Noam Chomsky est un penseur comblé : coqueluche des médias et intellectuel paraît-il, « le plus connu au monde », il est au pinacle de l'adulation médiatique. Et peu importe que son travail de linguiste reste totalement abscons au commun des mortels, puisque ses engagements politiques suffisent largement à asseoir sa notoriété.
Sa défense intransigeante de la justice et de la liberté d'expression, qui l'a souvent poussé à flétrir de manière retentissante les agissements de son propre pays, n'a pas peu contribué à son succès, surtout en Europe où l'on raffole de tout ce qui renforce le sentiment anti-américain. Et où, de manière plus générale, on se plaît à cultiver avec une délectation morbide, la mauvaise conscience anti-occidentale, dont il fait figure, bon gré, mal gré, de fer de lance.
On ne saurait trop lui reprocher d'avoir défendu le droit de s'exprimer de gens comme Robert Faurisson. Car cela ne peut paraître choquant qu'à des gens ayant une assez profonde méconnaissance de ce qu'est la liberté d'expression. Force hélas est de constater que la France est dans ce cas de figure, comme le fait souvent remarquer avec raison Chomsky. Il n'est que de rappeler que notre pays jusqu'à une date assez récente (1974) ne trouvait pas anormal d'avoir un ministère de l'information ! Ou bien de mentionner qu'à l'initiative d'un député communiste (!), les parlementaires acceptèrent de voter il y a quelques années, une loi réprimant l'expression d'idées jugées non politiquement correctes, c'est à dire déviantes, ou encore négationnistes...
Le vrai problème de Noam Chomsky n'est donc pas qu'il défende la liberté, mais qu'il pousse ses prises de positions si loin, que cela l'amène de manière paradoxale, à soutenir implicitement la cause de vrais ennemis de la liberté, et dans le même temps, à miner les fondations d'un système dont il est partie prenante.
Il s'entoure bien de quelques précautions oratoires, pour tenter de se démarquer des gens peu recommandables qu'il est parfois amené à soutenir, mais cela ne saurait suffire. Ainsi, il se défend de partager les thèses soutenues par Faurisson. Dans un autre registre, bien qu'il s'interroge de manière très ambiguë sur les causes du 11 septembre 2001, il dit ne soutenir en aucune manière la théorie du complot qui l'entoure souvent dans les médias. Tout comme il prétend n'avaliser en rien les horreurs du communisme pour lequel il lui est pourtant arrivé de manifester quelque indulgence.
D'un autre côté, il affirme qu'il est nécessaire d'être sévère avec les démocraties, précisément parce qu'elles se targuent d'incarner la liberté. C'est aussi selon ses dires, parce que c'est sur elles que les critiques des intellectuels ont le plus de chances de porter. En somme, à l'entendre, ses admonestations répondraient en quelque sorte au fameux adage : « Qui aime bien châtie bien ».
Cette manière de faire, lui vaut d'exercer depuis quelques décennies une extraordinaire emprise sur l'opinion publique, et de recueillir un assentiment tacite tel qu'on peut dire qu'il est devenu l'âme du consensus caractérisant désormais le monde occidental. Au point qu'il n'en fait plus figure d'initiateur mais qu'il n'en représente qu'une simple modalité d'expression. En d'autres termes, il est bien souvent dépassé par le mouvement d'idées auquel il a contribué à donner naissance, et il ne lui reste plus d'autre alternative que de s'y associer de manière (trop) prévisible.
Ces derniers jours, alors qu'il se trouvait en France, il s'est lancé dans une nouvelle dénonciation de l'attitude d'Israël dans le conflit qui l'oppose depuis tant d'années aux Palestiniens et plus généralement au monde arabe, qualifiant le récent arraisonnement sanglant de « la flottille de la liberté », « d'acte de piraterie », digne d'un « État criminel ».
Il ne démontrait en la circonstance, guère d'originalité, puisqu'il ne faisait que s'inscrire dans la quasi unanimité des réactions qui suivirent dès les premières heures ce tragique événement. Mais ce faisant, il incarnait plus que jamais l'esprit partisan et les analyses à l'emporte-pièce du conformisme qui règne dans la plupart des médias.
