musclé digne des athlètes de l’antiquité, Dominique S., l'incarnation féminine de la pureté du sport féminin, qui à la fois “imposait” et “attendrissait” l’écrivain, et Douce, dont on ne connaîtra que le surnom, qualifiant “une jeune fille aussi charmante qu’inconstante, l’archétype même de la femme.”

Pour ses trois personnages, Montherlant avait une vraie affection et sans doute davantage. Du moins le croyait-il…
Cherchant à percer le mystère de l'attachement qui le liait à eux, à comprendre pourquoi ils avaient disparu de sa vie, et afin de corriger les maladresses de style qui entachaient selon lui la description qu’il fit de leurs relations passées, il se fait un devoir de reprendre le fil de deux écrits de jeunesse, Le Songe et Les Olympiques. Au long d’un chemin littéraire déconcertant fait de digressions dispersées façon puzzle, il est ainsi amené tantôt à magnifier les qualités, ou bien au contraire à revoir à la baisse les mérites de ces êtres chers. En toile de fond de ces chassés croisés sentimentaux, se profilent tour à tour l’admiration de l’écrivain pour le sport, sa passion pour la corrida et enfin l’empreinte obsédante de la guerre, celle de 14 avant tout.

Mais c’est dans les derniers chapitres que l’histoire dévoile tout son potentiel dramatique. Car hélas dans ce récit où l’amour le dispute à l’amitié, chacun des trois personnages fera défaut : “Successivement Dominique, Peyrony, Douce tombaient de moi comme à un souffle plus fort tombent de l’arbre ses feuilles un peu mortes.”
A la tristesse que lui inspire cette finitude sentimentale, Montherlant tente bien d’opposer un échappatoire réconfortant, fait de pensées positives: “De Dominique je dirai qu’elle m’a fourni une héroïne intéressante, dont je n’ai pas su tirer parti. De Peyrony qu’il remplit Les Olympiques, qui ne seraient pas ce qu’elles sont sans lui…/…. De Douce que, pendant neuf ans, elle avait été avec moi une fille parfaite : volupté, simplicité, honnêteté.”
Mais au bout du compte, le constat de la vanité de ce qu’on appelle amour s’impose. Aimons-nous vraiment ceux que nous aimons ? Telle est la question.
A celle-ci, l’auteur répond sans détour : “Nous n’aimons que des moments”. Pire, ces instants eux-mêmes sont illusoires marqués par une exigence absurde: “nous demandons aux autres de nous donner un amour que nous ne leur donnons pas.” Tout est donc vain car “les objets eux aussi sont des moments…” ils finissent un jour ou l’autre par s’user et disparaître. En somme, il n’y a “rien à dire si on sait bien d’avance que tout est perdu, soi compris.”

En bon stoïcien, Montherlant fait toutefois un effort pour se reprendre. En ayant conscience de cette insignifiance, dit-il, c’est malgré tout, “une conscience que nous devons surmonter, car il faut aimer. Il faut vivre dans cette illusion et dans cette clairvoyance : elles sont l’une et l’autre à l’honneur de l’homme, et les juxtaposer est encore à son honneur…/…”
Mais alors qu’on croit la cause entendue, un post scriptum inopiné de l’auteur révèle qu’il fait régulièrement un rêve qualifié de “révélateur”. Dans celui-ci, l’évidence s’impose qu’une personne a indéfectiblement compté dans sa vie. L’amour existe donc mais “on n’aime qu’une fois”.
Qui était donc l’être dont le souvenir habitait ses rêves ? Appartenait-il seulement au monde réel ? S’agissait-il de Serge, tel qu’il est dépeint dans l’intrigante pièce de théâtre “la ville dont le prince est un enfant” ? Quelqu'un dont le nom ne peut être dit ou bien qui s'est effacé avec le temps ?
Loin de porter un quelconque espoir, cette pensée s’ouvre hélas “sur la désolation” car avec le temps, l’amour s’est de toute manière enfui. Terrible constat qui amène la déchirante conclusion : “Depuis ce matin, ce n’est pas le « Ouvrez-vous, portes éternelles » que j’écrivais dans un de mes Carnets. C’est « Fermez-vous, portes éternelles…. »

16 mai 2022

COVID-19, Santé Publique et Démocratie

Un peu plus de deux ans après le début de l’épidémie due au COVID-19 il semble opportun de revenir sur la chronologie des événements pour tenter d’en tirer quelque enseignement. Un benchmark international est tout aussi utile pour juger des stratégies mises en œuvre à travers le monde face à ce fléau planétaire.
C’est ce qu’ont fait François Alla et Barbara Steigler avec leur essai “Santé Publique Année Zéro”, récemment publié dans la collection Tracts de Gallimard.
L’une est philosophe, l’autre médecin spécialisé en épidémiologie et, comme le suggère le titre de leur ouvrage, leur analyse est hautement critique pour les gouvernants français.
Les mots sont en effet très durs pour qualifier l’attitude des pouvoirs publics, accusés d’avoir mis en place à cette occasion, des “mesures autoritaires de restriction” qui selon les auteurs “n’ont pas seulement abîmé nos libertés, notre modèle démocratique et le contrat social qui sous-tend notre république” mais qui ont aussi “transformé le champ de la santé publique en un champ de ruines.”
Si l’on peut partager, au moins en partie certaines prises de position, il en est d’autres beaucoup plus discutables.

