Un des grands mérites du recueil de réflexions de Werner Heisenberg, sobrement intitulé "la Partie et le Tout", est de donner une perspective philosophique à la mécanique quantique, et de déboucher même sur certaines considérations métaphysiques.
En son temps, Newton avait influencé beaucoup de penseurs. Pourquoi n'en serait-il pas de même à notre époque pour les savants qui nous emmènent, par la seule force de leur raisonnement, vers les terres nouvelles de la connaissance ?
Trop souvent les philosophes se croient autorisés à faire fi de la rigueur des démonstrations scientifiques. Résultat, ils jargonnent, se fondant sur des principes ex nihilo, et la philosophie finit, comme le disait narquoisement l'un des amis de Heisenberg, par "constituer l'abus systématique d'une nomenclature inventée précisément en vue de cet abus..."
Un des principaux enseignements de la mécanique quantique, déroutante par ses incertitudes, est qu'il faut "rejeter a priori toute prétention à l'absolu". Cette précaution vaut aussi bien pour le domaine scientifique que pour celui des idées en général. La division du monde en une face objective et une face subjective paraît beaucoup trop radicale.
En dépit de son aspect révolutionnaire, la nouvelle physique atomique n'invalide ni ne tue les théories qui l'ont précédée. Si les conceptions de Ptolémée, d'Archimède ou de Newton sont aujourd'hui dépassées, elles gardent une part de vérité et les prédictions qu'elles permettent de faire sont toujours valables dans le contexte pour lequel elles ont été conçues. Elles ne sont plus suffisantes pour décrire le monde des particules élémentaires, mais constituent des étapes sur le chemin du savoir.
Heisenberg tire de cette évolution par ajustements successifs l'idée "qu'une révolution bienfaisante et fructueuse ne peut être réalisée que si l'on s'efforce d'introduire le moins de changements possible, et si l'on se consacre de prime abord à la solution d'un problème limité, nettement circonscrit. Une tentative consistant à abandonner tout l'acquis antérieur ou à le modifier arbitrairement ne peut conduire qu'à l'absurdité pure."
Bien que les Scientifiques ne soient pas tous exempts d'a-priori ou de certitudes excessives, Heisenberg a la faiblesse de penser que les Philosophes et les Politiciens seraient bien inspirés parfois de solliciter leurs conseils car "ils pourraient [les] seconder en leur apportant une coopération constructive, caractérisée par la précision du raisonnement, une vue large des choses et un réalisme incorruptible..."
Évoquant le concept d’évolution, tel que la popularisé Charles Darwin, Heisenberg exprime un certain scepticisme. S'il ne remet pas en cause la théorie darwinienne d'adaptation et de sélection naturelle, elle ne lui paraît pas suffisante pour expliquer la diversité et l'harmonie du monde. Ainsi, de son point de vue, "Il est difficile de croire que des organes aussi compliqués que l’oeil humain par exemple, aient pu se créer petit à petit uniquement grâce à des modifications fortuites."
Il rappelle même le raisonnement malicieux que le mathématicien John Von Neumann avait tenu à un biologiste, un peu trop convaincu à son goût du rôle du hasard et la nécessité.
En lui montrant à l'occasion d'une promenade une jolie petite maison nichée dans la campagne, il lui tint à peu près ce discours : “Au cours de millions d’années, la colline a été formée par des processus géologiques; les arbres ont poussé, ont vieilli, se sont décomposés et ont repoussé; puis le vent a recouvert fortuitement de sable le sommet de la colline; des pierres ont peut-être été projetées par là bas sous l’effet que quelque processus volcanique, et par hasard aussi elles sont restées en place les unes sur les autres de façon bien ordonnée. Et cela a continué ainsi.../... Une fois, au bout d’un temps très long, les processus désordonnés et fortuits ont produit cette maison de campagne; et maintenant des hommes sont venus y habiter…"
Comment ne pas être frappé par le sens de l'évolution, qui va du simple au compliqué, et des particules élémentaires de la soupe originelle, jusqu'à la conscience humaine ?
Peut-on extraire de l'évolution tout ce qui concerne l'être humain et notamment son génie inventif ?
Ce dernier procède également largement du modèle évolutif. Au fil des idées et des adaptations pragmatiques, les hommes sont parvenus à élaborer des outils et des machines de plus en plus complexes. Et il n'y a qu'une place limitée pour le hasard dans ce processus, l'essentiel étant représenté par la notion de dessein, lui-même sous-tendu par l'intelligence...
Plus que Darwin, Heisenberg rejoindrait donc Bergson dans ce qu’il appelait "l'évolution créatrice" et cette sorte d’élan vital qui fait progresser la connaissance.
Devant un paquebot, le physicien s'interroge : "s’agit-il d’une masse de fer avec une installation de force motrice, un système de lignes électriques et des ampoules à incandescence.../… ou bien d’une expression du dessein humain, d’une structure formée en tant que résultat de relations interhumaines ?"
