04 septembre 2008

Des souris et des hommes, et de l'Irak...


Les grands écrivains savent avec peu de mots dépeindre dans toute leur plénitude et leur complexité les passions humaines, et leur propos s'élève parfois jusqu'aux cimes de la plus haute philosophie. John Steinbeck (1902-1968) fait partie de ces élus qui possèdent ce talent. Avec un langage rustique et des histoires sans détour, il donne une dimension tragique inégalée à ses romans.
Des souris et des hommes
est un récit simple. Trop simple peut-être pour les amateurs d'intrigues alambiquées ou de métaphysique en forme de jus de cervelle. Pourtant, l'histoire de George et de Lennie est de celles qui s'impriment en profondeur dans la conscience du lecteur et qui ne le quittent plus de sa vie.
L'itinéraire rustique, plein de sueur et de poussière de ces deux cul-terreux est exemplaire. Il est fait de presque rien en apparence, tout au plus une amitié dérisoire dans l'Amérique profonde des immensités agricoles au début de l'ère industrielle, entre un géant débile et un raté astucieux que tout oppose a priori et qu'un fil mystérieux relie pourtant à la vie à la mort.. Il n'est pas difficile de voir en filigrane à travers leur destinée, quelques unes des plus poignantes problématiques humaines.
Il y a tout d'abord l'espoir. Pas celui de grandes perspectives ou d'ascension sociale grandiose. Non tout juste celui de posséder un jour un petit lopin de terre, une petite maison bien à soi et quelques animaux domestiques...C'est cette espérance qu'on voit luire merveilleusement dans les yeux naïfs de Lennie quand il s'imagine donner à manger à ses lapins. Pauvre Lennie ! Si gentil et en même temps si gauche, si maladroit, si inconscient de sa force, qu'il casse tout ce que la vie lui donne. C'est toute la symbolique du désir qui s'exprime dans ses mésaventures. Combien de fois dans la vie, la réalisation même du désir se solde par une profonde déception...
Evidemment, là réside la cause du drame, qui s'avère aussi inéluctable que celui qui sous-tend une tragédie antique. Malgré toute la tendresse que George porte à son compagnon d'infortune, malgré tous les efforts qu'il fait pour le maintenir à peu près droit dans le chemin de la vie, le malheur viendra briser leur rêve trop inaccessible.
A travers cette histoire édifiante, on perçoit ce qu'est le sens du devoir et comment il surpasse même les sentiments d'amitié et de pitié. Car en dépit de ses échecs, George est un gars bien. Confronté au terribles bévues de Lennie, il ira jusqu'au bout de ses engagements et de ce qu'il considère comme étant son devoir. Sa détermination et son courage son impressionnants. Il n'agit pas tant par amitié que parce qu'il est convaincu qu'il s'agit de la seule alternative humainement possible. C'est la mission la plus difficile de sa vie, mais il ne peut la confier à personne d'autre. Il a bien vu comme le vieux Candy a regretté de n'avoir eu le cran de faire lui-même ce que les circonstances lui imposaient.
Au surplus, si justice doit être rendue, George veut qu'elle soit absolument dénuée de tout sentiment de vengeance, de toute passion, de toute méchanceté. Et lui seul peut en être garant. Ce drame est aussi celui de la solitude. Solitude terrible du héros de western...
J'ai trouvé pour ma part dans ce récit, un formidable gisement de réflexions, applicables à quantité de situations. Au fil de l'eau, j'ai pensé à des sujets très actuels, sur lesquels le raisonnement est parfois lacunaire ou caricatural : vieillesse, solidarité, discrimination, self-government, euthanasie, peine de mort...


C'est tout le mérite de Gary Sinise d'avoir réussi en 1992, à transcrire de manière crédible à l'écran cette oeuvre si dense. Le ton est remarquablement juste, sans fioriture, mais d'une belle authenticité. John Malkovich est d'une vérité saisissante dans le rôle de Lennie. Sinise un peu lisse, est tout de même très convaincant dans celui de George. Les personnages secondaires, en particulier celui de Candy sont épatants. Et l'ensemble est filmé sobrement, mais magnifiquement.
Gary Sinise est un personnage plutôt discret. Des souris et des hommes est sa seule réalisation significative. Il s'est illustré comme acteur dans nombre de films et dans la fameuse série « les Experts ». Dans les coulisses de sa carrière d'acteur, il s'implique avec modestie et humilité dans des actions caritatives. Lui qui paraît-il était opposé à l'intervention américaine en Irak, s'est investi avec Laura Hillenbrand, pour créer une association destinée à porter secours aux enfants irakiens et aux soldats qui les assistent sur le terrain (Operation Iraqi Children). Cette action a été saluée et soutenue par le président Bush, auquel l'acteur a finalement rendu hommage après avoir été reçu à la Maison Blanche : "The president was very, very grateful to everyone here. It boosts the morale for everyone here. Some have lost sons and husbands, and just knowing that he's aware of the program and wants to do everything he can to support the program and get the word out -- that's the important thing."

31 août 2008

Non, non, rien à Changé


C'est d'une voix enrouée, mal assurée, énervée, que Nicolas Sarkozy a tenté de justifier le financement du futur Revenu de Solidarité Active. A l'évidence, sa prestation du 28 août, révélait un manque inhabituel de conviction et d'enthousiasme.
Il faut dire que ce n'est pas facile d'avoir à se déjuger en affirmant exactement le contraire de ce qu'on clamait haut et fort peu de temps auparavant.
Comme par une ironie du sort il choisit la petite ville de Changé en Mayenne, pour faire ces navrantes révélations. Est-ce à dire qu'il voulait signifier un revirement fataliste de stratégie, ou bien est-ce au contraire à l'enterrement du « Changement » qu'il conviait la France ? Dans les deux cas l'évènement incite à la tristesse et au découragement.
Sur la réforme elle-même, pas trop de difficulté à craindre pour le président, tant il joue sur le velours moelleux du consensus. Le principe même de ce RSA est en effet à peu près unanimement approuvé : « Une mesure formidable » a même déclaré l'orfèvre en langue de bois droitière qu'est Jean-François Copé (France Info 29/08). Le même Copé se réjouit sans rire, du fait que désormais les bénéficiaires du RMI « ne perdront pas d'argent lorsqu'ils retrouveront un travail payé à hauteur du SMIC horaire » !
A croire l'ancien ministre du Budget, pour pallier les effets néfastes d'un système bancal et incroyablement pervers qui impose une norme salariale inférieure aux largesses accordées aux personnes sans travail, on ne fait donc rien d'autre que lui coller une rustine légale supplémentaire compliquant encore un peu les choses et grevant le budget de l'Etat. Magnifique logique que n'aurait pas désavouée le Savant Cosinus.
Rien ne permet d'affirmer à ce jour que cette nouvelle allocation sociale soit plus efficace que les innombrables dispositifs ingénieux et bien intentionnés issus de l'imagination fertile des bureaucrates de l'Etat-Providence. Un fait est sûr : elle coûtera cher, et comme d'habitude, probablement plus que prévu.
Car le plus grave dans cette affaire est en effet le revers de la médaille. Même si la mesure se nourrit de bons sentiments et – soyons optimiste – procure quelque amélioration à ses destinataires potentiels, quel en sera le bénéfice global si pour la financer on crée un inconvénient au moins égal en valeur absolue ? Peut-on commettre une bonne action avec le fruit d'une mauvaise, fût-ce en lui donnant le joli nom de "solidarité active" ?
Une fois encore, les leçons de
Frédéric Bastiat sur « ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas » devraient s'imposer à nos dirigeants. On se souvient de la fameuse parabole du carreau cassé qui décrit si bien cette problématique universelle. Je préfère toutefois citer ici les propos sombres mais prémonitoires que le grand économiste libéral tenait à son ami Courdroy le 2 février 1848, trois semaines avant la révolution qui vit la monarchie de Juillet partir en capilotade : « Depuis dix ans, de fausses doctrines, fort en vogue, nourrissent les classes laborieuses d’absurdes illusions. Elles sont maintenant convaincues que l’Etat est obligé de donner du pain, du travail, de l’instruction à tout le monde. Le gouvernement provisoire en a fait la promesse solennelle ; il sera donc contraint de renforcer tous les impôts pour essayer de tenir cette promesse, et, malgré cela, il ne la tiendra pas. Je n’ai pas besoin de te dire l’avenir que cela nous prépare…».
Hélas force est de constater que Nicolas Sarkozy, peut-être affolé par les mauvais chiffres actuels, peut-être sous la pression d'un entourage très cul-béni mais peu inspiré, est en train de tourner complètement casaque. Après l'invraisemblable taxation des chaines de télévision privées pour financer leurs homologues du « Service Public », après le racket sur les Assurances Mutuelles de Santé pour tenter de combler le déficit abyssal de la Sécurité Sociale, voici la petite épargne asséchée pour abonder « la rosée fécondante de l'impôt de solidarité ».
L'embellie n'aura donc guère duré plus d'un an. Encore faut-il insister sur le fait que le torrent de réformes audacieuses se résume surtout à des mots et à un immense chantier à peine entrepris. En la circonstance, Sarkozy se vante d'avoir redonné de l'argent « en haut » en créant le bouclier fiscal et en allégeant l'ISF. Mais dans le premier cas il n'a fait qu'imposer à l'Etat une barrière ubuesque contre ses propres attaques et dans le second, qu'édulcorer un impôt que tous les gens sensés savent stupide et que tous les pays voisins, même socialistes, ont aboli. Il n'y a vraiment pas de quoi se féliciter et sûrement aucune légitimité à en tirer pour ressortir de plus belle la massue fiscale sur le plus grand nombre.
Au moment où la France s'enfonce dans le marasme économique, Sarkozy qui se targuait pour l'en sauver, de franchir le Rubicon des idées reçues, s'arrête avant même le milieu du gué, ne sachant plus vers quelle rive aller. Calamiteuse hésitation surtout s'il s'inspire du funeste Guizot qui face au libéralisme se comporta comme l'âne de Buridan, s'il écoute une épouse richissime qui a le coeur sur la main mais ignore totalement le monde réel à la manière de Marie-Antoinette, ou bien des conseillers experts en oeuvres de bienfaisance et pétris de bonnes intentions, mais persuadés qu'il n'est de richesses que d'Etat ! Le pire est que les sondages, de nouveau en ascension, l'encouragent à abandonner la proie pour l'ombre...
PS : Pendant ce temps les Etats-Unis, dont tous les experts réunis annonçaient une fois encore le déclin et la récession économique, enregistrent un rebond imprévu de croissance . Dixit Le Monde du Jeudi 28 août : "Le département américain du commerce a révisé en forte hausse la croissance de l'économie des Etats-Unis au deuxième trimestre. Le produit intérieur brut (PIB) de la première économie mondiale a finalement progressé de 3,3 %, en rythme annuel, d'avril à juin, bien au-dessus de l'estimation initiale de 1,9 %". Il faut préciser que dans ce pays, le président qu'il est de bon ton de qualifier "de plus mauvais et de plus impopulaire de tous les temps", n'a pour sa part, jamais fléchi dans sa détermination et ses convictions...