Il est évident, comme le déplorent les auteurs, que l’Etat s’est montré très dirigiste en la circonstance. La déclaration “de guerre” au virus, annoncée non sans emphase par le Président de la République fut annonciatrice de mesures coercitives, certes exceptionnelles, mais souvent excessives voire absurdes eu égard à la nature du péril.
On peut en premier lieu discuter du bien fondé des confinements successifs assortis des ridicules auto-autorisations de sortie de chez soi et autres règles quasi ubuesques. Les effets pervers ont été légions, paralysie de l’économie, accroissement considérable de la dette de l’Etat, désorganisation psycho-sociale, et avec le recul, il est permis de se demander si ce jeu en valait la chandelle, sachant que la France se retrouve à ce jour, au quatrième rang mondial en nombre de patients contaminés ?
On peut également juger avec sévérité les retards itératifs de l’Etat français en matière d’action visant à juguler l’extension de l’épidémie. Contrôle des frontières, mise à disposition des tests destinés à permettre l’isolement précoce des malades et des cas contacts, généralisation du port du masque, développement de vaccins, à chaque fois la France fut à la traîne.
On peut enfin souligner l’incapacité qu’a montré notre pays de faire évoluer rapidement les capacités d’hospitalisation. Il paraît clair qu’une bonne partie des mesures autoritaires prises par le gouvernement pour tenter de juguler l’épidémie était justifiée avant tout par la crainte de voir les hôpitaux et les services de soins intensifs débordés. Force est de conclure que c’est toute la politique de santé depuis des décennies qu’il faut à cette occasion remettre en cause. Elle a conduit à ce résultat désastreux, à force d’une planification de plus en plus rigide, centralisatrice et bureaucratique, fondée sur des plans quinquennaux inopérants et des principes idéologiques occultant la réalité de terrain.

Malheureusement, sur tous ces points, les auteurs ne s'appesantissent guère. Ils se placent dans la position d’imprécateurs, mais leurs arguments s’apparentent trop souvent à des slogans. Leur thématique principale est centrée sur la critique des restrictions de liberté imposées par le gouvernement, ce qui les amènent à insinuer un peu trop explicitement qu’il s’est agi d’une stratégie délibérée, anti-démocratique, dont le COVID fut le catalyseur, voire l’alibi. C’est un tantinet malhonnête car si beaucoup de libertés reculent dans notre monde de plus en plus réglementé, de plus en plus contraignant en matière d’expression publique, ce n’est vraiment pas le cas dans le domaine de la santé, très ouvert et permissif. Comment du reste s’insurger qu’on prenne des mesures quelque peu coercitives, mais temporaires, pour contrer la propagation d’une maladie potentiellement mortelle et au surplus hautement contagieuse ?
S’agissant du pass, il est par exemple impossible d’adhérer à l’affirmation selon laquelle “le schème ami/ennemi sans cesse réactivé par le dispositif était en train de liquider les principes fondamentaux de notre république”. C’est en effet extravagant. Bien plus que d’avoir pesé sur les libertés fondamentales, ce qu’on peut reprocher au pass sanitaire et plus encore au pass vaccinal, c’est le retard avec lequel ils furent mis en œuvre et somme toute, leur relative inefficacité. Pire, ces laissez-passer furent faussement rassurants. Il valait en définitive mieux croiser une personne non vaccinée mais testée négative qu’une autre vaccinée mais porteuse du virus sans le savoir.
Si l’on peut rejoindre les auteurs lorsqu’ils écrivent que “présenter le vaccin comme une valeur absolue et l’élire comme l’unique moyen de sortir de la crise était une erreur», ils se montrent encore une fois excessifs lorsqu’ils qualifient cette erreur de «massive». Il faut se rappeler qu’il n’y avait guère d’alternative (surtout lorsqu’on s’oppose au confinement). Il faut également insister sur l’efficacité de l’immunisation qui permit entre autres d’enrayer la décimation des résidents en EHPAD.
Les réserves pourraient porter sur le jusqu’au-boutisme vaccinal des pouvoirs publics, notamment face aux nouveaux variants, répondant de moins en moins à l’immunisation. On peut s’interroger également sur les mesures astreignantes visant les jeunes. Sans doute sur le confinement, qui est présenté comme un expédient destiné à faire baisser le taux de contamination sans “stigmatiser les plus âgés ». A la décharge des pouvoirs publics, il était difficile d’imaginer un confinement à géométrie variable dans notre république égalitaire... Plus critiquable fut la campagne vaccinale intensive faisant appel en début d’épidémie à des produits grevés d’effets indésirables sévères. Des décès iatrogènes furent à déplorer avec le vaccin Astra-Zeneca parmi la population la plus jeune, la moins à risque de faire des formes graves de COVID. Pareil reproche pourrait être fait à la promotion de médicaments très onéreux, comme le Remdesivir, aussi toxiques qu’inefficaces, tandis qu’on vouait aux gémonies la fameuse association azythromycine-hydroxychloroquine du Professeur Raoult…

Le plus navrant est de voir les auteurs s'enferrer à maintes reprises, dans une argumentation relevant de l’idéologie pure, surtout lorsqu’elle véhicule erreurs et contresens. Comment expliquer autrement que par un parti pris très subjectif et hautement contestable l’affirmation selon laquelle “les inégalités ont été décuplées à la faveur des confinements, de l’accélération de la digitalisation de toutes les activités humaines et des profits faramineux de l’économie numérique et du capitalisme financier”. Comment penser sérieusement que “les quartiers populaires ont continué à être abandonnés à leur sort par les pouvoirs publics”?
L’esprit de contestation flirte parfois même avec la mauvaise foi. Par exemple lorsqu’il est affirmé que parallèlement à la politique du “quoi qu’il en coûte”, “ la gestion austéritaire du système de soin fut non seulement confirmée mais aggravée” et qu’ils incriminent à cette occasion la fameuse T2A (tarification à l’activité) “aujourd’hui décriée par tous.”
La première assertion en forme d’aporie est tout simplement fausse au vu des dépenses de santé astronomiques déversées sur le système de santé et notamment les hôpitaux depuis des décennies et plus généreusement encore durant l’épidémie. La seconde relève d’une opinion mais n’a aucun fondement objectif. On peut certes émettre des réserves sur les biais inflationnistes et la complexité croissante de la tarification à l’activité, mais sûrement pas sur son principe, allouant les ressources en fonction des prestations réalisées, qui s’avère à l’évidence le moins mauvais et surtout le plus équitable des systèmes.

