

Internet est un vaste champ de débats. De la blogosphère aux forums, quantité de gens un peu partout communiquent, débattent, s'invectivent ou se congratulent. La Presse écrite qui sous sa forme papier ne réserve que la portion congrue aux réactions des lecteurs, ouvre sur le Web largement ses portes aux commentaires de toutes sortes. Au point qu'on finit par ne plus vraiment lire les articles... De leur côté, les sites de commerce en ligne publient les critiques louangeuses ou sévères des consommateurs à propos des articles en vente sur leur site. Souvent bien plus instructives que celles plus ou moins complaisantes ou de circonstance, des experts en la matière... Désormais il est même possible de réagir aux critiques par des commentaires...
C'est dans ce contexte que je me suis trouvé engagé récemment sur Amazon.fr, dans une confrontation au sujet de la société américaine et du libéralisme, à propos du film de Michael Moore : « Bowling for Columbine ».Avec l'accord de mon interlocuteur, je me permets ici de transcrire ce débat tonique mais courtois. Comme le veut la tradition, les échanges se font sous couvert de pseudonymes. Ce sera donc RD (pour Red Dog) contre LL (pour Libertylover). Je n'espère pas trop convaincre quiconque du bien fondé d'une des deux options défendues. Je les présente plus comme une illustration de la maïeutique chère à Socrate et Platon Ou l'art d'accoucher les idées par le dialogue... Advienne que pourra :
RD : Edifiant documentaire du trublion Michaël Moore qui n'apprendra toutefois rien de plus que ce que l'on savait déjà, à savoir le caractère foncièrement violent de la société américaine : inégalités sociales monstrueuses, ségrégation raciale, paranoïa sécuritaire (savamment entretenue par le gouvernement et les médias à sa solde), religion et nationalisme omniprésents, misères intellectuelles et culturelles (programmes TV abrutissants) que ne parvient pas à masquer l'opulence matérielle....Que 53% des Français aient donné les clés de la "maison France" à un admirateur avoué de ce "modèle" fait froid dans le dos, même si (enfin, je l'espère) la France ne sera jamais l'Amérique. Charlton Heston fût peut-être un grand acteur, mais c'était également un sacré réactionnaire. Bien sûr, comme à son habitude, Moore s'égare dans quelques raccourcis tombant comme un cheveu sur la soupe, comme quand il vante les mérites du système de santé Canadien (qui a le mérite d'exister mais qui doit nécessairement subir les pressions des politiques néolibérales en vogue là-bas comme ailleurs), mais globalement ce documentaire mérite tous les prix qu'il a obtenu. Et qu'on ne vienne pas me parler "d'anti-américanisme primaire", on ne cherche pas des noises aux détracteurs de la Russie ou de la Chine (systèmes politiques et économiques que je combat également) et puis s'il y avait plus de Michaël Moore aux USA, je les apprécierai certainement davantage.
LL : Si votre idée de la société américaine est fondée sur les témoignages caricaturaux et systématiquement à charge de ce gros plein de soupe prétentieux, menteur et démagogue qu'est Michael Moore, je comprends qu'elle ne soit pas très favorable. Regardez bien ce peuple et son histoire et vous comprendrez que malgré tous les défauts, il s'agit d'une merveilleuse aventure (la plus belle à mon sens depuis le siècle d'or de Périclès). Sans l'Amérique, le monde libre n'existerait pas, c'est pourtant évident...
RD : Déjà, pour moi "monde libre" ne signifie rien, tout comme "axe du mal". Tout ceci n'est destiné qu'à faire peur aux gens, pour mieux les contrôler. Au final, la "liberté" n'est que de façade....et proportionnelle au compte en banque....
Donc vous considérez un pays où 40 millions d'individus n'ont pas de couverture sociale, où n'importe qui peut s'armer, où de nombreuses personnes sont des "gros pleins de soupe" (pas une caractéristique de Moore seulement, hein), où la peine de mort existe encore (!!), où un président peut être tué sans qu'on connaisse la vérité 45 ans plus tard et où un candidat risque de l'être sous prétexte qu'il est noir (enfin, gris lol), où la religion et le nationalisme sont si exacerbés, comme un exemple pour l'humanité toute entière ? Mais au fait, pourquoi n'y vivez-vous pas, si c'est si bien ?
LL : Je vis en France, je sais à qui je dois ma liberté et ne l'oublierai jamais. Dans les cimetières américains de Normandie, des milliers de petits gars de 18 ans reposent, après s'être battus pour donner à notre pays (et à tant d'autres...) ce qu'il y a de plus cher au monde. Si ça ne signifie rien pour vous alors, il n'y a plus qu'à tirer l'échelle...