28 août 2008

Comediante ! tragediante !


Je ne sais plus quel commentateur a récemment ironisé sur le président de la république, en évoquant notamment le contraste entre ses discours toniques et ses actions plutôt timorées, et en le comparant à un « Chirac avec des piles neuves ». Je commence pour ma part à craindre que cela soit vrai.
Au fil des mois la fameuse rupture avec le passé semble s'estomper pour laisser place à un théâtralisme dont le classicisme est hélas trop connu. Les vieux démons qu'on pouvait croire en passe d'être enterrés reviennent de plus belle.
Qu'on en juge sur trois exemples tirés de l'actualité :
On se souvient que Nicolas Sarkozy, durant la campagne présidentielle avait clamé sa "détestation de la repentance", que son prédécesseur avait fini par ériger en véritable culte. Et bien voilà qu'il se croit obligé à son tour, de se répandre en larmes tardives et inefficaces, à l'occasion d'une visite lundi dernier à Maillé, village martyr de la dernière guerre mondiale, où périrent en un jour sous les balles nazies, 124 des quelques 500 habitants. Certes il est difficile de reprocher la commémoration d'un drame du passé, mais on peut s'interroger sur la nécessité de se culpabiliser à nouveau, plus de soixante ans après : « En ignorant si longtemps le drame de Maillé, en restant indifférente à la douleur des survivants, en laissant s'effacer de sa mémoire le souvenir des victimes, la France a commis une faute morale".
En politique étrangère, dans un contexte de plus en plus tendu, ce n'est guère mieux. Après avoir tenté au nom de l'Europe, de négocier un accord entre les belligérants, le voici qui se livre à une dangereuse et probablement inconséquente escalade verbale au sujet de l'attitude des Russes en Georgie. Devant les ambassadeurs réunis expressément pour la circonstance à l'Elysée, il s'insurge : « C'est tout simplement inacceptable ». Il se fait même comminatoire : «Les forces militaires (russes) qui ne se sont pas encore retirées sur les lignes antérieures au déclenchement des hostilités doivent faire mouvement sans délai». Mais que pourra-t-il donc proposer si ces dernières n'obtempèrent pas, ce qui pour l'heure semble être le cas ? Espère-t-il vraiment impressionner les dirigeants moscovites au moment même où les maigres forces françaises essuient un tragique revers en Afghanistan?
En matière économique enfin, c'est le pompon. Sauf retournement de dernière minute, il s'apprête en effet à annoncer la mise en oeuvre prochaine de l'emblématique « Revenu de Solidarité Active », en le finançant au moyen d'une nouvelle taxe sur les revenus de l'épargne , jusques et y compris ceux de l'Assurance Vie ! Cette dernière, sur laquelle beaucoup comptent pour améliorer leur retraite, et qui est déjà grevée à hauteur de 11% par les multiples "prélèvements sociaux", rapportera donc probablement moins qu'un livret A et peut-être même moins que le coût de l'inflation ! Comme le fait remarquer narquoisement l'ancien ministre délégué au budget, Alain Lambert : "Augmenter les impôts sur le capital alors qu'on a baissé il y a un an les droits de succession, j'ai besoin de quelques minutes pour comprendre..." A voir la mine réjouie des Hollande, Ayrault et compagnie qui se félicitent par avance, on mesure avec dépit l'absurdité de la situation.
Décidément, il y a du mouron à se faire, face à ces gesticulations pour le moins désordonnées. Un an après l'arrivée au pouvoir de Sarkozy, le magazine The Economist trouvait ce mandat globalement décevant et qualifiait le président de "showman who talks the talk but seldom walks the walk". Aurait-il raison ?