Pire que tout enfin, est l’accusation, violente mais pas très originale, que les auteurs portent au libéralisme, qualifié ici, par une paradoxe cocasse, de “libéralisme autoritaire”. Refrain classique, et délicieux oxymore qui permet sans se fatiguer à réfléchir, d’attaquer la politique gouvernementale en soutenant sans rire que "l'État social est systématiquement démantelé”, et “les institutions publiques de soin continûment affaiblies”.
Sous prétexte qu’on a invité les citoyens à être « acteurs de leur santé », les auteurs prétendent ainsi le plus sérieusement du monde qu’on serait passé des droits des malades inscrits dans la loi de 2002 “à la définition de tout un ensemble de devoirs (auto-repérage des symptômes, auto-médication, activation des systèmes de traçage, auto-isolement, stratégie de dépistage et choix du vaccin laissés à l’appréciation du patient) !” Ils peuvent donc à la fois s’insurger contre l’interventionnisme excessif de l’État et réclamer qu’il encadre plus étroitement le comportement de chacun. C’est un pur non sens, et pour le coup c’est le degré zéro d’une politique de santé publique !

En conclusion, cette réflexion, pour intéressante qu’elle soit a priori, ne répond pas à son objectif, et ne fait au bout du compte qu’apporter de l’eau au moulin des anti-vax et des anti-libéraux en tous genres qui pullulent dans notre pays. Le principe de réalité et le sens pratique sont une fois encore sacrifiés au profit d’une vision utopique de la santé, déresponsabilisante, inconsidérément dépensière et terriblement démagogique.
C’est dommage, car le sujet valait beaucoup mieux que cela…

06 mai 2022

Grenouillages

Après l’élection présidentielle et les belles déclarations d’intention, les invocations rituelles à l’esprit de la république et à la vertu citoyenne, les tripatouillages politiques reprennent de plus belle à la perspective du renouvellement prochain de l’Assemblée Nationale.

On assiste au jeu des alliances incongrues dont le principal dessein est de préserver les petits intérêts particuliers. Le spectacle le plus consternant pour ne pas dire abject est celui offert par la coalition insane des gauches, recroquevillée derrière l’étendard miteux des prétendus Insoumis. Foin d’écologie, d’Europe, de laïcité, de justice sociale et autres fariboles nébuleuses destinées à abuser le bon peuple. On s’en moque désormais car il faut sauver les meubles quitte à laisser s'abîmer le bâtiment dans le chaos aux accents révolutionnaires d’un autre âge. Cette armée mexicaine se range piteusement derrière l’électorat racolé à force de démagogie par Mélenchon auprès des musulmans, des aigris, des excités de tout poil, et des factions appelant à la destruction du capitalisme, de la liberté, de la démocratie auxquels ils ne pigent que couic, si ce n’est les richesses sur lesquelles ils espèrent faire main basse.

A droite, la situation n’est guère plus reluisante. Les rats quittent le navire en perdition des Républicains, dont il ne restera bientôt plus qu’un souvenir. La plupart s'égayent vers le grand ventre mou du centre présidentiel, rebaptisé à la va-vite Renaissance (tu parles d’une résurrection, sans programme, sans direction, sans volonté…) Aucun pour l’heure ne fait mine de se tourner en direction du Rassemblement National, plus pestiféré que jamais. Comme à l’accoutumé, son score se réduira comme peau de chagrin à l’épreuve des Législatives. Reproduisant curieusement le procès en sorcellerie dont il s’estimait victime, le RN refuse quant à lui tout rapprochement avec son seul allié potentiel, à savoir le nouveau parti Reconquête! On peut se demander si le scrutin à venir ne sera pas fatal à ce dernier, fondé dans l’ivresse de lendemains qui chantent par Eric Zemmour mais déjà devenu intouchable, faute d’avoir manifesté sans langue de bois des convictions trop abruptes. Malheur au vaincu…

04 mai 2022

Procès en Absurdie

Les poursuites entamées à l’encontre du professeur Raoult et de l’Institut Hospitalo-Universitaire qu’il dirige à Marseille tiennent davantage du procès en sorcellerie que d’une procédure régulière, objective et indépendante.
Il s’agit en effet d’une enquête à charge, entreprise sur dénonciation de médias politisés, et conduite par un organisme d'état, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), si peu fiable qu’elle dut changer de nom il y a quelques années pour restaurer un peu de sa crédibilité perdue après nombre de fiascos dont celui, retentissant, du Mediator (AFSSAPS).
Selon les termes employés par les inspecteurs chargés du contrôle, M. Raoult aurait violé les protocoles régissant la recherche clinique, relatifs notamment à l’avis préalable d’un comité d’éthique et à l’obtention du consentement éclairé des patients.
A ce stade, il n’est évidemment pas possible pour le péquin moyen de savoir quels sont les torts réels du sulfureux professeur. Mais, considérant les hautes qualités scientifiques de la plupart de ses travaux, on peut dès à présent faire preuve d’une certaine mansuétude à son égard. Ajoutons également que si la loi est la loi, il existe plus qu’un doute quant au bien fondé de cette dernière, lorsqu’elle se perd en exigences aussi tatillonnes et complexes que paralysantes. Les lois inutiles ne font que fabriquer de manière absurde des hors la loi, dont la désobéissance n’est pas toujours illégitime et surtout ne relève pas nécessairement de négligence ni même d’un acte volontaire. Les réglementations sont devenues si absconses, tordues, voire contradictoires, qu’il est de nos jours souvent difficile pour le chercheur de savoir si, avec la meilleure volonté du monde, il les respecte stricto sensu ou bien s’il y contrevient.
Le drame est que l'application de ces règles ubuesques est placée sous la tutelle inquisitrice de petits potentats irresponsables, supposés veiller à la protection des personnes, mais régulièrement pris en défaut dans leur mission, en raison de leur inertie, de leur myopie, ou bien tout simplement de leur inefficacité.
Le fait est que depuis la pandémie due au COVID et les prétendues frasques du professeur Raoult, il est devenu la bête noire de l'administration parisienne, l’homme à abattre à tout prix. Même si son attitude a pu paraître discutable sur certains points, il s’est pourtant illustré dès le début de l’épidémie par une conduite exemplaire, rigoureuse et innovante. Est-ce donc cela qu’on ne lui pardonne pas ?
Avec le carcan réglementaire actuel, rappelons que jamais Pasteur n'aurait pu mener ses travaux, plus que discutables au plan éthique, pour aboutir à la mise au point du vaccin contre la rage…