De la même façon, au spectacle de la nature, il se demande s'il est " tout à fait absurde d’imaginer, derrière les structures régulatrices du monde dans son ensemble, une “conscience” dont elles expriment le “dessein”..." (à suivre...)
En son temps, Newton avait influencé beaucoup de penseurs. Pourquoi n'en serait-il pas de même à notre époque pour les savants qui nous emmènent, par la seule force de leur raisonnement, vers les terres nouvelles de la connaissance ?
Trop souvent les philosophes se croient autorisés à faire fi de la rigueur des démonstrations scientifiques. Résultat, ils jargonnent, se fondant sur des principes ex nihilo, et la philosophie finit, comme le disait narquoisement l'un des amis de Heisenberg, par "constituer l'abus systématique d'une nomenclature inventée précisément en vue de cet abus..."
Un des principaux enseignements de la mécanique quantique, déroutante par ses incertitudes, est qu'il faut "rejeter a priori toute prétention à l'absolu". Cette précaution vaut aussi bien pour le domaine scientifique que pour celui des idées en général. La division du monde en une face objective et une face subjective paraît beaucoup trop radicale.
En dépit de son aspect révolutionnaire, la nouvelle physique atomique n'invalide ni ne tue les théories qui l'ont précédée. Si les conceptions de Ptolémée, d'Archimède ou de Newton sont aujourd'hui dépassées, elles gardent une part de vérité et les prédictions qu'elles permettent de faire sont toujours valables dans le contexte pour lequel elles ont été conçues. Elles ne sont plus suffisantes pour décrire le monde des particules élémentaires, mais constituent des étapes sur le chemin du savoir.
Heisenberg tire de cette évolution par ajustements successifs l'idée "qu'une révolution bienfaisante et fructueuse ne peut être réalisée que si l'on s'efforce d'introduire le moins de changements possible, et si l'on se consacre de prime abord à la solution d'un problème limité, nettement circonscrit. Une tentative consistant à abandonner tout l'acquis antérieur ou à le modifier arbitrairement ne peut conduire qu'à l'absurdité pure."
Bien que les Scientifiques ne soient pas tous exempts d'a-priori ou de certitudes excessives, Heisenberg a la faiblesse de penser que les Philosophes et les Politiciens seraient bien inspirés parfois de solliciter leurs conseils car "ils pourraient [les] seconder en leur apportant une coopération constructive, caractérisée par la précision du raisonnement, une vue large des choses et un réalisme incorruptible..."
Évoquant le concept d’évolution, tel que la popularisé Charles Darwin, Heisenberg exprime un certain scepticisme. S'il ne remet pas en cause la théorie darwinienne d'adaptation et de sélection naturelle, elle ne lui paraît pas suffisante pour expliquer la diversité et l'harmonie du monde. Ainsi, de son point de vue, "Il est difficile de croire que des organes aussi compliqués que l’oeil humain par exemple, aient pu se créer petit à petit uniquement grâce à des modifications fortuites."
Il rappelle même le raisonnement malicieux que le mathématicien John Von Neumann avait tenu à un biologiste, un peu trop convaincu à son goût du rôle du hasard et la nécessité.
En lui montrant à l'occasion d'une promenade une jolie petite maison nichée dans la campagne, il lui tint à peu près ce discours : “Au cours de millions d’années, la colline a été formée par des processus géologiques; les arbres ont poussé, ont vieilli, se sont décomposés et ont repoussé; puis le vent a recouvert fortuitement de sable le sommet de la colline; des pierres ont peut-être été projetées par là bas sous l’effet que quelque processus volcanique, et par hasard aussi elles sont restées en place les unes sur les autres de façon bien ordonnée. Et cela a continué ainsi.../... Une fois, au bout d’un temps très long, les processus désordonnés et fortuits ont produit cette maison de campagne; et maintenant des hommes sont venus y habiter…"
Comment ne pas être frappé par le sens de l'évolution, qui va du simple au compliqué, et des particules élémentaires de la soupe originelle, jusqu'à la conscience humaine ?
Peut-on extraire de l'évolution tout ce qui concerne l'être humain et notamment son génie inventif ?
Ce dernier procède également largement du modèle évolutif. Au fil des idées et des adaptations pragmatiques, les hommes sont parvenus à élaborer des outils et des machines de plus en plus complexes. Et il n'y a qu'une place limitée pour le hasard dans ce processus, l'essentiel étant représenté par la notion de dessein, lui-même sous-tendu par l'intelligence...
Plus que Darwin, Heisenberg rejoindrait donc Bergson dans ce qu’il appelait "l'évolution créatrice" et cette sorte d’élan vital qui fait progresser la connaissance.
Devant un paquebot, le physicien s'interroge : "s’agit-il d’une masse de fer avec une installation de force motrice, un système de lignes électriques et des ampoules à incandescence.../… ou bien d’une expression du dessein humain, d’une structure formée en tant que résultat de relations interhumaines ?"
De la même façon, au spectacle de la nature, il se demande s'il est " tout à fait absurde d’imaginer, derrière les structures régulatrices du monde dans son ensemble, une “conscience” dont elles expriment le “dessein”..." (à suivre...)
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