17 août 2008

Ombres chinoises, poupées russes

A Pékin, les jeux sont quasi faits. Le ballet des protestataires s'est dispersé, pas un athlète ne manque à l'appel et après une cérémonie d'ouverture époustouflante, la quête de médailles occupe désormais entièrement les esprits.
Elles paraissent bien lointaines les vitupérations des anciens maoïstes, comparant les Jeux Olympiques de 2008 à ceux de 1936 en Allemagne.
J'entends encore Daniel Cohn Bendit sur France Inter, la veille de la cérémonie d'ouverture, s'étrangler de rage à propos de ce qu'il considérait comme un scandale inacceptable.
Même s'il refuse à titre personnel, l'étiquette d'ancien « mao », il ne paraissait pas trop gêné de défiler avec eux en 68, le poing tendu, sous le portrait du Grand Timonier... A l'instar de nombre de benêts qui se targuent d'être des consciences éclairées, mais qui encensaient de sinistres dictateurs à une époque où il n'était pas permis d'ignorer leurs méfaits, ils trouvent aujourd'hui que la Chine ne se débarrasse pas assez vite de leurs méthodes infâmes... Autre temps, autres moeurs !
Ces gens, qui n'ont pas tiré grand enseignement de leurs erreurs passées, continuent donc de pérorer leurs leçons, à cheval sur les grands principes.
Reprenant la bonne vieille rhétorique de la reductio ad hitlerum, ils comparent le communisme de 2008, en pleine déconfiture
au national-socialisme de 1936, en pleine ascension. A Berlin, c'était Hitler qui paradait. Aujourd'hui, à Pékin, les dirigeants chinois font plutôt profil bas. Ils n'ont plus d'idéologie à faire valoir et le communisme est à l'état vestigial. La Chine qui a certes encore de grands progrès à faire pour ressembler à une démocratie moderne, n'a fort heureusement plus grand chose à voir avec le pays de Mao. L'immense paquebot que constitue cette nation a changé de cap, mais le mouvement se fait avec lenteur et inertie.
Les sages du Comité Olympique ont pris une lourde responsabilité en accordant à Pékin les Jeux. Mais ils l'ont fait en connaissance de cause et une fois la décision prise, il n'y a plus vraiment lieu de continuer les jérémiades. A bien y regarder, ce n'est d'ailleurs pas Berlin en 1936 qui fut la cause de tant de malheur mais plutôt Munich en 1938.
Mieux vaut agir lorsque cela est raisonnablement envisageable, plutôt que de se répandre en récriminations vertueuses mais inefficaces. S'agissant du Tibet, à l'instar du Dalaï Lama lui-même, il y a lieu de saisir toutes les occasions pour tenter d'infléchir la position des dirigeants chinois, mais il convient d'éviter la politique du chiffon rouge, génératrice de crispation.
A peine, l'affaire des Jeux s'estompe-t-elle qu'une nouvelle arrive, mettant en scène un autre ancien bastion du communisme. La Russie, au mépris de toutes les règles internationales envahit brutalement la Georgie, pays démocratique, sous prétexte que cette dernière réprimait trop durement les velléités d'indépendance d'une de ses composantes sécessionnistes : l'Ossétie du sud.
L'Ossétie et ses quelques 70.000 habitants ne pèse pas lourd sur l'échiquier international et son désir d'indépendance en dit long sur le degré de fragmentation de l'ex-empire soviétique. La Georgie qui compte elle-même moins de 5 millions d'âmes n'est qu'un petit pays. Avant d'accéder à l'indépendance, elle faisait partie intégrante de la Russie dès le début du XIXè siècle. Elle fut la terre natale de Staline... De nos jours encore, malgré la tenue d'élections libres, des allégations font état de comportements douteux de la part des dirigeants : violence, coups bas, corruption... Il faut d'ailleurs convenir que les répressions auxquels ils se sont livrés
en Ossétie, relèvent d'une stratégie plutôt expéditive...
Mais voilà, la Georgie, comme l'Ukraine, et beaucoup d'autres républiques autrefois asservies à l'URSS, aspire désormais à rejoindre le club des démocraties occidentales. Elle n'a d'yeux que pour l'Europe et a demandé en 2007 son intégration à l'OTAN. Depuis des années, elle défie ouvertement sa grande et menaçante voisine.
Derrière ces conflits locaux se profile donc une confrontation bien plus gigantesque, opposant en réalité la Russie à l'Amérique, avec au milieu l'Union Européenne. En d'autres termes, d'un côté l'Est pantelant, humilié, dont les rouages s'éparpillent, mais dont le coeur est encore battant à Moscou, de l'autre l'Ouest triomphant et parfois arrogant ou inconséquent.
En matant la Georgie, la Russie trouve une belle occasion d'affirmer sa volonté de puissance et d'hégémonie sur ses anciens vassaux. Elle veut manifestement continuer de rayonner sur la région et faire contrepoids à l'Alliance Atlantique. Elle ne craint guère en la circonstance l'Europe dont elle connaît derrière les discours, la langueur, et les faiblesses pacifistes. Certes Nicolas Sarkozy en tant que président de l'Union n'a pas ménagé sa peine pour parvenir à une solution négociée, mais dans l'ensemble peu de voix se sont élevées pour réprouver l'intervention russe. Quant aux Etats-Unis, à la veille de l'élection présidentielle, il y a peu de chances qu'ils puissent rétorquer de manière très forte. Au surplus, la Russie a beau jeu de rappeler les interventions en Serbie, en Afghanistan, en Irak. En accourant au secours de l'Ossétie, elle estime répondre en quelque sorte au zèle mis par toutes les nations occidentales à reconnaître l'indépendance du Kosovo, il y a quelques mois.
Le risque est qu'elle s'enhardisse à la suite de cette opération qui s'annonce comme un succès, et qu'elle cherche alors peu à peu à reprendre son emprise sur ses voisins. Sans être aussi pessimiste qu'Yvan Rioufol sur les intentions réelles des dirigeants russes et sur les capacités de réaction des démocraties occidentales, la question angoissante face à l'agression d'un pays dit ami, est tout de même de déterminer où se situe la limite extrême au delà de laquelle il deviendrait incontournable d'envisager une riposte armée, sous peine de voir se reproduire une situation rappelant fâcheusement 1938...

07 août 2008

Machines à penser


C'est une évidence, on attache de plus en plus d'importance à l'informatique. On lui délègue un nombre grandissant de tâches, on tend plus ou moins délibérément à « humaniser » les robots, et on en vient parfois même à leur imputer une certaine responsabilité, notamment lors de la survenue de dysfonctionnements (qui n'a pas entendu un jour devant une défaillance, une expression fataliste du genre : « désolé, c'est l'informatique » ?).
De fait, il devient de moins en moins absurde d'imaginer dans un futur plus ou moins lointain, l'avènement d'ordinateurs doués d'intelligence, voire de conscience. Ce qui revient en définitive à réactualiser la fameuse problématique soulevée autrefois par Turing (1912-1954), et qu'on peut résumer par la question : « une machine peut-elle penser ? ».

Pour ma part, j'ai tendance à répondre par l'affirmative, à condition de réduire la conscience humaine à une simple fonction mathématique ou logique (même s'il s'agit de processus très complexes).
D'une certaine manière, une calculette « pense » les chiffres sur lesquels elle effectue des opérations. Elle n'a pourtant à l'évidence pas de pensée autonome et pas de « moi ». Un computer doté d'un programme permettant de jouer aux échecs « pense » la partie. Son raisonnement peut même souvent se révéler plus efficace que celui de son adversaire humain. Et à en juger par la seule succession des coups, il serait pour un observateur attentif, bien difficile à l'instar de la proposition de Turing, de déterminer s'ils sont élaborés par une machine où par un être fait de chair et d'os.

Ça peut paraître effrayant mais, il n'y a pourtant qu'une différence de degré et pas de nature, entre un ordinateur qui raisonne mieux que le cerveau et un simple marteau, beaucoup plus efficace que la main pour enfoncer un clou...
Car la machine n'est rien sans l'homme (même si elle est possible, la confrontation de deux ordinateurs devant un échiquier n'a pas plus de sens qu'un « marteau sans maître »)
La conscience quant à elle, va manifestement bien au delà des algorithmes aussi élaborés soient-ils. Elle implique des considérations émotionnelles, morales, ontologiques, plus généralement subjectives et irrationnelles, totalement étrangères aux machines. De ce point de vue, Descartes avait donc tort avec son « cogito ergo sum ». Il ne suffit pas de penser pour être...

En définitive, même si elle s'appuie sur des processus logiques, la conscience relève très largement de l'indicible. En dehors de toute connotation spirituelle, elle pourrait bien, pour l'être qui en est doué, faire partie des notions qui lui sont « indécidables », en application du théorème de Gödel (1906-1978) décrivant les systèmes de logique formelle... Le « connais-toi toi-même », objectif louable s'il en fut, est probablement impossible stricto sensu.

Ne connaissant donc pas précisément la nature du principe qui les gouverne, et n'ayant sur ce sujet fait quasi aucun progrès depuis la nuit des temps, comment les êtres humains pourraient-ils le conférer à leurs propres « créatures » ? Il faudrait en ce cas admettre que l'homme devienne en quelque sorte le Dieu des machines... Mais quel Dieu approximatif, mon Dieu (si je puis dire...)
Il semble donc que la conscience artificielle soit un mythe. Ce dernier peut nourrir les histoires de science-fiction mais n'est pas près d'occulter le tragique constat de Socrate : « La seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien »... Et l'Homme reste donc totalement responsable de ses actes et de ses créations. A l'oublier, il risque fort de nier sa propre humanité, tout comme le prédisait Rabelais : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme... »