La mise en accusation du policier auteur d’une fusillade mortelle sur le Pont Neuf le soir de l’élection présidentielle, relève a priori du même procédé. Ce fonctionnaire est l’objet non pas d’une simple enquête mais d’une mise en examen au motif qu’il a tiré sur des contrevenants pris en flagrant délit et qui n’avaient pas hésité après avoir refusé d’obtempérer, à foncer avec leur véhicule sur les policiers. Dans l’attente de sa comparution, il fait l’objet de mesures très contraignantes. Il a en effet interdiction de quitter le territoire, de porter une arme et de côtoyer l’ensemble des effectifs de son service. S’il peut continuer d’exercer, il doit le faire sans entrer en contact avec le public. Fait encore plus ahurissant, ces mesures ont été assorties d’une obligation de soins.
Contrairement à ce que l’on rabâche sur la présomption d’innocence, il s’agit pour reprendre la terminologie judiciaire classique, d’une inculpation, donc d’une présomption de culpabilité. L’hypocrisie de notre époque est telle qu’on va jusqu’à changer les mots et les appellations pour édulcorer ce qu’on ne veut plus nommer. Résultat, on ajoute au malheur du monde…
Le policier est donc accusé d’homicides volontaires, ce qui l’expose à être condamné en assise à une peine de prison pouvant aller jusqu’à 30 ans.
La partialité des juges et l’inversion des valeurs sont devenues telles que rien n’est dit en revanche sur les malfrats et le ténébreux trafic auquel ils se livraient selon toute vraisemblance ce soir-là, à deux pas de la préfecture de police, comme en de nombreuses occasions antérieures au drame, qui leur avait valu d’être “connus défavorablement par les services de police”… Le jeu du gendarme et du voleur n’est décidément plus ce qu’il était...

Pendant ce temps, M. Macron savourait sa victoire sans péril ni gloire, lui qui dénonçait il y a quelques mois “les violences policières”, et qui affirmait il y a quelques jours à peine qu’il était contre la légitime défense. Bien que le cas de figure d’un policier amené à faire usage de son arme contre des individus faisant courir un risque jugé majeur pour la sécurité publique échappe a priori à ce contexte, la déclaration du chef de l’Etat révèle un état d’esprit inquiétant dans une société en voie de délitement social et de perte rapide de repères. Au rythme actuel, y aura-t-il encore des policiers pour faire régner un tant soit peu d’ordre public ? Comble du ridicule et de l’hypocrisie, M. Mélenchon, chantre de l’ultra-gauche, apôtre de la violence révolutionnaire, qui ne perd jamais une occasion de fustiger la brutalité des forces de l’ordre, s’insurgeait à l’occasion des dégradations et des pillages observés le 1er mai à Paris, critiquant non pas les voyous mais l’incapacité du préfet à garantir le droit de manifester tranquillement…

25 avril 2022

Rien

Rien, cette écume vierge vers
A ne désigner que la coupe
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l’envers…

J’aime ces vers de Stéphane Mallarmé*, à l'élégance parnassienne. Ils sont beaux et hermétiques, comme les nébuleux discours et les brillantes promesses d’Emmanuel Macron, réélu hier soir, sans aucune surprise par un pays en voie de fossilisation.

Mais si l’art pour l’art se conçoit dans le champ poétique, il en est autrement du débat politique, tombé lui dans l'abîme de l’absurdité.
Si une fois encore, l'épouvantail du fascisme a fonctionné auprès du bon peuple, que peut-on attendre d'un président artificiellement confirmé dans ses fonctions à la manière de Jacques Chirac en 2002 ?

Sans réel programme hormis un catalogue de bonnes intentions et des flopées de paroles lénifiantes, fera-t-il mieux que ce qui reste de son premier mandat, c’est à dire quasi rien ?
Il dut affronter des crises dit-on, mais la première, celle des Gilets Jaunes, c’est lui qui l’avait provoquée en taxant inconsidérément les produits pétroliers et en sur-réglementant la vitesse sur les routes. La deuxième, celle du COVID, à laquelle il fut confronté malgré lui, il la géra fort mal, se montrant excessivement dirigiste dans l’action, mais en retard à chaque étape, à la manière des carabiniers. S’agissant de la troisième, la vraie guerre en Ukraine, dans laquelle il n’est pas plus impliqué que n’importe quel chef d’Etat, le moins que l’on puisse dire est que son rôle se borne à un dialogue de sourds avec Vladimir Poutine.

En politique intérieure, son action s’est révélée aussi inefficace qu'incohérente. Il fut dans l’incapacité de mener à bien la seule grande réforme du quinquennat, celle des retraites. Pire, après avoir fustigé le “pognon de dingue” des dépenses publiques, il s’est mis à jouer au Père Noël en distribuant tant et plus l’argent que l’Etat ne possédait plus depuis longtemps, apportant ainsi sa peu glorieuse contribution à l’endettement massif du pays.
En matière de prélèvements, il diminua certes un peu les charges pesant sur les salaires. Mais ce fut au prix d'une folle croissance de la taxe carbone, et d'une sévère augmentation de la CSG (+1,7 point, soit 22,6% !). Il feignit de supprimer l’ISF et la taxe d’habitation, mais le premier changea simplement d'assiette et de nom, devenant IFI, la seconde fut juste centralisée à Bercy. En somme, la prétendue baisse de la fiscalité ne fut qu'un trompe-l'œil se résumant à de simples transferts de charges.
Le chômage reflua certes, mais moins qu'ailleurs.
Face aux problèmes récurrents de l'immigration clandestine,  de l'insécurité, il opposa des flots de paroles martiales mais se borna à l'attentisme sur le terrain.
S'agissant du système de santé, 4 plans successifs n'ont rien changé au désastre, hormis le saupoudrage de quelques primes ici ou là.
Sur la nation plus que jamais asservie à l’État Providence, la gangue bureaucratique continue de s'étendre ainsi que la marée des législations inutiles, redondantes, contradictoires ou tout simplement liberticides.
En politique internationale enfin, ses hardies gesticulations n'aboutirent en général qu'à des fiascos (Brexit, Liban, Mali, Ukraine...).
Bref, un bilan peu reluisant.