RD : Bizarre que les réfractaires à la "repentance permanente" (passé colonial de la France) soient les mêmes qui nous rabâchent sans cesse que la France devrait toujours être d'accord sur tout avec les Américains au prétexte qu'ils nous ont sauvé lors de la seconde guerre mondiale. Je vous signale que les Russes aussi ont participé à la victoire sur les Nazis. Par calculs sans doute, mais on pourrait dire la même chose des Américains, non ? Par ailleurs je vois que vous ne répondez pas sur le fond.
LL : Evidemment, avec votre conception très particulière de la liberté, pensez-vous également que les Soviétiques libérèrent toute la partie est de l'Europe... Dommage donc selon vous, qu'ils n'aient pas pu faire profiter pleinement la France du paradis socialiste !
RD : Si vous aviez bien lu, j'ai écrit "par calculs sans doute". Qu'en est-il des Américains ? Ne nous ont-ils pas libéré par intérêts ? Je vois que vous ne répondez jamais sur le fond, ce qui est typique des libéraux, quand on touche un point sensible, ils bottent en touche, sûrs de leurs positions, quoiqu'il advienne....
LL : Quel est donc le fond auquel vous faites allusion avec tant d'insistance ? Pour moi il est de savoir qui peut incarner le mieux la Liberté. C'est la valeur que je chéris le plus, car elle conditionne à mon sens toutes les autres. C'est lorsque on en est privé qu'on comprend vraiment le bonheur qu'elle donne. Peut-être ai-je tort, mais j'ai tout de même le droit d'avoir cette conviction. On peut la critiquer mais pas la démolir sans nuance.
Je vous reproche, si je puis me permettre, de tout confondre dans un micmac généralisé. Vous dites que "le monde libre ne signifie rien" pour vous. Libre à vous bien sûr, mais ça ne vous avance pas à grand chose.
Vous ramenez l'action américaine à des "calculs". Je veux bien, mais faudrait-il donc qu'ils soient de purs anges pour qu'on leur accorde quelque attention bienveillante ? Est-il si anormal qu'ils prennent aussi leur intérêt en compte avant d'agir ? Ce qui importe c'est qu'ils agissent aussi par altruisme, et plus encore le résultat de leur action. Que je sache, aucun Européen libéré par les Américains n'aurait changé son sort pour celui de ceux qui le « furent » par les Soviétiques. Aucun Coréen du Sud ne troquerait sa situation pour celle d'un habitant du Nord. Aujourd'hui, je suis prêt à faire le pari que très peu d'Irakiens souhaiteraient revenir au temps de Saddam et d'Afghans au temps des Talibans...
L'Amérique est un pays libre. Cette liberté a un prix. Elle suppose notamment d'être responsable de ses actes. Ça peut être douloureux c'est vrai, et parfois difficile même à supporter ou à comprendre. Quand vous dites rageusement que 40 millions d'Américains n'ont pas d'assurance maladie par exemple, avez-vous seulement songé que cette dernière n'est pas obligatoire comme en France ? Savez-vous que le système medicare prend tout de même en charge les soins des plus démunis, et ce depuis bien plus longtemps que la CMU chez nous ?
La problématique des armes à feu est du même ordre. L'Etat ne règlemente pas tout et restreint le moins possible la liberté, partant du fait que les individus en feront bon usage. Ça peut paraître choquant dès qu'un drame dû à la folie se produit. Mais les Américains restent dans leur ensemble attachés à ce principe qui leur vaut le régime le plus démocratique et le plus stable au monde (et encore loin d'être parfait je vous l'accorde...).
Cela dit, vous avez parfaitement le droit d'être opposé à cette conception des choses, et détester les Américains. Pour pouvez penser qu'une autre voie serait meilleure, mais vous aurez du mal à me convaincre qu'elle pourrait incarner mieux la liberté.
RD : Et ces 40 millions de personnes sans Sécu le seraient donc par choix ? Pourquoi dès lors s'élever en France contre l'instauration de la CMU (la droite "républicaine", votre parti) ? Oui, le plus stable évidemment, "tout est sous contrôle". Comment ? En s'inventant des ennemis (ou en les faisant plus gros et dangereux qu'ils ne sont), en installant la peur grâce aux médias aux ordres (faits divers et guerres en première ligne aux infos) et en menant une politique sécuritaire. Un peuple qui a peur, c'est un peuple qui obéit. Et puis je ne vois rien de très démocratique à choisir entre deux partis (financés par des lobbys) aux visions quasi-identiques sur presque tous les sujets (Républicains et Démocrates). Chez nous, il y a parfois trop de candidats mais là-bas, le choix est vite fait. Ah, et vous oubliez la peine de mort, qui là-bas existe encore. Encore une "valeur" que je vous laisse. A bon entendeur.