05 août 2008

Soljenitsyne : un géant s'efface


La disparition d'un tel homme pourrait inspirer des pages de commentaires, des flots de louanges ou d'exégèse, tant l'oeuvre est immense et ses vertus incommensurables. Plutôt que de chercher par quel bout attaquer ce géant, peut-être suffit-il de rappeler quelques évidences, trop souvent niées ou occultées.
Alexandre Soljenitsyne (1918-2008), l'homme tranquille, fut conçu non pour l'instant fugace, ni même pour la gloire, mais pour servir de phare au monde. Et avant de s'élever en majesté au dessus du XXè siècle, il s'échina des années durant, envers et contre tous les périls, à mettre sur pied dans l'ombre et la solitude, la somme terrible qui contribua à renverser la pire calamité qui fut jamais conçue par l'être humain.
Depuis que sa mission était accomplie, il n'aspirait plus qu'au calme et au détachement. Toujours fuyant la vanité du monde, il ne voulut jamais faire autre chose de sa vie qu'un fatum humble et puissant, consacré tout entier au service de la lumière et de la liberté.
De ce point de vue, Soljenitsyne est un peu comme l'obsidienne. Il est sombre, mystérieux, presque insondable parfois, mais ses écrits brillent avec une intensité sublime, et sa résistance est quasi parfaite. Lorsqu'on cherche à le briser, il éclate en morceaux encore plus tranchants, encore plus étincelants, plus terriblement efficaces.
Pour l'éternité sa belle figure de commandeur rappellera donc aux hommes de bonne volonté qu'il ne faut jamais cesser d'espérer.
Elle rappellera aussi qu'il est essentiel de garder bien pleine son âme. Comme l'attestent les réflexions roboratives, trouvées sur un blog inspiré, qu'il livra il y a quelques années (1998) à Alexandre Sokourov. Recommandant notamment de se défaire des croyances sans fondement, de savoir se repentir de ses erreurs, de connaître ses limites, d'être conscient de la misère de ses passions, et de lutter contre elles, surtout contre la pire de toutes, la cupidité : « E
st-elle moins fâcheuse que la cruauté ? Elle détruit la race humaine. Elle peut détruire chaque être. Si seulement les hommes pouvaient s'arrêter un moment et se dire : c'est bon; J'en ai assez. Je suis complètement satisfait.... »
Mais, alors que Soljenitsyne s'en va, comment résister à l'envie de rappeler le terrible fléau qu'il combattit si vaillamment, et de le faire naturellement avec ses propres mots, écrits en 1990, alors qu'enfin les abominables murailles tombaient : « Qui d'entre nous ne connaît aujourd'hui nos malheurs, même dissimulés sous des statistiques mensongères ? Pendant les soixante-dix ans où nous nous sommes traînés à la remorque de l'utopie marxo-léninienne, aveugle et maligne de naissance, c'est le tiers de notre population que nous avons soit délibérément supprimé, soit naufragé dans une « Grande guerre nationale » conduite de manière obtuse et même suicidaire.
Perdant l'abondance de jadis, nous avons anéanti la classe paysanne et ses villages, nous avons retiré aux hommes jusqu'au goût de faire pousser le blé et à la terre l'habitude de donner des moissons – une terre que nous avons de surcroît, noyée sous d'immenses retenues marécageuses. A force d'y rejeter les déchets d'une industrie primitive, nous avons rendu immondes les environs des villes, empoisonné fleuves, lacs, poissons, et finissons actuellement d'infecter l'air, l'eau et la terre, ajoutant encore à tout le reste la mort atomique... » (Comment réaménager notre Russie ? Fayard)
Soyons optimiste, le cher homme s’est tellement battu toute sa vie pour débarrasser son pays et le monde de cette monstruosité; alors qu’on entend aujourd’hui à sa mémoire bourdonner le glas, espérons comme lui que “L’horloge du Communisme a sonné tous ses coups”…

03 août 2008

Les petits rapporteurs de la Santé


Même si l'on est de ses adversaires, on ne peut guère reprocher à Nicolas Sarkozy de manquer d'ambition, d'idées et de projets pour la France. Certes, ça n'empêche pas certains de le trouver trop réformateur, et d'autres pas assez, mais il fait bouger les lignes comme on dit.
Pourtant il est un domaine où son action paraît pour le moins erratique : celui de la santé. Ce n'est pas qu'il paraisse le négliger, puisqu'il l'évoque assez régulièrement, tout en visitant les hôpitaux, mais on sent comme un flottement dans sa détermination.
Est-il bien conseillé ? On peut avoir des doutes.
Madame Bachelot, ne cultive fort heureusement pas le culte de la réformette clinquante mais vaine du calamiteux Douste-Blazy, mais pour l'heure , son attitude relève d'une sorte de pharisaïsme prudent. Elle fait mine de vouloir sauvegarder les fameux acquis sociaux intangibles du système français de sécurité sociale, et continue d'en rogner gentiment les bords à la manière de tous ceux qui l'ont précédée dans la fonction. Après avoir instauré le système des franchises, le « déremboursement » de spécialités médicamenteuses déclarées peu efficaces, elle vient d'annoncer, pour combler un tant soi peu le gouffre de la Sécu « sans augmenter les cotisations », qu'elle allait taxer les « bénéfices » engrangés par les Mutuelles d'assurances complémentaires. Avec un délicieux sens du jésuitisme, elle considère en effet que cette décision se justifie par« leur bonne santé qui contraste avec les difficultés de l'Assurance maladie... » Plutôt que d'assainir la situation du système dont elle la charge, elle préfère donc se payer sur les efforts des autres !
Le plus beau est toutefois sa réponse totalement décomplexée, aux journalistes qui l'interrogent sur la probabilité pour les assurés de subir in fine une augmentation détournée des cotisations :
Si votre Mutuelle augmente ses cotisations, changez donc de mutuelle ! Un peu fort de café madame la ministre. Et comment fait-on pour échapper à la pression univoque, croissante et sans partage de la Sécu ?
A côté de la ministre, vibrionnent une nuée de conseillers. N'étant jamais payeurs ni redevables de rien, ils sont généralement prodigues en idées. Il faut dire que du fond de leurs bureaux feutrés la tâche est immense, puisqu'il ne s'agit rien moins que de réaliser la quadrature du cercle... idéologique.
De rapports en commissions, d'Etats-Généraux en Schémas d'organisations, ce n'est assurément pas le manque de suggestions dont souffre le système. Et l'avènement de Nicolas Sarkozy n'y a rien changé. Il y a quelques mois je m'étais attardé sur le rapport Larcher, du nom du sénateur, ancien
« ministre délégué à l’Emploi, au Travail et à l’Insertion professionnelle des jeunes », ancien président de la Fédération Hospitalière de France.
Début Juillet, c'était le professeur Guy Vallancien qui en remettait une couche à la demande de madame Bachelot.
Ce professeur d'Urologie, exerçant à l'Institut Mutualiste Montsouris à Paris, n'est pas à son coup d'essai. Il s'était déjà illustré par un rapport meurtrier sur la chirurgie hospitalière, réclamant en 2006 la fermeture de près d'un quart des Blocs opératoires du Service Public !
Aujourd'hui, il récidive en s'attaquant à l'ensemble du dispositif hospitalier qu'il juge en fort mauvais état, (« administré mais toujours pas gouverné »), et auquel il voudrait appliquer les règles de fonctionnement des entreprises commerciales.
On peut toutefois avoir quelques doutes sur la « culture managériale » vantée à longueur de pages par Mr Vallancien, qu'il semble avoir découverte à la lecture d'un bréviaire pour débutants. A lire ce nième rapport, elle s'inscrit en effet dans le pire des scénarios bureaucratiques.
Mr Vallancien se paie de mots mais son projet est grandiloquent et l'arsenal administratif reste plus fort que jamais. Les Agences Régionales de l'Hospitalisation, créées à l'occasion du funeste plan Juppé de 1996, et mises en cause par Nicolas Sarkozy pour leur inefficacité, cèdent la place à des structures encore plus délirantes : les ARS ou Agences Régionales de Santé (encore reste-t-il à voir qu'elles ne s'ajoutent pas à l'existant...). Et naturellement, sous sa tutelle "bienveillante", tous les artifices de la bonne vieille planification quinquennale restent en place et sont mêmes renforcés : Etats-Généraux, SROS, COTER, COMEX...
S'agissant de l'organisation hospitalière, elle se complique toujours davantage. La centralisation étant semble-t-il devenue le dernier cri en matière de gestion, il s'agit désormais de gérer les hôpitaux en les regroupant en Communautés d'Etablissements ! Pour un « Bassin de population » de 200 à 400.000 habitants, il estime que 4 à 10 établissements pourraient être ainsi regroupés, « représentant entre 7000 et 20.000 employés ». Il plaide dans le même temps pour une hiérarchisation et une « ultra-spécialisation » rigide des tâches dévolues à ces établissements en fonction de leur taille, du CHU à l'hôpital local...
Pour tendre vers cet objectif mirobolant, comme à l'accoutumée, on change les noms. Par exemple, le Conseil d'Administration devient Conseil de Surveillance, une vraie révolution, et on lui confère, à lui qui n'arrive en règle déjà pas à administrer un seul établissement, un périmètre d'action faramineux (la nouvelle et emblématique Communauté Hospitalière de Territoire) ! La bonne vieille Commision Médicale d'Etablissement (CME) s'éparpille en un réseau vague et noueux de Comités consultatifs Médicaux, Conseils Scientifiques et Médicaux...
Le Directoire, dernière trouvaille aux accents vaguement bonapartistes, vient quant à lui rajouter une strate au mille-feuilles, marchant sur les plates-bandes des Conseils Exécutifs datant de l'avant-dernière réforme, qui eux-mêmes s'emmêlaient déjà les pinceaux avec les Pôles, les Commission Médicale d'Etablissement, Commission technique d'Etablissement et autres pseudopodes administratifs aux rôles plus ou moins consultatifs, plus ou moins décisionnels... Enfin, cerise sur le gâteau, la mise sur pieds d'un Comité d'Entreprise est encouragée sans qu'on sache ce qu'une telle instance apporterait à cet ensemble plutôt baroque et confus.