À l'issue du scrutin, son discours célébra une victoire qui selon ses propres mots “l’oblige” envers ceux qui ont voté pour lui, pour “faire barrage à l’extrême-droite”. Il indique de ce fait qu’il tiendra davantage compte de la clique haineuse de Mélenchon (en donnant un probable coup de barre à gauche) et de l’armée mexicaine des coco-bobo-écolos (en annonçant un nouveau rouage administratif de "planification énergétique"), que de la marée montante des 41% d’électeurs lassés de l'absence de détermination et de stratégie des dirigeants depuis des décennies. Tout porte à croire que ce quinquennat sera donc un coup pour rien, “comme d'habitude”, comme dit la chanson...

* Salut, par Stéphane Mallarmé. Poésies/Gallimard

21 avril 2022

The Beatles Get Back !

Alors que le monde semble s’égarer dans de sombres perspectives, que la guerre ramène ses menaçants nuages au dessus de nos têtes, et qu’un peu partout les libertés semblent s’enfuir comme des oiseaux craignant les rigueurs de l'hiver, rien de plus revigorant que le retour opportun des Beatles !

The Beatles Get Back, c’est le titre de la mini-série compilant les dizaines d’heures de film enregistrés sur le vif lors de l’élaboration du dernier album du légendaire groupe de pop music britannique. Un premier montage avait abouti en 1970 à un film raté, tombé bien vite dans les oubliettes. Aujourd’hui, c’est à un joyeux bain de jouvence auquel le réalisateur Peter Jackson nous convie. Certes il y a des séquences répétitives, puisqu’il s’agit de capter l’esprit de répétitions.. Elles lasseront peut-être un peu les béotiens, mais sûrement pas les fans, avides de la moindre révélation.
Il s’agissait hélas du chant du cygne puisqu’on était tout près du split final, mais quelle apothéose ! Et quelle joie de retrouver ces quatre garçons au meilleur de leur inspiration, dans l’ambiance de liberté débridée de la fin des sixties et d’épanouissement artistique. Quelques petites querelles naissent bien, ici ou là, mais la magie opère plus que jamais. Tout ce que ces gars touchaient se transformait en or et on reste bouche bée devant l’apparente simplicité avec laquelle ils se délestaient de mélodies devenues universelles et indémodables. On croirait les sessions tournées la semaine dernière tant elles gardent de fraîcheur, et tant la musique a conservé de jeunesse, d’originalité et de vigueur. Au surplus, les images sont superbes et la prise de son épatante.
On voit ainsi littéralement naître sous nos yeux les chansons Get Back, Let It Be, Don’t let me Down, The long And Winding Road… fruits d’une alchimie confondante de naturel et d’évidence.

On ne peut que ressentir une profonde mais chaude nostalgie en voyant le groupe faire une ultime prestation publique sur le toit de leur maison d’enregistrement, en plein mois de janvier ! Face au miracle de la création et devant l'évidence du génie, me revient la question d'un enfant à un sculpteur en train de terminer une statue équestre: “Mais comment savais-tu qu’il y avait un si beau cheval à l'intérieur de la pierre ?”

NB: à voir sur Disney+ en 3 épisodes de plus de deux heures chacun. Une sortie en Blu-ray est annoncée, mais pas avant plusieurs mois.

13 avril 2022

Un pays fossilisé

Eric Zemmour n’a pas su convaincre assez pour bouleverser le scrutin de ce premier tour, mais ses diagnostics politiques étaient les bons. Valérie Pécresse s'est donc ralliée, sans arme ni bagage dès 20h02 à Emmanuel Macron et en dépit de sa monstrueuse déculottée, la Droite dite républicaine continue avec acharnement de faire tout pour achever de se suicider. Elle reste soumise au leitmotiv grégaire du “tout sauf Le Pen” qui consacre le succès du piège tendu il y a plusieurs décennies par l’homme de Jarnac.
Force est de constater que les partis politiques traditionnels sont arrivés au bout de leur logique destructrice. Se retrouvant tous sous la barre des 5% des suffrages, ils feraient presque pitié, ruinés qu’ils sont, et misérablement retranchés dans la dernière tour de leurs châteaux en miettes, d’où ils ne voient plus rien du pays depuis bien longtemps.

Comme l’avait prédit Zemmour, Marine Le Pen sera battue dimanche prochain. On nous refait pour la nième fois le coup de la République en danger et de l’exhortation à l’union sacrée contre la peste brune. Macron lui-même, feint d’avoir peur, mais en réalité chacun et lui le premier, sait que les jeux sont faits.
De toute manière, il semble évident que l’égérie du Rassemblement National concourt pour la beauté du geste, mais qu'elle n’a guère envie de se retrouver à l’Élysée. Reprenant à son compte l’antienne de la diabolisation, elle trouve même le moyen de bouder le seul soutien qui ait osé s'exprimer en sa faveur et a poussé la rancune jusqu'à préciser qu’elle ne ferait pas de place à Marion Maréchal dans un éventuel gouvernement. Elle aurait, au demeurant, bien du mal à le constituer, si tant est qu’elle obtienne une majorité à l’Assemblée Nationale !

Le débat politique reste donc durablement congelé en France. Emmanuel Macron peut surfer dans la mousse vaporeuse de ses belles déclarations d’intention. Sans parti, sans conviction, sans détermination, il n’a, comme le joueur de flute de Hameln, besoin de rien d’autre que son pouvoir de séduction personnel.