LL : Bien sûr qu'un bon nombre de ces gens font plus ou moins consciemment un choix. Quand on est jeune, en bonne santé, et qu'on ne roule pas sur l'or, on ne voit pas forcément comme urgente la nécessité de s'assurer. Il n'y a que les Français pour croire que la santé est gratuite et que la Sécu a réponse à tout. Pour le reste j'arrête car c'est trop. Continuez de croire que tous les ennemis qu'a combattus l'Amérique sont inventés si ça vous chante, que les Américains ont peur alors qu'ils sont quasi les seuls du monde occidental (avec les Anglais) à avoir encore le courage de s'engager pour défendre leur modèle de société. Et pour la démocratie, restez dans vos certitudes ou bien lisez Tocqueville, vous y trouverez bien des clés si vous voulez les voir. Enfin, je n'ai pas oublié la peine de mort qui fait partie des clichés inlassablement ressassés par les anti-américains. Mais à quoi bon tenter de vous expliquer que c'est plus complexe que ça en a l'air et peut-être moins hypocrite que la bonne conscience abolitionniste, bien intentionnée mais incapable de proposer une solution alternative ? De toutes manière vos certitudes sont inébranlables...
PS : je n'ai pas de parti figurez vous. Malgré l'invraisemblable profusion de candidats (qui permet parfois à un président d'être élu avec plus de 82% des voix), le libéralisme n'existe pas en France...
RD : Effectivement, il vaut mieux clore ici cette discussion inutile, vos certitudes étant également inébranlables (et oui, le libéralisme aussi est une idéologie, avec ses dogmes : privatisation de tout l'espace public notamment). Pour ma part la notion de "Monde Libre" a des relents de "guerre des civilisations" que je réprouve. L'alternative à la peine de mort a été donné par le modèle européen : l'abolition, tout simplement (heureusement, de ce côté-là, tout retour en arrière est compromis, ne vous en déplaise). Quand au soit-disant "choix" de certains américains de ne pas s'assurer, c'est tout bonnement risible, et ce choix est guidé par le système à deux vitesses américain : si tu es riche tu peux te soigner, t'instruire, te cultiver, si tu es pauvre, non (ou alors beaucoup moins bien). Qui peut connaitre à l'avance l'état de sa santé ? On tombe malade par choix ??? Si je suis votre raisonnement, vous ne devez pas assurer votre habitation et votre véhicule non plus alors, car c'est le même principe. A moins que ce soit la notion de "service public" qui vous gêne ? Cordialement
LL : Encore un mot car même si je suis persuadé de votre bonne foi, vous ne semblez pas comprendre ce que je veux dire. Naturellement je ne me réjouis pas du fait que des gens n'aient pas d'Assurance Maladie (ou habitation comme à Haumont lors de la tornade). Simplement je pense qu'il vaut mieux chercher à les convaincre d'en contracter une ou les aider à le faire, plutôt que les y obliger. Et je ne pense pas que l'Etat soit le meilleur garant d'efficacité en matière de gestion de ces assurances (la Sécu, qui pompe beaucoup de ressources, qui est chroniquement déficitaire, et qui est contrainte d'ouvrir de plus en plus le champ aux mutuelles privées, est un modèle discutable)
Je ne me réjouis pas davantage du maintien de la peine de mort. Mais ce n'est pas parce qu'on a décrété son abolition qu'on a résolu le problème, même en gravant le principe dans le marbre. Autant déclarer le chômage illégal comme Besancenot et abolir le mauvais temps comme dans Globalia de Rufin... Savez vous que des prisonniers en France réclament régulièrement le rétablissement de la peine capitale tant ils considèrent leur sort comme insupportable ? Souvenez vous également de l'affaire Gary Gilmore aux USA.
Enfin, dans la nature rien ne relève a priori d'un quelconque Service Public ou d'une réglementation étatique immanente. Tout est public c'est à dire en fait privé. Il ne s'agit donc pas de "tout privatiser", mais plutôt de ne pas nationaliser à outrance... Le libéralisme, ça consiste à établir le contrat social qui rognera le moins sur la liberté naturelle de chacun, mais permettra tout de même à tous de vivre en bonne intelligence. Le seul dogme en la matière, c'est que l'Etat soit le moins contraignant possible. Pour tout dire, plus les hommes se comporteront en individus responsables, moins ils auront besoin d'être gouvernés autoritairement, c'est le pari optimiste que font les libéraux. On est certes loin de la concrétisation du "self-government", mais c'est tout de même un bel idéal...