Au bout du compte, à voir cet infernal méli-mélo de dispositions et de propositions, on peut être saisi d'une immense déception. Comment donc y voir autre chose que quelques rustines comptables d'une part, et qu'un nouveau salmigondis technocratique basé, en dépit de ses bonnes intentions, sur le planisme si cher aux soviétiques. On aura une fois encore, probablement raté la réforme qui aurait ouvert la voie à l'initiative, à l'émulation et à la responsabilité. La Tarification à l'Activité (T2A !) et l'Accréditation, institués à grands frais ces dernières années, avaient pourtant laissé entrevoir l'avènement de conditions propices à l'émergence de ces vertus. Hélas, ces dispositifs sont restés si compliqués, si théoriques, et si étroitement encadrés par l'Etat, qu'ils ont aujourd'hui complètement manqué leur but. Ça ne finira donc jamais !

28 juillet 2008

Du libéralisme et des blogs...

En parcourant les blogs, deux parmi ceux que je fréquente régulièrement, attirent mon attention. L'un porté sur l'intelligence artificielle et l'astrophysique qui s'attaque tout à coup véhémentement au libéralisme, l'autre dont le sujet principal était justement l'économie, et qui annonce avec dépit sa fermeture définitive. Cela me suggère quelques commentaires :

Au sujet du libéralisme. Dès qu'un ralentissement ou une panne économique survient, bon nombre d'observateurs jugent opportun de relancer l'idéologie du « Gros Gouvernement » (Big Government) bienfaiteur et de son pendant protectionniste. C'est classique. L'ennui c'est qu'ils ont rarement les mêmes interrogations et états d'âme face aux gâchis et échecs permanents de la quasi totalité des gouvernements qui sévissent dans ce monde sublunaire...
Surtout, s'agissant du libéralisme et du libre échange, on ne voit pas vraiment les raisons nouvelles qu'il y aurait d'en faire le procès. En dépit de crises, il faut être aveugle pour ne pas voir, depuis la fin du dernier conflit mondial, la transfiguration du niveau de vie de tous les pays qui furent un tant soit peu touchés par le libéralisme. Et a contrario, la déconfiture générale de ceux qui sont restés à l'écart ou bien qui délibérément ont pris une autre voie...
En réalité, il n'y a rien de bien nouveau sous le soleil depuis Jean-Baptiste Say, ou Frédéric Bastiat.
Je prends à dessein ces exemples bien de chez nous, car ils n'ont pas la tare rédhibitoire d'être « anglo-saxons » et ont pourtant analysé de manière tellement claire et pénétrante les ressorts de base de l'économie, que leurs leçons libérales pourraient s'imposer avec autant de prégnance que celle de Newton en physique...
Pour Bastiat, l'Etat n'était qu'une « grande fiction sociale à travers laquelle chacun essaie de vivre au dépens de tous les autres ». Après plusieurs décennies d'étatisme et de soi-disant justice sociale, rien n'a vraiment changé dans notre pays plus que jamais sur-administré, réglementé et pourtant endetté jusqu'au cou et socialement fragilisé (car il semble difficile de prétendre que la France, au moins depuis 1981 et jusqu'en 2007, soit un pays appliquant à la lettre le libéralisme). Ce n'est donc pas un « monstrueux bloc ce certitudes » imposé par les pays anglo-saxons au monde occidental, mais la simple évidence...

C'est une lapalissade également que d'affirmer que plus une nation (et a fortiori une planète) est développée et responsable, moins elle a besoin de gouvernement, de règlementations et de contraintes. Quant au libre échange qui s'impose par voie de conséquence, ses avantages paraissent non moins évidents, en dépit du fait qu'il fourmille d'inconvénients. Il n'est pas besoin de sortir de Polytechnique pour percevoir qu'il en a infiniment moins que les doctrines protectionnistes. Il suffit d'imaginer autour de soi ce qui disparaîtrait de la vie quotidienne si tous les pays avec lesquels nous entretenons des relations commerciales cessaient de le faire en rétorsion de la protection de nos petites frontières...
S'agissant enfin des États-Unis, qu'on critique habituellement dès qu'on aborde le sujet du libéralisme, ils pourraient comme l'avait déjà constaté Tocqueville, quasi se gouverner seuls. C'est une force extraordinaire, et ça leur donne une capacité réactive formidable (attention, ça ne veut pas dire qu'il s'agisse d'un monde merveilleux qui ne fasse jamais d'erreur).
En matière d'économie comme en matière scientifique, et probablement comme en toute matière, il est vain de raisonner à la seule lumière de principes immanents ou de dogmes. La force du libéralisme c'est précisément de ne pas trop en avoir et d'être capable de s'adapter avec souplesse et pragmatisme aux circonstances, sans idéologie et sans s'interdire a priori aucune solution. Si l’État peut être utile, il est souhaitable qu'il agisse en ce sens, dans la mesure de ses moyens.
Mais quand on a plusieurs milliers de milliards d'euros de dettes, un taux de chômage des plus élevés, et un tissu social paraît-il au bord de la « fracture », on est quand même assez mal placé pour servir de modèle ou de recours... Et s'agissant enfin du gaspillage des ressources naturelles, dont seraient systématiquement responsables ceux que certains n'hésitent pas à qualifier sans nuance « d'entrepreneurs capitalistes à la recherche du profit immédiat », je ne sache pas qu'il y ait la moindre preuve permettant d'affirmer qu'un « gouvernement fort » et omnipotent, soit une garantie d'efficacité...

Au sujet des blogs qui cessent leur activité. Mr Caccomo annonce la fin de ses "Chroniques en Liberté". J'ai trouvé un peu égoïste sa décision, car manifestement il avait des lecteurs (plus de 70 commentaires pour son dernier billet). Je comprends sa lassitude, sa déception et son amertume puisque je tiens moi-même depuis plus de 2 ans un blog et connais les affres de l'écriture, le « vide vertigineux » de l'internet, et le "secret espoir d'être repéré par un éditeur"...
Mais voilà, la vie est dure comme disait Nicolas de Staël, et réserve beaucoup de désillusions. Beaucoup de blogs s'usent prématurément faute d'y avoir placé de trop hautes espérances, où d'y avoir trop donné d'emblée, ou bien encore faute d'opiniâtreté tout simplement. Car en réalité c'est un marathon. Et qui veut aller loin...
Lorsque j'ai le blues (et les lecteurs qui passent par ici savent que ça m'arrive assez souvent), je pense très humblement à Spinoza qui écrivit son œuvre monumentale dans la solitude, en gagnant sa vie modestement en polissant des lentilles optiques. Je pense à Kant qui fut largement incompris de son vivant, mais qui continua d'écrire en dépit de l'insuccès, tout en prodiguant ses cours à l'université. Je pense à Van Gogh qui n'a vendu qu'un seul tableau dans sa vie et mit fin à cette dernière juste quand la célébrité peut-être allait venir (comme Nicolas de Staël au demeurant)... Autant d'exemples qui montrent qu'il ne faut pas désespérer et s'efforcer de suivre son petit chemin vaille que vaille...

26 juillet 2008

Rêveries estivales


Le bleu du ciel est zébré de grandes trainées blanches laissées par le sillage des avions. Signe des temps. La civilisation technique a même envahi l'univers immaculé des airs. Pourtant sa marque est des plus délébiles...
Au dessous, le paysage par contraste, semble inchangé depuis des siècles. La nature est paisiblement assoupie dans la chaleur de l'été. Les vaches paissent comme si elles faisaient partie d'un tableau de Constable. Le Monde s'agite certes, mais très loin, si loin qu'on peut en douter.
Dans ces moments de détente j'ai parfois l'esprit qui se met à flotter. Il vibre doucement dans la moiteur de l'air, au gré du vol aléatoire des papillons et du crissement chaud des grillons.
En fin de journée, avant que l'horizon figurant la proue d'un immense navire, vienne en montant, cueillir doucement le soleil, je me laisse gagner par un délicieux songe hypnotique. Ce jour mourant, irradiant toute chose de ses rayons couchés, suggère mille réflexions insaisissables sur le sens de la vie.
Je me demande en premier lieu pourquoi l'Homme serait le seul assujetti à la Logique dans un monde qui en serait totalement dénué ? Comment aurait-il seul le privilège d'avoir un sens si tout autour de lui rien n'en a ?
Car l'Humanité a un sens c'est certain, tous ses représentants, même les simples d'esprit et les fous en sont persuadés. Seuls les anarchistes les plus fanatiques et les athées les plus résolus prétendent le contraire. Encore faut-il souligner qu'ils mettent en général un grand empressement à s'inscrire tout entier dans un fatum froidement déterminé, dont le sens irrémédiable et tragique paraît pourtant totalement leur échapper !
Et la preuve que l'Homme est doué de sens, c'est qu'il le sait et le conçoit. Cogito ergo sum. Non seulement cette conscience le touche, mais elle transfigure le Monde autour de lui. En son absence en effet, comment déterminer par exemple, si l'organisation d'une société de fourmis a un sens, puisque personne et pas même elles ne serait à même de le percevoir ?
L'Homme a donc un sens et le confère au Monde.
Et pour preuve que ce qu'on nomme sens, a du sens, c'est qu'il n'y a qu'en s'appuyant dessus que nous faisons de belles et grandes choses. Celles qui nous procurent les plus intenses et durables satisfactions. La plus indicible, la plus empreinte de certitude, est la création d'oeuvres d'art. Car elle ne répond à aucun objectif pragmatique, n'a aucune utilité évidente, mais possède un sens immanent. Je suis même enclin à penser que celui-ci est d'autant plus prégnant qu'il émane de sociétés qui en sont elles-mêmes largement pourvues... Autrement dit, une société incapable de production artistique digne de ce nom, a-t-elle encore un sens ?