Il est paradoxal que l’opposition soit à ce jour représentée par deux leaders en fin de carrière, l’une tirant sa légitimité d'un bon tiers de l’électorat qu'elle s'avère incapable de faire sortir de l’impasse politique, l’autre véhiculant une idéologie démagogique et revancharde, aux relents nauséabonds de Grand Soir. On frémit quand on pense qu’il aurait pu atteindre le second tour si la vieille garde révolutionnaire trotsko-lénino-marxiste s’était jointe à lui. Heureusement, le collectivisme n’empêche pas l’individualisme égotique…

Si toute personne dotée de bon sens et de pragmatisme peut caresser l’espoir de voir la Gauche se disperser, en même temps que ses illusions mortifères, il est souhaitable qu’on puisse assister à une recomposition du paysage politique après cette élection et qu’un vrai débat soit en mesure enfin de s’instaurer. Cela pourra peut-être s’opérer sur les ruines fumantes du vieux monde politique. On peut en douter tant la raison dans notre pays semble réduite à l’état de fossile…

09 avril 2022

Adieu Doux Commerce

Le déclenchement du conflit russo-ukrainien fait ressortir de vieux démons qu’on croyait à tout jamais terrassés. Outre les souffrances directes subies dans leur chair par les populations en proie à ce fléau si terriblement humain qu’est la guerre, on voit surgir nombre d'effets collatéraux désastreux.
Le premier d’entre eux est sans doute le coup d’arrêt porté aux échanges internationaux en raison des sanctions économiques de plus en plus nombreuses et sévères qui s’abattent sur Moscou. Elles sont en train de refroidir si ce n’est de geler durablement les relations avec nombre de pays, pour la plupart occidentaux.
Quelle que soit l’issue du conflit sur le terrain, comment et quand pourra-t-on revenir sur ces contraintes, après avoir traité Vladimir Poutine, de “tueur”, de “dictateur”, coupable de “génocides”, de “crimes de guerre atroces”, voire de “crimes contre l’humanité” ?

Pour l’heure, ces actions punitives semblent n’avoir que peu d’effet sur la détermination des Russes à poursuivre leurs menées guerrières. L’Histoire est d’ailleurs là pour apprendre qu’elles n’ont jamais été très efficaces. Le fameux blocus continental organisé du temps de Napoléon Ier pour asphyxier l’Angleterre n’a pas empêché cette dernière de perdurer et même de mettre en échec l’empereur. Plus près de nous, les sanctions qui frappent depuis des lustres Cuba, la Corée du Nord ou l’Iran n’ont en rien atténué l’horreur des régimes visés et les tyrans se sont maintenus envers et contre tout. L’absurdité de ces pénalités infligées au nom de la morale va jusqu’à empêcher nos entreprises de vendre leurs produits au peuple russe, avec lequel on affirme pourtant ne pas être en guerre, et faute de pouvoir atteindre directement le chef du Kremlin, à cibler par malsaine et inutile vengeance son entourage familial. Cette ardeur répressive a même conduit l’Union Européenne à sanctionner ses propres membres comme la Pologne, au motif de “manquement à l’indépendance de la justice”, ou la Hongrie pour “violation des valeurs européennes”... On se demande jusqu’où ira l’escalade accusatrice des censeurs défendant un “Etat de Droit”, aux contours des plus discutables.

En attendant, la guerre continue car on se refuse à prendre les seules mesures capables de l’arrêter, à savoir établir des lignes rouges vraiment infranchissables sous peine de recourir à des représailles militaires proportionnées à celles employées par l’ennemi désigné. Sans une telle détermination, l’Ukraine, parée soudainement de toutes les vertus, et dont on nous dit qu’elle résiste vaillamment au répugnant Goliath russe, risque d’être saignée à blanc. Et l’inaction de ses amis, qui s’agitent en paroles, mais qui restent contemplatifs, sera regrettée et critiquée sans doute avec raison par les juges qui regarderont ces évènements avec le recul.

Contraints de continuer à acheter le gaz russe, faute d’alternative (à l’exception notable de la Lituanie), et quelque peu gênés dans les entournures, les politiciens affirment, après avoir fait le contraire, qu’il faut impérativement diminuer notre dépendance à l'égard de la Russie et d’une manière générale vis-à-vis d’autres pays en matière énergétique et pareillement pour quantité de biens matériels. Après la Russie, la Chine, premier commerçant de la planète, est visée par ces ambitieux objectifs. La réindustrialisation est devenue la chanson à la mode, qui permet à certains discoureurs de faire de belles promesses. D’autres se font les chantres du protectionnisme qui ferme les frontières au commerce, tue la concurrence et l’innovation et fait monter les prix. Dans le même temps, ils se veulent les protecteurs du pouvoir d’achat !

Comme en un rêve, les mots de Montesquieu viennent à l’esprit, rappelant les bienfaits du “doux commerce” : “Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes: si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels…/… C’est presque une règle générale, que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce, et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces” (in L’Esprit des Lois)...

Illustration: Gérard de Lairesse (1641-1711), Allégorie de la liberté du commerce, 1672, Plafond du Palais de la Paix, La Haye

07 avril 2022

L'Affaire McKinsey

Le scandale des cabinets de conseils privés, travaillant au service de l’État, qui éclate en toute fin de campagne électorale, pèse comme un boulet aux pieds du président de la république, que tout le monde donnait déjà pour réélu.
C’est du pain béni pour ses opposants même s’il est peu probable que cela soit suffisant pour enrayer la machinerie macronienne, ce d’autant qu’une bonne partie du problème relève de la pléthore et de l'irresponsabilité étatiques, fléaux pas vraiment nouveaux dans notre cher vieux pays.

Le sujet n’en est pas moins croustillant, car en fait d’affaire, il y en a trois en une.
Il y a d’abord le fait que ce cabinet dont les conseils sont rémunérés à prix d’or par l’État ne paierait paraît-il pas d’impôts en France depuis une bonne décennie. C’est sans doute plus qu’une rumeur car on apprenait le 6 avril que le Parquet National Financier venait d’ouvrir une enquête pour "blanchiment aggravé de fraude fiscale”. Rien que ça !
Deuxième source d’embarras, il y aurait eu selon une commission d’enquête du Sénat, délit de favoritisme, voire de corruption, de la part de l’État, ledit cabinet ayant été maintes fois sollicité, sans que soient respectées stricto sensu les normes draconiennes des appels d’offres des marchés publics, par la seule grâce des liens d'amitié anciens noués avec le président de la république et son entourage.
Enfin le dernier et véritable souci se trouve dans les dépenses astronomiques supportées par l’État pour obtenir les précieux conseils et les mirobolants audits de ces modernes diseurs de bonne aventure. Le montant s’élèverait en effet à près d’un milliard d’euros, pour la seule année 2021. Il aurait doublé en trois ans et serait d’ailleurs largement supérieur si l’on y ajoute les débours de nombreux organismes publics faisant également appel à ces entreprises (Pôle Emploi, Caisse des Dépôts et Consignations, Assurance Maladie, Hôpitaux…).

