Pour celui qui aspire à travers la philosophie, non pas à courir derrière de belles théories, aussi savamment exprimées soient-elles, mais à trouver quelques clés pratiques utilisables dans la vie de tous les jours, la lecture des ouvrages de William James (1842-1910) est un régal. Il n'a pas son pareil en effet pour aborder les champs de réflexion les plus impénétrables, qu'il défriche avec grâce et humilité, en les balisant de repères rassurants, et en extrayant ici ou là quelques pépites dont il a l'art de présenter sans artifice à ses lecteurs la pureté naturelle. Sa prétention n'est pas de donner des réponses à tout, et surtout pas de se livrer à des constructions idéologiques péremptoires. Il propose simplement une vision du monde la plus ouverte qui soit, et considère notre rapport à ce dernier, avec une logique ductile, associant la fois limpidité, souplesse et liberté.
Dans un essai au titre évocateur*, il aborde le problème des croyances et de la foi religieuse, qu'il confronte à l'épreuve du pragmatisme. Tâche à peu près vaine pourrait-on penser de prime abord, tant l'antinomie paraît flagrante. Concilier l'insaisissable spirituel et les trivialités pratiques, quoi de plus impossible en apparence ?
En apparence seulement, pour James qui suppute qu'il y a peut-être en définitive quelques circonstances où la foi ne serait pas dénuée d'utilité.
Afin qu'il n'y ait aucun malentendu, le philosophe pose d'emblée qu'en l'occurrence, il ne cherche aucunement à renforcer l'importance des croyances, accordant notamment que « ce qui manque le plus à l'humanité ce n'est point la foi, mais l'esprit critique et la circonspection. »
Il rappelle pareillement que « si l'hypothèse scientifique la plus vraie est celle qui fonctionne le mieux, il n'en peut être autrement des hypothèses religieuses. »
Cela dit, il ajoute également que « si nombre de ces dernières se sont écroulées au contact d'une connaissance plus approfondie de l'univers, il n'en reste pas moins évident que certains articles de foi ont survécu et qu'ils ont même aujourd'hui plus de vitalité que jamais... »
Celui qui se définit comme empiriste radical, va même plus loin en affirmant que « la nature humaine n'offre rien de plus intéressant et de plus précieux que ses idéals et ses croyances en l'au-delà », ajoutant que « la fermentation religieuse est toujours un symptôme de la vigueur intellectuelle d'une société, et [que] nos croyances ne sont nocives que lorsqu'elles oublient leur caractère hypothétique pour émettre des prétentions rationalistes ou dogmatiques. »
Ceci posé, James, préoccupé d'efficacité, entreprend de débusquer les situations où la foi peut s'avérer utile, c'est à dire où « la foi en un fait peut aider à créer le fait », ou encore, des circonstances où « la croyance crée sa propre validation ». Et il n'éprouve guère de difficulté à en trouver légions. L'exemple le plus parlant qu'il donne est celui d'un train attaqué par des bandits. Tous les voyageurs se laissent en règle piller parce que si les bandits peuvent compter les uns sur les autres, chaque voyageur sait que sa résistance entraînerait sa mort. Or si chaque voyageur avait foi en la réaction des autres, il réagirait, et le pillage deviendrait impossible...
James excipe de ce cas bien concret, une observation de portée beaucoup plus générale. Il constate ainsi que pour voir une espérance se réaliser, mieux vaut y croire. Il en est ainsi pour un politicien en campagne électorale, pour un étudiant commençant des études difficiles, pour une personne cherchant un emploi, pour un sportif s'engageant dans une compétition, ou bien pour une armée livrant une bataille... Même s'il serait vain de nier l'importance d'une bonne préparation à l'épreuve, il est évident que la conviction de réussir peut s'avérer un facteur déterminant.
A l'appui de sa démonstration James cite opportunément un de ses amis, William Salter, membre de la Philadelphia Ethical Society : « De même que l'essence du courage consiste à risquer sa vie sur une possibilité, de même l'essence de la foi consiste à croire qu'une possibilité existe. »
Du « vouloir c'est pouvoir », c'est bien la volonté de croire qui est le primum movens de toute action, de tout progrès, de toute évolution. Et c'est même à ses yeux, un argument fort et optimiste qui permet d'affirmer que la vie vaut la peine d'être vécue...
William James fournit ainsi des prolongements spirituels bienvenus à la pensée empirique, un peu sèche si ce n'est froidement matérialiste, telle qu'elle fut illustrée par Locke, Hume, Mill où même Kant.
Il invite à dépasser une conception purement scientifique, soi-disant neutre et objective du monde, en montrant qu'elle est contraire à la nature humaine, considérée elle-même comme composante essentielle de La Nature. La force de cette proposition est de faire du substratum physique conditionnant notre existence, de « l'armée de molécules », dont il est constitué, un tremplin vers l'indicible, une vraie raison d'être en somme, « par delà les confins des sphères étoilées ».