A propos de sens de l'Art, une des meilleures illustrations en est la musique de Jean-Sébastien Bach. Après avoir savouré l'excellent DVD que l'Ostrogoth du violon Nigel Kennedy lui a consacré, j'en suis plus que jamais convaincu. Bach est universel, et quelque soit l'angle sous lequel on le considère il est empli de signification. Dans ce disque Nigel Kennedy confirme que sous ses aspects savamment débraillé et fantasque, il est un violoniste hors pair, tout en nuances et en finesse. Au delà des merveilleux concertos, j'ai été submergé par l'infinie tendresse des inventions à deux voix, qu'il a transcrites avec la violoncelliste Juliet Welchman et dont il interprète quelques extraits.
Nigel Kennedy fait beaucoup pour pérenniser dans notre civilisation technique la musique de Bach. Qu'il en soit remercié car rien ne serait plus inquiétant pour une société humaine, qu'un lent désintérêt pour ce qui a tant de sens...

08 juillet 2008

A la recherche du Paradis Perdu


Il est paradoxal qu'il faille parfois aller sur la chaine de télévision la plus commerciale qui soit dans notre pays, la plus vilipendée par les gardiens du temple du « Service Public » et de l'Exception Culturelle, pour y trouver les sujets de réflexion les plus excitants. Et les mieux mis en images.
Chaque numéro de l'émission USHUAIA Nature diffusé par TF1 est de ce point de vue un petit chef d'oeuvre. Prises de vues stupéfiantes, paysages extatiques, lumières paradisiaques, un vrai régal pour les yeux et l'esprit. Certes on sent que tout est travaillé et retravaillé, les couleurs et les contrastes savamment magnifiés. N'empêche le résultat est à la hauteur des moyens et procure un superbe spectacle.
Malheureusement les commentaires du présentateur ne s'avèrent pas toujours à la hauteur, Nicolas Hulot se laissant bien souvent aller à une sorte de philosophie angélique et un tantinet nigaude sur la Nature. Par exemple, le dernier épisode (3/07/08) qui raconte l'Amazonie et focalise l'attention sur une tribu d'indiens perdus dans la forêt, est le prétexte à ressortir le vieux mythe opposant le bon sauvage à la société moderne, prétendument corrompue.
Les Zo'és, dont la population excède à peine 250 âmes, et qui coulent une existence paisible dans un microcosme préservé, deviennent sous l'oeil émerveillé du présentateur écologiste, les survivants du Paradis perdu : « Les Zo'és, comme les derniers témoins de l'origine de l'homme, sont aussi les témoins de notre perte d'humanité, de notre avidité et de notre frénésie constructrice particulièrement… destructrice ». Et en voyant ces gentils hommes nus gambader joyeusement dans la jungle, consacrant « la plus grande partie de leur journée au sommeil, aux jeux, à la baignade ou à de précieux moments de discussion, d'échange et de partage » on ne peut selon lui que se lamenter sur notre triste sort et réaliser « combien de liens nous avons sacrifiés à la notion de possession ». On mesure « l'outrance de notre société standardisée, basée sur le pouvoir, la compétition, le rendement ».

Qu'il est doux de se bercer d'illusions séraphiques, donnant l'impression de redécouvrir le sens des vérités premières...
Seul problème : comment diable, décalquer sur le monde, avec sa complexité et sa diversité, une expérience aussi ponctuelle, aussi exceptionnelle ? Même si elle invite à réfléchir sur le mystère de la nature humaine, est-ce à croire qu'il suffise d'avoir été oublié par la civilisation pour être pur et n'avoir d'autre besoin que d'amour et d'eau fraîche ?
Ces gens quoique fort sympathiques, n'ont pas évolué d'un iota au cours des millénaires. Pour un peu, ils feraient mentir Darwin ! Ils n'ont en apparence aucun désir, aucune passion et ignorent la notion même de progrès. Il n'ont jamais cherché à dépasser les limites de la Forêt. A quoi bon ? La Nature généreuse leur procure à portée de main tout ce qu'il faut pour vivre et un climat assez clément pour se passer de tout habillement.
Sont-ils pour autant les derniers hommes libres comme le prétend Nicolas Hulot ? Difficile à dire. Ils se satisfont d'un monde irrémédiablement fermé sur lui-même, semblent n'avoir aucune angoisse existentielle et leur vie est entièrement conditionnée par l'instant. Le ciel et ses mystères paraît les indifférer et leur culture est des plus rudimentaires, se limitant à un artisanat basique et quelques rites animistes. L'écriture leur est inconnue, comme toute forme d'expression élaborée.
A bien y réfléchir, ils constituent sans doute une des innombrables facettes du génie humain. Leur destin est en soi une énigme tout comme celui de chacun d'entre nous et comme toute société, petite ou grande peuplant l'univers ici bas.

Qu'on les protège comme une espèce en voie de disparition est touchant et somme toute louable. Mais c'est aussi les maintenir dans l'ignorance de l'univers qui les entoure et dans une semi-captivité. Par le biais de caméras bien intentionnées, nous les observons avec nostalgie et tendresse, mais combien de temps joueront-ils avec autant de naturel sous nos yeux le rôle de bons sauvages, avant de chercher à passer de l'autre côté de l'écran ? Car en dépit d'espoirs chimériques, ils est peu probable que beaucoup d'entre nous soient un jour tentés de faire le chemin inverse...

06 juillet 2008

Un mystère colombien

L'intense battage qui accompagne la libération d'Ingrid Bétancourt fait naître une certaine perplexité. Après la révolte, la compassion, l'émotion, puis enfin le soulagement, un étrange sentiment se fait jour. Ou plutôt une interrogation. Pourquoi un tel débordement médiatique ? Qui l'orchestre vraiment ? La Presse ? Les Politiques ? A quelle fin ?
Comme lors des tragiques attentats du 11 septembre 2001, les images diffusées en boucle finissent par être assommantes, donnant l'impression d'une distorsion soudaine et artificielle de l'actualité. Une nouvelle fois, les journalistes en font trop, braquant de manière inconsidérée leurs micros et projecteurs sur tout ce qui brille, sans une once de réflexion et pas le moindre recul. Résultat ils disent n'importe quoi. Un flot de rumeurs non fondées, de suppositions hasardeuses, et de gloriole clinquante submerge l'évènement.
Est-il normal qu'une personne, aussi sympathique soit-elle, devienne en quelques jours
par le truchement des médias, le centre du monde ? D'où tient elle la grâce qui fait qu'elle soit soudain parée de toutes les vertus ?
Certains la voient déjà Présidente de la République Colombienne par le seul mérite d'avoir été otage durant six longues années. Nicolas Sarkozy l'inscrit d'autorité sur la liste des prochains promus à la Légion d'Honneur. Etrange consécration. On finit par avoir des doutes.
Est-elle héroïne malgré elle ou bien s'agit-il d'une mise en scène habile ?
On est interloqué par sa bonne forme apparente, lorsqu'on la compare à l'image de pauvresse résignée, ressassée il y a quelques mois. On la disait mourante de maladies et de mauvais traitements, la voici pimpante et volubile comme si elle sortait d'une cure de thalassothérapie.
On la présente comme la figure emblématique de la politique colombienne, mais son premier geste est de s'envoler pour la France. A-t-elle seulement rencontré le président Uribe, artisan de sa libération, a-t-elle rencontré le Peuple Colombien qu'elle affirme vouloir servir ? On n'en a rien vu. Etrange, si l'on se rappelle que les sondages ne la créditaient pas de plus de 2% d'intentions de vote lorsqu'elle envisageait de se présenter il y a quelques années à la Présidence de la République,...
Vraiment cela fait beaucoup de mystères autour de cette histoire. Ajoutés au discrédit dans lequel on tient, on ne sait trop pourquoi, en France le président Uribe (parce qu'il n'est pas de gauche ?), aux conditions bizarres de la capture d'Ingrid Bétancourt par les FARC, et à la complaisance avec laquelle on les a trop longtemps considérés, nimbés qu'ils sont par l'aura guevaresque de justiciers du peuple, au rôle guignolesque joué par Chavez, ça fait tout de même un peu beaucoup de ficelles qui s'agitent sans qu'on voie clairement qui les tient...
Ne pas oublier que derrière ces torrents de liesses, il reste encore au bas mot 800 otages en captivité...