En premier lieu, un jugement aussi expéditif, totalement à charge pour Israël, avant même que soit connu précisément l'enchainement des faits, peut difficilement être considéré comme véritablement objectif.
Alors qu'on ne disposait d'aucune preuve tangible, il fut par exemple immédiatement et « consensuellement » évident que les soldats israéliens étaient les agresseurs.
De l'autre côté, il ne faisait aucun doute dans les propos de la plupart des commentateurs, que les victimes (dont le nombre fut évalué à plus du double du chiffre réel) faisaient partie d'une expédition purement « humanitaire » (ce qui n'empêcha curieusement pas d'évoquer « les militants pro-palestiniens » qui étaient à bord des navires).
A aucun moment on ne trouva étrange que ce convoi censé acheminer des biens de première nécessité ait pris de tels risques, alors que les autorités juives ne s'étaient pas opposées aux ravitaillements humanitaires, à condition de pouvoir les contrôler. On ne trouva d'ailleurs pas étonnant que les dirigeants israéliens aient mis autant d'acharnement à paraître sous un jour aussi odieux, à seule fin de détourner des bateaux si bien intentionnés...
On assista au surplus à un beau déferlement de mauvaise foi, plus ou moins délibérément affirmée ou simplement suggérée par certaines omissions : On fit mine de considérer comme particulièrement grave le fait que l'arraisonnement se soit déroulé dans les eaux internationales, ce qui ne changeait en réalité rien au problème. On fit comme si le blocus imposé à Gaza avait été mis en place sans aucune raison.
Enfin on n'entendit guère d'indignation à l'égard des autorités turques, qui laissèrent partir vers Gaza, voire en l'encourageant, cette flottille pilotée par des ONG connues pour flirter avec les réseaux terroristes islamiques...
Au final, dans ce concert de récriminations on finit par trouver indulgents ceux qui se bornèrent à déclarer que les dirigeants israéliens avaient fait une erreur stratégique, ou bien étaient tombés dans un piège dont ils allaient payer le prix fort au plan médiatique, et qui allait de toute manière renforcer le Hamas.
Une des rares voix contradictoires fut celle du professeur Encel, révélant qu'en fait de piège, Israël n'avait guère le choix : soit il laissait passer les bateaux et c'en était fini du blocus, ce qui revenait à ouvrir grand Gaza aux très peu pacifiques livraisons iraniennes, soit il s'y opposait et prenait le risque de passer pour un ogre...
Dans cette affaire comme dans beaucoup d'autres, les défenseurs de la liberté et de la justice semblent affectés d'une curieuse myopie. Ils dénigrent sans ménagement et sans nuance une partie, qui en dépit de ses imperfections et de ses erreurs, agit selon des règles démocratiques, et soutiennent au moins implicitement l'autre en paraissant ignorer ses stratagèmes assez grossiers et pire encore, ses manières fascistes, et ses objectifs intolérants pourtant affirmés et réaffirmés sans vergogne.
En définitive, Noam Chomsky qui incarne ce mode de pensée se trouve dans la position tragi-comique de l'arroseur arrosé :
Pour contrer la soi-disant propagande des démocraties, il véhicule complaisamment celle de régimes totalitaires, oubliant apparemment les enseignements du passé vis à vis de telles faiblesses.
Quant à la fameuse « fabrication du consentement » qu'il reproche aux médias, il s'en fait plus ou moins l'artisan zélé. A force de discréditer abusivement et de manière répétée Israël, il contribue à alimenter la haine à l'encontre de ce pays, et tout se passe in fine comme s'il cherchait à amener peu à peu les mentalités à s'habituer à sa disparition pure et simple. De la même manière que certains disaient autrefois, qu'il valait mieux « être rouges que morts », on entend un nombre croissant de gens sous-entendre que le seul moyen d'en finir avec cet interminable conflit serait de revenir à la situation d'avant la création de l'Etat d'Israël....