Rien ne saurait mieux illustrer cette idée que ces deux réflexions livrées pour conclure (sans donner naturellement au mot Dieu une acception répondant à des critères de certitude) : « Un quatuor à cordes de Beethoven se ramène en fait à un bruit de boyaux de chat raclés par une queue de cheval, mais si complète et exacte que soit cette description, elle n'exclut en aucune manière une description tout autre.../... De même, une interprétation mécanique de l'univers n'est pas incompatible avec une interprétation téléologique car le mécanisme lui-même peut impliquer la finalité... »
« Dieu lui-même, en somme, peut puiser dans notre fidélité une véritable force vitale, un accroissement de son être »
* La volonté de croire. William James. Les Empêcheurs de tourner en rond/ Le Seuil. Paris 2005
Dans un essai au titre évocateur*, il aborde le problème des croyances et de la foi religieuse, qu'il confronte à l'épreuve du pragmatisme. Tâche à peu près vaine pourrait-on penser de prime abord, tant l'antinomie paraît flagrante. Concilier l'insaisissable spirituel et les trivialités pratiques, quoi de plus impossible en apparence ?
En apparence seulement, pour James qui suppute qu'il y a peut-être en définitive quelques circonstances où la foi ne serait pas dénuée d'utilité.
Afin qu'il n'y ait aucun malentendu, le philosophe pose d'emblée qu'en l'occurrence, il ne cherche aucunement à renforcer l'importance des croyances, accordant notamment que « ce qui manque le plus à l'humanité ce n'est point la foi, mais l'esprit critique et la circonspection. »
Il rappelle pareillement que « si l'hypothèse scientifique la plus vraie est celle qui fonctionne le mieux, il n'en peut être autrement des hypothèses religieuses. »
Cela dit, il ajoute également que « si nombre de ces dernières se sont écroulées au contact d'une connaissance plus approfondie de l'univers, il n'en reste pas moins évident que certains articles de foi ont survécu et qu'ils ont même aujourd'hui plus de vitalité que jamais... »
Celui qui se définit comme empiriste radical, va même plus loin en affirmant que « la nature humaine n'offre rien de plus intéressant et de plus précieux que ses idéals et ses croyances en l'au-delà », ajoutant que « la fermentation religieuse est toujours un symptôme de la vigueur intellectuelle d'une société, et [que] nos croyances ne sont nocives que lorsqu'elles oublient leur caractère hypothétique pour émettre des prétentions rationalistes ou dogmatiques. »
Ceci posé, James, préoccupé d'efficacité, entreprend de débusquer les situations où la foi peut s'avérer utile, c'est à dire où « la foi en un fait peut aider à créer le fait », ou encore, des circonstances où « la croyance crée sa propre validation ». Et il n'éprouve guère de difficulté à en trouver légions. L'exemple le plus parlant qu'il donne est celui d'un train attaqué par des bandits. Tous les voyageurs se laissent en règle piller parce que si les bandits peuvent compter les uns sur les autres, chaque voyageur sait que sa résistance entraînerait sa mort. Or si chaque voyageur avait foi en la réaction des autres, il réagirait, et le pillage deviendrait impossible...
James excipe de ce cas bien concret, une observation de portée beaucoup plus générale. Il constate ainsi que pour voir une espérance se réaliser, mieux vaut y croire. Il en est ainsi pour un politicien en campagne électorale, pour un étudiant commençant des études difficiles, pour une personne cherchant un emploi, pour un sportif s'engageant dans une compétition, ou bien pour une armée livrant une bataille... Même s'il serait vain de nier l'importance d'une bonne préparation à l'épreuve, il est évident que la conviction de réussir peut s'avérer un facteur déterminant.
A l'appui de sa démonstration James cite opportunément un de ses amis, William Salter, membre de la Philadelphia Ethical Society : « De même que l'essence du courage consiste à risquer sa vie sur une possibilité, de même l'essence de la foi consiste à croire qu'une possibilité existe. »
Du « vouloir c'est pouvoir », c'est bien la volonté de croire qui est le primum movens de toute action, de tout progrès, de toute évolution. Et c'est même à ses yeux, un argument fort et optimiste qui permet d'affirmer que la vie vaut la peine d'être vécue...
William James fournit ainsi des prolongements spirituels bienvenus à la pensée empirique, un peu sèche si ce n'est froidement matérialiste, telle qu'elle fut illustrée par Locke, Hume, Mill où même Kant.
Il invite à dépasser une conception purement scientifique, soi-disant neutre et objective du monde, en montrant qu'elle est contraire à la nature humaine, considérée elle-même comme composante essentielle de La Nature. La force de cette proposition est de faire du substratum physique conditionnant notre existence, de « l'armée de molécules », dont il est constitué, un tremplin vers l'indicible, une vraie raison d'être en somme, « par delà les confins des sphères étoilées ».
Rien ne saurait mieux illustrer cette idée que ces deux réflexions livrées pour conclure (sans donner naturellement au mot Dieu une acception répondant à des critères de certitude) : « Un quatuor à cordes de Beethoven se ramène en fait à un bruit de boyaux de chat raclés par une queue de cheval, mais si complète et exacte que soit cette description, elle n'exclut en aucune manière une description tout autre.../... De même, une interprétation mécanique de l'univers n'est pas incompatible avec une interprétation téléologique car le mécanisme lui-même peut impliquer la finalité... »
« Dieu lui-même, en somme, peut puiser dans notre fidélité une véritable force vitale, un accroissement de son être »
* La volonté de croire. William James. Les Empêcheurs de tourner en rond/ Le Seuil. Paris 2005