29 juin 2008

La douche irlandaise


Le Non irlandais au traité de Lisbonne, fait apparaître au grand jour une fois encore, le fossé gigantesque qui sépare l'Europe des Peuples de celle que les dirigeants cherchent à leur imposer avec opiniâtreté. En la circonstance, le référendum populaire paraît une gageure insensée, cristallisant par nature des mécontentements de toute nature et souvent hors sujet. Mais il a un mérite : montrer qu'on ne peut espérer convaincre sans un minimum de clarté et d'enthousiasme.
Or l'idée européenne à ce jour en est tristement dépourvue. Pour tout dire, elle est à l'image de la substance bureaucratique dans laquelle elle plonge ses fondements juridiques : une sorte de gros machin mou, sans forme, sans direction, englué dans un limon glissant de standards et de normes.
Comment les citoyens pourraient-ils donner à ce monstre froid et indifférent, la légitimité de gouverner leur existence ?


Le projet de Constitution proposé dans un premier temps, et rejeté en 2005 par la France et les Pays-Bas, était avec ses 448 articles et ses quelques 250 pages, un véritable assommoir à électeurs. Au moins portait-il, au sein d'un prolixe et incompréhensible jargon, quelques ferments d'union. L'Europe avait un Hymne, un Drapeau, une Devise et même un Ministre des Affaires Etrangères.
Plus rien de cela hélas ne subsiste dans le traité de Lisbonne, abusivement qualifié de « mini-traité ». Tous les emblèmes fédérateurs ont été supprimés et il ne reste qu'un texte lourd de plus de plus de 150 pages, censé modifier et non remplacer les traités de Rome et de Maastricht. Certes on n'y compte plus que 7 articles mais ils se répartissent en plus de 350 dispositions de droit primaire, auxquelles s’ajoutent 13 protocoles et 59 déclarations !

Inutile de chercher dans cette rhétorique procédurière le moindre élan, ni même un quelconque dessein commun. On ne tente ici de fédérer de manière contractuelle, qu'une nuée d'égoïsmes nationaux, crispés sur l'obsession de profiter au maximum du système tout en lui abandonnant le moins possible de « souveraineté »... La France donne le ton, en ramenant à tout propos son prétendu merveilleux « modèle social », ses ambitions universelles en matière de « Droits de l'homme », et sa volonté farouche de préserver coûte que coûte une Défense Nationale indépendante.

Résultat, à l'exception notable de la monnaie unique, nous n'avons de l'Europe que le pire : des normes et des règlements tatillons, comme s'il en pleuvait, qui vitrifient dans l'uniformité notre manière de vivre, qui interdisent à la diversité de se manifester dans ce qu'elle a de meilleur, qui semblent se moquer des initiatives locales, et qui s'avèrent incapables dans le même temps, de cimenter un édifice cohérent.
Qu'est-ce donc qu'une Europe qui ne peut adopter une politique de défense commune ? Qui ne sache tenir une position fermement définie au sein du concert des nations ? Qu'est-ce qu'une Europe qui s'exprime de manière cacophonique, et qui par exemple, s'accroche à ses deux postes au Conseil de Sécurité de l'ONU, par lesquels elle affirme trop souvent la position sectaire voire parfois contradictoire de deux pays ? Qu'est-ce qu'une Europe qui ne cesse d'élargir ses assises géographiques alors qu'elle ne maitrise toujours pas ses fondements institutionnels, et ne sait pas véritablement où elle veut aller ?

On serait bien tenté de voir dans le logo adopté à l'occasion de la présidence française, le symbole piteux de cette déconfiture : des étendards qui pendent comme de vieux torchons au milieu de symboles nébuleux...

En définitive la douche irlandaise pourrait être bénéfique si tant est qu'on veuille enfin donner à ce genre d'avertissement la portée qu'il mérite.
Mais saura-t-on le faire ?

17 juin 2008

De l'enfer au paradis avec le Blues

Dans deux mois cela fera vingt ans que Roy Buchanan aura quitté ce monde. Aujourd'hui un DVD ressuscite quelques instants de sa vie, filmés le 15 novembre 1976 au cours d'un concert à Austin, Texas. Occasion quasi unique de s'imprégner de la musique de cet extra-terrestre de la guitare de blues.

Avec son air d'aimable plouc rêveur, il n'avait pas son pareil pour se délester sans en avoir l'air, d'incroyables lignes mélodiques, mélange de bends montant jusqu'au ciel comme des gémissements idéals, et d'harmoniques stridulantes déchirant avec délectation les tripes, le tout dans un style aérien, foisonnant de frénétiques "chicken pickin" .
Dans sa fabuleuse reprise de Hey Joe, même après avoir entendu Jimi Hendrix, on ne peut qu'être subjugué par les sublimes envolées suraiguës, ponctuées de brutales descentes en vibrato, au sein desquelles il place quelques mots à peine chuchotés, sortis en ruminant de sa barbe nonchalante.

Hélas, il ne resta pas longtemps au meilleur de sa forme. L'alcool, les frustrations, la pression médiatique et commerciale instillèrent progressivement en lui un poison mortel, qui l'usa prématurément.
Il galvauda souvent son talent, erra dans d'obscures et sordides impasses, ternissant parfois même sa nature de gentil garçon.
Au cours d'une soirée trop arrosée, un peu trop d'excitation, et il finit au poste de police, en cellule de dégrisement. C'est là que le 14 août 1988, à l'issue d'un raptus inopiné, profitant d'un moment d'inattention de ses geôliers, il se pendit avec sa chemise... Il avait à peine 49 ans.

A porter à son crédit, il reste quelques bribes du Paradis qu'il crut peut-être entrevoir par instants.
Avec ces images ressurgies du passé, on pourrait presque les palper au bout de ses doigts, le long des cordes torturées de sa guitare : Roy's Bluz, Sweet Dreams, The Messiah...

15 juin 2008

Obamania


Les Français sont vraiment incorrigibles. Ils seraient 84% à souhaiter la victoire de Barack Obama à l'élection présidentielle outre atlantique. Un consensus aussi peu nuancé laisse imaginer qu'ils n'ont décidément pas compris grand chose à la démocratie, en particulier américaine.
Il faut dire qu'au niveau d'information où ils se trouvent, un grand nombre d'entre eux doivent être surpris qu'Obama ne soit pas déjà installé à la Maison Blanche, tant la lutte l'opposant au sein du Parti Démocrate à Hillary Clinton, était manifestement assimilée dans leur esprit au match final pour le poste de président.