Bien à vous
RD : Oui, effectivement, si tous les êtres étaient parfaits, nous n'aurions même plus besoin de police (ce serait vraiment une bonne chose !) ! :) Un mot aussi toutefois puisque vous lancez une piste : la Sécu n'était plus en déficit sous le gouvernement Jospin. Quand aux causes de ce déficit, je vous aiguillerais davantage vers les exonérations de charges patronales non compensées par l'Etat plutôt que vers les fraudes, certes il y en a mais de là à dire que c'est généralisé ! Une autre chose me vient à l'esprit : il est souvent dit (à juste titre) du communisme qu'il voulait "faire le bonheur des gens malgré eux". Et bien je trouve que le libéralisme (les Américains) agit de la même façon : imposer la démocratie (ou leur vision de la démocratie) y compris par la force ; faire revoter aux référendums européens jusqu'à ce que la réponse obtenue soit celle voulue. Encore autre chose : les Américains souhaitent que les autres pays ouvrent leurs frontières aux produits étrangers (principe du libre-échange) mais se comportent eux en parfaits protectionnistes ("faites ce je dis, pas ce que je fais"). Bref, je note une multitude de contradictions chez ceux qui se réclament du libéralisme. Bon, je vous laisse le dernier mot cette fois, si vous en voulez.
LL : Je vous le laisse bien volontiers. Je constate que nous restons sur des positions diamétralement opposées. Mais nous sommes parvenus à nous parler cordialement, c'est bien là l'essentiel après tout...
C'est une évidence, on attache de plus en plus d'importance à l'informatique. On lui délègue un nombre grandissant de tâches, on tend plus ou moins délibérément à « humaniser » les robots, et on en vient parfois même à leur imputer une certaine responsabilité, notamment lors de la survenue de dysfonctionnements (qui n'a pas entendu un jour devant une défaillance, une expression fataliste du genre : « désolé, c'est l'informatique » ?).
De fait, il devient de moins en moins absurde d'imaginer dans un futur plus ou moins lointain, l'avènement d'ordinateurs doués d'intelligence, voire de conscience. Ce qui revient en définitive à réactualiser la fameuse problématique soulevée autrefois par Turing (1912-1954), et qu'on peut résumer par la question : « une machine peut-elle penser ? ».
Pour ma part, j'ai tendance à répondre par l'affirmative, à condition de réduire la conscience humaine à une simple fonction mathématique ou logique (même s'il s'agit de processus très complexes).
D'une certaine manière, une calculette « pense » les chiffres sur lesquels elle effectue des opérations. Elle n'a pourtant à l'évidence pas de pensée autonome et pas de « moi ». Un computer doté d'un programme permettant de jouer aux échecs « pense » la partie. Son raisonnement peut même souvent se révéler plus efficace que celui de son adversaire humain. Et à en juger par la seule succession des coups, il serait pour un observateur attentif, bien difficile à l'instar de la proposition de Turing, de déterminer s'ils sont élaborés par une machine où par un être fait de chair et d'os.
Ça peut paraître effrayant mais, il n'y a pourtant qu'une différence de degré et pas de nature, entre un ordinateur qui raisonne mieux que le cerveau et un simple marteau, beaucoup plus efficace que la main pour enfoncer un clou...
Car la machine n'est rien sans l'homme (même si elle est possible, la confrontation de deux ordinateurs devant un échiquier n'a pas plus de sens qu'un « marteau sans maître »)
La conscience quant à elle, va manifestement bien au delà des algorithmes aussi élaborés soient-ils. Elle implique des considérations émotionnelles, morales, ontologiques, plus généralement subjectives et irrationnelles, totalement étrangères aux machines. De ce point de vue, Descartes avait donc tort avec son « cogito ergo sum ». Il ne suffit pas de penser pour être...
En définitive, même si elle s'appuie sur des processus logiques, la conscience relève très largement de l'indicible. En dehors de toute connotation spirituelle, elle pourrait bien, pour l'être qui en est doué, faire partie des notions qui lui sont « indécidables », en application du théorème de Gödel (1906-1978) décrivant les systèmes de logique formelle... Le « connais-toi toi-même », objectif louable s'il en fut, est probablement impossible stricto sensu.
Ne connaissant donc pas précisément la nature du principe qui les gouverne, et n'ayant sur ce sujet fait quasi aucun progrès depuis la nuit des temps, comment les êtres humains pourraient-ils le conférer à leurs propres « créatures » ? Il faudrait en ce cas admettre que l'homme devienne en quelque sorte le Dieu des machines... Mais quel Dieu approximatif, mon Dieu (si je puis dire...)
Il semble donc que la conscience artificielle soit un mythe. Ce dernier peut nourrir les histoires de science-fiction mais n'est pas près d'occulter le tragique constat de Socrate : « La seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien »... Et l'Homme reste donc totalement responsable de ses actes et de ses créations. A l'oublier, il risque fort de nier sa propre humanité, tout comme le prédisait Rabelais : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme... »