On arguera que les dépenses de certains pays (Allemagne, Royaume Uni) sont encore plus importantes que celles de la France, mais le vrai scandale ici est qu’elles viennent en plus du budget faramineux consacré à la technostructure, dotée de brillants fonctionnaires, aptes en théorie à fournir le même accompagnement. Ayant travaillé pour l’administration hospitalière, je fus le témoin consterné de ces redondances absurdes.
Cette gabegie rejoint en quelque sorte celle consistant à multiplier les agences, hauts comités, commissions et autres succursales de l'État supposées le conseiller, l’aider, l’accompagner et le contrôler. Selon une enquête récente, la France ne compte pas moins de 1200 organismes publics de cette nature qui pèsent autour de 80 milliards €/an !

Pour animer ces structures, près d’un demi-million de fonctionnaires s’activent, trop souvent en pure perte. Parmi les exemples les plus récents et flagrants de cette incurie, citons les Agences Régionales de Santé (ARS), qui malgré leur fonction tutélaire, s’avèrent incapables d'organiser le bon fonctionnement des hôpitaux, qui ont montré une inertie criante face au COVID, et qui en dépit de leur mission de contrôle, furent indifférentes aux déviances de certaines sociétés de gestion d’EHPAD.
On pourrait évoquer également la Cour des Comptes. Contrairement aux ARS, elle fournit un travail remarquable et ses rapports sont très souvent pertinents, mais à quoi bon s’échiner à épingler les mauvais comportements de l’Etat, puisque personne n’en tient jamais compte, surtout pas les cabinets ministériels !

Moralité : malgré le tintamarre médiatique de ces derniers jours, il y a peu d'espoir que les choses changent avant longtemps dans notre pays de cocagne, et sans doute continuera-t-on à payer des gens pour qu’ils vous donnent l’heure qui s’affiche à votre propre montre, que vous ne voulez pas voir…

30 mars 2022

Anéantir, mais quoi ?

Michel Houellebecq avait révélé il y a quelques années, qu’il souhaitait écrire un “gros livre”. C’est chose faite avec "Anéantir*", ce pavé de 730 pages en forme d’assommoir, au titre désespérant si ce n'est franchement nihiliste.
Disons tout de suite que sa lecture n’impose paradoxalement pas un effort considérable. Non pas qu’il soit palpitant pour l’esprit, mais pas plus désagréable non plus qu’un flux d’eau tiède sur la peau… Ça s’écoule sans joie ni déplaisir.
Si l’on s’en tient à la forme, elle s’inscrit dans le style auquel nous a habitué l’auteur, fait d’une écriture plate et atone remplie de lourdeurs, de trivialités et de banalités stylistiques. La ponctuation est parfois erratique, la narration n’évite pas la vulgarité, mais tout ça est inodore, sans saveur, sans truculence (n'est pas Céline qui veut). Le récit, linéaire mais sans but, se perd en digressions interminables de peu d’intérêt : les rêves insensés du personnage principal, la description caricaturale de l’organisation des maisons de retraites qu’on appelle de nos jours Établissements D'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD), les moyens insensés auxquels il faudrait paraît-il recourir pour s'en échapper, les méandres cabalistiques dans lesquels se perdent des menées terroristes un peu ridicules, le microcosme doré de la haute fonction publique incarné par un ministre de l’Économie sans chair ni épaisseur, quoiqu’il soit qualifié de génie à l’égal de Colbert (ce qui est pour celui qui en est l’objet, un compliment à double tranchant). Et pour finir, une pesante réflexion sur la mort et sur vanité de l'existence empreinte de réminiscences freudiennes (la tumeur pharyngée qui dévore l'être...), mais ici encore, on reste étranger au drame narré de manière insipide...
Tout cela est donc très “techno” et jamais on n’éprouve le moindre frisson, ni la moindre émotion pour les êtres de papier dont l’auteur nous narre avec application et force platitudes la vie monotone, bourrée de stéréotypes et de clichés. Est-ce l’expression du spleen romantique si bien mis en vers par Baudelaire, ou Musset (dont un des personnages se plaît à scander les vers de Rolla) ? J’en doute tant l’art est ici absent.
J’ai plusieurs fois tenté d’entrer dans l’univers houellebecquien, mais à chaque fois mon impression fut dominée par la déception et je m’interroge sur les raisons qui font de cet écrivain somme toute médiocre, un champion des best-sellers en librairie. Peut-être par sa faculté étonnante à épouser avec une molle servilité les remous de l’actualité de son époque et à en décrire de manière insipide tous les poncifs sociétaux. Il ne les approuve ni ne les critique, ni même ne les commente, tout au plus, se contente-t-il de surfer dans la mousse des vanités contemporaines. Spectacle insignifiant mais qui plaît à l’évidence, dans un monde abandonnant un à un ses repères et qui donne à l'écrivain la stature de visionnaire aux yeux de certains …