La Presse, de plus en plus mauvaise, caricaturale et pour tout dire idiote, porte sans aucun doute une part de responsabilité dans cette évidente méconnaissance des faits tant elle a induit le doute, en focalisant pendant des semaines ses projecteurs sur ce combat fratricide, le montant en épingle, et lui donnant l'apparence d'une campagne électorale, alors qu'il ne s'agissait que d'une primaire. Et pour finir, la désignation d'Obama, comme candidat démocrate, bien qu'elle s'apparentât à une sorte de victoire à la Pyrrhus, a été saluée comme un événement historique, ouvrant une nouvelle ère pour le Monde, à peu près unanimement par tous les médias réunis...
Derrière les chiffres, on peut s'interroger sur les raisons d'un tel engouement. Première tentation, celle d'y voir en creux les effets de la détestation anti-Bush qui sévit en France. Obama n'est pas issu du parti de George Bush, donc il jouit d'un préjugé favorable. Au surplus, il prône le retour des troupes stationnées en Irak, ce qui est assimilé de manière réflexe, à une preuve d'intelligence.
Au surplus, il est noir, il est jeune et incarnerait paraît-il le « changement ». Le mot est un des plus galvaudés en matière politique mais il fait toujours son effet aux oreilles de foules un peu niaises. Quand on creuse, il s'avère difficile de mettre derrière le terme, quelque projet concret. Alors inévitablement ressurgissent les vieux, très vieux démons de la pensée prétendue « progressiste » : on évoque la redistribution des richesses par l'impôt, une plus grande justice sociale, le mythe de l'assurance maladie universelle...
Pour ma part, je n'ai pas d'a priori contre Obama, plutôt de la sympathie, mais j'ai quelques doutes :
Sa couleur de peau n'est à mes yeux pas un argument. A ce jour aux USA, la plus haute fonction après celle du président est tenue par une femme noire, Condolezza Rice. Elle n'a jamais revendiqué ces particularités comme étant des qualités en soi, et George Bush qui l'a nommée pas davantage. Elle fait son job sans palabre ni forfanterie et personne ne remet en cause le sérieux de son travail et ses compétences, c'est le plus important. En tout état de cause, par rapport à cette petite révolution au sommet de l'Etat, le caractère "historique" de la désignation d'Obama doit être relativisé.
S'agissant du programme du candidat, le moins qu'on puisse en dire c'est qu'il est plutôt flou, très fluctuant, et un brin démagogique. Retirer les troupes d'Irak rentre dans la dernière catégorie. Cinq ans après le début de l'intervention, au moment ou ce pays semble rentrer enfin dans une phase de progrès et de stabilité, après que 4000 soldats soient morts pour ça, ce serait de la bêtise à l'état pur que de tout abandonner. Comme Obama est tout sauf idiot, il y a fort à parier qu'il ne ferait pas ce qu'il annonce, donc qu'il ment.
Quant à l'Iran, qui constitue un des problèmes les plus aigus du jour en matière de politique internationale, la position d'Obama est étrange. Un jour il veut « ouvrir la porte » au dialogue (ce qui a déjà été fait par l'Administration Bush), mais l'instant d'après affiche un résolution sans faille pour mettre en oeuvre, « tout ce qui sera en son pouvoir », pour empêcher le pays des Ayatollahs de posséder l'arme nucléaire. Tout, c'est à dire la guerre ?
S'agissant du programme pour l'Amérique, bien que ses contours soient encore bien incertains, il est probable qu'il sera basé sur un plus grand interventionnisme étatique. Alourdissement de la fiscalité, subventions et aides sociales, mesures protectionnistes, et peut-être une nouvelle tentative pour instaurer un régime d'assurance maladie obligatoire, promesse non tenue autrefois par Clinton. Sur tous ces sujets, peu de nouveauté en réalité et la crainte de voir se recroqueviller les Etats-Unis sur eux-mêmes, ce qui ne serait bon ni pour eux, ni pour nous...
Pour toute ces raisons, la candidature de John Mc Cain, qui conjugue expérience, courage, sagesse et bon sens, apparaît à l'heure actuelle une meilleure manière de sortir de l'ère Bush. Mais encore faudrait-il, pour pouvoir en discuter sereinement en France, qu'on accepte de laisser tomber le panurgisme, les certitudes et l'esprit partisan...

06 juin 2008

Beaucoup de bruit pour pas grand chose


Le nombre important de réformes entreprises par le gouvernement rend parfois difficile la compréhension de la logique qui les sous-tend. C'est peut-être pourquoi, tantôt on accuse le Président de la République de mettre en oeuvre une politique ultra-libérale, tantôt au contraire de s'en tenir à un conservatisme pusillanime.
Tout de même, certaines prises de position officielles ne laissent pas de surprendre. Deux exemples tirés de l'actualité sont particulièrement révélateurs de ce malaise.

La proposition de suppression de la publicité sur les chaines de télévision publique est de ce point de vue édifiante. Réclamée à grand cris depuis longtemps par des gens qui estiment qu'elle met sous la pression de l'audimat les programmes, et contribue à en détériorer la qualité, elle est aujourd'hui qualifiée par les mêmes de cadeau fait aux chaines privées et de coup de poignard assassin pour les chaines d'Etat.
En dehors de tout parti pris idéologique, le fait est qu'on se demande l'intérêt d'une telle mesure. D'ailleurs la raison pratique n'a toujours pas été donnée. En tout cas, le prétendu cadeau paraît bien galvaudé tant la publicité est déjà devenue envahissante dans les médias. L'overdose est proche et chacun s'est habitué grâce à la télécommande, à zapper les « réclames ». On voit mal comment on pourrait encore en augmenter la quantité. Trop de publicité tue la publicité. Reste la possibilité de faire payer plus cher les prestations du fait que les annonceurs auront désormais des débouchés plus réduits. C'est pour le moins hypothétique. Surtout si les Pouvoirs Publics décident de surtaxer ces profits...
En l'occurrence, sauf à vouloir délibérément les asphyxier, le problème le plus grave est de trouver des financements de substitution pour les chaines publiques. Rien ne paraît satisfaisant. L'augmentation de la redevance paraît vraiment anachronique avec notre époque et serait vécue comme un nouvel alourdissement des charges fiscales pesant sur les malheureux contribuables. Faire jouer le principe des vases communicants grâce à des taxes ponctionnées à d'autres sources (fournisseurs de téléphonie, d'internet, ou TV privées) serait complètement absurde. D'un côté on aurait des prestataires privés obligés de faire feu de tout bois pour assurer l'audience, de l'autre une télévision publique vivant en parasite, et définitivement à l'abri de toute émulation. Au total, on assisterait sans doute à une détérioration générale de la qualité : racolage et médiocrité d'un côté, nombrilisme et confidentialité de l'autre.
Non vraiment il s'avère impossible de suivre le fil du raisonnement du Chef de l'Etat en la circonstance. Et on ne peut que se lamenter du temps perdu par les commissions spécialement nommées pour réfléchir à la mise en oeuvre de telles mesures, qui tournent en rond tant l'argumentation s'apparente à une casuistique stérile.
Et si le problème de fond n'était pas la pléthore de chaines publiques ? Est-il vraiment nécessaire de maintenir plus de 5 chaines généralistes, sans compter leurs nombreux pseudopodes régionaux ou internationaux ?

Second sujet de perplexité, l'affaire retentissante du mariage annulé pour non virginité de l'épouse. La première réaction est la stupéfaction. A notre époque, un tribunal de la République peut donc déclarer nulle une union sur de tels critères ! C'est bien la meilleure !
A l'écoute de madame Dati, bien que surprenantes, de telles décisions de justice répondent en fait à un souci de pragmatisme, permettant de protéger certaines personnes embarquées contre leur gré dans des mariages arrangés. De fait en l'occurrence les deux époux souhaitent l'annulation de leur mariage. Soit, mais alors, pourquoi saisit-elle le Parquet dès le lendemain, pour casser la décision du Tribunal ?
Et surtout, comment se fait-il que deux conjoints, d'accord sur la nécessité de se séparer, ne recourent pas tout simplement au divorce à l'amiable ?

De toute manière, dans les deux cas, il n'y avait manifestement pas là de raison pour déclencher un tel tohu-bohu, dans lequel s'emmêlent, selon une fâcheuse habitude, toutes sortes de considérations religieuses, idéologiques, partisanes, et pour tout dire bien futiles...

05 juin 2008

Le Soleil se lève aussi sur Mars


Pendant que de misérables combats font rage sur notre planète, que d'infimes problématiques remuent en tous sens le microcosme médiatique, et que, faute de bonne volonté, tant de misères bassement terre à terre restent sans réponse, la NASA continue quant à elle son petit bonhomme de chemin dans l'espace.
Le 25 Mai 2008, la petite sonde Phoenix se posait en douceur quelque part dans la région arctique de la planète Mars.
Ça n'intéresse plus grand monde tant il faut désormais du sordide, du conflictuel, pour capter l'attention de foules gavées. Mais pour celui qui s'arrête un moment, c'est quand même bien fascinant. A l'image d'une fleur, qui inscrit sa beauté infinitésimale dans une sublime et mystérieuse harmonie, l'univers avec ses magnifiques guirlandes de lumière, illumine la nuit des temps, à la manière d'un gigantesque point d'interrogation. Cette petite sonde qui a parcouru plus de 270 millions de kilomètres à travers le cosmos, pour tenter de trouver quelques réponses, c'est magique...
Sur Mars, le soleil apparaît bien petit lorsqu'il se lève ou qu'il se couche. A peine s'il crée une lueur perçant l'obscurité brune. Photographiés lors de l'expédition Pathfinder, deux monticules sur l'horizon noir, les Twin Peaks, créent l'illusion d'un monde presque humain. Comme une vague alanguie, presque immobile dans le petit jour, ou bien les contours d'un paysage fait de collines et de vallées accueillantes.

Mais ce monde est sans vie. Lorsque le jour se lève, le doute n'est plus permis. C'est un désert rocailleux qui surgit sous l’œil extraordinairement précis de la caméra. Tout au plus un peu de glace sous la poussière qui recouvre le sol, et de profondes entailles dans la roche, confluant vers des vallées désertiques, qui témoignent qu'il y a très longtemps, de l'eau a probablement coulé en torrent sur la planète rouge.
Difficile de ne pas rêver tout de même. Tant de mystères, tant de richesses enfouies, tant d'énergie dans ces mondes lointains.
Saurons nous domestiquer ces ressources un jour ? Pourrons nous maitriser un peu de ce formidable univers qui nous entoure ?