Je reprends à cette occasion, le commentaire que m’avait inspiré en 2011, la lecture d’un précédent bouquin, lui aussi, “acclamé par la critique” : La Carte et le Territoire.
Le plus navrant concernant cet ouvrage, est qu'il soit parvenu à rafler le prix Goncourt.
On subodorait que ce dernier récompensait davantage l'aura médiatique et le potentiel marchand que les qualités littéraires intrinsèques. On en a ici, la confirmation éclatante.
Car il s'agit d'une bien médiocre prose, mais si conforme aux mornes standards du moment... Le genre de produit qu'on met dans son caddie au super-marché sans même y penser...
Il n'y a pas de style dans ce collage insignifiant de fragments desséchés, d'un puzzle sociétal situé dans les sphères branchées du snobisme bobo. On y trouve quelques pesants truismes sur le monde surfait des "people", un aperçu peu reluisant du "marché" de l'art contemporain, une louche assez écœurante d'autobiographie prétentieuse et grinçante, et un grotesque ersatz de polar dans le genre gore. Le tout est assaisonné de quelques annotations inutiles sur les cartes routières, les chauffe-eaux, les radiateurs, les automobiles de marque Audi ou les appareils photo numériques, et surtout de laborieuses et vaines digressions néo-déconstructivistes sur le devenir de la société post-industrielle.
L'ensemble est débité comme une sorte de jambon pâle, inodore et sans saveur. A l'image de la découpe au sens propre de la chair humaine, dépeinte dans une mise en scène atrocement banale. Il y a de la viande froide, mais où sont les tripes ? Les personnages sont absolument inconsistants et en général très antipathiques. Il s'agit de stéréotypes inexpressifs errant dans l'existence, sans but, sans passion, sans aspiration. Bref, ce bouquin sinistre est à la littérature ce que les fleurs de cimetières sont à celles de Giverny...
 
* Michel Houellebecq. Anéantir Flammarion 2022

25 mars 2022

Rêves Perdus de Fédérations

Dans son petit mais puissant appel à la paix perpétuelle, le philosophe Immanuel Kant (1724-1804) évoquait la nécessité pour les pays désirant tendre vers cette issue idyllique, de se rassembler derrière le modèle fédératif.
On connaît effectivement la force de cette organisation qui préserve les intérêts de chacun tout en forgeant une solide unité basée sur un dessein commun, lui-même fondé sur la liberté, la responsabilité, la solidarité et le respect mutuel.
L'Amérique a fait la preuve de l'efficacité et de la stabilité de ce type d'alliance, saluée et magnifiée par Tocqueville. D’autres nations sont régies par des systèmes comparables au sein même de l'Europe, telles l'Allemagne et la Suisse qui ont démontré que le principe était applicable quelle que soit la taille de l'ensemble fédéré, du plus petit au plus gigantesque. A la fin des fins, Kant allait jusqu’à imaginer une gouvernance mondiale reposant sur une fédération de fédérations.
Malheureusement, l’actualité internationale est venue sérieusement doucher les espoirs que faisait entrevoir le sage de Königsberg et les perspectives d’extension du modèle paraissent à l’heure actuelle bien compromises.

Depuis que ses troupes ont envahi l’Ukraine, l’auto-proclamée Fédération de Russie semble plus que jamais éloignée de l’idéal kantien. Né sur les décombres de l’Union Soviétique, cet ensemble en apparence monolithique n’a jamais répondu au schéma fondé sur le libre choix de ses adhérents et le recours à la coercition et même à la guerre pour étendre sa domination fait éclater au grand jour les malfaçons de ses fondations. La crise actuelle anéantit les perspectives d’unité paisible du monde slave. Au surplus, elle menace gravement la paix du reste de la planète.

La Communauté Européenne donne à cette occasion l’impression d’un renforcement de sa cohésion mais les quelques décennies passées ont démontré qu’elle restait hélas elle aussi très loin de ressembler aux états-unis établis outre-atlantique. En dépit d’une convergence économique et d’une monnaie commune, les politiques nationales priment trop souvent sur celles de l’Union. Le Brexit a détaché le Royaume-Uni et le moins qu’on puisse dire est qu’il n’existe guère de grand dessein partagé par les nations restantes. Hormis les belles déclarations d’intention, peu de pays sont désireux d’abandonner une part de leur souveraineté. Emmanuel Macron, qui peut être considéré, au moins en parole, comme un des plus pro-européens des chefs d’État actuels de ce conglomérat peu inspiré n’a jamais osé prononcer le terme de fédération et reste pour son propre pays, très attaché au principe centralisateur, n’accordant aux régions qu’une autonomie symbolique. Il faut reconnaître que d’une manière générale, la doctrine des principaux partis politiques français n’a guère évolué sur le sujet. Elle est cramponnée à la centralisation bureaucratique étatique, et s’arrête au mieux au concept d’Europe des nations, mais sûrement pas à une entité supranationale. Pire, le mythe de "l’indépendance nationale", brandi régulièrement comme un totem, n’a fait qu’isoler la France et la tenir avec arrogance à l’écart des grandes alliances internationales et des échanges commerciaux.

En Asie, la sortie progressive de nombre de pays du communisme pouvait faire rêver à la montée en puissance de l'idée démocratique, à la convergence progressive des systèmes et à l'éclosion du libre échange. La ratification récente par l’Australie et la Nouvelle-Zélande du Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP) avec les pays de l’Asie du Sud Est (ASEAN) et la Chine pouvait préfigurer cette aventure. On caressait l’espoir qu’un jour se produise la réunification, dans la paix, des deux Chines (Pékin et Taipeh) ainsi que des deux Corées. Force est de constater que la tendance n’est hélas pas celle-là, la tension ne cessant de croître dans cette partie du monde.

Ailleurs enfin, point d’espérance précise, ni en Afrique, ni en Amérique du Sud hormis quelques accords économiques (ALEAC, ZLEA, MERCOSUR), ni au Proche-Orient. Du côté des deux géants que sont l’Inde et le Pakistan, l’hostilité reste palpable. Même en Amérique du Nord, la montée des communautarismes et l’exacerbation des passions politiques fait craindre que ne se fissure le merveilleux prototype élaboré par les Pères Fondateurs de la République Américaine.

Plus de deux siècles après la mort de Kant, rien ne permet de remettre en cause la beauté et la justesse de sa théorie, même si nombre de peuples n’ont à l’évidence toujours pas acquis la maturité nécessaire pour la mettre en pratique. Est-il encore possible d’imaginer que la fameuse et apodictique devise E Pluribus Unum soit l’avenir de l’humanité ?